Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
3 mars 2025
Quel meilleur endroit pour commencer ce samedi matin la lecture de l’Ode à la ligne 29 des autobus parisiens de Jacques Roubaud que Le Rocher de Cancale, cette brasserie sottevillaise rejointe avec un bus Effe Sept du Réseau Astuce que j’ai eu à attendre seulement deux minutes à l’arrêt Saint-Nicolas.
Pester, grogner, gueuler cela ne sert à rien
Le vingt-neuf doit venir il arrivera bien
Au terminus assis déjà le machiniste
Enclenche son moteur avant d’entrer en piste.
Le vingt-neuf va venir mais ne s’ébranlera
Que quand la ère-a-té- pé le décidera
Ah, le voilà ! monton za bord en bussonaute
Averti
« L’Ode à la ligne 29 des autobus parisiens est un poème compté rimé (disposition généralement plate), divisé en strophes. Chaque strophe correspond à une étape dans le trajet de la ligne 29, telle qu’elle fonctionnait en janvier 2005. (Le poème interrompu en 2008, a été repris et achevé en août 2011). Six strophes constituent généralement un chant. Il y a six chants. Le dernier chant compte cinq strophes seulement. » explique Roubaud dans son cahier des charges. Une autre contrainte, l’usage pour ces alexandrins de rimes visuelles.
J’ai le triste défaux
De digresser souvent de digresser sans cesse
Je me dis maintes fois qu’il faut que cela cesse
Mais toujours mon démon me rattrape au tournant
Il m’afflige et me nuit il cause mon tourmant.
Toutes les digressions, toutes les incidentes, sont notées les unes dans les autres avec des couleurs différentes de caractères d’imprimerie (que je ne me donne pas le mal de reproduire ici). Cela a demandé pas mal de travail à l’éditeur Attila et aux élèves de l’école Estienne qui ont été chargés de la typographie.
Au Rocher de Cancale, le café verre d’eau m’est toujours apporté par l’aimable patronne, Martine. Ce n’est que celui-ci bu qu’arrive la gentille serveuse, Carole.
De la ligne Vingt-Neuf des autobus parisiens, je ne connais que la moitié. Mon terminus personnel est Bastille Beaumarchais, juste après Pasteur Wagner.
Notre conducteur a vec ardeur accélère
À peine avons-nous lai ssé le pasteur wagnère
Derrière nous que de beaumarchais le tronçon
Qui nous échoit est par couru hé le friçon
De la vitesse fût tel que nous n’eûmes guère
Loisir de regarder, prendre note, que fère
Pour rendre compte ? mon souvenir est confuts
Ma cervelle brouillée à cause des raffuts
Automobiles, n’ya- t-il donc rien qui mérite
D’être signalé ho lecteur ? il s’en irrite
Interpelle l’auteur « tu pourrais dire au mouin
Si tu n’étais pas em poté plus qu’un babouin »
Le lecteur va se pren dre un’ baff’ s’il ne fait gaffe
« Cet endroit est un pa radis pour photograffe
Un bon siècle déjà que cipi-ère y phie
Le premier magasin à la photographie
Voué. n’aurais-tu pu nous en parler ? peut-être
L’ignores-tu ? » Je vais bientôt l’envoyer pêtre !
Il reprend, l’obstiné « et le pasteur wagner ?
Tu glisses sur son nom. Allons, un peu de ner
F ! de le saluer bien bas n’était-ce pas à l’occase
Lui qui vers 1900 »
Voyez qu’avec emphase
Le menton en avant il prononce le non
« Fut comme le bras droit de ferdinand buisson
Combattit pour dreyfus et l’école laïque
Cette lutte vous la trouvez trop archaïque ?
Je ne lui réponds pas. il sort de l’autobus
Et du trottoir me toise , à la bouche un rictus.
On ne parle pas de bus au Rocher de Cancale, ni même de politique. On y évoque les matchs de foute-balle des équipes locales.
Malheureusement, dans la deuxième partie du trajet, celle que je ne connais pas, ne l’ayant jamais empruntée, Jacques Roubaud abandonne ses enchâssements de pensées digressives et m’en apprend moins que je l’espérais. Quand même je saurai désormais qu’à Porte de Montempoivre, le terminus, on trouve (ou trouvait) une table de ping-pong en béton.
Un autre apport de connaissance pour moi : tous les bus dont le chiffre des dizaines est le deux partaient autrefois de Saint-Lazare.
*
Penser incidente liée à l’actualité : c’est quand même bien dommage que la balle qui lui a fait saigner l’oreille ne lui ai pas fait un trou dans la tête.
Pester, grogner, gueuler cela ne sert à rien
Le vingt-neuf doit venir il arrivera bien
Au terminus assis déjà le machiniste
Enclenche son moteur avant d’entrer en piste.
Le vingt-neuf va venir mais ne s’ébranlera
Que quand la ère-a-té- pé le décidera
Ah, le voilà ! monton za bord en bussonaute
Averti
« L’Ode à la ligne 29 des autobus parisiens est un poème compté rimé (disposition généralement plate), divisé en strophes. Chaque strophe correspond à une étape dans le trajet de la ligne 29, telle qu’elle fonctionnait en janvier 2005. (Le poème interrompu en 2008, a été repris et achevé en août 2011). Six strophes constituent généralement un chant. Il y a six chants. Le dernier chant compte cinq strophes seulement. » explique Roubaud dans son cahier des charges. Une autre contrainte, l’usage pour ces alexandrins de rimes visuelles.
J’ai le triste défaux
De digresser souvent de digresser sans cesse
Je me dis maintes fois qu’il faut que cela cesse
Mais toujours mon démon me rattrape au tournant
Il m’afflige et me nuit il cause mon tourmant.
Toutes les digressions, toutes les incidentes, sont notées les unes dans les autres avec des couleurs différentes de caractères d’imprimerie (que je ne me donne pas le mal de reproduire ici). Cela a demandé pas mal de travail à l’éditeur Attila et aux élèves de l’école Estienne qui ont été chargés de la typographie.
Au Rocher de Cancale, le café verre d’eau m’est toujours apporté par l’aimable patronne, Martine. Ce n’est que celui-ci bu qu’arrive la gentille serveuse, Carole.
De la ligne Vingt-Neuf des autobus parisiens, je ne connais que la moitié. Mon terminus personnel est Bastille Beaumarchais, juste après Pasteur Wagner.
Notre conducteur a vec ardeur accélère
À peine avons-nous lai ssé le pasteur wagnère
Derrière nous que de beaumarchais le tronçon
Qui nous échoit est par couru hé le friçon
De la vitesse fût tel que nous n’eûmes guère
Loisir de regarder, prendre note, que fère
Pour rendre compte ? mon souvenir est confuts
Ma cervelle brouillée à cause des raffuts
Automobiles, n’ya- t-il donc rien qui mérite
D’être signalé ho lecteur ? il s’en irrite
Interpelle l’auteur « tu pourrais dire au mouin
Si tu n’étais pas em poté plus qu’un babouin »
Le lecteur va se pren dre un’ baff’ s’il ne fait gaffe
« Cet endroit est un pa radis pour photograffe
Un bon siècle déjà que cipi-ère y phie
Le premier magasin à la photographie
Voué. n’aurais-tu pu nous en parler ? peut-être
L’ignores-tu ? » Je vais bientôt l’envoyer pêtre !
Il reprend, l’obstiné « et le pasteur wagner ?
Tu glisses sur son nom. Allons, un peu de ner
F ! de le saluer bien bas n’était-ce pas à l’occase
Lui qui vers 1900 »
Voyez qu’avec emphase
Le menton en avant il prononce le non
« Fut comme le bras droit de ferdinand buisson
Combattit pour dreyfus et l’école laïque
Cette lutte vous la trouvez trop archaïque ?
Je ne lui réponds pas. il sort de l’autobus
Et du trottoir me toise , à la bouche un rictus.
On ne parle pas de bus au Rocher de Cancale, ni même de politique. On y évoque les matchs de foute-balle des équipes locales.
Malheureusement, dans la deuxième partie du trajet, celle que je ne connais pas, ne l’ayant jamais empruntée, Jacques Roubaud abandonne ses enchâssements de pensées digressives et m’en apprend moins que je l’espérais. Quand même je saurai désormais qu’à Porte de Montempoivre, le terminus, on trouve (ou trouvait) une table de ping-pong en béton.
Un autre apport de connaissance pour moi : tous les bus dont le chiffre des dizaines est le deux partaient autrefois de Saint-Lazare.
*
Penser incidente liée à l’actualité : c’est quand même bien dommage que la balle qui lui a fait saigner l’oreille ne lui ai pas fait un trou dans la tête.
27 février 2025
Le jour se lève sur un ciel gris d’après la pluie quand arrive le sept heures vingt-deux pour Paris. Dans les carrés de la voiture Trois se font face les visages réjouis d’agriculteurs qui vont à leur Salon. Des gars montés dans le train à Bréauté Beuzeville. Avec leur accent cauchois, ils parlent des points perdus de leurs permis et des pneus de chez Norauto. Je lis des poésies d’Antonio Machado d’où sourd une noire mélancolie :
Et puis, le train en cheminant
nous porte toujours à rêver,
quasi, quasi nous oublions
le canasson que nous montons.
Le ciel de la capitale est bleu. Après un café au comptoir du Camélia puis un petit tour au Marché d’Aligre (Emile absent et rien chez Amin), je marche jusqu’à chez Re Read. Au rayon Art se trouve un volumineux Keith Haring. Il ne pourrait même pas entrer dans mon sac. Cela m’évite de céder à la tentation d’échanger quatre euros contre ce fardeau. Qui peut avoir eu l’idée farfelue de se séparer de cet énorme ouvrage pour vingt-cinq centimes ?
J’arrive à onze heures moins cinq devant chez Tonton Lulu où l’on cherche un serveur d’urgence par panneau posé sur le trottoir. Le jeune homme à qui j’ai vendu deux livres (pas le même que mercredi dernier) apparaît une minute plus tard. La transaction faite, j’entre au Book-Off d’à côté. Longtemps que je n’y avais pas vu une telle file de vendeurs de livres et autres biens culturels. Encombrés de valises et de chariots à roulettes, ils ne savent où se mettre. Je ressors avec cinq bons livres un euro : le volume sept de Correspondance générale de Chateaubriand (Gallimard), Le journal de Sarashina (Verdier), La femme sur le toit de Yu Xiuhua (Picquier), Poèmes pour ne pas dormir de Philippe Salus avec photographies de Bruno Grégoire (Obsidiane) et Anniversaires & paquets cadeaux de Nimrod avec gravures de Claire Bianchi (Obsidiane).
Au Diable des Lombards, où se fait entendre Manu Chao, je me restaure de rognons de veau aux pâtes et d’une part de tarte Tatin. Derrière moi mangent trois ouvriers qui refont (enfin) le pavage de la rue. Ils parlent d’une collègue des bureaux « Non mais maintenant, elle s’est vachement assagie. Elle ferme sa gueule. »
De là au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin d’où je remonte avec quatre bons livres à un euro : La chambre aux secrets de Stefan Zweig (Robert Laffont), Céline secret de Véronique Robert avec Lucette Destouches (Grasset), Alfred Jarry le surmâle de lettres de Rachilde (Arléa) et Berlin deux temps trois mouvements de Christian Prigent (Zulma).
Un café au comptoir du Bistrot d’Edmond puis j’explore le troisième Book-Off. En vain. Cette dernière étape est trop souvent décevante. J’ai les pieds cuits comme si j’avais marché des heures. Ce qui est loin d’être le cas. Je sens que je faiblis.
Il pleut quand je retrouve Machado dans le train du retour. Dont j’aurai lu trop vite les poèmes. L’un des derniers est intitulé Le crime a eu lieu à Grenade :
On le vit avançant au milieu des fusils,
par une longue rue,
sortir dans la campagne froide,
sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
n’osa le regarder en face.
Et puis, le train en cheminant
nous porte toujours à rêver,
quasi, quasi nous oublions
le canasson que nous montons.
Le ciel de la capitale est bleu. Après un café au comptoir du Camélia puis un petit tour au Marché d’Aligre (Emile absent et rien chez Amin), je marche jusqu’à chez Re Read. Au rayon Art se trouve un volumineux Keith Haring. Il ne pourrait même pas entrer dans mon sac. Cela m’évite de céder à la tentation d’échanger quatre euros contre ce fardeau. Qui peut avoir eu l’idée farfelue de se séparer de cet énorme ouvrage pour vingt-cinq centimes ?
J’arrive à onze heures moins cinq devant chez Tonton Lulu où l’on cherche un serveur d’urgence par panneau posé sur le trottoir. Le jeune homme à qui j’ai vendu deux livres (pas le même que mercredi dernier) apparaît une minute plus tard. La transaction faite, j’entre au Book-Off d’à côté. Longtemps que je n’y avais pas vu une telle file de vendeurs de livres et autres biens culturels. Encombrés de valises et de chariots à roulettes, ils ne savent où se mettre. Je ressors avec cinq bons livres un euro : le volume sept de Correspondance générale de Chateaubriand (Gallimard), Le journal de Sarashina (Verdier), La femme sur le toit de Yu Xiuhua (Picquier), Poèmes pour ne pas dormir de Philippe Salus avec photographies de Bruno Grégoire (Obsidiane) et Anniversaires & paquets cadeaux de Nimrod avec gravures de Claire Bianchi (Obsidiane).
Au Diable des Lombards, où se fait entendre Manu Chao, je me restaure de rognons de veau aux pâtes et d’une part de tarte Tatin. Derrière moi mangent trois ouvriers qui refont (enfin) le pavage de la rue. Ils parlent d’une collègue des bureaux « Non mais maintenant, elle s’est vachement assagie. Elle ferme sa gueule. »
De là au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin d’où je remonte avec quatre bons livres à un euro : La chambre aux secrets de Stefan Zweig (Robert Laffont), Céline secret de Véronique Robert avec Lucette Destouches (Grasset), Alfred Jarry le surmâle de lettres de Rachilde (Arléa) et Berlin deux temps trois mouvements de Christian Prigent (Zulma).
Un café au comptoir du Bistrot d’Edmond puis j’explore le troisième Book-Off. En vain. Cette dernière étape est trop souvent décevante. J’ai les pieds cuits comme si j’avais marché des heures. Ce qui est loin d’être le cas. Je sens que je faiblis.
Il pleut quand je retrouve Machado dans le train du retour. Dont j’aurai lu trop vite les poèmes. L’un des derniers est intitulé Le crime a eu lieu à Grenade :
On le vit avançant au milieu des fusils,
par une longue rue,
sortir dans la campagne froide,
sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
n’osa le regarder en face.
25 février 2025
Une pluie battante ce lundi à midi devant la Mairie de Rouen où je suis pour le rassemblement de soutien à l’Ukraine. C’est le troisième anniversaire de l’invasion ordonnée par cette ordure de Poutine. Il n’y a que deux cents personnes environ. Certaines ont sur le dos le drapeau jaune et bleu, des réfugié(e)s, surtout des femmes jeunes.
Nicolas Mayer-Rossignol, Maire, Socialiste, prend le micro sous le barnum, annonçant la présence à ses côtés d’un représentant du Préfet et d’élu(e)s de différents bords. Il remercie celles et ceux qui sont ici malgré la pluie, Français, Ukrainiens et même quelques Russes, « car tous les Russes ne sont pas d’accord avec le dictateur Poutine ». Pendant qu’il évoque la situation internationale, je parcours la petite foule des yeux, reconnaissant quelques têtes. Au moins, je ne risque pas ici de côtoyer du Rassemblement National et de la France Insoumise. Devant moi sous des parapluies se trouve de la jeunesse ukrainienne. Elle n’est pas toujours blonde.
A l’issue de son bref discours, Monsieur le Maire passe la parole à Natalia Dolhalova, la responsable des Convois d’Irina, une association sise à Maromme qui se charge de transport d’aide humanitaire. Elle s’exprime d’abord en ukrainien, un seul mot m’est connu : Svoboda, puis passe au français « On nous donnait trois jours mais nous tenons depuis trois ans ». Elle termine en remerciant la France, Rouen, la Normandie.
Enfin, après une minute de silence, se fait entendre l’hymne ukrainien. Tout le monde applaudit. « Slava Ukraini ! ».
*
Dans le dos du blouson d’un Ukrainien présent, une carte de la Russie où figurent en blanc les territoires annexés par le dictateur Poutine, de la Crimée au Donbass. Avec cette légende : « Make Russia Small Again ».
Nicolas Mayer-Rossignol, Maire, Socialiste, prend le micro sous le barnum, annonçant la présence à ses côtés d’un représentant du Préfet et d’élu(e)s de différents bords. Il remercie celles et ceux qui sont ici malgré la pluie, Français, Ukrainiens et même quelques Russes, « car tous les Russes ne sont pas d’accord avec le dictateur Poutine ». Pendant qu’il évoque la situation internationale, je parcours la petite foule des yeux, reconnaissant quelques têtes. Au moins, je ne risque pas ici de côtoyer du Rassemblement National et de la France Insoumise. Devant moi sous des parapluies se trouve de la jeunesse ukrainienne. Elle n’est pas toujours blonde.
A l’issue de son bref discours, Monsieur le Maire passe la parole à Natalia Dolhalova, la responsable des Convois d’Irina, une association sise à Maromme qui se charge de transport d’aide humanitaire. Elle s’exprime d’abord en ukrainien, un seul mot m’est connu : Svoboda, puis passe au français « On nous donnait trois jours mais nous tenons depuis trois ans ». Elle termine en remerciant la France, Rouen, la Normandie.
Enfin, après une minute de silence, se fait entendre l’hymne ukrainien. Tout le monde applaudit. « Slava Ukraini ! ».
*
Dans le dos du blouson d’un Ukrainien présent, une carte de la Russie où figurent en blanc les territoires annexés par le dictateur Poutine, de la Crimée au Donbass. Avec cette légende : « Make Russia Small Again ».
20 février 2025
Il fait encore bigrement froid ce mercredi matin lorsque je rejoins la Gare de Rouen. Si le train omnibus de sept heures pour Paris est annoncé supprimé, le direct de sept heures vingt-deux est à l’heure. J’y ai place trente-trois dans la voiture trois où je commence la lecture de Mémoires de Casque d’Or, le premier des deux textes composant Chroniques du Paris apache paru au Mercure de France : Je me suis mise en ménage à treize ans et deux mois ; c’était un lundi. J’ai perdu ce qu’on est convenu d’appeler le petit capital d’une femme exactement quinze jours plus tard, et c’était encore un lundi. Amélie Elie, dite Casque d’Or, n’a que vingt-trois ans quand ses mémoires sont recueillis par la revue Fin de Siècle en mil neuf cent deux. Je lis ça en diagonale.
Le ciel est bleu à Paris et le bus Vingt-Neuf a retrouvé son itinéraire officiel. Quand j’en descends à Bastille Beaumarchais, le froid est aussi intense qu’à Rouen. Le Marché d’Aligre est animé par l’essai de l’alarme incendie de ses halles. Je demande à Emile pourquoi ses livres sont empilés au lieu d’être sur la tranche. « On était en retard », me dit-il. Avec le froid, je n’ai pas la moindre envie de fouiller.
Il est dix heures quand je me réfugie au Camélia. Après avoir lu dans Le Parisien un article sur un jeune homme de seize ans qui a en charge son sexagénaire de père atteint d’Alzheimer précoce et n’en récolte que des insultes, je retrouve Casque d’Or.
A onze heures moins cinq, je suis sous la pendule devant Tonton Lulu. Deux minutes plus tard arrive le jeune homme avec qui j’ai rendez-vous, lui ayant vendu un livre. La transaction faite, je rentre chez Book-Off. J’en ressors avec un seul livre à un euro, d’Antonio Machado, Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre (Poésie/Gallimard).
Un vent glacé m’accueille à la sortie du métro Sainte-Opportune. Chez Au Diable des Lombards, je choisis une formule de saison : petit salé aux lentilles et tiramisu à la châtaigne.
Une maigre récolte de livres à un euro occupe mon panier quand je remonte du sous-sol du Book-Off de Saint-Martin : Berthe Morisot, une biographie d’Anne Higonnet (Adam Biro), L’école buissonnière d’Henri Pourrat (Dominique Martin Morin) et Les Contes de mémé lubrique d’Etienne Liebig (La Musardine), une réécriture des contes traditionnels.
Chaque semaine je change à Arts et Métiers quand je vais du deuxième Book-Off au troisième Book-Off. La plus belle station de métro parisien, ai-je lu récemment. Il fallait que je le lise pour m’en apercevoir.
Le ciel est gris maintenant et un semblant de douceur se fait sentir. Un café comptoir au Bistrot d’Edmond, où les jus de fruits proviennent de briques premier prix, et je vais voir si la pêche sera plus fructueuse dans les livres à un euro du troisième Book-Off. J’en ressors avec Anthologie de la poésie érotique de Pierre Perret (je ne peux dire ce que je pense de lui) publiée chez Nil et Ces petits messieurs de Louise Colet publié par Talents Hauts, l’occasion de savoir si ce qu’elle écrivait est aussi mauvais que le disait son amant, lui qui trouvait bonne la médiocre poésie de son ami Bouilhet.
Dans le train de retour, je parcours plutôt que je lis le second texte de Chroniques du Paris apache, La Médaille de mort, le récit par son collègue Eugène Corsy de la mort du gardien de la paix stagiaire Joseph Besse, vingt-six ans, tué par un souteneur dans la nuit du trois au quatre janvier mil neuf cent cinq rue des Partants. Ce malheureux, qui n’avait que deux mois de service, avait revêtu l’uniforme pour la première fois le matin même.
Le ciel est bleu à Paris et le bus Vingt-Neuf a retrouvé son itinéraire officiel. Quand j’en descends à Bastille Beaumarchais, le froid est aussi intense qu’à Rouen. Le Marché d’Aligre est animé par l’essai de l’alarme incendie de ses halles. Je demande à Emile pourquoi ses livres sont empilés au lieu d’être sur la tranche. « On était en retard », me dit-il. Avec le froid, je n’ai pas la moindre envie de fouiller.
Il est dix heures quand je me réfugie au Camélia. Après avoir lu dans Le Parisien un article sur un jeune homme de seize ans qui a en charge son sexagénaire de père atteint d’Alzheimer précoce et n’en récolte que des insultes, je retrouve Casque d’Or.
A onze heures moins cinq, je suis sous la pendule devant Tonton Lulu. Deux minutes plus tard arrive le jeune homme avec qui j’ai rendez-vous, lui ayant vendu un livre. La transaction faite, je rentre chez Book-Off. J’en ressors avec un seul livre à un euro, d’Antonio Machado, Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre (Poésie/Gallimard).
Un vent glacé m’accueille à la sortie du métro Sainte-Opportune. Chez Au Diable des Lombards, je choisis une formule de saison : petit salé aux lentilles et tiramisu à la châtaigne.
Une maigre récolte de livres à un euro occupe mon panier quand je remonte du sous-sol du Book-Off de Saint-Martin : Berthe Morisot, une biographie d’Anne Higonnet (Adam Biro), L’école buissonnière d’Henri Pourrat (Dominique Martin Morin) et Les Contes de mémé lubrique d’Etienne Liebig (La Musardine), une réécriture des contes traditionnels.
Chaque semaine je change à Arts et Métiers quand je vais du deuxième Book-Off au troisième Book-Off. La plus belle station de métro parisien, ai-je lu récemment. Il fallait que je le lise pour m’en apercevoir.
Le ciel est gris maintenant et un semblant de douceur se fait sentir. Un café comptoir au Bistrot d’Edmond, où les jus de fruits proviennent de briques premier prix, et je vais voir si la pêche sera plus fructueuse dans les livres à un euro du troisième Book-Off. J’en ressors avec Anthologie de la poésie érotique de Pierre Perret (je ne peux dire ce que je pense de lui) publiée chez Nil et Ces petits messieurs de Louise Colet publié par Talents Hauts, l’occasion de savoir si ce qu’elle écrivait est aussi mauvais que le disait son amant, lui qui trouvait bonne la médiocre poésie de son ami Bouilhet.
Dans le train de retour, je parcours plutôt que je lis le second texte de Chroniques du Paris apache, La Médaille de mort, le récit par son collègue Eugène Corsy de la mort du gardien de la paix stagiaire Joseph Besse, vingt-six ans, tué par un souteneur dans la nuit du trois au quatre janvier mil neuf cent cinq rue des Partants. Ce malheureux, qui n’avait que deux mois de service, avait revêtu l’uniforme pour la première fois le matin même.
17 février 2025
Avoir 27 ans à mon âge ! écrivait René Fallet le vingt-cinq novembre mil neuf cent soixante-deux dans son Journal de 5 à 7 que je viens de commencer. « Avoir 74 ans à mon âge ! », me dis-je à sa manière quand je m’éveille ce seize février.
Cet anniversaire ne modifie pas mon dimanche, un petit tour au Marché du Clos Saint-Marc, un passage à la Gare pour imprimer mes billets de train de mercredi prochain, le reste à la maison à tenter de maitriser le désordre créé par le trop-plein de livres.
Je ne broderai pas une nouvelle fois sur le parallèle entre les progressions de ma déchéance et de celle du monde. Ça ne s’arrange pas pour ce dernier qui commémore de façon inquiétante les Accords de Munich.
*
De René Fallet, le vingt-huit janvier mil neuf cent soixante-trois :
Je ne tiens guère à me fouiller, à me connaître, à m’analyser. Je ne me regarde pas vivre, je vis si peu. Je me jette simplement un coup d’œil distrait de temps à autre pour voir si je suis toujours là.
Cet anniversaire ne modifie pas mon dimanche, un petit tour au Marché du Clos Saint-Marc, un passage à la Gare pour imprimer mes billets de train de mercredi prochain, le reste à la maison à tenter de maitriser le désordre créé par le trop-plein de livres.
Je ne broderai pas une nouvelle fois sur le parallèle entre les progressions de ma déchéance et de celle du monde. Ça ne s’arrange pas pour ce dernier qui commémore de façon inquiétante les Accords de Munich.
*
De René Fallet, le vingt-huit janvier mil neuf cent soixante-trois :
Je ne tiens guère à me fouiller, à me connaître, à m’analyser. Je ne me regarde pas vivre, je vis si peu. Je me jette simplement un coup d’œil distrait de temps à autre pour voir si je suis toujours là.
13 février 2025
Une lune ronde éclaire le ciel quand je rejoins la Gare de Rouen ce mercredi matin. Comme d’habitude, j’ai place dans la voiture Trois du sept heures vingt-deux pour Paris. Cette fois, mon siège a pour numéro l’âge que je ne vais plus avoir à la fin de la semaine. Chaque année je suis morose à l’approche de cette date. Je compte sur Winston et Clementine Churchill pour me faire songer à autre chose durant le trajet. C’est raté car, le premier avril mil neuf cent seize, Clemmie va avoir trente et un ans et ça la rend morose : Quand je vous reverrai la prochaine fois, j’espère que nous trouverons un peu de temps à passer seuls. – Nous sommes encore jeunes, mais le temps s’enfuit en emportant l’amour avec lui, et en ne laissant que de l’amitié, qui est un sentiment très paisible, mais qui n’apporte aucune stimulation et ne réchauffe pas le cœur. écrit-elle le vingt mars mil neuf cent seize à son soldat de mari.
A Paris le ciel est gris. Je bois un café aux Camélias où une femme assure qu’elle connaît des anciens profs qui se privent de manger pour acheter des cigarettes, tellement c’est devenu cher, et me voici au Marché d’Aligre où les tacherons d’Émile traînent à installer les livres.
Un peu de monde chez Re Read mais point de livres pour moi. En revanche, au Book-Off de Ledru-Rollin, quelques prises à un euro : Les Chats de Champfleury (Arléa), Poèmes de Pablo Picasso (Cherche Midi) et Les reflets du hasard d’Hélios Azoulay (Editions du Rocher). Longtemps que je ne l’ai pas croisé dans les rues de Rouen, le cher Hélios.
« A quoi ça sert des types comme ça ? Ah putain ! Comme elle a du souffrir la pauvre gosse. Comment c’est possible des horreurs comme ça ? » Au Rallye, on parle de Louise, onze ans, tuée à coups de couteau à Longjumeau. A la table d’à côté, on est pour la peine de mort. Deux femmes parlent ensuite du suicide d’un neveu de l’une. On l’a trouvé pendu à un réverbère. Les ravages de la drogue. « C’est triste à dire, mais pour ta sœur, c’est peut-être une délivrance ». Après le filet de harengs, la cuisse de canard et le café, direction le Book Off de Saint-Martin.
« Un euro ! C’est fou ! C’est pas normal ! » s’exclame un homme y mettant pour la première fois le pied. Il n’en ressort pas moins sans achat. Contrairement à moi qui mets un euro dans Petites Formes Sombres (Apagogistes & Associés) et Railway Bazaar de Paul Theroux (Cahiers Rouges Grasset) ainsi que huit euros dans Journal de 5 à 7 de René Fallet (Equateurs).
Au Bistrot d’Edmond je bois un café comptoir près de deux ouvriers couverts de plâtre qui ont l’air épuisé. Dans un coin mangent des serveurs, fourchette dans une main, smartphone dans l’autre.
J’achève ensuite d’alourdir mon sac au Book-Off de Quatre Septembre avec deux livres à un euro : Fragments autobiographiques de Martin Buber (Stock) et Pensées paresseuses d’un paresseux de Jerome K. Jerome (Arléa).
Pour rentrer, en raison d’une mise à quai tardive, un train qui circule avec vingt-cinq minutes de retard.
*
Sur la vitrine d’un fleuriste de la rue Théophile-Roussel :
« Et j’ai crié
Criééé
Aligre
Pour qu’elle revienne »
C’est après-demain la Saint-Valentin.
*
Sur un petit carré de papier collé sur une vitre de métro :
Caca
Pipi
Talisme
(Un révolutionnaire au stade anal)
*
Petites Formes Sombres donne à lire un choix de textes parmi les plus sombres que leurs auteurs aient écrits. Au sommaire : Sterne, Swift, Lichtenberg, Panizza, Villiers de l'Isle Adam, Jarry, Fénéon, Bloy, Cravan, Rigaut, Marinetti, De Andrade, Rostopchine, Dostoïevski, Boulgakov, Harms, Carroll, Pessoa, Brautigan, Kafka, Walser, Guillevic, Daumal, Mariën, Chaval, Benchley, Frédérique, Topor, Bierce, Stevenson.
Que des auteurs à mon goût.
A Paris le ciel est gris. Je bois un café aux Camélias où une femme assure qu’elle connaît des anciens profs qui se privent de manger pour acheter des cigarettes, tellement c’est devenu cher, et me voici au Marché d’Aligre où les tacherons d’Émile traînent à installer les livres.
Un peu de monde chez Re Read mais point de livres pour moi. En revanche, au Book-Off de Ledru-Rollin, quelques prises à un euro : Les Chats de Champfleury (Arléa), Poèmes de Pablo Picasso (Cherche Midi) et Les reflets du hasard d’Hélios Azoulay (Editions du Rocher). Longtemps que je ne l’ai pas croisé dans les rues de Rouen, le cher Hélios.
« A quoi ça sert des types comme ça ? Ah putain ! Comme elle a du souffrir la pauvre gosse. Comment c’est possible des horreurs comme ça ? » Au Rallye, on parle de Louise, onze ans, tuée à coups de couteau à Longjumeau. A la table d’à côté, on est pour la peine de mort. Deux femmes parlent ensuite du suicide d’un neveu de l’une. On l’a trouvé pendu à un réverbère. Les ravages de la drogue. « C’est triste à dire, mais pour ta sœur, c’est peut-être une délivrance ». Après le filet de harengs, la cuisse de canard et le café, direction le Book Off de Saint-Martin.
« Un euro ! C’est fou ! C’est pas normal ! » s’exclame un homme y mettant pour la première fois le pied. Il n’en ressort pas moins sans achat. Contrairement à moi qui mets un euro dans Petites Formes Sombres (Apagogistes & Associés) et Railway Bazaar de Paul Theroux (Cahiers Rouges Grasset) ainsi que huit euros dans Journal de 5 à 7 de René Fallet (Equateurs).
Au Bistrot d’Edmond je bois un café comptoir près de deux ouvriers couverts de plâtre qui ont l’air épuisé. Dans un coin mangent des serveurs, fourchette dans une main, smartphone dans l’autre.
J’achève ensuite d’alourdir mon sac au Book-Off de Quatre Septembre avec deux livres à un euro : Fragments autobiographiques de Martin Buber (Stock) et Pensées paresseuses d’un paresseux de Jerome K. Jerome (Arléa).
Pour rentrer, en raison d’une mise à quai tardive, un train qui circule avec vingt-cinq minutes de retard.
*
Sur la vitrine d’un fleuriste de la rue Théophile-Roussel :
« Et j’ai crié
Criééé
Aligre
Pour qu’elle revienne »
C’est après-demain la Saint-Valentin.
*
Sur un petit carré de papier collé sur une vitre de métro :
Caca
Pipi
Talisme
(Un révolutionnaire au stade anal)
*
Petites Formes Sombres donne à lire un choix de textes parmi les plus sombres que leurs auteurs aient écrits. Au sommaire : Sterne, Swift, Lichtenberg, Panizza, Villiers de l'Isle Adam, Jarry, Fénéon, Bloy, Cravan, Rigaut, Marinetti, De Andrade, Rostopchine, Dostoïevski, Boulgakov, Harms, Carroll, Pessoa, Brautigan, Kafka, Walser, Guillevic, Daumal, Mariën, Chaval, Benchley, Frédérique, Topor, Bierce, Stevenson.
Que des auteurs à mon goût.
11 février 2025
Ravi de ma lecture au lit de « J’ai trouvé un flacon de mercure… », le choix de textes anarchistes de Félix Fénéon paru en deux mille vingt-trois dans la collection Le Bon Voisin chez HD Editions avec en couverture un portrait de profil de l’auteur signé Willem, un livre acheté un euro chez Book-Off. On y trouve la Revue du mois écoulé qu’écrivit Félix Fénéon dans La Revue des journaux et des livres entre octobre mil huit cent quatre-vingt-cinq et septembre mil huit cent quatre-vingt-six, la signant Frédéric Moreau, dans laquelle il évoque l’actualité avec l’humour pince-sans-rire que l’on retrouvera dans ses Nouvelles en trois lignes.
Extraits :
Revue du mois d’octobre mil huit cent quatre-vingt-cinq :
La demande en grâce de la Bruxelloise Jeanne Lorette, condamnée à trois ans de prison pour avoir tué, à La Haye, son amant l’exquis diplomate japonais Sakurada, est rejetée ; l’instruction du crime de Villemomble se poursuit ; pour la troisième fois revient aux assises l’affaire du docteur Estachy accusé d’avoir fait manger à son collègue Tournatoire des grives intoxiquées d’atropine ; et, pour faire suite au procès Albert Pel, voici le procès Ribout : cette fois, au lieu de particularités mélodramatiques, des détails sentimentaux ; au lieu d’une condamnation, un acquittement. Défenseur : Me Demange. Les cours d’assises se transforment en cours de chimie : désormais, nul n’a le droit d’ignorer les aimables propriétés de la colchicine et autres poisons végétaux, expéditifs et discrets au point de ne laisser aucune trace dans l’organisme.
La chronique judiciaire fut, en outre, défrayée par le sieur Sgaluppi, qui berna tout le monde, depuis Lord Lyons et le prince Orloff jusqu’à Hugo. Moyennant finances, cet industrieux escarpe, qui se faisait appeler le commandeur Albert de Sartigny, conférait à tout venant les décorations exotiques les mieux cotées : de par lui, les ordres de l’Aigle blanc de Pologne, du Palatinat romain, de la Croix blanche, etc. s’accrurent de membres nombreux ; quelques mois de prison interrompent les héraldiques opérations de ce gentilhomme.
Trop nombreux pour être énumérés en ces notes, les duels provoqués par les compétitions électorales ; d’ailleurs, ces haines-là, féroces à la tribune des réunions publiques, s’amadouent sur le terrain : une égratignure, - et la réclame est faite, l’honneur satisfait et l’électeur roulé. Bien anodin aussi le duel du peintre moderniste Henri Gervex et du comte d’Izarn de Freissinet : celui-ci en est quitte pour un pouce de fer au flanc.
Revue du mois de novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq :
Place de la Concorde, le 29 octobre, un coup de pistolet était tiré dans la direction de la voiture de M de Freycinet, par un sieur Mariotti, qui, pendant deux ou trois jours, joua au personnage mystérieux et anonyme : ce simulacre d’attentat avait simplement pour but d’appeler l’attention publique sur un déni de justice dont ce fantaisiste agresseur se prétendait victime.
Le lendemain à trois heures et demie, comme il sortait de l’Élysée par la porte de l’avenue Gabriel, le Président de la République, - étourdissement ou, peut-être, légère attaque d’apoplexie, - se fendit la lèvre aux barreaux de la grille, minime accident qui, commenté et amplifié, causa quelque émotion.
Revue du mois de janvier mil huit cent quatre-vingt-six :
La série rouge :
Le 13. Assassinat de Monsieur Barrème, préfet de l’Eure.
Le 14. Assassinat de Madame Laplaige, rue Beaubourg.
Le 15. Assassinat de Marie Aguétant, rue Caumartin.
Le 16. La Cour d’assise de la Seine condamne à mort Barbier (affaire de la rue de Rambuteau).
Le 20. Assassinat de la femme Evrat, rue de Charenton.
Le 24. M. de Verneuil tue, boulevard du Temple, l’amant de sa femme, et blesse grièvement celle-ci.
Le 26. La fille Heuchard tue son amant.
Sont morts, en janvier, sans le concours des assassins : MM Messieurs de Falloux, ancien ministre, de Foubert et Goguet, sénateurs, Paul Baudry ; Bressant, ancien sociétaire de la Comédie-Française, le docteur Jules Guérin.
Grève des mineurs à Decazeville (Aveyron). M. Watrain, ingénieur et sous-directeur de l’exploitation, est tué par les grévistes.
Revue du mois de mars mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 5. Trois coups de revolver sont tirés, au grand émoi des boursiers, sur la Corbeille de la Rente, par un énergumène du nom de Gallo.
Le 27. Désordres dans le bassin de Charleroi. Complète destruction des verreries de Sadin, Dorlodot, Devilley, Jonet, Mondron, Gosselies et Courcelles. A Marchiennes, la verrerie de l’Étoile et les laminoirs de Monceau sont dévastés. Le château d’Oultremont brûle. Les troupes tirent sur les révoltés, qui répliquent à coups de briques, de gourdin et de hache.
Le 28. Le romancier naturaliste, Robert Caze, meurt des suites d’une blessure reçue dans son duel avec notre confrère Charles Vignier.
Revue du mois de mai mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 11. A Lyon, les ouvriers de la Mûlatière, en grève depuis huit jours, « manifestent » devant l’usine de M. Allouard. Des fenêtres, M. Allouard et ses employés tirent sur la foule, blessent trente personnes. Intervention de la police. Arrestation parmi les ouvriers.
Au Trocadéro, grand festival au profit de l’Institut Pasteur, MM Saint-Saëns, Léo Delibes et Gounod conduisent eux-mêmes l’exécution de leurs œuvres.
Revue du mois de juillet mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 9. Un individu nommé Justin Cagus, originaire du Tarn, tire un coup de revolver dans la salle des séances du Palais-Bourbon.
Le 16. L’anarchiste Gallo, l’auteur de l’attentat de la Bourse est condamné à vingt ans de travaux forcés et à la relégation perpétuelle.
Obsèques du cardinal Guibert.
Le 20. Aux environs de Saint-Etienne, duel au pistolet entre M. Maxime Lisbonne, ci-devant colonel de la Commune, et M. Louis Périé, rédacteur en chef de la Loire républicaine. Résultat nul.
Revue du mois d’août mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 5. Découverte de débris humains dans un urinoir situé en face de l’église de Montrouge. Premier paquet : deux jambes et deux bras. Deuxième paquet trouvé rue d’Alésia, contenant divers fragments du corps, une cuisse et le bassin dont on avait enlevé les intestins. Plus loin, rue Gardioni, un troisième paquet recelait le buste entier, moins le sein gauche. On recherche la tête et le sein manquant ; impossible d’établir l’identité de la victime.
Revue du mois de septembre mil huit cent quatre-vingt-six :
Les principaux incidents du mois de septembre sont les tremblements de terre aux États-Unis, l’abdication du prince-régnant de Bulgarie, l’occupation des Nouvelles-Hébrides, le mouvement insurrectionnel madrilène, la grève de Vierzon et le voyage du président du conseil dans le Midi.
Pendant la première semaine de septembre, tremblements de terre aux Etats-Unis. Les secousses sont ressenties à Pittsburgh, Cincinnati, Cleveland, Detroit, Indianapolis, New York, Santa-Cruz, Germentowm, Summerville, Chicago, Augusta, Colombia. Dommages matériels : cinq millions de dollars. Nombreux morts. La ville de Charlestown est détruite.
Le 24. MM Jules Guesde, Paul Lafargue et le docteur Susini, condamnés par défaut, le 12 août dernier, comparaissent devant la Cour d’assises de la Seine sous l’inculpation : le premier, d’excitation au meurtre et au pillage ; le second, d’excitation au pillage, le troisième, d’excitation au meurtre. Me Lenoêl-Zévort les assiste. Les accusés présentent eux-mêmes leur défense, exposent leurs doctrines socialistes, et sont acquittés.
*
Autre intéressante lecture : Le Traité de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie, trouvé dans une boite à livres rouennaise, que je ‘n’avais jamais lu, un texte écrit à seize ou dix-huit ans publié longtemps après sa mort.
*
Une grosse déception : la Correspondance Vladimir Nabokov / Edmund Wilson. Ces deux messieurs qui n’avaient rien de personnel à se dire m’ont ennuyé avec leurs petites querelles littéraires et leurs nombreux débats sur la traduction du russe en anglais.
Déçu aussi par les textes, les photos et la plupart des dessins de la revue érotique, littéraire et graphique Stupre, représentative du fade vingt et unième siècle.
Extraits :
Revue du mois d’octobre mil huit cent quatre-vingt-cinq :
La demande en grâce de la Bruxelloise Jeanne Lorette, condamnée à trois ans de prison pour avoir tué, à La Haye, son amant l’exquis diplomate japonais Sakurada, est rejetée ; l’instruction du crime de Villemomble se poursuit ; pour la troisième fois revient aux assises l’affaire du docteur Estachy accusé d’avoir fait manger à son collègue Tournatoire des grives intoxiquées d’atropine ; et, pour faire suite au procès Albert Pel, voici le procès Ribout : cette fois, au lieu de particularités mélodramatiques, des détails sentimentaux ; au lieu d’une condamnation, un acquittement. Défenseur : Me Demange. Les cours d’assises se transforment en cours de chimie : désormais, nul n’a le droit d’ignorer les aimables propriétés de la colchicine et autres poisons végétaux, expéditifs et discrets au point de ne laisser aucune trace dans l’organisme.
La chronique judiciaire fut, en outre, défrayée par le sieur Sgaluppi, qui berna tout le monde, depuis Lord Lyons et le prince Orloff jusqu’à Hugo. Moyennant finances, cet industrieux escarpe, qui se faisait appeler le commandeur Albert de Sartigny, conférait à tout venant les décorations exotiques les mieux cotées : de par lui, les ordres de l’Aigle blanc de Pologne, du Palatinat romain, de la Croix blanche, etc. s’accrurent de membres nombreux ; quelques mois de prison interrompent les héraldiques opérations de ce gentilhomme.
Trop nombreux pour être énumérés en ces notes, les duels provoqués par les compétitions électorales ; d’ailleurs, ces haines-là, féroces à la tribune des réunions publiques, s’amadouent sur le terrain : une égratignure, - et la réclame est faite, l’honneur satisfait et l’électeur roulé. Bien anodin aussi le duel du peintre moderniste Henri Gervex et du comte d’Izarn de Freissinet : celui-ci en est quitte pour un pouce de fer au flanc.
Revue du mois de novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq :
Place de la Concorde, le 29 octobre, un coup de pistolet était tiré dans la direction de la voiture de M de Freycinet, par un sieur Mariotti, qui, pendant deux ou trois jours, joua au personnage mystérieux et anonyme : ce simulacre d’attentat avait simplement pour but d’appeler l’attention publique sur un déni de justice dont ce fantaisiste agresseur se prétendait victime.
Le lendemain à trois heures et demie, comme il sortait de l’Élysée par la porte de l’avenue Gabriel, le Président de la République, - étourdissement ou, peut-être, légère attaque d’apoplexie, - se fendit la lèvre aux barreaux de la grille, minime accident qui, commenté et amplifié, causa quelque émotion.
Revue du mois de janvier mil huit cent quatre-vingt-six :
La série rouge :
Le 13. Assassinat de Monsieur Barrème, préfet de l’Eure.
Le 14. Assassinat de Madame Laplaige, rue Beaubourg.
Le 15. Assassinat de Marie Aguétant, rue Caumartin.
Le 16. La Cour d’assise de la Seine condamne à mort Barbier (affaire de la rue de Rambuteau).
Le 20. Assassinat de la femme Evrat, rue de Charenton.
Le 24. M. de Verneuil tue, boulevard du Temple, l’amant de sa femme, et blesse grièvement celle-ci.
Le 26. La fille Heuchard tue son amant.
Sont morts, en janvier, sans le concours des assassins : MM Messieurs de Falloux, ancien ministre, de Foubert et Goguet, sénateurs, Paul Baudry ; Bressant, ancien sociétaire de la Comédie-Française, le docteur Jules Guérin.
Grève des mineurs à Decazeville (Aveyron). M. Watrain, ingénieur et sous-directeur de l’exploitation, est tué par les grévistes.
Revue du mois de mars mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 5. Trois coups de revolver sont tirés, au grand émoi des boursiers, sur la Corbeille de la Rente, par un énergumène du nom de Gallo.
Le 27. Désordres dans le bassin de Charleroi. Complète destruction des verreries de Sadin, Dorlodot, Devilley, Jonet, Mondron, Gosselies et Courcelles. A Marchiennes, la verrerie de l’Étoile et les laminoirs de Monceau sont dévastés. Le château d’Oultremont brûle. Les troupes tirent sur les révoltés, qui répliquent à coups de briques, de gourdin et de hache.
Le 28. Le romancier naturaliste, Robert Caze, meurt des suites d’une blessure reçue dans son duel avec notre confrère Charles Vignier.
Revue du mois de mai mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 11. A Lyon, les ouvriers de la Mûlatière, en grève depuis huit jours, « manifestent » devant l’usine de M. Allouard. Des fenêtres, M. Allouard et ses employés tirent sur la foule, blessent trente personnes. Intervention de la police. Arrestation parmi les ouvriers.
Au Trocadéro, grand festival au profit de l’Institut Pasteur, MM Saint-Saëns, Léo Delibes et Gounod conduisent eux-mêmes l’exécution de leurs œuvres.
Revue du mois de juillet mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 9. Un individu nommé Justin Cagus, originaire du Tarn, tire un coup de revolver dans la salle des séances du Palais-Bourbon.
Le 16. L’anarchiste Gallo, l’auteur de l’attentat de la Bourse est condamné à vingt ans de travaux forcés et à la relégation perpétuelle.
Obsèques du cardinal Guibert.
Le 20. Aux environs de Saint-Etienne, duel au pistolet entre M. Maxime Lisbonne, ci-devant colonel de la Commune, et M. Louis Périé, rédacteur en chef de la Loire républicaine. Résultat nul.
Revue du mois d’août mil huit cent quatre-vingt-six :
Le 5. Découverte de débris humains dans un urinoir situé en face de l’église de Montrouge. Premier paquet : deux jambes et deux bras. Deuxième paquet trouvé rue d’Alésia, contenant divers fragments du corps, une cuisse et le bassin dont on avait enlevé les intestins. Plus loin, rue Gardioni, un troisième paquet recelait le buste entier, moins le sein gauche. On recherche la tête et le sein manquant ; impossible d’établir l’identité de la victime.
Revue du mois de septembre mil huit cent quatre-vingt-six :
Les principaux incidents du mois de septembre sont les tremblements de terre aux États-Unis, l’abdication du prince-régnant de Bulgarie, l’occupation des Nouvelles-Hébrides, le mouvement insurrectionnel madrilène, la grève de Vierzon et le voyage du président du conseil dans le Midi.
Pendant la première semaine de septembre, tremblements de terre aux Etats-Unis. Les secousses sont ressenties à Pittsburgh, Cincinnati, Cleveland, Detroit, Indianapolis, New York, Santa-Cruz, Germentowm, Summerville, Chicago, Augusta, Colombia. Dommages matériels : cinq millions de dollars. Nombreux morts. La ville de Charlestown est détruite.
Le 24. MM Jules Guesde, Paul Lafargue et le docteur Susini, condamnés par défaut, le 12 août dernier, comparaissent devant la Cour d’assises de la Seine sous l’inculpation : le premier, d’excitation au meurtre et au pillage ; le second, d’excitation au pillage, le troisième, d’excitation au meurtre. Me Lenoêl-Zévort les assiste. Les accusés présentent eux-mêmes leur défense, exposent leurs doctrines socialistes, et sont acquittés.
*
Autre intéressante lecture : Le Traité de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie, trouvé dans une boite à livres rouennaise, que je ‘n’avais jamais lu, un texte écrit à seize ou dix-huit ans publié longtemps après sa mort.
*
Une grosse déception : la Correspondance Vladimir Nabokov / Edmund Wilson. Ces deux messieurs qui n’avaient rien de personnel à se dire m’ont ennuyé avec leurs petites querelles littéraires et leurs nombreux débats sur la traduction du russe en anglais.
Déçu aussi par les textes, les photos et la plupart des dessins de la revue érotique, littéraire et graphique Stupre, représentative du fade vingt et unième siècle.
7 février 2025
François, notre conducteur, annonce d’un ton enjoué qu’à l’approche de Paris Saint-Lazare nous circulons avec deux minutes d’avance. Je rejoins la Bastille avec le bus Vingt-Neuf qui dévie toujours le Marais à la surprise de celles et ceux qui y allaient. Les trottoirs sont mouillés ce mercredi. Il a plu. Il ne pleuvra plus. « Parfois ils ne disent pas la vérité », commente un commerçant du Marché d’Aligre. Aucun livre n’est là pour moi.
En attendant onze heures, je prends un café assis, toujours à deux euros vingt, au Camélia. Une vieille dilapide sa retraite dans les cartes à gratter. Un sportif boit un café au comptoir, à qui elle demande de faire une flexion, jambes tendues, jusqu’à toucher le bout de ses pieds. Une formalité pour lui. « Il faut être jeune, lui dit-elle, moi j’ai quatre-vingts ans. » « Bon courage », lui répond-il. Elle ne cesse de se réapprovisionner et de perdre. « C’est du vol, c’est comme les politiques », se plaint-t-elle.
A l’ouverture de Book-Off, je me débarrasse de quatre lourds livres contre la modique somme de huit euros puis en dépense six pour Bonne nuit, Œdipe de Joseph Barry (Seuil), Chroniques du hasard d’Elena Ferrante, illustrations d’Andrea Ucini (Gallimard), Dans la forêt du miroir (Essais sur les mots et sur le monde) d’Alberto Manguel (Actes Sud / Léméac), Sauve qui peut la vie de Nicole Lapierre (Seuil), « J’ai trouvé un flacon de mercure… » (Choix de textes anarchistes 1884 – 1895) de Félix Fénéon (Le Bon Voisin) et le premier numéro de la revue érotique, littéraire et graphique Stupre, cet exemplaire ayant été offert avec les mots suivants : « Pour Dorothée. Une dédicace profonde et dure. Enjoy » (elle n’en a pas été assez pénétrée).
Je suis à peine dans le métro Un quand la voix annonce qu’il n’ira pas plus loin que Gare de Lyon en raison d’un dégagement de fumée à Saint-Paul. A ce nouveau terminus, la rame est accueillie par des gilets orange criant à tous de descendre, ce qui fait paniquer les non francophones. Après une bonne marche souterraine, je rejoins la ligne Quatorze, en descends à Châtelet, marche encore longtemps dans des couloirs avant de pouvoir remonter par le Forum des Halles (la pire horreur qui soit à Paris) d’où j’émerge près de l’église Saint-Eustache, encore une bonne marche à l’air libre et me voici au Diable des Lombards à seulement midi et demi pour une quiche au thon suivie d’une dorade entière rôtie légumes verts sauce vierge. L’écran muet annonce que Donald Trump veut faire de Gaza une deuxième Côte d’Azur. Mes voisins ont des conversations de collègues : « Les bagnards, ils cassaient des cailloux toute la journée. Le soir, ils savaient ce qu’ils avaient fait. Nous, on ne sait pas. ».
Pour finir, j’achève de remplir mon sac de livres à un euro aux deux autres Book-Off. Enquête sur des lieux de Petr Král (Flammarion), Le supplice des week-ends de Robert Benchley (Pavillon Poche Laffont) et Comment ne pas devenir écrivain voyageur d’Adrien Blouet (Notabilia) à Saint-Martin. Panama Al Brown d’Eduardo Arroyo (Cahiers Rouges Grasset) et East Village Blues de Chantal Thomas avec photos d’Allen S. Weiss (Points) à Quatre Septembre.
Dans le train de retour, je poursuis ma lecture de la Correspondance de Clementine et Winston Churchill. Tandis qu’il commande son bataillon dans les tranchées chez les Flamands, elle crée des cantines ouvrières dans les usines d’armement d’Angleterre.
Désormais, le jour est encore présent lorsque je sors de la Gare de Rouen à six heures moins une.
*
Ces vieilles et ces vieux qui se vantent de leur grand âge auprès de n’importe qui. Comme s’il y avait un quelconque mérite à en être arrivé là.
En attendant onze heures, je prends un café assis, toujours à deux euros vingt, au Camélia. Une vieille dilapide sa retraite dans les cartes à gratter. Un sportif boit un café au comptoir, à qui elle demande de faire une flexion, jambes tendues, jusqu’à toucher le bout de ses pieds. Une formalité pour lui. « Il faut être jeune, lui dit-elle, moi j’ai quatre-vingts ans. » « Bon courage », lui répond-il. Elle ne cesse de se réapprovisionner et de perdre. « C’est du vol, c’est comme les politiques », se plaint-t-elle.
A l’ouverture de Book-Off, je me débarrasse de quatre lourds livres contre la modique somme de huit euros puis en dépense six pour Bonne nuit, Œdipe de Joseph Barry (Seuil), Chroniques du hasard d’Elena Ferrante, illustrations d’Andrea Ucini (Gallimard), Dans la forêt du miroir (Essais sur les mots et sur le monde) d’Alberto Manguel (Actes Sud / Léméac), Sauve qui peut la vie de Nicole Lapierre (Seuil), « J’ai trouvé un flacon de mercure… » (Choix de textes anarchistes 1884 – 1895) de Félix Fénéon (Le Bon Voisin) et le premier numéro de la revue érotique, littéraire et graphique Stupre, cet exemplaire ayant été offert avec les mots suivants : « Pour Dorothée. Une dédicace profonde et dure. Enjoy » (elle n’en a pas été assez pénétrée).
Je suis à peine dans le métro Un quand la voix annonce qu’il n’ira pas plus loin que Gare de Lyon en raison d’un dégagement de fumée à Saint-Paul. A ce nouveau terminus, la rame est accueillie par des gilets orange criant à tous de descendre, ce qui fait paniquer les non francophones. Après une bonne marche souterraine, je rejoins la ligne Quatorze, en descends à Châtelet, marche encore longtemps dans des couloirs avant de pouvoir remonter par le Forum des Halles (la pire horreur qui soit à Paris) d’où j’émerge près de l’église Saint-Eustache, encore une bonne marche à l’air libre et me voici au Diable des Lombards à seulement midi et demi pour une quiche au thon suivie d’une dorade entière rôtie légumes verts sauce vierge. L’écran muet annonce que Donald Trump veut faire de Gaza une deuxième Côte d’Azur. Mes voisins ont des conversations de collègues : « Les bagnards, ils cassaient des cailloux toute la journée. Le soir, ils savaient ce qu’ils avaient fait. Nous, on ne sait pas. ».
Pour finir, j’achève de remplir mon sac de livres à un euro aux deux autres Book-Off. Enquête sur des lieux de Petr Král (Flammarion), Le supplice des week-ends de Robert Benchley (Pavillon Poche Laffont) et Comment ne pas devenir écrivain voyageur d’Adrien Blouet (Notabilia) à Saint-Martin. Panama Al Brown d’Eduardo Arroyo (Cahiers Rouges Grasset) et East Village Blues de Chantal Thomas avec photos d’Allen S. Weiss (Points) à Quatre Septembre.
Dans le train de retour, je poursuis ma lecture de la Correspondance de Clementine et Winston Churchill. Tandis qu’il commande son bataillon dans les tranchées chez les Flamands, elle crée des cantines ouvrières dans les usines d’armement d’Angleterre.
Désormais, le jour est encore présent lorsque je sors de la Gare de Rouen à six heures moins une.
*
Ces vieilles et ces vieux qui se vantent de leur grand âge auprès de n’importe qui. Comme s’il y avait un quelconque mérite à en être arrivé là.
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