Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
22 décembre 2018
Le Pavillon Carré de Baudouin, qui ne portait pas encore ce nom, fut construit au dix-huitième siècle. Les frères Goncourt y passèrent une partie de leur enfance. Acheté par la ville de Paris, il dépend de la Mairie du Vingtième. Le vaste jardin et le bel édifice sont ouverts au public.
Une exposition Willy Ronis y est organisée dont ce sont les derniers jours. Elle est gratuite. L’employée municipale n’y donne pas de ticket mais clique afin de comptabiliser le nombre de visiteurs. Je lui confie mon sac à dos avant d’entrer dans la première salle.
Y sont exposées les photos du quartier Belleville Ménilmontant. M’intéressent notamment celles d’un café à trois étages, dont j’apprends qu’aujourd’hui il ne reste qu’un tas de ruines. Me plaît beaucoup celle, volée, d’une jeune fille entrant chez elle rue de la Cloche. Viennent ensuite les premières photos prises par celui dont le père était photographe de studio.
Dans l’escalier sont présentés des autoportraits pris à diverses époques. En haut à gauche une salle est consacrée aux nus (c’est-à-dire aux nues) dont le célèbre Nu provençal qui ne peut faire songer qu’à Bonnard. Mon préféré est Le nu au chiffon, celui-ci placé au bon endroit. Un moutard se présente à l’entrée de la salle, jette un œil sur l’ensemble de ces femmes dénudées et s’enfuit en clamant que c’est nul.
De l’autre côté de l’escalier se trouve une très grande salle dans laquelle de nombreuses photos sont groupées en différents thèmes : Paris, l’ailleurs (c’est-à-dire l’étranger) où l’on trouve Les béguines prise à Bruges ce qui me rappelle le délicieux béguinage parcouru bien accompagné, la province, le monde ouvrier, l’intime (c’est-à-dire la famille). La plupart sont remarquables.
« De toutes les choses inattendues, la plus inattendue, c’est la vieillesse. C’est Trotski qui a dit ça », raconte Willy Ronis dans le film diffusé en boucle, dont on peut profiter du son sans subir l’image, expliquant qu’il a abandonné la photo le jour où il lui a fallu lâcher l’appareil pour tenir des béquilles.
Je sors de cette exposition bien content et retrouve l’ascenseur de Pelleport. En passant par République, je vais à Ledru-Rollin. Dans le second Book-Off, impossible d’ignorer que c’est bientôt Noël. Que de monde ici par obligation, occupé à trouver un cadeau pas cher. Je reste moins longtemps que je l’aurais souhaité.
Dans le train du retour s’installe derrière moi un jeune couple à bébé. De quoi parlent les heureux parents pendant une heure vingt : de sieste du matin, de sieste de l’après-midi, de biberon et de tototte.
*
Sauf rares exceptions, je ne mets pas en scène, je négocie l’aléatoire. Willy Ronis dixit.
Négocier l’aléatoire, une philosophie de la vie que je fais mienne.
*
La ritournelle du moment : « Bonnes fêtes de findanet ».
Une exposition Willy Ronis y est organisée dont ce sont les derniers jours. Elle est gratuite. L’employée municipale n’y donne pas de ticket mais clique afin de comptabiliser le nombre de visiteurs. Je lui confie mon sac à dos avant d’entrer dans la première salle.
Y sont exposées les photos du quartier Belleville Ménilmontant. M’intéressent notamment celles d’un café à trois étages, dont j’apprends qu’aujourd’hui il ne reste qu’un tas de ruines. Me plaît beaucoup celle, volée, d’une jeune fille entrant chez elle rue de la Cloche. Viennent ensuite les premières photos prises par celui dont le père était photographe de studio.
Dans l’escalier sont présentés des autoportraits pris à diverses époques. En haut à gauche une salle est consacrée aux nus (c’est-à-dire aux nues) dont le célèbre Nu provençal qui ne peut faire songer qu’à Bonnard. Mon préféré est Le nu au chiffon, celui-ci placé au bon endroit. Un moutard se présente à l’entrée de la salle, jette un œil sur l’ensemble de ces femmes dénudées et s’enfuit en clamant que c’est nul.
De l’autre côté de l’escalier se trouve une très grande salle dans laquelle de nombreuses photos sont groupées en différents thèmes : Paris, l’ailleurs (c’est-à-dire l’étranger) où l’on trouve Les béguines prise à Bruges ce qui me rappelle le délicieux béguinage parcouru bien accompagné, la province, le monde ouvrier, l’intime (c’est-à-dire la famille). La plupart sont remarquables.
« De toutes les choses inattendues, la plus inattendue, c’est la vieillesse. C’est Trotski qui a dit ça », raconte Willy Ronis dans le film diffusé en boucle, dont on peut profiter du son sans subir l’image, expliquant qu’il a abandonné la photo le jour où il lui a fallu lâcher l’appareil pour tenir des béquilles.
Je sors de cette exposition bien content et retrouve l’ascenseur de Pelleport. En passant par République, je vais à Ledru-Rollin. Dans le second Book-Off, impossible d’ignorer que c’est bientôt Noël. Que de monde ici par obligation, occupé à trouver un cadeau pas cher. Je reste moins longtemps que je l’aurais souhaité.
Dans le train du retour s’installe derrière moi un jeune couple à bébé. De quoi parlent les heureux parents pendant une heure vingt : de sieste du matin, de sieste de l’après-midi, de biberon et de tototte.
*
Sauf rares exceptions, je ne mets pas en scène, je négocie l’aléatoire. Willy Ronis dixit.
Négocier l’aléatoire, une philosophie de la vie que je fais mienne.
*
La ritournelle du moment : « Bonnes fêtes de findanet ».
21 décembre 2018
Cet avant-dernier mercredi de deux mille dix-huit, le train pour Paris de sept heures vingt-trois (nouvel horaire) ne se fait pas attendre. Près de moi sont assises trois femmes de crèches métropolitaines allant à une réunion parisienne. Leur sujet de conversation principal : une supérieure. « Surtout elle veut qu’on soit bienveillante, dit l’une, alors tous mes mails, je les termine par Bien cordialement ». Leur espoir : finir assez tôt pour avoir le temps de faire les boutiques. Je relis l’Anthologie de l’humour noir, une façon de réviser mes classiques. Les textes d’introduction que consacre André Breton à chacun me donne envie de lire des biographies de Swift et de Lichtenberg.
A l’arrivée je vais à pied jusqu’au Book-Off de Quatre Septembre et y échange un sac de livres contre neuf euros dont je dépense deux sur place. Il est onze heures. Le métro Trois m’emmène jusqu’à Gambetta où il y a correspondance avec la Trois bis, une ligne des plus courtes, quatre stations desservies par une petite rame. J’en descends à la suivante nommée Pelleport d’où l’on sort avec un ascenseur.
Une jeune femme m’indique de quel côté la rue de Ménilmontant. Ça monte. Je la trouve à gauche, qui grimpe pareillement. J’atteins le sommet, puis descends jusqu’au carrefour avec la rue des Pyrénées. C’est là que se trouve ce qui m’amène dans le quartier, mais avant d’y entrer je cherche où déjeuner.
Le quartier manque de restaurants. Je finis par en dénicher un nommé La Nouvelle Etoile dans la rue des Pyrénées. Assez chic, il propose un menu à quinze euros. Des moutards sortis de l’école sont déjà présents avec leurs parents du côté où le serveur veut me placer. J’obtiens de m’éloigner et, dans l’autre partie de la salle, m’installe à une table ronde pour solitaire située contre une porte vitrée condamnée. Je peux ainsi observer le spectacle de la rue de ce quartier populaire, au bon sens du terme, tout en écoutant la musique jazzy. Après le feuilleté chèvre et je ne sais plus quoi, arrive le pot au feu avec un poireau comme je n’en ai pas eu dans mon assiette depuis des années. Il a l’air d’une punition. Heureusement, le côtoie un bel os à moelle. Cette moelle que je déguste à minuscule cuillère est excellente. En dessert, je choisis le millefeuille maison. Je paie vingt et un euros, quart de bon côtes-du-rhône inclus.
Il me reste à rejoindre le carrefour où se tient le Pavillon Carré de Baudouin.
*
A Ménilmontant : une menuiserie solidaire nommée Extramuros et un bureau de poste nommé Edith Piaf. C’est aujourd’hui l’anniversaire de naissance de la chanteuse, ai-je appris avant de partir. Elle serait encore vivante qu’elle aurait cent trois ans.
A l’arrivée je vais à pied jusqu’au Book-Off de Quatre Septembre et y échange un sac de livres contre neuf euros dont je dépense deux sur place. Il est onze heures. Le métro Trois m’emmène jusqu’à Gambetta où il y a correspondance avec la Trois bis, une ligne des plus courtes, quatre stations desservies par une petite rame. J’en descends à la suivante nommée Pelleport d’où l’on sort avec un ascenseur.
Une jeune femme m’indique de quel côté la rue de Ménilmontant. Ça monte. Je la trouve à gauche, qui grimpe pareillement. J’atteins le sommet, puis descends jusqu’au carrefour avec la rue des Pyrénées. C’est là que se trouve ce qui m’amène dans le quartier, mais avant d’y entrer je cherche où déjeuner.
Le quartier manque de restaurants. Je finis par en dénicher un nommé La Nouvelle Etoile dans la rue des Pyrénées. Assez chic, il propose un menu à quinze euros. Des moutards sortis de l’école sont déjà présents avec leurs parents du côté où le serveur veut me placer. J’obtiens de m’éloigner et, dans l’autre partie de la salle, m’installe à une table ronde pour solitaire située contre une porte vitrée condamnée. Je peux ainsi observer le spectacle de la rue de ce quartier populaire, au bon sens du terme, tout en écoutant la musique jazzy. Après le feuilleté chèvre et je ne sais plus quoi, arrive le pot au feu avec un poireau comme je n’en ai pas eu dans mon assiette depuis des années. Il a l’air d’une punition. Heureusement, le côtoie un bel os à moelle. Cette moelle que je déguste à minuscule cuillère est excellente. En dessert, je choisis le millefeuille maison. Je paie vingt et un euros, quart de bon côtes-du-rhône inclus.
Il me reste à rejoindre le carrefour où se tient le Pavillon Carré de Baudouin.
*
A Ménilmontant : une menuiserie solidaire nommée Extramuros et un bureau de poste nommé Edith Piaf. C’est aujourd’hui l’anniversaire de naissance de la chanteuse, ai-je appris avant de partir. Elle serait encore vivante qu’elle aurait cent trois ans.
20 décembre 2018
Moralisme rancœur envie jalousie convoitise amertume aigreur dépit, en cette fin d’année deux mille dix-huit le réseau social Effe Bé est plus que jamais le déversoir des petites rancunes personnelles. Jamais le trollage ne s’y est mieux porté. Les plus anodins articles de presse y ont droit. Ainsi celui du Monde sur la façon d’augmenter la portée de sa ouifi est illico commenté par l’une « Comme si la portée de la wifi faisait le bonheur… Le bonheur ne serait-il pas au contraire d'arrêter de nous seriner des inepties et de revenir à des choses plus essentielles ? » et par un autre « Ce sont des problèmes de riches qui habitent de grands logements avec 10 pièces, mais quand on habite un petit logement pas de problèmes la connexion passe partout ! »
Ces deux stupidités étant approuvées ou discutées, les voilà affichées d’office au titre de « commentaires les plus pertinents. », et moi ne pouvant faire autrement que les lire.
Si je ne trouve pas sur Effe Bé un moyen de masquer les commentaires d’articles de journaux, je vais supprimer la presse de mon fil d’actualité.
*
Ruffin l’Insoumis qui encense Etienne Chouard lui-même encenseur de Soral, un bel exemple du rapprochement rouge brun.
Royal la Socialiste qui propose d’être numéro deux sur la liste écolo pour les Européennes, un bel exemple d’écologie punitive.
*
Benoît Marin-Curtoud dans Paris Normandie : « Le 28 août 2016, il avait été surpris par sa femme et sa fille aînée en plein ébats avec une poule. Pour sa femme, le choc a été rude. La fille aînée a conservé son sang-froid. La benjamine de la famille avait déjà surpris son père le pantalon baissé, enfermé dans le garage avec une volaille, quelques jours plus tôt. »
Ces deux stupidités étant approuvées ou discutées, les voilà affichées d’office au titre de « commentaires les plus pertinents. », et moi ne pouvant faire autrement que les lire.
Si je ne trouve pas sur Effe Bé un moyen de masquer les commentaires d’articles de journaux, je vais supprimer la presse de mon fil d’actualité.
*
Ruffin l’Insoumis qui encense Etienne Chouard lui-même encenseur de Soral, un bel exemple du rapprochement rouge brun.
Royal la Socialiste qui propose d’être numéro deux sur la liste écolo pour les Européennes, un bel exemple d’écologie punitive.
*
Benoît Marin-Curtoud dans Paris Normandie : « Le 28 août 2016, il avait été surpris par sa femme et sa fille aînée en plein ébats avec une poule. Pour sa femme, le choc a été rude. La fille aînée a conservé son sang-froid. La benjamine de la famille avait déjà surpris son père le pantalon baissé, enfermé dans le garage avec une volaille, quelques jours plus tôt. »
18 décembre 2018
Connaissant Bernard Frank par les articles qu’il publiait dans Le Nouvel Observateur et que je lisais rarement jusqu’au bout, je n’aurais pas acheté Les Rues de ma vie, recueil de chroniques parues dans la revue Urbanismes et reprises en volume par Le Dilettante, si je ne l’avais trouvé à un euro chez Book-Off et si le sujet n’avait été Paris. La lecture du livre de Bernard Frank m’a occupé sans m’éblouir durant un aller retour Rouen Paris.
Ce satellite de Françoise Sagan (il a souvent habité chez elle et avait la même élocution) était un adepte de la longue phrase à la Proust. Certaines sont particulièrement bien construites. En revanche, il pèche parfois quand il en fait des courtes. Ainsi ces deux, polluées par des répétitions fâcheuses (c’est moi qui souligne, comme on dit) :
Je sais qu’après l’appartement de la rue Milton qu’ils trouvaient trop grand pour eux après que mon oncle eut pris sa retraite, ils habitèrent rue Sarrette dans le 14e.
Le square devait être celui de Denis qui devait avoir trois ou quatre ans.
*
Dans Les Rues de ma vie de Bernard Frank, une longue digression sur ses chats. Un écrivain qui parle de ses chats (ou chiens ou chevaux ou autres), ça me soûle autant qu’un écrivain qui raconte ses rêves.
*
C’est de lui que j’ai hérité mon goût de la bouffe. écrit Bernard Frank pour évoquer son goût de la bonne chère. Je trouve ça horripilant. A l’oral comme à l’écrit jamais je n’emploie le mot bouffe. De même, jamais je n’emploie le mot chiottes. Je me souviens de mon accablement en trouvant ce dernier dans un livre d’Annie Ernaux.
Aucun de ces deux mots ne sortaient de la bouche de mes parents et grands-parents.
*
Au moins aussi grave que la malbouffe, le mal parler.
Ce satellite de Françoise Sagan (il a souvent habité chez elle et avait la même élocution) était un adepte de la longue phrase à la Proust. Certaines sont particulièrement bien construites. En revanche, il pèche parfois quand il en fait des courtes. Ainsi ces deux, polluées par des répétitions fâcheuses (c’est moi qui souligne, comme on dit) :
Je sais qu’après l’appartement de la rue Milton qu’ils trouvaient trop grand pour eux après que mon oncle eut pris sa retraite, ils habitèrent rue Sarrette dans le 14e.
Le square devait être celui de Denis qui devait avoir trois ou quatre ans.
*
Dans Les Rues de ma vie de Bernard Frank, une longue digression sur ses chats. Un écrivain qui parle de ses chats (ou chiens ou chevaux ou autres), ça me soûle autant qu’un écrivain qui raconte ses rêves.
*
C’est de lui que j’ai hérité mon goût de la bouffe. écrit Bernard Frank pour évoquer son goût de la bonne chère. Je trouve ça horripilant. A l’oral comme à l’écrit jamais je n’emploie le mot bouffe. De même, jamais je n’emploie le mot chiottes. Je me souviens de mon accablement en trouvant ce dernier dans un livre d’Annie Ernaux.
Aucun de ces deux mots ne sortaient de la bouche de mes parents et grands-parents.
*
Au moins aussi grave que la malbouffe, le mal parler.
17 décembre 2018
Que de pluie ce samedi en Normandie, pas moyen de mettre le pied dehors, ce qui n’a pas que des inconvénients, car Noël plus les Gilets Jaunes, ça fait beaucoup à supporter.
Ces derniers se sont bien fait saucer à Paris, déjà trempés avant d’avoir droit au canon à eau. Voir à la télé le porte-parole complotiste s’adresser, devant l’Opéra Garnier, à la masse jaune (drapeau tricolore, Marseillaise, « Macron démission ») pour lui vanter le Ric, m’a consterné.
A de nombreux ronds-points est distribué le même tract revendiquant ce Ric. Qui est à l’origine de l’opération ? Qui a rédigé le texte ? La mise en page révèle un travail de professionnel. Quand je cherche d’où vient l’idée de ce Référendum d’Initiative Citoyenne, je tombe sur une vidéo du douteux Etienne Chouard.
*
Une femme de rond-point se plaignant que Macron n’aie pas raqué pour elle : « J’suis maman et maman c’est le plus beau des métiers. »
*
Un commentaire d’homme de rond-point après la mort du terroriste de Strasbourg : « C un meurtre comme ça personnes sera la vérité de la manipulations diabolique ».
*
Référendum d’Initiative Citoyenne, quelque chose me dit que le premier concernerait l’immigration et j’en connais déjà le résultat.
Ces derniers se sont bien fait saucer à Paris, déjà trempés avant d’avoir droit au canon à eau. Voir à la télé le porte-parole complotiste s’adresser, devant l’Opéra Garnier, à la masse jaune (drapeau tricolore, Marseillaise, « Macron démission ») pour lui vanter le Ric, m’a consterné.
A de nombreux ronds-points est distribué le même tract revendiquant ce Ric. Qui est à l’origine de l’opération ? Qui a rédigé le texte ? La mise en page révèle un travail de professionnel. Quand je cherche d’où vient l’idée de ce Référendum d’Initiative Citoyenne, je tombe sur une vidéo du douteux Etienne Chouard.
*
Une femme de rond-point se plaignant que Macron n’aie pas raqué pour elle : « J’suis maman et maman c’est le plus beau des métiers. »
*
Un commentaire d’homme de rond-point après la mort du terroriste de Strasbourg : « C un meurtre comme ça personnes sera la vérité de la manipulations diabolique ».
*
Référendum d’Initiative Citoyenne, quelque chose me dit que le premier concernerait l’immigration et j’en connais déjà le résultat.
14 décembre 2018
Un message de la Senecefe m’en avait informé ; ce mercredi le train pour Paris de sept heures vingt-huit partirait à sept heures vingt-trois, ceci afin d’arriver à la même heure à Paris. Comme je suis toujours en avance pour l’attendre, je n’ai pas à me presser pour être à temps à la gare de Rouen. Je me pèle sur le quai deux, ayant pour spectacle sur celui d’en face, un punk à crête à gilet jaune, celui-ci pendant à l’arrière de son pantalon.
Je retrouve la bétaillère, train habituel des navetteurs, et y dispose d’une place sans voisinage pour lire Les Rues de ma vie de Bernard Frank. A l’arrivée, j’ai tout mon temps pour rejoindre la Bastille aussi prends-je le bus Vingt, ce qui me permet de constater les dégâts. A une banque il y a file d’attente devant un distributeur de billets. Les deux autres sont cassés. Le délit est signé du graffiti « Lisez Lundi.am ». Plus loin, une boutique proclame « Nous sommes ouverts » sur l’un des panneaux de bois remplaçant ses vitrines. Peu avant République courent des Sapeurs-Pompiers de Paris (et une pompière). Le ciel est bleu au-dessus du Génie.
Chez Book-Off, je trouve quelques livres à un euro, puis chez Emmaüs rachète l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton afin de la relire dans un prochain aller et retour puis je vais pédestrement jusqu'au Palais de Pékin. L’endroit est quasiment complet lorsque je le quitte après avoir payé douze euros pour le buffet à volonté et un quart de vin blanc.
Ayant remonté la rue du Chemin Vert, je suis peu de temps avant son ouverture devant le rideau métallique de la Petite Rockette. Aucun livre indispensable ne m’y attendait. Il en est de même plus tard au second Book-Off.
A la gare Saint-Lazare, les militaires de l’opération Sentinelle sont sur le pied de guerre. Des bagages ont été oubliés dans deux trains récemment arrivés, dont celui que je dois prendre pour rentrer.
Celui-ci arrive cependant à l’heure à Rouen où je découvre d’autres militaires arpentant la rue des Carmes. Depuis hier, le petit marché de Noël de Rouen bénéficie d’une surveillance rapprochée, la conséquence de l’attentat de Strasbourg.
*
« Pas compris comment vous avez pu acheter le livre 1 euro alors qu'il venait de sortir », m’écrit un auteur dont j’ai trouvé l’ouvrage il y a quelques semaines chez Book-Off.
*
J’ai voulu faire le malin l’autre semaine en me décrivant allant dans la ville à la mode péripatéticienne et me suis fais taper sur les doigts par un lecteur. Il ne suffisait pas de marcher pour aller ainsi, il aurait aussi fallu que je devise avec quelqu'un.
Je retrouve la bétaillère, train habituel des navetteurs, et y dispose d’une place sans voisinage pour lire Les Rues de ma vie de Bernard Frank. A l’arrivée, j’ai tout mon temps pour rejoindre la Bastille aussi prends-je le bus Vingt, ce qui me permet de constater les dégâts. A une banque il y a file d’attente devant un distributeur de billets. Les deux autres sont cassés. Le délit est signé du graffiti « Lisez Lundi.am ». Plus loin, une boutique proclame « Nous sommes ouverts » sur l’un des panneaux de bois remplaçant ses vitrines. Peu avant République courent des Sapeurs-Pompiers de Paris (et une pompière). Le ciel est bleu au-dessus du Génie.
Chez Book-Off, je trouve quelques livres à un euro, puis chez Emmaüs rachète l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton afin de la relire dans un prochain aller et retour puis je vais pédestrement jusqu'au Palais de Pékin. L’endroit est quasiment complet lorsque je le quitte après avoir payé douze euros pour le buffet à volonté et un quart de vin blanc.
Ayant remonté la rue du Chemin Vert, je suis peu de temps avant son ouverture devant le rideau métallique de la Petite Rockette. Aucun livre indispensable ne m’y attendait. Il en est de même plus tard au second Book-Off.
A la gare Saint-Lazare, les militaires de l’opération Sentinelle sont sur le pied de guerre. Des bagages ont été oubliés dans deux trains récemment arrivés, dont celui que je dois prendre pour rentrer.
Celui-ci arrive cependant à l’heure à Rouen où je découvre d’autres militaires arpentant la rue des Carmes. Depuis hier, le petit marché de Noël de Rouen bénéficie d’une surveillance rapprochée, la conséquence de l’attentat de Strasbourg.
*
« Pas compris comment vous avez pu acheter le livre 1 euro alors qu'il venait de sortir », m’écrit un auteur dont j’ai trouvé l’ouvrage il y a quelques semaines chez Book-Off.
*
J’ai voulu faire le malin l’autre semaine en me décrivant allant dans la ville à la mode péripatéticienne et me suis fais taper sur les doigts par un lecteur. Il ne suffisait pas de marcher pour aller ainsi, il aurait aussi fallu que je devise avec quelqu'un.
13 décembre 2018
Guère de réussite à Rouen pour le mardi noir promis au gouvernement par les lycéens en rupture de cours. Ceux venus de la rive gauche n’ont pas obtenu de renfort des lycées Jeanne d’Arc et Camille Saint-Saëns puis n’ont pas eu le courage de monter la côte qui mène au lycée Flaubert. Ils ont fini devant le Rectorat car la Police leur a envoyé du gaz quand ils ont voulu retourner au centre de la ville, fin de l’épisode.
La veille au soir Macron n’avait pas démissionné, regrettant vaguement ses propos insultants et faisant quelques oboles. L’une me concerne. Je devrais bénéficier de la suspension de la hausse de la Céhessegé et donc récupérer quarante euros chaque mois, mais ceux-ci seront vite avalés par l’inflation puisque les pensions de retraite n’y sont plus indexées.
Le véritable mardi noir a lieu le soir à proximité du marché de Noël de Strasbourg quand un islamiste tire sur les passants. Immédiatement, une bonne partie des Gilets Jaunes crie au complot. L’un de leurs porte-paroles, dont le nom ne mérite pas d’être retenu, écrit : « Dites-vous bien que le mec qui veut faire un attentat vraiment, il attend pas qu'il y ait 3 personnes dans la rue le soir à 20h00. »
Contrairement à d’autres, qui un jour voudront le faire oublier (mais Internet nous le rappellera), jamais je n’ai soutenu ces Gilets Jaunes.
*
S’il est une chose que je déteste faire dans mes écritures, c’est de commenter l’actualité, mais comme je subirai les conséquences politiques et économiques des errements actuels je ne peux m’en désintéresser, d’accord avec Tristan Bernard quand il écrivait Je n’ai jamais aimé apprendre l’histoire mais cet embêtement n’est rien auprès de l’obligation de la vivre.
*
Rouen, passage des Anciens-Moulins, à la peinture sur un mur :
« J’fume tranquillement ma beuh
En attendant la mort d’un bleu »
La veille au soir Macron n’avait pas démissionné, regrettant vaguement ses propos insultants et faisant quelques oboles. L’une me concerne. Je devrais bénéficier de la suspension de la hausse de la Céhessegé et donc récupérer quarante euros chaque mois, mais ceux-ci seront vite avalés par l’inflation puisque les pensions de retraite n’y sont plus indexées.
Le véritable mardi noir a lieu le soir à proximité du marché de Noël de Strasbourg quand un islamiste tire sur les passants. Immédiatement, une bonne partie des Gilets Jaunes crie au complot. L’un de leurs porte-paroles, dont le nom ne mérite pas d’être retenu, écrit : « Dites-vous bien que le mec qui veut faire un attentat vraiment, il attend pas qu'il y ait 3 personnes dans la rue le soir à 20h00. »
Contrairement à d’autres, qui un jour voudront le faire oublier (mais Internet nous le rappellera), jamais je n’ai soutenu ces Gilets Jaunes.
*
S’il est une chose que je déteste faire dans mes écritures, c’est de commenter l’actualité, mais comme je subirai les conséquences politiques et économiques des errements actuels je ne peux m’en désintéresser, d’accord avec Tristan Bernard quand il écrivait Je n’ai jamais aimé apprendre l’histoire mais cet embêtement n’est rien auprès de l’obligation de la vivre.
*
Rouen, passage des Anciens-Moulins, à la peinture sur un mur :
« J’fume tranquillement ma beuh
En attendant la mort d’un bleu »
11 décembre 2018
Le Retour à Reims de Didier Eribon, que j’ai lu dans le train et dans l’édition de poche Champs Flammarion, m’a fort intéressé. Le sociologue y revient sur son passé et sur le lieu de celui-ci. J’ai souvent pu m’y reconnaître, ainsi dans ce paragraphe :
Combien de fois, au cours de ma vie ultérieure de personne « cultivée », ai-je constaté en visitant une exposition ou en assistant à un concert ou à une représentation à l’opéra à quel point les gens qui s’adonnent aux pratiques culturelles les plus « hautes » semblent tirer de ces activités une sorte de contentement de soi et un sentiment de supériorité se lisant dans le discret sourire dont ils ne se départent jamais, dans le maintien de leur corps, dans la manière de parler en connaisseurs, d’afficher leur aisance… tout cela exprimant la joie sociale de correspondre à ce qu’il convient d’être.
Si nous avons à peu près le même âge et si nous avons eu l’un comme l’autre une enfance pauvre (sur le plan matériel comme sur le plan intellectuel), celle-ci ne s’est pas déroulée dans le même milieu. Je fus fils d’un ouvrier agricole employé par son père, lesquels votaient gaulliste, lui fut fils d’un ouvrier de l’industrie et cela en fait un expert du glissement d’une bonne partie des électeurs du Parti Communiste vers le Front National :
Je n’ignore pas, cependant, que le discours et le succès du Front national furent, à bien des égards, favorisés et même appelés par les sentiments qui animaient les classes populaires dans les années 1960 et 1970. Si l’on avait voulu déduire un programme politique des propos qui se tenaient au jour le jour dans ma famille à cette époque, alors même que l’on votait à gauche, le résultat n’eût pas été très éloigné des futures plateformes électorales de ce parti d’extrême droite dans les années 1980 et 1990 : volonté d’expulser les immigrés et instauration de la « préférence nationale » dans l’emploi et les prestations sociales, durcissement répressif de la politique pénale, attachement au principe de la peine de mort et application très étendue de ce principe, possibilité de sortir du système scolaire à 14 ans, etc. La captation par l’extrême droite de l’ancien électorat communiste (ou d’électeurs plus jeunes qui votèrent d’emblée pour le Front national, puisqu’il semble que les enfants d’ouvriers aient alors voté pour l’extrême droite plus facilement et plus systématiquement que leurs ainés) fut rendue possible ou facilitée par le racisme profond qui constituait l’une des caractéristiques dominantes des milieux ouvriers et populaires blancs. (…) Quand il était question d’eux, on ne les appelait jamais autrement que les « bicots », les « ratons » ou autres termes analogues. (…) En fait, quand on votait à gauche, on votait d’une certaine manière contre ce type de pulsions immédiates et donc contre une partie de soi-même. Ces sentiments racistes étaient certes puissants et, d’ailleurs, le Parti communiste ne se priva pas de les flatter, de manière odieuse, en de nombreuses occasions. Mais ils ne se sédimentaient pas comme le foyer central de la préoccupation politique. (…) Il fallut du temps pour que les expressions quotidiennes du racisme ordinaire en viennent à s’agréger à des éléments plus directement idéologiques et à se transformer en mode hégémonique de perception du monde social, sous l’effet d’un discours organisé qui s’attachait à les encourager et à leur donner un sens sur la scène publique. (…)
Ma famille incarna un exemple modal de ce racisme ordinaire des milieux populaires dans les années 1960 et de ce raidissement raciste au cours des années 1970 et 1980. On y employait sans cesse (et ma mère continue d’employer) un vocabulaire péjoratif et insultant à l’égard des travailleurs arrivés seuls d’Afrique du Nord, puis de leurs familles venues les rejoindre ou formées sur place, et de leurs enfants nés en France, et donc français, mais perçus comme étant eux aussi des « immigrés », ou en tout cas des « étrangers ». Ces mots d’injure pouvaient surgir à tout instant et ils étaient, en chacune de leurs occurrences, accentués de telle sorte que l’hostilité acrimonieuse qu’ils exprimaient en soit décuplée : les « crouillats », les crouilles », les bougnoules »… Comme j’étais très brun, quand j’étais adolescent, ma mère me disait régulièrement : « Tu ressembles à un crouille » ; ou bien : « En te voyant arriver de loin, je te prenais pour un bougnoule. »
Je n’entendais jamais de tels propos dans ma famille, on n’y était pas raciste mais il est vrai qu’on ne côtoyait pas non plus d‘étrangers venus d’Afrique du Nord. Cependant j’ai pu y déceler un zeste de xénophobie puisqu’on n'y appelait pas par leur patronyme des voisines venues d’ailleurs. Mon père et mon grand-père les désignaient par la Polonaise et l’Algérienne (celle-ci étant une rapatriée).
Fort de son expérience familiale, Didier Eribon, et je le rejoins, n’est guère favorable à la démocratie directe (celle que réclament certains Gilets Jaunes) :
Je n’aimerais pas que ma mère ou mes frères – qui n’en demandent d’ailleurs pas tant – soient « tirés au sort » pour gouverner la Cité au nom de leur « compétence » égale à celle de tous les autres : leurs choix n’y seraient pas différents de ceux qu’ils expriment quand ils votent, à ceci près qu’ils pourraient être majoritaires. Et tant pis si mes réticences doivent froisser les adeptes d’un retour aux sources athéniennes de la démocratie.
*
De Jean-Paul Sartre, dans Saint Genet, comédien et martyr, cette citation par Didier Eribon dans Retour à Reims :
L’important n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous.
Combien de fois, au cours de ma vie ultérieure de personne « cultivée », ai-je constaté en visitant une exposition ou en assistant à un concert ou à une représentation à l’opéra à quel point les gens qui s’adonnent aux pratiques culturelles les plus « hautes » semblent tirer de ces activités une sorte de contentement de soi et un sentiment de supériorité se lisant dans le discret sourire dont ils ne se départent jamais, dans le maintien de leur corps, dans la manière de parler en connaisseurs, d’afficher leur aisance… tout cela exprimant la joie sociale de correspondre à ce qu’il convient d’être.
Si nous avons à peu près le même âge et si nous avons eu l’un comme l’autre une enfance pauvre (sur le plan matériel comme sur le plan intellectuel), celle-ci ne s’est pas déroulée dans le même milieu. Je fus fils d’un ouvrier agricole employé par son père, lesquels votaient gaulliste, lui fut fils d’un ouvrier de l’industrie et cela en fait un expert du glissement d’une bonne partie des électeurs du Parti Communiste vers le Front National :
Je n’ignore pas, cependant, que le discours et le succès du Front national furent, à bien des égards, favorisés et même appelés par les sentiments qui animaient les classes populaires dans les années 1960 et 1970. Si l’on avait voulu déduire un programme politique des propos qui se tenaient au jour le jour dans ma famille à cette époque, alors même que l’on votait à gauche, le résultat n’eût pas été très éloigné des futures plateformes électorales de ce parti d’extrême droite dans les années 1980 et 1990 : volonté d’expulser les immigrés et instauration de la « préférence nationale » dans l’emploi et les prestations sociales, durcissement répressif de la politique pénale, attachement au principe de la peine de mort et application très étendue de ce principe, possibilité de sortir du système scolaire à 14 ans, etc. La captation par l’extrême droite de l’ancien électorat communiste (ou d’électeurs plus jeunes qui votèrent d’emblée pour le Front national, puisqu’il semble que les enfants d’ouvriers aient alors voté pour l’extrême droite plus facilement et plus systématiquement que leurs ainés) fut rendue possible ou facilitée par le racisme profond qui constituait l’une des caractéristiques dominantes des milieux ouvriers et populaires blancs. (…) Quand il était question d’eux, on ne les appelait jamais autrement que les « bicots », les « ratons » ou autres termes analogues. (…) En fait, quand on votait à gauche, on votait d’une certaine manière contre ce type de pulsions immédiates et donc contre une partie de soi-même. Ces sentiments racistes étaient certes puissants et, d’ailleurs, le Parti communiste ne se priva pas de les flatter, de manière odieuse, en de nombreuses occasions. Mais ils ne se sédimentaient pas comme le foyer central de la préoccupation politique. (…) Il fallut du temps pour que les expressions quotidiennes du racisme ordinaire en viennent à s’agréger à des éléments plus directement idéologiques et à se transformer en mode hégémonique de perception du monde social, sous l’effet d’un discours organisé qui s’attachait à les encourager et à leur donner un sens sur la scène publique. (…)
Ma famille incarna un exemple modal de ce racisme ordinaire des milieux populaires dans les années 1960 et de ce raidissement raciste au cours des années 1970 et 1980. On y employait sans cesse (et ma mère continue d’employer) un vocabulaire péjoratif et insultant à l’égard des travailleurs arrivés seuls d’Afrique du Nord, puis de leurs familles venues les rejoindre ou formées sur place, et de leurs enfants nés en France, et donc français, mais perçus comme étant eux aussi des « immigrés », ou en tout cas des « étrangers ». Ces mots d’injure pouvaient surgir à tout instant et ils étaient, en chacune de leurs occurrences, accentués de telle sorte que l’hostilité acrimonieuse qu’ils exprimaient en soit décuplée : les « crouillats », les crouilles », les bougnoules »… Comme j’étais très brun, quand j’étais adolescent, ma mère me disait régulièrement : « Tu ressembles à un crouille » ; ou bien : « En te voyant arriver de loin, je te prenais pour un bougnoule. »
Je n’entendais jamais de tels propos dans ma famille, on n’y était pas raciste mais il est vrai qu’on ne côtoyait pas non plus d‘étrangers venus d’Afrique du Nord. Cependant j’ai pu y déceler un zeste de xénophobie puisqu’on n'y appelait pas par leur patronyme des voisines venues d’ailleurs. Mon père et mon grand-père les désignaient par la Polonaise et l’Algérienne (celle-ci étant une rapatriée).
Fort de son expérience familiale, Didier Eribon, et je le rejoins, n’est guère favorable à la démocratie directe (celle que réclament certains Gilets Jaunes) :
Je n’aimerais pas que ma mère ou mes frères – qui n’en demandent d’ailleurs pas tant – soient « tirés au sort » pour gouverner la Cité au nom de leur « compétence » égale à celle de tous les autres : leurs choix n’y seraient pas différents de ceux qu’ils expriment quand ils votent, à ceci près qu’ils pourraient être majoritaires. Et tant pis si mes réticences doivent froisser les adeptes d’un retour aux sources athéniennes de la démocratie.
*
De Jean-Paul Sartre, dans Saint Genet, comédien et martyr, cette citation par Didier Eribon dans Retour à Reims :
L’important n’est pas ce qu’on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante