Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 septembre 2016


Quand même, grâce au site Internet du diocèse de Rouen, je sais avant qu’il ne commence qu’au concert inaugural du carillon restauré de la Cathédrale de Rouen, Christine Laugié-Vanhoutte, carillonneuse invitée, titulaire du carillon de la Cathédrale de Pamiers (Ariège), jouera en duo avec le titulaire Patrice Latour, que la maîtrise Saint-Évode créera une œuvre pour carillon et chœur, lauréate deux mille seize du concours l’Inédit : De rubore sanguini – Antiphona de Marios Ros (Barcelone), qu’un ensemble de cuivres dirigé par Claude Brendel jouera avec le carillon La tête au carré de Volny Hostiou et que le carillon dialoguera aussi avec le piano de François-René Duchâble et avec le chant d’Anne Paccard.
Une scène avec forte sono est installée sur le parvis et un grand écran doit permettre au public de voir jouer carillonneuse et carillonneur.
Cependant, je préfère écouter ça de mon appartement, fenêtres ouvertes, plutôt que d’être mêlé à la foule, me privant certes des collaborations, mais étant tranquille pour ouïr le son guilleret des cloches du carillon.
L’heure venue, il pleut dru et je n’ai pas à regretter mon choix. J’écoute ça, bruit de la pluie en sus, en mangeant des caramels à la vanille de chez Hema.
                                                                   *
Dire qu’entendant une répétition depuis le jardin, j’avais pris pour une fanfare l’ensemble de cuivres dirigé par Claude Brendel. Mille excuses.
 

17 septembre 2016


Toujours à la recherche du programme détaillé du Concert Inaugural du Carillon de la Cathédrale, je m’adresse cette fois aux dames de permanence dans l’édifice. Elles sont bien plus aimables et informées que celles d’en face à l’Office de Tourisme mais désolées de ne pourvoir me satisfaire.
-J’espérais que le diocèse ferait imprimer ce programme et qu’il serait distribué aux auditeurs.
-Oh ça ! pas de commentaires, me dit l’une en riant.
-Je sais que ça ce terminera par J’irai revoir ma Normandie, me dit un homme qui passe par là
-Cet air-là je devrais le reconnaître, lui dis-je.
                                                                *
Au Sushi Tokyo, restaurant « japonais » de la rue Verte : un endroit où l’on risque fort d’entendre la tablée voisine parler d’informatique. Une fille choisit le menu à volonté et ne prend que deux makis et des salades (sûr qu’elle en a, de la volonté). Un type mange sans enlever sa veste (il devait faire pareil en cours au collège).
Une nouveauté dont j’avais rêvé : le sushi au poulet. Cette réalité n’est toutefois pas conforme à mon rêve. Le poulet est cuit. Celui de mon rêve est cru.
                                                               *
« La France est-elle encore la patrie des intellectuels ? », tel est l’intitulé de la journée spéciale de France Culture. Et non pas « La France est-elle encore le pays des intellectuels ? »
 

16 septembre 2016


Ce jeudi en fin d’après-midi, je regarde sur le plan de Rouen comment rejoindre la rue Georges-d’Amboise où se trouve la galerie Point Limite qui est aussi l’espace de travail et de création des photographes Guillaume Painchault et Guillaume Laurent. J’y suis pourtant déjà allé plusieurs fois, mais cette partie de la ville m’est tellement étrangère que je pourrais m’y perdre.
Ce n’est donc pas le cas ce jour, et bien qu’ayant fait le nécessaire pour ne pas être là trop tôt, j’y suis quand même à dix-neuf heures précises, début officiel du vernissage de l’exposition photographique Narrateur incertain de Guillaume Painchault.
Je connais Guillaume Painchault depuis plusieurs années, précisément depuis le jour où il est venu chez moi pour me photographier en vue d’une exposition qui n’eut jamais lieu. J’ai déjà vu quelques-unes de ses photos dans une exposition collective, mais c’est la première fois que je découvre véritablement son travail (comme on dit), des photos en noir et blanc, prises dans les rues ou dans des lieux plus ou moins interlopes, de jour ou de nuit, saisies sur le vif ou posées. Certaines pourraient servir d’illustration pour la couverture d’un roman noir, d’autres de point de départ à une histoire qui tournerait mal.
Dans celles prises sur le vif, j’aime particulièrement quand le regard du ou de la photographié(e) croise celui du photographe, avec inquiétude ou avec défi. Ma préférée est celle de l’homme à la veste blanche, élégant et fatigué, qui traverse le parvis de la Cathédrale sur fond de troupeau de touristes. J’aime aussi beaucoup celle déjà vue de l’employée blonde de la Senecefe à qui l’uniforme et la casquette vont si bien quand elle donne le départ du train en gare de Rouen (parfois ce fut le mien, mais elle a hélas disparu depuis des mois, mutée je le crains).
Contre un euro, Guillaume Laurent me sert un gobelet de vin blanc que j’accompagne d’un petit morceau de gâteau salé apporté par une vernisseuse. Il y a ici des personnes qui me connaissent, avec qui j’ai déjà parlé pour certain(e)s et qui m’évitent désormais pour des raisons diverses et parfois obscures, et d’autres à qui je n’ai jamais parlé mais que je croise souvent en terrasse et là c’est moi qui les évite, n’ayant pas envie de faire connaissance et que mes futurs moments de lecture au Son du Cor ou à L’Interlude soient perturbés par des conversations obligées.
-A demain, me dit Guillaume Painchault lorsque je lui dis au revoir.
J’avais oublié que son exposition est en deux parties. la seconde se tenant au Café Perdu, rue d’Amiens. Elle sera vernie ce vendredi soir. Peut-être irai-je.
                                                                  *
Ce jeudi matin, en fond sonore se mêlent les pétards de la dernière manifestation contre la Loi Travail et les notes du carillon de la Cathédrale. Après le passage du cortège rue de la République, on peut lire sur la vitrine d’Actimag, le Premium Reseller, en capitales et à l’encre rouge : Anticapitalista.
Jeune Révolutionnaire, n’aurais-tu pas dans ta poche un téléphone de la Pomme ?
                                                                  *
L’après-midi, un bourdonnement de moustique me fait lever les yeux alors que je lis au jardin durant une éclaircie. Un drone tourne autour de la tour qui supporte la flèche de la Cathédrale. Cette tour est entourée d’un impressionnant échafaudage sur lequel trois êtres humains m’apparaissent minuscules. Leurs voix portent jusqu’à mes oreilles lorsque le drone est derrière la flèche. Je ne comprends pas ce qu’ils disent mais je suppose qu’il s’agit de faire un film promotionnel.
L’as-tu vu mon bel échafaudage ?
 

15 septembre 2016


« Bon allez, je m’offre un croissant ce matin, c’est pour fêter le dernier jour de beau temps de l’année », déclare celui qui prend un café près de moi au comptoir du Café du Faubourg à l’angle de Ledru-Rollin et du Faubourg-Saint-Antoine.
Je pense que c’est pour le regretter et non pas s’en féliciter. Pour ma part, je ne suis pas mécontent que ce soit le dernier jour à suer, même si je n’ai pas envie d’aller vers l’hiver. Néanmoins, cette chaleur dont je souffre me dédommage avec la vision de toutes ces jolies filles court vêtues qui passent à pied ou en vélo.
Chez Book Off, les beaux livres à un euro sont déjà repassés à deux euros. Je croise le vieux bouquiniste qui aurait bien envie d’arrêter. Il a déjà abandonné ses boîtes sur les quais
-Cela se revend ?
-Non, on les rend à la Mairie qui les réattribue.
Il continue le commerce sur Internet et déplore de trouver moins de bonnes affaires ici.
-Maintenant, ils scannent les livres avant de leur attribuer un prix.
Autrefois, il lui arrivait de vendre cent quinze euros un livre trouvé à un ou deux euros. C’est fini hélas. Il faut pourtant qu’il continue à gagner de l’argent. Il est plus âgé que moi, mais il a une fille de deux ans.
A midi, je déjeune Chez Céleste, à l’ombre de l’auvent, d’accras et de poulet rôti. Une longue table a été constituée à ma droite pour accueillir neuf jeunes hommes. Les garçons de cet âge ont toujours l’air plus heureux d’être entre eux plutôt qu’avec leur amoureuse. Bien qu’à l’ombre, j’ai trop chaud et mon vin rouge pareillement.
Tentant de me rafraîchir dans le jardin de l’Arsenal, j’y lis l’un des livres achetés ce matin les Entretiens de Glenn Gould avec Jonathan Cott (Dix/Dix-Huit).
Passent trois vieilles dont l’une dit aux deux autres :
-J’ouvre mon ordinateur et qu’est-ce que je vois ? Une partouze ! Une vraie partouze !
-Directement sur l’écran ?
-Oui.
Ce mercredi est décidément l’un des jours les plus chauds de l’été.
                                                              *
Dans le train du matin, une femme partant en vacances se déculpabilise en donnant de l’argent au faux sourd-muet qui a posé des babioles sur son siège.
                                                              *
-Celle-ci, pour la faire crever, il faut vraiment y mettre du cœur. (le fleuriste du marché d’Aligre à propos de la plante qu’il vient de vendre).
                                                              *
Dans le train du retour, mal climatisé, je lis un autre livre acheté à Paris : Le Bonheur des petits poissons, recueil d’articles de l’écrivain et sinologue Simon Leys (Le Livre de Poche).
Dans l’un, l’auteur s’en prend à ceux qui croient seconder la juste cause des femmes en imprimant des monstruosités telles que « auteure » ou « écrivaine ».
Il y a de nombreuses années, j’étais de son avis. Un jour, j’ai entendu sur France Culture une archive sonore datant de la première moitié du vingtième siècle. Un spécialiste du bien parler s’indignait. Maintenant qu’il y avait des femmes dans la profession, on commençait à employer le mot « avocate ». Une horreur, disait-il. Cela me fit instantanément changer d’avis sur « auteure » et « écrivaine », deux mots d’ailleurs employés de façon courante au Québec.
                                                             *
A propos du Québec, en regardant une vidéo de la délicieuse Pomme (vingt ans tout juste), j’apprends que là-bas au lieu de « faire un showcase », on dit « faire une vitrine ».
Je t’emmènerais bien de l’autre côté de l’Atlantique, chante Pomme, ce qui me fait terriblement penser à celle qui m’y a emmené.
 

14 septembre 2016


Vendredi dernier, c’est une journée américaine sur France Culture. La romancière Catherine Cusset la ponctue d’extraits de son nouveau livre L’autre qu’on adorait. Elle lit mal. Son roman est mauvais.
Quoi de plus ridicule que ceci :
Ce baiser sur fond de gratte-ciels aux pointes diaprées avait un goût d’exception.
Et de plus consternant que cette description de Washington Square :
Même s’il est bétonné, il a de nombreux arbres. Assis sur un banc, on respire mieux, on regarde les écureuils, on est libéré de l’odeur et du bruit des voitures.
Ce qui m’énerve encore plus, c’est le titre que Catherine Cusset (ou son éditeur) a donné à cette niaiserie, volé à la chanson de Léo Ferré.
D’autres ont déjà fait ça récemment. Ainsi Delphine de Vigan avec son Rien ne s’oppose à la nuit volé à la chanson de Bashung.
Plus qu’un manque d’idée qui aurait empêché de trouver un titre original à cette littérature facile, je vois là une manœuvre de l’auteure (ou de l’éditeur). L’acheteuse éventuelle (ce sont des femmes qui lisent ce genre de livres) a déjà le titre en tête quand elle trouve le roman sur une table de librairie : « Ah oui, j’en ai entendu parler, il me semble, ça me dit quelque chose, je le prends. »
                                                                    *
Autre malhonnêteté éditoriale. J’avise ce mardi matin en vitrine du Rêve de l’Escalier un livre intitulé Lettres d’Afrique de Guy de Maupassant. Je l’attrape et découvre en quatrième de couverture qui s’agit en fait des chroniques que donna Maupassant au Gaulois. Des textes de journalisme où l’écrivain ne racontait pas ce qu’il narrait dans ses missives. Sans intérêt donc. Je le repose.
L’éditeur, La Boîte à Documents, a dû se dire que ce livre serait plus facile à vendre présenté comme une correspondance plutôt que comme un recueil d’articles. Surtout si on le commande par correspondance.
                                                                   *
A propos des lettres de Guy de Maupassant, cet extrait du Journal de Paul Léautaud cité par Yvan Leclerc dans sa préface à la Correspondance Gustave Flaubert/Guy de Maupassant publiée chez Flammarion :
Louis Bertrand est venu cette après-midi voir Vallette au sujet du volume sur Flaubert qu’il doit publier au Mercure. Il avait pensé les corser avec des lettres de Maupassant à Flaubert. Devant ce qu’elles contiennent, il a dû y renoncer. (…/…) Il y a, paraît-il, une longue lettre qui débute ainsi, ou à peu près :
« Vous voulez que je vous écrive une longue lettre. Eh ! bien, aujourd’hui, nous parlerons de cul… » Dans une autre, il y a ceci, qui touche vraiment à la maladie : « Je sens le con. J’ai beau être propre, prendre des bains, je sens le con, et tous les gens qui passent à côté bandent. »
Ailleurs, il exprime ce vœu à Flaubert « que toutes ces histoires le fasse bien bander ». Il y a aussi une longue lettre dans laquelle il parle à Flaubert de deux jeunes étrangères avec qui il couche. Elles ne connaissent pas un mot de français, lui pas un mot de leur langue. Ils n’ont que des signes pour se comprendre. Maupassant explique les siens : « Je leur montre ma langue, ma queue, mon doigt. » Il n’a qu’une préoccupation, celle d’arriver à coucher avec toutes les deux à la fois.
Ces lettres, mentionnées de mémoire par Léautaud, n’ont pas été retrouvées. Ce que déplore Yvan Leclerc, et moi itou.
 

13 septembre 2016


Isneauville ayant eu la bête idée d’annuler son vide grenier en raison du plan Vigipirate (dixit Le Caldoche), je n’ai pas à hésiter ce dimanche au lever du jour et me dirige tout droit sur celui du quartier populaire et réfractaire de la Croix de Pierre. A chaque extrémité, une voiture en travers rappelle à chacun ce qui s’est passé à Nice.
J’y trouve cette année moult livres de qualité. Comment ne pas être tenté de redevenir propriétaire d’A la recherche du temps perdu, cette fois en un seul volume dans l’édition Quarto/Gallimard.
-C’est cinq euros, me dit la jeune femme qui le vend.
-Est-ce que quatre, ça pourrait aller ?
-Oui, me répond-elle.
-Il n’est pas difficile de me faire baisser les prix, ajoute-t-elle pour son compagnon.
-C’est vrai, j’aurais dû dire trois, lui dis-je.
Elle me dit qu’elle a essayé de le lire plusieurs fois avant d’être convaincue que Proust n’est vraiment pas un auteur pour elle. « Pour moi non plus, lui dis-je, mais je réessaierai peut-être un jour. »
Je ne sais pas si je lirai davantage, toujours chez Quarto/Gallimard, le pavé regroupant Les Origines du totalitarisme et Eichmann à Jérusalem d’Hanna Arendt. Celle qui le vend me le propose à trois euros. Je ne peux décemment pas lui dire deux.
Ces deux énormes livres alourdissent considérablement mon sac. J’en ajoute d’autres payés cinquante centimes ou un euro, ainsi que Je vous écris de l’usine de Jean-Pierre Levaray, acheté neuf (quinze euros) à la librairie anarchiste L’Insoumise dont l’auteur est un familier. Son livre a eu du succès, il est officiellement épuisé chez l’éditeur, Libertalia. Là, il en restait deux. A la demande d’un des révolutionnaires présents, je signe une pétition de soutien aux travailleurs de l’Hôpital Psychiatrique du Rouvray.
Un peu plus loin, au numéro cent de la rue Saint-Hilaire, Le Diable Au Corps annonce à l’encre noire sur un drap pendu aux fenêtres son ouverture pour janvier deux mille dix-sept : « shiatsu, salle pour enfants, coin café, studio radio, salle de travail, matériel d’impression, salle de réunion, salle de projection, bibliothèque de prêt, petite cour fleurie », cela dans un esprit Conjuration des Fourneaux.
Une femme vendant des livres neufs récupérés à son travail m’explique que le prix marqué en quatrième de couverture s’appelle le prix facial. Ça ne correspond pas à la réalité physique du livre mais c’est le terme du métier dans l’édition, la librairie et la presse. Aucun de ses livres ne peut m’intéresser.
D’autres m’attendent ailleurs et je ne suis pas le seul à être content. Celle bien connue à Rouen pour collectionner tout ce qui a trait aux chats est ravie de celui en peluche qu’elle vient d’acheter : « J’en avais déjà vingt-deux, des gros chats comme ça, maintenant j’en ai vingt-trois ».
Celle qui le lui a vendu est encore plus satisfaite, jamais elle n’aurait cru possible de s’en débarrasser.
-On n’est ni Français ni Espagnol, répond une vendeuse à un homme qui lui demande si elle est originaire d’Espagne. On est Basque. Ça veut dire qu’on ne se laisse pas faire. Si tout le monde faisait comme nous, on n’en serait pas là où on en est.
Une répartie typique de ce quartier de la Croix de Pierre où, qu’ils soient Basques ou non, beaucoup ont la tête dure. C’est ce qui en fait le charme, outre qu’on y trouve de bons livres le jour du vide grenier.
                                                                  *
Aucun livre pour moi, en revanche, au vide grenier voisin du jardin de l’Hôtel de Ville. Une femme venue d’Afrique y achète une encyclopédie pour sa fille qui vient d’entrer en sixième. Cela m’attriste de voir cette mère soucieuse de bien faire dépenser son argent dans un achat qui sera peu utile, mais je ne peux pourtant pas intervenir.
Une dame vendant ses confitures, je lui achète trois pots de rhubarbe pour cinq euros.
 

12 septembre 2016


Rue de la République, ce samedi aux aurores, un fêtard m’interpelle :
-Hey chef, t’as pas une cigarette ?
-Non, désolé, je ne fume pas.
-Tu ne fumes pas ? Tu devrais.
-Oui, je sais.
Je le laisse à sa déception et tourne à droite afin de prendre le bus Té Un.
Il me mène à Mont-Saint-Aignan. Je descends à Campus et, pour rejoindre le parquigne où s’épanouit le vide grenier annuel, longe la Faculté des Lettres et de Sciences Humaines et la Bibliothèque Universitaire.
S’il y a un lieu où les livres devraient pulluler, c’est ici, et ce le fut autrefois, mais depuis plusieurs années, il n’en est rien, et cette fois encore, comme je le constate en parcourant les allées.
Quand même, une femme vend quelques livres d’art neufs qu’elle protège de l’humidité matutinale par un plastique transparent. L’un est Weegee, le catalogue de l’exposition consacrée au photographe de scènes de crime par la Fondation Dina Vierny au Musée Maillol en deux mille sept. Ce « beau livre » fut publié par Gallimard. Trente-cinq euros, est-il écrit en quatrième de couverture. Sa vendeuse me le propose à dix. Je dis huit. Elle dit neuf. Je dis d’accord.
Un Té Un me redescend à Rouen sans tarder.
                                                       *
La veille au soir, dans le jardin, j’écoutais le carillonneur jouer avec son instrument tout neuf. Une fanfare faisait écho à ses expérimentations en reprenant ses improvisations.
Ce samedi, en milieu de matinée, je passe à l’Office de Tourisme :
-Bonjour, est-ce que vous avez le programme du concert d’inauguration du carillon de la Cathédrale.
-Non, y a pas de programme, vous v’nez ce soir, là devant, et c’est tout, me répond celle à qui je me suis adressé.
-Ce n’est pas ce soir, c’est samedi prochain.
-Tout le monde peut se tromper. Y a pas de programme, vous v’nez et vous écoutez le p’tit concert.
-Ce n’est pas un petit concert. Il dure une heure et demie. Je vous remercie pour tous ces renseignements.
                                                      *
Samedi après-midi, quittant le Son du Cor, je croise une femme scotchant sur les parcmètres des affichettes illustrées d’une photo d’adolescente.
Romane, quatorze ans, a disparu depuis mardi. Elle a été vue pour la dernière fois au Petit-Quevilly.
-Vous êtes la maman, lui demande une passante.
-Oui.
 

10 septembre 2016


Peu à sauver de ce New York est une fête de Michel Bulteau publié chez Minos/La Différence que j’ai lu il y a maintenant un certain temps. C’est une remémoration complaisante (sexe, drogue et rock’n’roll) de son escapade des années soixante-dix outre Atlantique quand il était « poète insoumis » (comme dit la quatrième de couverture). De cette mythologie de bazar, je retiens quand même ceci (l’Elliott dont il s’agit est Elliott Murphy désormais familier du Havre et dont je me souviens du concert énervé vu et entendu à Rouen du temps que j’étais bien accompagné) :
Elliott tendit un exemplaire de Night Lights à Adeline (« pour quand vous ne serez plus ensemble »). A la fin de la phrase, une porte s’ouvrit et une jeune femme blonde entra en souriant. Elliott, avec ses paroles fatales, avait déclenché un mécanisme magique. En effet, Adeline me quitterait et Geraldine l’abandonnerait.
Et surtout ceci :
Burroughs est assis dans un canapé, une cigarette au bout des doigts.
 -Et votre visite à Céline, à Meudon ?
-Je me souviens d’aboiements de chiens.
                                                           *
De Louis-Ferdinand Céline, cette forte pensée :
L’essentiel n’est pas de savoir si nous avons tort ou raison –cela n’a aucune espèce d’importance. L’important, c’est de décourager le monde de s’occuper de nous.
 

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