Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

12 novembre 2018


Grand-père Jules ne parlait jamais de son frère mort à la fin de la guerre de Quatorze Dix-Huit. Une recherche sur le site MémorialWebGen, qui recense les morts de cet absurde conflit mondial, m’apprend son prénom et l’essentiel de sa courte vie.
Alfred Marcel André Perdrial, conducteur au 15e Escadron du Train des Equipages Militaires (Matricule au recrutement : 449 - Le Havre), était né le 30/08/1895 à Allouville-Bellefosse et est mort le 11/10/1918  (23 ans) à l’Hôpital à Rouen des suites de maladie contractée en service (Mention Mort pour la France). Il est enterré dans le carré militaire du cimetière Saint-Sever. Il était le fils de Jules Joseph Perdrial, cantonnier, et de Louise Lefebvre, tisserande, mes arrière-grands-parents.
Le cimetière Saint-Sever, bien que rouennais, se trouve au Petit-Quevilly. Le site de cette commune de banlieue le présente ainsi :
« Durant la Première guerre mondiale, le cimetière Saint-Sever est retenu par l’armée britannique pour y enterrer ses soldats décédés dans les hôpitaux militaires installés à Grand-Quevilly, Saint-Etienne-du-Rouvray et Sotteville-lès-Rouen. 11.436 tombes de soldats originaires du Royaume Uni, d’Australie, des Indes Orientales, de Nouvelle Zélande, d’Inde, d’Afrique du Sud, d’Egypte, du Canada… ainsi que celles de travailleurs chinois sont soigneusement alignées dans un cimetière-jardin aménagé par l’architecte paysagiste Réginald Blomfield. »
« Outre les tombes de militaires du Commonwealth, le cimetière Saint-Sever abrite plusieurs centaines de tombes de soldats français morts durant la Première guerre mondiale ainsi que le monument aux morts de la ville de Rouen qui regroupe les noms de 6000 soldats rouennais décédés durant la guerre 14/18. »
Je ne pense pas que mon grand-père Jules ait éprouvé l’envie ou le besoin de se rendre sur la tombe de son frère Alfred. Je l’aurais su. Mes parents, mes frères, ma sœur et moi vivions dans la même maison que lui et sa femme (ma grand-mère Eugénie). Rien de ce que faisaient les un(e)s ne pouvait être ignoré des autres.
                                                                  *
Quelle ville cosmopolite était Rouen à cette époque ! Ce onze novembre deux mille dix-huit, lors de la cérémonie parisienne du centenaire, est lue, dans sa langue par une jeune fille, une lettre d’un des travailleurs chinois présents à Rouen, dans laquelle il racontait la joie internationale le jour de l’Armistice.
                                                                  *
Mourir de ce qu’on appelait la grippe espagnole, un mois jour pour jour avant l’Armistice, tel fut le lot de grand-oncle Alfred. Le même sort attendait Guillaume Apollinaire, deux jours avant l’Armistice.
                                                                  *
Ecoutant Etre et savoir sur France Culture, j’entends une enseignante dire qu’il y a eu huit millions d’appelés français pendant la Première Guerre Mondiale mais seulement quatre millions ont été sur le front. Où étaient les autres ? demande-t-elle, sous-entendant que les pauvres étaient envoyés à la mort et les enfants de nantis à l’abri.
Fils d’un cantonnier et d’une tisserande, mon grand-père Jules et mon grand-oncle Alfred étaient bons pour les tranchées.
 

11 novembre 2018


Quand il avait plus de quatre-vingts ans, mon grand-père, Jules Perdrial, entreprit de mettre par écrit sa guerre de Quatorze/Dix-Huit. Il offrit une photocopie de son récit manuscrit à chacun(e) de ses petits-enfants.
En juin deux mille quatorze, j’ai extrait les moments les plus significatifs de son récit et les ai publiés en quatre épisodes dans ce Journal que j’ai commencé le onze novembre deux mille six. Ce Onze Novembre deux mille dix-huit, centenaire de la fin de cette boucherie, m’est l’occasion d’une republication en un seul bloc.
Quand l’histoire commence, Jules Perdrial est au service militaire. Depuis le premier octobre mil neuf cent treize, il fait ses classes (comme on disait) à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr-l’Ecole.
2 Août 1914 l’Allemagne déclare la guerre, l’Ecole est presque aussitôt fermée, avec les autres auxiliaires je suis muté au 27ème Régiment de Dragons à Versailles (…) je suis versé dans le service armé apte à faire campagne, bien que relevant d’une jaunisse, je ne pesais plus que 50 kilos.
Il choisit la cavalerie car il aime et connaît les chevaux.
Ceux qui avaient préféré l’Infanterie nous quittèrent et seulement quelques semaines après nous apprîmes qu’ils avaient été envoyés dans un détachement de zouaves et qu’au cours de violents combats presque tous avaient été tués.
Mes classes terminées, je partis vers le 20 août 1915, dans un petit groupe pour rejoindre à Sacourt (Vosges) un escadron du 27ème Dragons, au repos dans ce secteur, que nous quittâmes pour aller participer à l’attaque du 25 Septembre en Champagne, secteur de Perthes-les-Hurlus, j’y reçus le baptême du feu.
Ensuite nous allons de place en place, puis nous cantonnons à St Bandry (Oise) d’où nous allons tenir les tranchées dans un secteur calme (…), ce secteur est infesté de gros rats et dans les cagnas (petits abris creusés au flanc des tranchées) où nous couchons, ils viennent nous disputer et arrivent à nous dévorer en partie nos boules de pain, bien que nous les ayons contre nous et quelquefois comme oreiller.
Début Janvier 1916, la décision ayant été prise antérieurement de supprimer la cavalerie sur le front, nous sommes démontés…

Le voici dans l’Infanterie à faire ses classes de fantassin (marche, fusil et baïonnette).
(…) et fin Mars nous sommes rapprochés du front par étapes de 20 à 24 km (toujours chargés du barda réglementaire à savoir : capote, casque, ceinturon avec baïonnette, le sac au dos garni de notre linge +220 cartouches, boite de viande et biscuits de réserve, une paire de chaussures de rechange, le fusil, un bidon plein au départ de 2 litres (eau ou vin), le masque à gaz, la musette dans laquelle notre quart cuillère, fourchette et notre ration de pain, en tout plus de 35 kilos (poids vérifié).
Arrivés à Compiègne, lui et ses camarades sont invités à monter dans un train de marchandise qui les conduit dans la région de Verdun.
Voici Jules Perdrial, mon jeune grand-père, au cœur de ce qu’on appelle la Grande Guerre :
(…) nous embarquons à la tombée de la nuit dans des camions qui sont très nombreux mais dont les conducteurs nous informent qu’ils seront beaucoup moins nombreux à venir chercher ceux d’entre nous qui auront la chance de s’en tirer indemnes.
Nous débarquons dans la forêt de Regret (…) et la nuit venue nous partons pour Fleury-devant-Douaumont où nous nous entassons dans des caves, toutes les maisons ayant été démolies et les obus tombant presque continuellement…
Après 3 ou 4 jours passés ainsi nous avons relevé la nuit les gars qui étaient en 1ère ligne, nous avions tout près devant nous le village de Douaumont, en ruines, pas loin, mais plus près encore les Allemands dans leurs tranchées, nous étions même à un endroit dans la même tranchée, séparés par un espace d’une quinzaine de mètres entre deux petites barricades, que nous avons fait reculer de plusieurs dizaines de mètres par une attaque à la grenade au petit matin, mais cela n’améliora pas notre situation, il y avait des cadavres sur le parapet, et quelques-uns dans notre tranchée…
Nous ne recevions plus aucune nourriture, les hommes qui devaient nous ravitailler se trouvant généralement tués ou blessés en route, nous ne trouvions que du chocolat dans les musettes des morts mais souffrant déjà d’une soif presque intolérable nous ne pouvions en manger.
Au bout de quatre jours, grand-père Jules peut regagner l’arrière, de nuit :
… nous étions presque méconnaissables, amaigris, longue barbe, couverts de boue séchée, mais nous nous trouvions relativement bien heureux d’être sortis de cet enfer.
 Je garde de cette période de repos un pénible souvenir, un homme du régiment l’avait quitté au moment où nous montions en ligne pour aller paraît-il voir sa famille à Paris, il revint ou fut ramené, jugé pour désertion devant l’ennemi, c’était en récidive, il fut condamné à être fusillé, tout le régiment assista à cette exécution.
Après avoir reçu des renforts, le régiment de grand-père Jules (deux cent dix hommes) repart à Douaumont
… face au fort toujours occupé par l’ennemi, mais que nous étions chargés de reprendre.
Ce jour-là, dans la matinée, massés face à l’objectif, nous étions bombardés par l’ennemi mais nous recevions aussi les obus de 400 mm dont notre commandement avait pris soin de nous vanter la puissance et l’efficacité au cours d’un rassemblement qui avait eu lieu les jours précédents, et dont nos artilleurs se servaient pour la 1ère fois, ces obus ne tombaient pas très nombreux mais quand il en tombait un dans notre tranchée plusieurs hommes étaient projetés jusqu’à 6 ou 7 mètres en l’air et généralement tués…
Un courageux volontaire nommé Vincent se charge d’alerter l’arrière et tout rentre dans l’ordre.
Arriva l’heure H (aux environs de midi) derrière nos gradés nous sortîmes tous des tranchées pour nous élancer dans la direction du fort, je n’allais pas loin, un obus de petit calibre tomba à 3 ou 4 mètres de moi, je reçus un éclat dans la cheville, pied gauche, je m’assis quelques instants dans un trou d’obus, puis me rendant compte que ma blessure étant chaude je pouvais encore marcher, ce qui n’allait pas se prolonger bien longtemps, je partis vers le poste de secours…
Quand il y arrive, on lui dit de marcher aussi loin que possible en direction de Verdun, puis le petit meusien (train à voie étroite) l’emmène à Revigny où on lui fait une piqûre antitétanique. Un autre train l’emmène à Sens (Yonne). Un hôpital y est installé dans une église désaffectée.
… après une opération pour enlever l’éclat, mon pied s’infecta, gonfla, prit une teinte violette, je souffrais beaucoup, ma température s’installa à 38/38.5.
Un mois passa, puis le médecin qui commençait à craindre la gangrène, tenta une opération au thermocautère, des pointes de feu profondes, sans anesthésie, autant dire la torture, je ne pouvais guère bouger 4 hommes me maintenaient sur mon lit, mais je hurlais à chaque pointe de feu. Le résultat fut que l’infirmière trouva le lendemain matin, une grande flaque de sang dans mon lit, une hémorragie dont je n’avais pas eu connaissance. L’après-midi, je fus de nouveau opéré, sous anesthésie cette fois, le chirurgien m’avait prévenu qu’il allait peut-être être obligé de me couper le pied, j’eus la satisfaction à mon réveil de constater que j’étais encore bipède…
Constatant que l’état général de grand-père Jules devient de plus en plus mauvais, un médecin l’envoie dans un bon hôpital (seul moyen pour moi d’éviter que cela ne tourne au tragique).
C’est aux environs du 1er juillet que j’arrivais à Cannes, dans un hôpital de la Croix Rouge installé dans le Grand Hôtel St Charles, tout y était parfait, les infirmières, presque toute de la bourgeoisie, ou de l’aristocratie, avec comme infirmière major la princesse Josepha de Bourbon, étaient bénévoles et très dévouées…
Il se remet un peu et obtient une permission de vingt jours qu’il va passer à Ourville-en-Caux (ce fut une grande joie pour mes parents de me voir arriver pas trop estropié).
Début décembre, je regagnais le dépôt du 129 au Havre, là je fus tout de suite obligé d’abandonner la canne dont je m’aidais encore pour marcher car cela était interdit en ville (par ordre du commandant de la place, qui heureusement ne défendait pas de boiter).
(…) j’avais reçu une carte du Caporal Catelin, qui commandait mon escouade à l’attaque du fort par laquelle il m’informait qu’il s’en était tiré indemne mais que sur les 210 de notre compagnie ils n’étaient que 11 dans ce cas, les 199 autres étant tués, blessés ou portés disparus.
Reconnu inapte à l’infanterie, il est reclassé dans l’artillerie et envoyé au dépôt Richepanse à Rouen.
(…) le jour de Noël 1916, dedans le train qui m’amenait à Rouen, je contemplais avec un peu de mélancolie en passant à la halte d’Allouville-Bellefosse le pays où j’ai passé mes 15 premières années et le clocher de l’église qui me rappelait tant de souvenirs et tout près de laquelle habitait encore ma grand-mère que je ne pouvais même pas aller embrasser.
De là, bien que boitant encore beaucoup, on l’expédie à Auzeville près de Toulouse puis à Marseille où il est prévu qu’il embarque pour Salonique. Il se fait porter malade. Le major lui dit que dans son état il n’aurait jamais dû quitter le dépôt. Le commandant de la place de Marseille l’hospitalise au Fort Saint-Jean où il reste deux mois puis on l’envoie à Nîmes, toujours boitant, où le vingt décembre mil neuf cent dix-sept, les médecins l’estiment apte à retourner au front. Le voici en Alsace, où dans la neige il participe à de nouveaux combats, puis en Champagne
… où nous avons retrouvé des quantités de poux à Rollot, secteur de Montdidier.
Début juillet nos pièces étaient à Montgobert (…) Nous les conducteurs cantonnions à ce moment à Puisieux, région de Villers-Cotterêts, nous couchions à même le sol dans une grange, située au bord d’une rivière, sur laquelle nous voyions le jour nager les rats, ils étaient tellement nombreux qu’ils crevaient de faim. Toute la nuit, ils nous couraient dessus…
En Septembre, les Allemands commençant à battre retraite, nous partons pour les Flandres, nous mettons en batterie dans la région d’Ypres, Roulers, à Stamkot notamment où nous avons des chevaux tués…
Nous avions dû dépasser Thilt, et nous trouvions dans la région de Deinzt, quand dans les tous derniers jours d’Octobre, une permission me fut accordée, sur l’avis de décès de mon frère, combattant aussi (classe 1915) mort à l’hôpital à Rouen pendant une permission, victime de la grippe espagnole…
Avec un camarade nous sommes partis au petit jour après une nuit passée dans la grange d’une ferme abandonnée et où avec un canon à longue portée, l’ennemi nous a bombardés toute la nuit, en partant nous avons constaté que les 14 chevaux (…) attachés à 40 ou 50 mètres de nous étaient tous morts, tués probablement par le même obus.
Plutôt que de dire ce qu’il éprouve à la mort de ce frère, grand-père Jules évoque alors le triste sort des chevaux :
Ce n’est pas sans une certaine tristesse que nous constations ainsi la mort de ces pauvres bêtes, nos compagnons de misère, victimes eux aussi de la bêtise et de la méchanceté des hommes, dont les dirigeants ne trouvent d’autres moyens que d’envoyer leurs peuples se faire massacrer dans les guerres.
C’est la seule critique de la guerre dans son texte. Suit un épisode qui aura lieu plus tard, dans lequel il est aussi question des chevaux :
Quelques semaines plus tard dans l’Aisne, alors que sous les ordres d’un gradé nous allions en colonne conduire nos chevaux à un abreuvoir, nous suivions un chemin creux où il y avait eu de récents combats, j’aperçus tout à coup à terre une légère fumée, je pensai une seconde à un mégot, puis compris aussitôt qu’il s’agissait d’une grenade qui venait d’être amorcée par le sabot d’un cheval.
Le cheval de grand-père Jules a l’œil crevé, ses camarades et lui sont indemnes
… un éclat m’avait frappé à hauteur de la poitrine côté gauche pénétrant dans un portefeuille bourré de nombreux papiers et s’arrêta ayant à peu près tout traversé, sans cet obstacle il aurait sûrement pénétré et dans cette région du cœur cela aurait pu se terminer très mal pour moi.  
Après avoir dit la tristesse que lui inspire le sort des chevaux, grand-père Jules en revient à la permission donnée pour le décès de son frère dont il n’évoque pas l’enterrement :
… c’est chez mes Parents à Ourville-en-Caux que je passais cette permission qui se terminait le 11 Novembre et c’est dans la matinée de ce jour que comme une traînée de poudre la nouvelle se répandit dans la Commune, l’armistice sera signé à 11h, partout ce fut une immense joie…
 J’étais le seul permissionnaire dans le pays (…) les plus aisés payaient le champagne, ce qui me valut de me sentir un peu vaseux le lendemain matin, mais après avoir déjeuné gaiement avec mes parents, je suis parti dans l’après-midi rejoindre mon régiment en Belgique.
En arrivant à ma batterie qui se trouvait dans la région de Audenarde, je retrouvai mes camarades, tous heureux de voir la guerre finie (…) quelques heures seulement avant la cessation d’un combat, l’un d’eux avait eu un bras arraché.
La démobilisation n’est pas pour tout de suite, les troupes avancent vers l’Allemagne :
… le 1er décembre nous défilons à Bruxelles devant le roi Albert 1er, puis après avoir séjourné dans la région de Liège, puis passé à Verviers, nous sommes rentrés en Allemagne, à la première halte de bonne heure le matin, dans un petit village, les habitants venaient curieusement nous regarder, puis ils nous ont offert de leur café, ersatzcafe comme ils disaient (il y a longtemps qu’ils n’en avaient plus de vrai)…
Le voici donc occupant pendant un moment l’Allemagne à Eschweiler (entre Aix-la-Chapelle/Aachen et Duren) où l’on ne trouve plus ni chiens ni chats, ils ont été mangés, puis il retourne en Belgique à Beyne-Heusey près de Liège où il loge chez l’habitant et prend ses repas avec une douzaine d’autres chez deux institutrices, et là dans son texte grand-père Jules fait une très longue digression au sujet d’un guérisseur qu’il y rencontre et qui jure-t-il fait des miracles, retrouvant le frère disparu de l’un d’eux, rendant la vue et la mobilité à la grand-mère d’un autre. De retour en France, il cantonne à Remiremont, puis à Saint-Amé où il est hébergé par la famille Coolus, enfin à Guebwiller qu’il quitte le quinze août mil neuf cent dix-neuf avec l’ordre de se faire démobiliser à Rouen, quartier Richepanse, ce qu’il fait le dix-neuf ;
Comme tous ceux qui avaient combattu je touchai, ce que la nation nous donnait en récompense des services rendus, quelques dizaines de francs de pécule et un costume (dit Clemenceau) d’un modèle standard.
A 27 ans, je me retrouvais donc dans la vie civile, avec une santé un peu altérée, particulièrement les voies digestives, et un peu handicapé par les séquelles de la blessure, m’empêchant de reprendre mon métier de garçon d’hôtel.
Grand-père Jules est ainsi resté six années à l’armée dont quatre à faire la guerre. Ayant retrouvé sa liberté, il passe le permis pour faire chauffeur d’auto, conduisant d’abord des camions puis des voitures de maître.
Pour moi comme pour beaucoup, le régiment et la guerre ne furent plus alors qu’un souvenir, conclut-il sobrement.
 

9 novembre 2018


Sorti de Chez Elham, je traverse en biais la piazza Beaubourg et entre au Centre Pompidou avec l’intention de passer un moment dans la collection permanente. Montant par la chenille au niveau Cinq, je regarde au niveau Deux si, par hasard, je n’aperçois pas sur la coursive, occupée à fumer une roulée, celle qui fait en sorte que soit éclairée l’exposition bientôt consacrée à Riad Sattouf, mais non.
Le nouvel accrochage Art Moderne répond au thème Histoire(s) d’une collection. Il s’est agi de retracer l’histoire des collections du Musée, du Musée des Artistes Vivants à l’actuel, en passant par le Palais de Tokyo. C’est instructif mais permet de voir des tableaux pas souvent montrés. Je découvre ainsi le Nu au divan d’André Marquet. Descendu au niveau Quatre, je ne m’attarde guère parmi les œuvres Art Contemporain mises en avant, mais je suis content de revoir Le baiser de Wang Du. Une exposition temporaire intitulée Une avant-garde polonaise est consacrée à Katarzyna Kobro et Władysław Strzemiński. Cette avant-garde fut un peu à la traîne. En redescendant, je ne vois pas davantage celle qui me tenait la main. Au sous-sol est montrée l’exposition Photographie, arme de classe consacrée à la photographie sociale et documentaire en France de mil neuf cent vingt-huit à trente-six. C’est touffu et confus.
Il ne pleut plus quand je prends le bus Vingt et Un qui doit se trouver un chemin dans les travaux de la rue de Rivoli où Madame la Maire désire une piste cyclable à double sens. C’est aussi le bazar place Gaillon devant chez Drouant où les télés ont déployé les antennes paraboliques pour cause de Goncourt. La Despentes se montre à une fenêtre de l’étage mais personne ne semble la connaître. Je me désintéresse de l’évènement. Cinquante mètres plus loin, j’entre au second Book-Off. J’y fais mauvaise pêche.
Pour le retour à Rouen, j’innove en prenant le dix-sept heures vingt-trois, un Corail où j’ai place réservée. J’y lis Les Gisants de Jacques Drillon (Le Promeneur), une explication mot à mot de La mort des amants de Charles Baudelaire.
                                                                      *
Parmi les livres non achetés chez Book-Off : Un vrai roman (Mémoires) de Philippe Sollers (Plon). Sollers m’insupporte mais comme il est tenu en estime par l’un de ma connaissance que je ne dénoncerai pas, je le sors du rayonnage et en lis la quatrième de couverture rédigée par l’auteur : J’ai connu nombre de célébrités littéraires, philosophiques ou politiques de mon temps. Les gens que l’on connaît sont forcément de votre temps. Il ne m’en faut pas davantage pour le reposer.
 

8 novembre 2018


Dix minutes de retard environ pour le sept heures cinquante-six ce mercredi où il pleut. C’est en raison des conditions météorologiques et du manque d’adhérence sur les voies. Ça ne va pas mieux dans le métro parisien. La rame du Huit où j’ai trouvé place assise est poussive. A Grands Boulevards ordre est donné de l’évacuer. Tout cela m’empêche d’être au Café du Faubourg avant dix heures. « Vous étiez en vacances ? », me demande la serveuse survoltée lorgnant sur mes mains bronzées.
Chez Book-Off je fais aussi bonne pêche que la semaine dernière dans les livres à un euro avec L’Araignée d’eau de Marcel Béalu (Phébus), Rien où poser sa tête de Françoise Frenkel (L’Arbalète Gallimard), Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ? de Günther Anders (Allia) et Lettres d’Afrique à Madame de Sabran du Chevalier de Boufflers (Babel Actes Sud).
Il pleut toujours autant à la sortie. Néanmoins, je vais jusqu’à Beaubourg à pied sous mon parapluie new-yorkais déglingué et y cherche un restaurant qui veuille bien me recevoir à midi moins le quart. Après plusieurs refus, j’ai bon accueil dans l’un nommé Chez Elham, rue de La Reynie.
Si le cadre est typiquement français, la cuisine est iranienne. J’opte pour les feuilles de vignes et le bœuf aux herbes, avec un quart de bordeaux, cela fera dix-neuf euros soixante.
C’est un repas en solitaire. Les deux quinquagénaires qui tiennent la maison ne sortent de la cuisine qui pour m’apporter des plats sans doute réchauffés au micro-onde mais plutôt bons. Heureusement on écoute Fip ici. C’est normal chantent Areski Belkacem et Brigitte Fontaine.
                                                              *
Un ciel gris et bas entre Rouen et Paris. Il me rappelle combien c’est sinistre de vivre à la campagne dès que le soleil n’y est plus.
 

6 novembre 2018


Nous sommes en mil neuf cent quatre-vingt, le Smic horaire est équivalent à deux euros quatre centimes, l’essence à quarante-huit centimes le litre. Avec ton heure de Smic, tu peux acheter quatre virgule vingt-cinq litres d’essence.
Nous sommes en deux mille dix-huit, le Smic horaire est à neuf euros quatre-vingt-huit, l’essence à un euro cinquante-cinq. Avec ton heure de Smic, tu peux acheter six virgule trente-sept litres d’essence.
De quoi tu te plains, Gilet Jaune ?
Ah oui, c’est que tu roules au diesel, que pendant des décennies tu l’as payé un prix dérisoire en échange de la santé de tes enfants.
Te voici maintenant quasiment au prix de l’essence alors t’es pas content et tu vas tout bloquer.
Bien plus que le diesel, je le constate encore une fois en faisant les courses ce lundi matin, grimpent les prix du roquefort et de la confiture de rhubarbe. J’suis pas content. J’vas pousser un coup de gueule sur Youtube comme la Jacline, ou alors j’vas lancer une pétition sur les réseaux sociaux.
                                                                  *
« À 51 ans, Jacline Mouraud n'en est pas à son coup d'essai. En avril 2017 déjà, elle avait tourné une vidéo très similaire à celle-ci. Même cadrage serré, même ton direct et même principe : râler, avant de poster ça sur Facebook. À l'époque, sa colère était plus généralement tournée contre tous "ces politiciens de merde". "Vous dégagez, c'est ça que veut le peuple", disait-elle. » (Europe1.fr)
                                                                  *
« Moi je vais me mobiliser à côté des gilets jaunes dans la Région Normandie. » (Hervé Morin, Duc de Normandie et roi de la démagogie).
 

5 novembre 2018


Romain, jeune homosexuel rouennais, a été victime d’un traquenard dans la nuit du vingt-quatre au vingt-cinq octobre. Ayant sympathisé avec deux fêtards à La Bohème, il les a suivis au Kristol puis, sur leur proposition de finir la nuit chez un de leurs amis, est monté dans leur voiture. Le cauchemar a commencé. Insulté, battu, séquestré, il n’a réussi à fuir qu’au matin en se réfugiant dans le Crédit Agricole de la place Saint-Marc où ses tortionnaires voulaient qu’il retire mil cinq cents euros.
Son témoignage a paru sur Gayviking, photos terrifiantes à l’appui, puis a fait le tour des réseaux sociaux. En conséquence, un rassemblement contre l’homophobie a lieu ce samedi trois novembre à quatorze heures sur le pont Corneille, au bout de l’île Lacroix, où j’arrive un peu avant quatorze heures.
Nous sommes bientôt assez nombreux pour bloquer la circulation des bus mais pas les cinq mille espérés par les organisations à l’origine du rassemblement. Des élu(e)s sont présents, communistes, écologistes, socialistes (dont Yvon Robert, Maire) et centristes (dont Damien Adam, Député). La télévision régionale filme, ainsi que celle d’information continue qui a déjà bien relayé l’histoire.
Des membres des organisations prennent la parole sur la plateforme d’un camion de location. L’un d’eux lit un message de Romain dans lequel celui-ci remercie les présents, ceux qui l’ont pris en charge après son agression, notamment son ami Officier de Police qui est venu le récupérer au Crédit Agricole, l’a emmené aux Urgences puis aidé à porter plainte, et ceux qui lui ont envoyé des messages de sympathie (de Nicolas Sirkis, chanteur d’Indochine, à Emmanuel Macron, Président de la République). Dans les autres discours, il est question de plus jamais ça. On peut toujours rêver.
-Est-ce que vous êtes partants pour faire une chaîne qui reliera la rive droite avec la rive gauche ? demande la dernière intervenante.
Là c’est trop pour moi. Fuyant l’angélisme, je croise l’une que je connais.
-Je suis partant, lui dis-je. Pour ne pas faire la chaîne.
-Ça ne m’étonne pas, me dit-elle.
                                                                *
Déjà il ne faudrait plus que, dès qu’ils pensent se faire avoir, les humains se plaignent de se faire sodomiser. Dernière illustration : les Gilets Jaunes, cette nouvelle variété de Bonnets Rouges, qui manifestent contre les taxes sur l’essence et le diesel en brandissant des carottes pour dénoncer Macron qui la leur met profond. On n’est pas des pédés quand même.
 

3 novembre 2018


Sorti du Musée de l’Orangerie, j’entre dans le Jardin des Tuileries et en sors par la porte de Castiglione avec en perspective la colonne Vendôme. Avant d’arriver sur la place des rupins, je tourne à droite dans la rue du Mont-Thabor et entre à midi pile, ce mercredi, au Petit Bar, gargote que j’ai connue grâce à un article du Parisien. Le couple qui le tient, fort âgé, y travaille depuis cinquante ans.
Comme l’indique son nom, c’est petit. Des habitués mangent sur le comptoir. Une famille espagnole occupe la plus grande table. Derrière moi sont deux collègues des deux sexes. J’ai l’autre table pour deux avec vue sur la rue. L’unique plat du jour est basique : stèque frites.
-Voulez-vous une entrée ? me demande l’un des deux serveurs, lesquels, jeunes quinquagénaires, sont les enfants du couple. On a des tomates du jardin.
Je me laisse tenter. Elles sont bien bonnes et viennent de l’Allier. « Demain on ferme jusqu’à lundi, entends-je, il est tombé vingt centimètres de neige chez nous et on nous a signalé des branches cassées, il faut qu’on aille déblayer ça. »
Le stèque est présenté en fines lamelles (une ruse auvergnate pour diminuer la quantité, me dis-je) et les frites sont bonnes, même si elles ne valent pas les rouennaises de La Tonne. J’accompagne ça d’un quart de côtes-du-rhône.
-Voulez-vous un dessert ? me demande le vieux patron, quatre-vingt-sept ans, un peu de surdité et l’accent du pays. Je choisis la tarte aux fraises faite par sa femme qui a à peu près le même âge.
Au moment de payer, je découvre qu’ici point de menu ni de formule. On mange populaire mais à la carte. Et le quart de côtes-du-rhône frôle les sept euros. Je m’en tire avec une addition de vingt-sept euros quatre-vingt-dix. Elle m’oblige à courir à la tirette la plus proche, rue Saint-Honoré, car on ne prend pas la carte.
Après ce repas rustique à ambiance provinciale et familiale, je passe par les clinquantes place Vendôme et rue de la Paix, où cependant les pauvres sont présents. Devant le Park Hyatt Paris-Vendôme, dont la porte principale est bloquée, se tiennent des femmes de ménage soutenues par la Cégété, lesquelles sont en grève depuis le vingt-cinq septembre. Ce sont des employées de la sous-traitance qui veulent leur intégration dans le personnel du palace et aussi un meilleur salaire.
Il est facile de deviner la couleur de peau de ces femmes. La sono diffuse de la musique de là-bas. Dans les boutiques de luxe d’à côté la vie commerçante va comme toujours, sous la surveillance de vigiles de la même couleur. Arrivé devant l’Opéra, je prends le métro Trois.
Je sors à Ledru-Rollin et chez Book-Off constate que de bons livres à un euro m’attendaient : Mémoires de l’ombre de Marcel Béalu (Phébus), Correspondance Fante/Mencken (Christian Bourgois), Le Journal poétique de Sissi d’Elisabeth, Impératrice d’Autriche (Le Félin Arte Editions), Les gisants de Jacques Drillon (Le Promeneur), et un autre à cinq euros : Ecrits et correspondances de Franz Marc (Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts).
Un métro Trois me ramène à Opéra d’où je vais explorer l’autre Book-Off avec beaucoup moins de succès. Je n’achète à un euro que Le Siège de l’âme (Eloge de la sodomie) de Claude Guillon (Zulma), trouvé au rayon Philosophie. A l’étage, je discute un court moment avec le vieux bouquiniste qui me dit aller un peu mieux mais sait-on jamais, soixante-dix ans quand même.
C’est en buvant un café verre d’eau à La Ville d’Argentan, établissement cher à l’un de mes fidèles lecteurs, ai-je récemment appris, où il a des souvenirs de jeunesse, que j’attends l’heure de mon train de retour à Rouen.
Pour la dernière fois je composte mon billet. Désormais la Senecefe ne vend que des e-billets, nominatifs et non cessibles. Les miens seront en carton, imprimés en gare à l’automate.
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Ma boîte de sardines n’en est pas une, constaté-je à l’arrivée. Elle contient des aubergines cuisinées à la provençale avec de l’huile d’olive vierge extra. « Le meilleur repas est celui que l’on partage », prétend la maison Cassegrain.
 

2 novembre 2018


Ce mercredi, à l’arrivée dans la capitale du train parti à sept heures cinquante-six, j’attrape machinalement la boîte de sardines qu’une fille distribue à la sortie de Saint-Lazare, la mets dans ma poche et me dirige vers l’église de la Madeleine. Je contourne l’édifice puis longe le Jardin des Tuileries jusqu’au Musée de l’Orangerie qui a la bonne idée d’être ouvert dès neuf heures.
Je pose mon sac dans la boîte qui passe au détecteur de métaux puis m’engage sous le portique et fais sonner l’alarme. La responsable est dans ma poche, qu’un peu penaud je montre au vigile qui s’est précipité. Après m’être débarrassé de tout ça au vestiaire, je paie les neuf euros demandés. Je suis là pour découvrir l’exposition temporaire  Les contes cruels de Paula Rego.
Paula Rego est une artiste portugaise et britannique, née en mil neuf cent trente-cinq, dont j’ignorais jusqu’au nom. Son univers mental, où se côtoient James Ensor et Lucian Freud, Dante illustré par Gustave Doré, Peter Pan et Pinocchio, Daumier et Granville, les Bonnes de Jean Genet, la Comtesse de Ségur et Charlotte Brontë, a tout pour me séduire. Ses toiles, tout à la fois naturalistes et surréalistes, sont dès les premières, celles de la série « Filles et chien », sulfureuses et malsaines, et rien de ce qui est malsain ne m’est indifférent. Bizarrement (ou non), les cartels explicatifs cherchent à minorer cet aspect, considérant certaines des scènes louches comme des évocations allégoriques de la maladie puis de la mort du mari de la peintre, l’artiste Victor Willing. Je suis pour ma part d’accord avec ce qu’écrit Philippe Dagen dans Le Monde « l’art de Paula Rego est profondément scandaleux, chargé de sous-entendus sexuels, irrespectueux de toute décence, crûment satirique et susceptible de susciter dans l’esprit du spectateur de très mauvais rêves. »
Il y a longtemps qu’une exposition ne m’avait autant intéressé. Je m’attarde devant La famille (et son homme pantin censé être le mari malade), La fille du policier (elle lui cire la botte en compagnie d’un chat balthusien), Gepetto lavant Pinocchio (son modèle est Ron Mueck gendre de la peintre et le Pinocchio l’une des premières sculptures dudit, laquelle figure dans l’exposition face à ce tableau et à un autre tout aussi suspect La fée bleue qui chuchote à l’oreille de Pinocchio), enfin Le chef-d’œuvre inconnu inspiré de la nouvelle de Balzac (le peintre est une femme et le modèle un homme dominé, plaqué contre la toile). « Le féminisme de Paulo Rego est viscéral et nuancé », est-il écrit sur le mur.
Il est très agréable de parcourir les salles souterraines de cette exposition. Elles sont peu fréquentées à cette heure matinale et surtout par un public jeune en majorité féminin. Il y a davantage de monde dans les salles de la collection permanente que je vais revoir ensuite et où j’élis La nièce du peintre d’André Derain, et encore plus au rez-de-chaussée où sont exposés dans les deux vastes salles ovales Les nymphéas de Claude Monet. Il est d’usage de se faire photographier devant, surtout si l’on est une fille.
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« Mes sujets favoris sont les jeux de pouvoir et les hiérarchies. Je veux toujours tout changer, chambouler l’ordre établi, remplacer les héroïnes et les idiots ». (Paula Rego)
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"Etre une femme-chien ne signifie pas nécessairement être opprimée, cela n’a pas grand-chose à voir. Dans ces tableaux, chaque femme-chien n’est pas opprimée mais puissante. C’est bien d’être bestiale. » (Paula Rego)
 

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