Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

9 novembre 2017


Cela fait des années que je vendais des livres via Price Minister sans le moindre souci. Début octobre, cette entreprise de l’économie numérique m’envoie un mail circulaire expliquant que désormais la Banque de France exige l’identification officielle des vendeurs lorsque le chiffre d’affaire dépasse deux cent cinquante euros par mois. Pour ce faire je dois envoyer la photo de ma carte d’identité. J’essaie de la transmettre via mon ordinateur. Cela ne fonctionne pas. C’est plus facile avec un téléphone, est-il écrit. Je n’en ai pas. Le mercredi douze octobre, je suis donc passé rue Réaumur là où sont les locaux administratifs de Price Minister Rakuten. L’hôtesse ne voulait pas me laisser entrer mais grâce à deux fumeurs de l’entreprise j’ai passé ce barrage. Deux membres de l’équipe ont photocopié ma carte d’identité afin que mon « porte-monnaie » soit débloqué car depuis cette demande plus aucun versement ne m’est fait, c’est le moyen de pression. « Cela prendra au maximum cinq jours », m’a dit l’un. Sympathiques et serviables, ces jeunes gens de Price Minister, me suis-je dit en partant.
Il faudra deux semaines pour que je reçoive un mail circulaire me disant que mes documents sont en cours de validation puis, le deux novembre, un nouveau mail circulaire m’apprend qu’ils sont refusés. Comment est-ce possible alors que ma carte d’identité est valable jusqu’en deux mille dix-neuf et que la qualité de la photocopie a été assurée par les employés de l’entreprise ? Quand je demande pourquoi par message écrit, je n’obtiens pas de réponse. Quant au téléphone, il est toujours sur répondeur et on ne peut y laisser de message.
Ne voulant plus continuer à avancer d’importants frais de port à chaque vente faite, je mets ma « boutique » en « vacances » jusqu’à ce que le problème soit réglé et que l’argent qui m’est dû me soit versé. Et ce mardi matin sept novembre je repasse rue Réaumur afin d’y déposer de nouvelles photocopies de ma carte d’identité et même une de mon passeport. « Je vous reconnais, me dit l’hôtesse, vous ne pouvez pas monter ». Je lui explique que je viens simplement déposer un courrier. Elle n’a pas le droit de le prendre. « Bon alors, je vais le mettre dans la boîte à lettres ». Il n’y en a pas, je dois le poster. Elle consent quand même à me donner un autre numéro de téléphone permettant de joindre le Service Clients. « Bon courage », me dit-elle quand je lui dis au revoir. « Oui, il en faut », lui réponds-je.
Ce mercredi, avant de poster mon courrier, j’appelle ce numéro. Une voix enregistrée me répond que tous les conseillers sont occupés et que l’attente est estimée à dix minutes. Bien trop pour moi.
                                                                *
Lundi dernier, lassé de n’avoir aucune réponse personnelle, j’envoie un message à Price Minister Rakuten via le réseau social Effe Bé. Il me vaut cette réponse : « Pourriez-vous contacter le Service Clients ? Ils vont s'occuper de votre demande dans les meilleurs délais! ».
                                                                *
Le mercredi douze octobre, les deux aimables jeunes gens ayant photocopié ma carte d’identité m’ont demandé si j’avais des critiques à faire sur leur entreprise. « Depuis dix ans que j’y vends des livres, j’en suis tout à fait satisfait », leur ai-je dit. Mon point de vue a un peu changé.
 

8 novembre 2017


Fin de mes vacances virtuelles dans le Lot, je sauve mon billet de retour Paris Rouen en allant passer la journée de mardi dans la capitale. Pour ce faire, je prends le train de sept heures cinquante-neuf dans lequel le chef de bord s’excuse auprès des voyageurs ayant réservé dans la voiture onze. Celle-ci est absente.
Dans ce train qui fend tranquillement le brouillard, je lis Ce qu’on peut voir en six jours de Théophile Gautier (Editions Nicolas Chaudin), récit d’un voyage bien réel mené à un train d’enfer. Mon voisin de devant s’intéresse, quant à lui, à la nutrition entérale. Nous arrivons à l’heure prévue, neuf heures dix-huit. Le chef de bord nous souhaite « une bonne fin de journée ».
La mienne commence par un petit trajet en bus Vingt jusqu’à Opéra Quatre-Septembre car j’ai avec moi un sac de livres dont je veux me débarrasser au plus vite. Après un café au comptoir du Bistrot d’Edmond, je suis le premier chez Book-Off. J’y empoche six euros soixante-dix puis y dépense trois euros.
Je rejoins ensuite la rue de Réaumur à pied car loin d’être réglé, mon problème avec Price Minister perdure. Je me heurte une nouvelle fois à l’hôtesse d’accueil. Dépité, j’emprunte la rue Montorgueil afin de rejoindre Beaubourg dans l’espoir d’y déjeuner chez New New mais ce restaurant chinois est toujours mystérieusement fermé, sa porte bloquée par une chaîne et un cadenas.
Je poursuis donc pédestrement, profitant du beau soleil de novembre pour rejoindre le quartier de la Bastille par les rues Rambuteau, des Francs-Bourgeois et la place des Vosges où l’on pique-nique sur les bancs. Pour ma part, je déjeune au Rempart d’un jour en direct (comme disent les aimables jeunes serveurs). Ce plat du jour est un bien bon poulet basquaise pommes grenaille haricots verts. Je l’accompagne d’un verre de « vin du moment » et le fais suivre d’une part de tarte banane et chocolat. Après avoir réglé seize euros et des broutilles, je me rends au second Book-Off où j’achète aussi peu de livres.
Inutile de chercher la place assise numéro seize réservée depuis longtemps pour mon retour de Souillac dans la voiture treize du seize heures quarante-huit puisque le train prévu est remplacé par une bétaillère non numérotée. Celle-ci arrive néanmoins à dix-huit heures à Rouen.
                                                     *
Drastique, vu les circonstances, mon choix de livres rapportés de Paris. Que des ouvrages que je suis sûr de lire : Les débuts de Van Gogh de Paul Nizon (Les Cahiers Dessinés), Eloge du sein des femmes de Claude-François-Xavier Mercier de Compiègne (Chiron éditeur), Vision et hallucination (L’expérience du peyotl en littérature) sur Charles Duits (Albin Michel), La belle infidèle d’Aphra Behn (Philippe Picquier), Voyage en France du roi Sisowath (Mercure de France) et Chroniques parisiennes de Kurt Tucholsky (Rivages poche).
 

7 novembre 2017


C’est un bon article de Kim Hullot-Guiot, envoyée spéciale de Libération au Musée National de l’Education, qui m’incite à entrer dans cette maison des Quatre Fils Aymon dimanche à treize heures trente-cinq pour y voir l’exposition Portraits de classe, portrait classe !.
Une femme se tient derrière la porte vitrée.
-Posez votre sac sur la chaise, me dit-elle. On va le vérifier.
-C’est vous que le vérifiez ?
-Oui, ça vous étonne ? Il n’y pas que des hommes chez les vigiles.
Ce qui m’étonne, ce sont les personnes qui au lieu de parler d’elles en employant le pronom personnel « je » utilisent le pronom indéfini « on ».
-Je viens voir l’exposition, dis-je aux deux femmes de l’accueil.
-Laquelle ? me dit l’une.
J’apprends qu’il y en a deux, l’autre étant L’école en Algérie, l’Algérie à l’école.
Elle me remet un ticket gratuit. Après avoir laissé mon sac dans un casier, je découvre la première et qu’elle tient peu de place. J’ai vite fait le tour de la petite salle du rez-de-chaussée, admiratif de ce qu’a pu écrire Kim Hullot-Guiot sur ce peu. Qu’a-t-elle fait à Rouen de tout son temps restant?
L’histoire des relations entre la France et l’Algérie ne m’a jamais intéressé. Néanmoins, je monte dans les étages. L’exposition commence au troisième et se poursuit au deuxième. Elle est conséquente, fournie en documents de toutes sortes et complétée de vidéos évoquant le sujet. L’inévitable Edwy Plenel est requis, efficace repoussoir.
Je suis dehors un peu avant quatorze heures, me disant que si quelqu’un vient de loin pour voir l’exposition Portraits de classe, portrait classe ! convaincu de son intérêt par l’article de l’envoyée spéciale Kim Hullot-Guiot, il va la maudire. A moins qu’il soit séduit par la seconde exposition, dont il n’est pas question dans Libération.
                                                         *
L’exposition Portraits de classe, portrait classe ! se prolonge dans la rue Eau-de-Robec. Au-dessus du faux ruisseau sont fixés des agrandissements de photos de classe datant de différentes époques. Certaines ont été maculées de peinture jaune par un abruti. La plus intéressante a été prise au collège Alexis Carrel de Rouen en mil neuf cent soixante-quinze. On y voit, assis au premier rang, un professeur habillé à la mode d’alors et barbu comme certains de ses contemporains et, l’entourant, ses trente élèves dont les vêtements sont un témoignage des nombreuses couleurs en vogue à cette époque (le jaune en tête).
                                                        *
Quand et par qui a été donné le nom d’Alexis Carrel à un collège rouennais ? Etait-ce du temps du Canuet Maire ? Ce collège Carrel a été fort opportunément rebaptisé Lecanuet après la mort de celui-ci.
                                                        *
Je n’ai aucun souvenir des photographes scolaires venus dans les classes où j’ai exercé avant d’arriver au Bec-Hellouin. Là, j’ai fait la connaissance de Patrick Lebaube qui chaque année s’ingéniait à renouveler le genre, en extérieur ou à l’intérieur. Je l’ai retrouvé à Val-de-Reuil. De ceux croisés ensuite quand je suis passé en Seine-Maritime, je n’ai aucun souvenir.
                                                       *
Certaines de ces photos de classe, je les ai détruites. Celles qui me restent sont je ne sais où. Je dois aussi avoir quelque part certaines de celles faites quand j’étais élève.
 

6 novembre 2017


Affluence vendredi midi chez Sushi Tokyo, le restaurant japonais (et chinois) de la rue Verte. Parmi les clients, un couple de quinquagénaires bourgeois et leur petit-fils victime de la mode. La grand-mère le déclare âgé de neuf ans pour bénéficier du prix réduit au buffet à volonté. Il doit avoir plus.
Au milieu du repas, cette grand-mère pose son sac à main sur ses genoux. Elle l’ouvre et rabat les bords d’un plastique glissé à l’intérieur, dans lequel elle met des sushis et des makis. Un peu plus tard, elle récidive. Le grand-père fait semblant de ne rien voir. Le petit-fils n’a pas l’air surpris, ce n’est donc pas la première fois que sa mère-grand procède ainsi.
Entre la part de moi-même qui trouve dégueulasses ces riches qui volent aux dépens de personnes qui s’épuisent au travail et celle qui trouve moche de cafter, le débat est intense. Tenté de dénoncer la bourgeoise, je ne m’y résous pas 
Néanmoins, le trio parti, je signale le fait à la serveuse.
                                                          *
Que vois-je ce vendredi soir, place de la Calende? Le libraire d’A Juste Titre, la bouquinerie de la rue Thouret, ouvrant la boîte à livres et partant avec l’un. Il n’y a pas de petit profit (comme dit Madame Michu).
                                                          *
Un livre lu qui ne me laissera pas grand souvenir : Chemins aux vents de Pierre Sansot (Manuels Payot). Quand même ceci :
La station-service a le pouvoir de contaminer les produits qu’on y expose, car ils y perdent leur vertu originelle. Les bourgognes, les rosés de Provence, les buzets, les vins du terroir (quelle expression racoleuse et suspecte) ne flattent plus notre goût. Le cassoulet n’est plus le cassoulet, c’est dire que la partie est perdue.
 

3 novembre 2017


Première manifestation de Loïc Lachenal, le nouveau Directeur de l’Opéra de Rouen, une lettre circulaire envoyée aux abonné(e)s datée du vingt-six octobre et que je trouve dans ma boîte ce deux novembre :
« L’Opéra de Rouen Normandie va connaître une évolution importante de son projet, porteur d’une ambition renouvelée. Cette évolution amènera notamment une proposition de concerts et de spectacles plus nombreux et plus variés dans leur forme ainsi que la gestion des activités de la Chapelle Corneille. Cette situation nous contraint à refonder notre politique d’abonnement, qui devra intégrer comme priorité de garantir l’accès du plus grand nombre à tous les spectacles. Cette ouverture et cette accessibilité demeureront au cœur des préoccupations de l’Opéra de Rouen Normandie. Aussi allons-nous vous proposer de nouvelles formules, lesquelles vous seront communiquées lors du lancement de la nouvelle saison au printemps prochain… »
Le mot qui clignote est « contraint ».
Pourquoi ce négatif « Cette situation nous contraint » alors qu’il s’agit d’'« évolution importante de son projet, porteur d’une ambition renouvelée ». Ce progrès aurait dû entraîner un positif « Cette situation nous permet » ou du moins un neutre « « Cette situation nous amène ».
J’en conclus, de façon un peu aventurée peut-être, que pour les abonné(e)s il y aura du moins l’an prochain.
Jusqu’où ce moins ? On verra au printemps. D’ors et déjà, l’abonnement Entrée Plus permettant de voir tous les spectacles pour vingt-sept euros par mois sera supprimé l’an prochain, annonce Loïc Lachenal.
Chaque saison, je me suis posé la question de continuer ou pas à fréquenter cette maison. D’une façon superficielle, laissant finalement la reconduite automatique de mon abonnement Entrée Plus en décider pour moi. Cette fois, après études des « nouvelles formules », ce pourrait être la fin ou du moins.
                                                      *
Du moins, c’est aussi ce qui attend l’espace public sur lequel le Son du Cor installe sa terrasse. Cet hiver, les trois prunus morts ou malades vont être remplacés par trois poiriers d’ornement.
Dernière fois pour deux mille dix-sept, ce premier novembre, que je fréquente cet endroit qui vient de renouveler son mobilier d’extérieur, nouvelles tables et nouvelles chaises confortables aux couleurs de l’automne. Pas longtemps, pour la raison que le changement d’heure en fait disparaître le soleil à treize heures.
                                                      *
Jalousie et regrets inavoués d’un jeune couple à enfants en bas âge à la terrasse du Son du Cor : « Les grands-parents, ils n’ont plus qu’eux à gérer. »
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Une femme découvrant la ruelle où j’habite depuis la rue Saint-Romain : « Oh c’est joli, regarde voir ça. C’est joli, hein ? hein ? » Son mari confirme en dégainant l’appareil photo. Un clic et les voilà partis sans y être entrés. (Scène courante)
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Insolite (comme écrivent les sites d’information) : une Chinoise mangeant avec une fourchette dans un restaurant japonais.
 

2 novembre 2017


Réveil très matinal ce mardi afin de prendre le train de six heures cinquante-huit pour Paris. Il est complet à Vernon. Qui monte à Mantes-la-Jolie doit voyager debout. Peu avant l’arrivée, une femme s’affaisse. Une voyageuse lui donne sa place. Une autre demande pour elle de l’eau ou quelque chose à manger. Une troisième offre sa bouteille. Tout le monde a le même diagnostic : hypoglycémie.
Je musarde jusqu’à la Bastille avec le bus Vingt. J’ai largement le temps, avant l’ouverture de Book-Off, de boire un café au comptoir du Café du Faubourg, d’où j’observe comment s’en sortent automobilistes et piétons quand les feux tricolores sont en panne. Un moutard dont la tête est traversée d’un couteau passe sur le trottoir avec son seau orange destiné à recevoir des bonbons. Il ne suscite pas le moindre intérêt. Halloween reste une fête incongrue en France.
Ce mardi est véritablement le dernier beau jour d’octobre car demain commence novembre, ce mois qui chaque année me désole. Après avoir exploré les rayonnages de Book-Off puis flâné au marché d’Aligre, je rejoins Beaubourg pédestrement avec l’envie de déjeuner chez New New. C’est fermé. Je me rabats sur un autre restaurant chinois, moins bon.
Autre déception, le Domestikator du collectif néerlandais L’Atelier Van Lieshout n’est déjà plus sur la piazza. Non que la plainte de la Société Protectrice des Animaux ait été suivie d’effet mais parce qu’il n’était là, après le refus du Louvre de l’installer dans le jardin des Tuileries, que le temps de la Fiac, apprends-je.
C’est dans un autre jardin que je profite du soleil, celui du Palais-Royal. Bien installé sur une chaise près du bassin à jets d’eau, je lis La comtesse Tolstoï de Bertrand Meyer-Stabley (Petite Bibliothèque Payot). L’auteur y donne son adresse mail « pour tout renseignement précis ».
Le soleil disparu derrière les bâtiments cossus, je visite l’autre Book-Off. Une femme s’en fait expliquer le fonctionnement par une employée : classement des livres, prix rouge et prix bleu.
-Et si je vous dis le nom d’une auteure, qui d’ailleurs est ma fille, vous pouvez trouver ses livres ? Ils sont plein d’humour. Le Journal d’une mère indigne, par exemple.
La réponse la déçoit. Autre déçu : le semi-clochard venu vendre des livres que la même employée qualifie de semi-professionnel. Ce pourquoi, lui apprend-elle, il ne pourra désormais passer qu’une fois pas semaine.
                                                       *
Deux filles rue Saint-Martin.
L’une : « J’ai plus le droit d’aller courir. Ma mère, elle veut pas. »
L’autre : « Elle a raison. »
Conséquence de l’assassinat de la jeune femme joggeuse à Gray (Haute-Saône).
                                                      *
Rue du Commandant-Lamy, stationné au même endroit depuis des semaines sans être verbalisé, le campigne-car rose de la Caravane Culturelle Syrienne.
                                                      *
Comme si je n’achetais pas déjà trop de livres, il faut que j’en trouve des gratuits, abandonnés dans des sacs, près de la station de métro Quatre-Septembre. J’en emporte trois : Entre deux (une enfance en Ajoie) de Bernard Comment (avec des photographies de Jacques Bélat) publié chez Biro Editeur, Genève de Pierre Gascar publié dans la collection « des villes » aux Editions du Champ Vallon et La nuit est encore jeune du collectif Catastrophe publié hors commerce chez Pauvert.
                                                      *
Rentré à Rouen par le train de dix-huit heures trente, je cherche le nom de la fille de la dame. Il s’agit de Jessica Cymerman. Outre Le Journal d’une mère indigne, elle a écrit Serial Mother : comment survivre avec des enfants et Les bons mots des enfants : trop mignons, ils nous font voir le monde avec le sourire, ainsi que d’autres ouvrages sur le sujet.  Comme sa mère, c’est avant tout une mère.
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Le Domestikator ne montre peut-être pas le coït d’un fermier avec sa fermière, celle-ci prise en levrette, mais celui de ce fermier avec l’un de ses animaux, d’où l’ire de la Hessepéha. Bientôt, celle-ci exigera l’autodafé des livres comportant une scène de zoophilie : Gamiani d’Alfred de Musset, Le grand cahier d’Agota Kristof, L’orage de Régine Desforges, Ours de Marian Engel, L’oiseau bariolé de Jerzy Kosinsky, Histoire de la bonne de Léo Barthe, La Femme aux chiens d’Alphonse Momas, pour ne citer que quelques-uns de ceux qui figurent (ou ont figuré) dans ma bibliothèque.
 

1er novembre 2017


Innovation navrante du réseau des petites bibliothèques rouennaises, l’an prochain il sera possible d’y emprunter des instruments de musique et des moules à gâteau. Ce lieu autrefois dévolu à l’emprunt d’objets culturels devient ainsi un lieu où l’on peut emprunter n’importe quoi.
Je serais bibliothécaire, ayant fait les études nécessaires puis réussi le concours indispensable à l’exercice de cette profession, je serais furieux d’être utilisé pour prêter des objets de la vie courante.
C’était une des rares professions qui me faisaient envie quand j’étais enfant, parce que c’était une profession intellectuelle. Je n’imaginais pas qu’elle puisse devenir ce qu’elle est devenue, un boulot d’animation et d’assistance sociale dans ce qui est désormais qualifié de troisième lieu.
Les moules à gâteau ne seront accessibles que dans la bibliothèque de la Grand-Mare, sur les Hauts de Rouen, quartier défavorisé, ce qui donne comme impression : puisque vous n’êtes pas capable de lire des livres, au moins faites de la pâtisserie.
                                                         *
« Le troisième lieu, notion forgée au début des années 1980 par Ray Oldenburg, professeur émérite de sociologie urbaine à l’université de Pensacola en Floride, se distingue du premier lieu, sphère du foyer, et du deuxième lieu, domaine du travail. Il s’entend comme volet complémentaire, dédié à la vie sociale de la communauté, et se rapporte à des espaces où les individus peuvent se rencontrer, se réunir et échanger de façon informelle. » Mathilde Servet (Les bibliothèques troisième lieu, dans le Bulletin des Bibliothèques de France de juillet deux mille dix).
                                                        *
-Chéri, je ne trouve plus le tire-bouchon, tu ne veux pas aller en emprunter un à la bibliothèque ?
-J’y cours. Je vais aussi prendre un tournevis pour réparer le fauteuil du bureau. Est-ce que tu veux une paire de jumelles pour la balade avec tes parents dimanche ?
 

30 octobre 2017


Ce samedi matin, je n’ai pas le moindre espoir de trouver un livre qui m’intéresse au Grand Déballage d’Hiver de la rue Saint-Sever (sur la rive gauche de Rouen, c’est déjà l’hiver) mais je ne peux m’empêcher d’y aller au prétexte que je pourrai passer au marché sis sous la halle des Emmurées.
Pour ce faire, je traverse la Seine par le pont Boieldieu rénové : une piste cyclable à double sens, deux voies automobiles étroites (un camion a besoin des deux) et le trottoir le plus large que j’aie jamais vu (très peu de piétons l’empruntent).
Comme prévu, cet ultime vide grenier rouennais est désolant. N’y ont déballé que des marchands d’objets de mauvaise qualité et des particuliers pauvres qui proposent des objets de misère. Au marché, j’achète carottes, oignons et clémentines puis reprends le pont Boieldieu.
Près du feu tricolore sur le quai haut direction Le Havre j’aperçois deux jeunes autostoppeuses excitées avec des petits cœurs dessinés sur les joues. Munies d’une grande pancarte où est écrit en lettres capitales Gournay-en-Bray, elles ne ménagent pas leurs efforts pour se faire remarquer. Aucune voiture ne peut s’arrêter en cet endroit et surtout, ce n’est pas la bonne direction. Elles s’en aperçoivent au moment où je m’apprêtais à le leur dire.
Je les remets sur le droit chemin et leur conseille de se placer là où une voiture peut s’arrêter, et accessoirement de faire attention à elles.
-C’est dommage que vous n’ayez pas de voiture, me dit l’une, vous vous seriez occupé de nous.
Bien sûr.
                                                                 *
Pont Boieldieu : l’une des têtes de conquistadors sculptées par l’officiel De Pas a disparu, peut-être jetée dans le fleuve. Ce n’est pas la première fois.
                                                                 *
Fin de matinée : retour de fiesta pour un voisin à la démarche incertaine et son invité cuité. Ce dernier, un peu plus tard, endormi dans le fauteuil de jardin d’une voisine absente tandis que le carillon joue Mon amant de Saint-Jean.
 

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