Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

16 octobre 2017


Retour à l’Opéra de Rouen ce jeudi un peu après dix-neuf heures où les vigiles négligent de me demander d’ouvrir ma veste façon exhibitionniste et où la jolie blonde sexy n’est pas au contrôle des billets. Je vais saluer celui qui est peut-être le plus vieux de mes lecteurs, après qu’il a vaillamment monté les marches, aidé de sa canne.
-Ce soir, c’est un chef formidable, me dit-il.
Il s’agit d’Andreas Spering déjà venu ici pour diriger des opéras dans la fosse. Aujourd’hui, il sera sur la scène pour un concert symphonique consacré à des œuvres de Schumann, Mozart et Mendelssohn, au cours duquel Jane Peters, violon solo de l’Orchestre, passera son examen annuel. Loïc Lachenal, nouveau maître des lieux, est absent. Presque toute la demi-rangée de corbeille réservée aux invité(e)s est occupée par des dirigeants de la Caisse d’Epargne qui est mécène de la soirée. Je suis devant eux en fond d’orchestre, à l’une de ces places non prévues pour les genoux.
J’entends l’un des pontes bancaires avouer à son voisin qu’il n’a jamais assisté à un concert de musique classique. Cela va le changer du comptage de noisettes.
C’est d’abord l’ouverture, le scherzo et le finale de l’opus cinquante-deux de Robert Schumann que mène rondement le maestro, puis Jane Peters entre en scène en longue robe rouge. Il me semble qu’à sa place je n’en mènerais pas large (comme on dit), d’autant qu’un discret micro la surplombe car le concert est diffusé en direct sur Radio Classique, mais elle a l’air d’être décontractée. Elle se sort avec brio du Concerto pour violon numéro cinq dit Turc de Wolfgang Amadeus Mozart et est fort applaudie. En bonus, elle et l’Orchestre nous offrent « une petite surprise un peu préparée », la deuxième version de l’adagio de ce concerto.
Après l’entracte, la très belle Symphonie numéro quatre en la majeur dite Italienne de Felix Mendelssohn Bartholdy est très bien jouée par les musicien(ne)s de l’Orchestre sous la baguette d’Andreas Spering, formidable mais pas spectaculaire (il dirige avec un minimum de gestes). Je récupère mes genoux, rangés de biais, et rentre à la maison sans trop de douleur tandis que la Caisse d’Epargne se dirige vers les petits fours.
 

13 octobre 2017


Le train de sept heures cinquante-neuf annoncé avec cinq minutes de retard qui arrive du Havre à l’heure, c’est de bon augure pour la suite de mon mercredi à Paris. A dix heures moins dix, je pousse la porte du Café du Faubourg. Buvant un café au comptoir, je lis dans Le Parisien que François Hollande, ancien Président, était dans le quartier hier, à la ressourcerie La Petite Rockette, rue du Chemin-Vert, afin d’y défendre les quatorze emplois aidés qui risquent de disparaître par la volonté de son successeur (Hollande ayant lui-même besoin de se recycler, il était au bon endroit pour se faire conseiller).
Je n’ai pas prévu de passer à La Petite Rockette aujourd’hui car je dois régler un souci avec le site de vente Price Minister qui me demande de lui transmettre, via les technologies modernes, une photo de ma carte d’identité afin de s’assurer que je suis bien moi. Plusieurs fois que j’essaie de télécharger et d’envoyer ça sans succès.
Donc, après être passé chez Book-Off, au marché d’Aligre et chez Emmaüs, puis avoir déjeuné japonais chez Kanazawa rue de la Roquette, je prends le métro jusqu’à Réaumur-Sébastopol. L’entreprise a son siège rue Réaumur, pas facile d’en trouver l’entrée qui est dans la rue perpendiculaire. Je m’adresse à l’hôtesse d’accueil qui m’explique que si je n’ai pas rendez-vous, c’est inutile que je sois venu.. Heureusement, deux jeunes hommes de la maison fument sur le trottoir. Je vais les voir, m’excusant de les déranger pendant la pause, et leur explique mon problème.
-Venez avec nous, me dit l’un.
Je les suis dans l’escalier. Ils me font attendre dans une antichambre où se tient une seconde hôtesse. Deux minutes plus tard arrivent un jeune homme barbu dans la vingtaine et un imberbe dans la trentaine.
-C’est simple, me dit le plus âgé, on va faire une photocopie de votre carte d’identité et dans cinq jours vos paiements pourront reprendre.
Ils en profitent pour me demander si j’ai des critiques à faire sur leur site de vente mais je n’en ai point. Après avoir remercié, je redescends, me disant que si j’avais su que dans l’économie numérique les méthodes à l’ancienne avaient encore cours, j’aurais pu envoyer la photocopie de mes papiers par La Poste.
C’est à pied que je vais au second Book-Off, la rue du Quatre-Septembre étant dans le prolongement de la rue Réaumur. J’y paie cinq euros la Correspondance avec Evguénia de Boris Pasternak (Gallimard)
A dix-sept heures précises, je retrouve au bout de la voie vingt-deux de la gare Saint-Lazare un homme venu de La Défense à qui j’ai vendu un livre via Price Minister. La bétaillère du retour est à quai, dans laquelle je peux monter avant qu’elle soit affichée. J’y lis Conversations avec Jean-Paul Sartre août-septembre 1974 de Simone de Beauvoir :
J-P. S. –Je lisais beaucoup en chemin de fer. Le Havre-Paris. Le Havre-Rouen. J’ai découvert à ce moment là quelque chose de neuf –je me suis intéressé au roman policier.
S. de B. –Ah, oui.
Ce train part à l’heure. Un peu avant l’arrivée à Rouen, un message inquiet du chef de bord signale une valise grise laissée sans surveillance en voiture quatre. L’appel est répété une seconde fois cinq minutes plus tard, puis en anglais. Quand nous sommes en gare, impossible de descendre, les portes de la voiture sont bloquées, celles des voisines aussi.
-C’est sûr que si la valise explose, il vaut mieux que l’on soit dans le train, déclare une voyageuse.
Nous remontons le train vers l’arrière. Plus que de la valise, j’ai peur que celui-ci reparte et de me retrouver à Yvetot. Une porte ouverte me sauve de cette dramatique perspective.
                                                                 *
Le serveur du Café du Faubourg se réjouissant qu’hier la maîtresse de son quatre ans n’ait pas fait grève. On ne peut pas les laisser seul à cet âge.
-C’est pas comme un ado qui rentre tranquillou à la maison.
Je ne juge pas utile de l’éclairer sur la vie des ados (qu’il a connue pourtant mais semble avoir oubliée).
                                                                *
Une question inédite chez Book Off :
-Est-ce que vous pouvez me faire un emballage cadeau ?
C’est un moutard de dix ans qui la pose. Déçu l’enfant.
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Chez Book-Off : Journal d’un homme heureux de Philippe Delerm (Seuil). Sa femme m’ayant affirmé que la vie de celui-ci est plus palpitante que je l’avais écrit, je le feuillette et constate que nous n’avons pas la même idée de ce qu’est une vie palpitante. Certaines phrases particulièrement naïves ont été soulignées. Je soupçonne un journaliste dont l’article a dû être quelque peu ironique.
                                                                *
Chez Book Off également, et en deux exemplaires, l’autoédité Privé d’identité d’Yves Pehuet. « Recueil de nouvelles exceptionnelles », est-il écrit sur la couverture. Une raison suffisante pour ne pas avoir envie de l’ouvrir.
                                                                 *
Une question audacieuse dans le train du retour, d’un voyageur au contrôleur :
-Est-ce que vous trouveriez à redire si on s’installe avec un billet de seconde en première quand il reste de la place ?
 

12 octobre 2017


Nouvelle saison, bonne résolution. A l’entrée de l’Opéra ce mardi soir, les deux vigiles me demandent à nouveau d’ouvrir ma veste, eux qui avaient laissé tomber, se contentant de pointer le faisceau de leur lampe au fond du sac des dames.
Nouvelle saison, renouvellement du personnel. Une jolie blonde en chorte et collant sexy fait partie des étudiant(e)s chargé(e)s de scanner les billets en haut de la volée de marches. Comme les abonné(e)s Entrée Plus sont invité(e)s à emprunter la partie gauche de l’escalier, ce que je fais chaque fois, et bien qu’elle me donne envie de déroger, je m’apprête à suivre mon habitude mais elle m’interpelle :
-Non monsieur, pas lui, il a trop de travail !
Je ne me le fais pas dire deux fois (comme on dit) et vais me faire biper par la demoiselle.
Je suis au premier rang sur une chaise avec vue sur le clavier du piano pour le concert théâtralisé Le Block 15 interprété par le pianiste Pascal Amoyel et la violoncelliste Emmanuelle Bertrand (mise en scène de Jean Piat), qui narre, à partir des témoignages de Simon Laks et d’Anita Lasker-Wallfisch, l’histoire de l’orchestre juif créé par les nazis dans le camp de Terezin, un sujet qui m’est familier grâce au livre d’Hélios Azoulay et Pierre-Emmanuel Dauzat L’enfer aussi a son orchestre.
Nous sommes dans le noir. Les deux interprètes alternent jeu théâtral et jeu musical. Plus qu’un autre soir les toux sont dérangeantes. Il devrait y avoir dans la salle un silence de mort.
Le concert se termine par Liebesfreude de Fritz Kreisler qui détend l’atmosphère. En bonus, Pascal Amoyel et Emmanuelle Bertrand nous offrent deux duos particulièrement gais que je connais sans les reconnaître.
                                                         *
Rouen, rue aux Juifs : un trois ans à son père, après avoir croisé une patrouille de soldats de l’opération Sentinelle :
-Ils font quoi, papa ?
-Ils se promènent dans les rues, c’est pour nous protéger.
 

11 octobre 2017


L’une de mes connaissances m’ayant convaincu que l’on peut parfois trouver de bons livres dans les boîtes à livres installées en divers lieux de Rouen (comme partout en France), j’en ouvre.
C’est vrai qu’il m’arrive d’y trouver un livre que j’aurais acheté un euro dans un vide grenier. J’y vois aussi des livres qui peuvent plaire à autres. Parfois, malheureusement, les ouvrages proposés ont l’air de sortir d’une poubelle.
Sont aussi déposés dans ces boîtes des objets ayant peu à voir avec la littérature. Certains s’y débarrassent de leurs cassettes vidéo. D’autres y déposent des jouets d’enfant. Ce dernier dimanche, celle de la place de la Calende contenait deux paires de chaussures.
Il en est même qui profitent de l’occasion pour faire de la propagande. J’y trouve régulièrement des tracts animalistes et jéhovistes. Je les transfère à la poubelle la plus proche.
Les livres cradingues et les vieilles cassettes disparaissent également, mais je n’y suis pour rien.
                                                            *
Polémique actuelle : celle de l’orthographe inclusive. Je suis plutôt pour, et le montre depuis longtemps en écrivant par exemple « des étudiant(e)s » quand j’évoque un groupe d’élèves de l’Université dans lequel se trouvent des filles et des garçons.
Les garçons cachent souvent les filles, c’est dommage.
Il arrive que ce soit le contraire. Quand je parle de « l’une de mes connaissances », cela m’ennuie que l’on ne sache pas s’il s’agit d’une femme ou d’un homme. Il en est de même quand j’évoque une personne.
Ce féminin est gênant, il faudrait pouvoir masculiniser.
Pour « une connaissance », je ne vois pas comment faire. Pour « une personne », je proposerais bien « un person », mais je crains que cela donne naissance à une nouvelle polémique.
 

10 octobre 2017


Ce samedi, je voulais aller au Havre mais ayant appris (tardivement) que c’était le jour du l’opération de désherbage annuel des petites bibliothèques de quartier rouennaises, j’ai fait annuler mon billet à la gare. Il ne pleut pas. Je pourrais rejoindre le centre commercial des Docks à pied par le bord de la Seine mais j’ai la flemme. C’est un bus Teor qui m’y mène.
Je passe par les toilettes du déprimant temple de la consommation. Celle dédiée à Robert le Brochet a été restaurée. L’animal à la dent carnassière est toujours d’humeur inégale, (ses amis se comptent sur la phalange d’un doigt).
Redescendu au rez-de-chaussée et arrivé à proximité du lieu où s’activent les bibliothécaires, je constate qu’aucun brochet concurrent n’est là. Du moins ceux que je connais. D’autres impatient(e)s m’ont précédé. Certaines essaient d’anticiper l’ouverture officielle mais se font rabrouer. Un peu avant dix heures, c’est la ruée sur les livres. Celles et ceux qui viennent pour les romans ont de quoi faire. Pour les autres, c’est portion congrue (comme on dit). On ne pourra pas accuser les bibliothécaires rouennais(e)s de dilapider leur fond.
Pas plus de vingt livres par personne, c’est la règle. J’en suis loin quand je passe à la caisse où l’on me remet un reçu officiel justifiant de mon paiement. Le peu de poids au bout de mon bras justifierait un retour à pied mais je n’en ai pas l’envie.
Les absents n’ont pas forcément toujours tort, peut-être aurais-je mieux fait d’aller au Havre.
                                                                 *
On peut aussi compter sur ceux qui travaillent pour foutre le bordel (je parle comme le Président Macron). Depuis des semaines les rues du centre du Rouen sont pleines de trous consécutifs à une remise à niveau du réseau électrique. On ne peut se déplacer sans subir le bruit des scies à bitume, des marteaux-piqueurs et des camions aspirateurs de gravas.
L’un des engins a détruit l’auvent de la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier où je passe après la déception du désherbage. J’y trouve le Journal de Catherine Pozzi dans sa première édition, celle qu’en fit Claire Paulhan chez Ramsay en mil neuf cent quatre-vingt-sept. Douze euros quand même, mais payé avec mon avoir.
                                                                *
Cruel démenti. Contrairement à ce que je croyais, on trouve parfois des enfants dans les restaurants japonais. Ceux-là sont quatre, sous la surveillance relative d’une grand-mère et d’une amie de celle-ci. Prénommés pour trois d’entre eux : José, Joseph et Juliette. J’ignore le prénom du quatrième qui se tient tranquille. Peut-être Jasmin ou Jéroboam.
L’un des pères arrive, une planche à roulettes sous le bras. Il ne sait pas trouver les assiettes sans l’aide de sa descendance.
 

9 octobre 2017


Qui est ce David Lafore invité à donner concert à l’Hôtel de l’Europe ce vendredi soir ? Je n’en ai pas la moindre idée mais les qualificatifs employés pour le définir  par La Terrasse, Libération, Télérama, France Culture, France Inter, Radio France Internationale, Sud-Ouest: effronté, nonchalant incisif, impudique, givré, sensible, farfelu, insolent, extravagant, caustique, provocant, désinvolte, espiègle, caustique, hédoniste ; ainsi que les noms de ceux à qui il peut faire penser selon ces mêmes radios et journaux: Philippe Katerine, Elmer Food Beat, Brigitte Fontaine, me convainquent que cette soirée est faite pour moi, aussi j’emprunte la rue aux Ours vers vingt heures, constatant qu’un autre événement y a cours. Beaucoup des vendeurs et vendeuses de drouille issue de vidages d’appartements exerçant le vendredi matin sur le marché du Clos Saint-Marc sont là car l’un ouvre un magasin pour y proposer ses plus belles trouvailles. Afin de boire un coup (comme ils disent), une table a été installée sur la chaussée.
-Qui est Brigitte Grandjean ? demandé-je au maître des lieux quand j’arrive (le premier évidemment) à l’Hôtel de l’Europe alors que David Lafore s’échauffe la voix. Je découvre que je la connais depuis longtemps, ayant eu un de ses enfants dans ma classe de petite section de maternelle à Val-de-Reuil quand elle portait un autre nom.
C’est un concert en petit comité pour spectateurs et spectatrices confortablement installés dans la salle des petits-déjeuners. Brigitte Grandjean présente David Lafore en quelques mots. S’accompagnant à la guitare électrique, celui-ci chante essentiellement des histoires d’amour dans lesquelles le garçon n’a pas le meilleur rôle, se livre à des facéties vocales et musicales, dit quelques bêtises.
A la pause, je m’offre un verre de vin blanc et discute un peu avec l’un des présents nommé Philo. J’ai travaillé avec ce musicien martiniquais et son compère conteur burkinabé Adji (que je croise souvent dans les ventes de livres) l’année où j’ai eu une moyenne section de maternelle à Bois-Guillaume.
Après avoir chanté a capella Ta petite culotte, le facétieux Lafore se livre à un lancer d’eau auquel j’échappe de peu. Tandis que le barman éponge la banquette et que mon voisin fait de même avec ses vêtements, il nous offre une reprise allumée de Do you really want to hurt me puis revient à son répertoire. L’artiste mérite tous les qualificatifs dont l’affublent la presse et la radio. Entre deux chansons on entend un couple de clients de l’hôtel s’informer de l’heure du petit-déjeuner.
À l’issue, David Lafore, né en soixante-douze, au physique passe-partout et à la vêture volontairement quelconque, propose ses disques à dix, quinze ou vingt euros, c’est comme on veut. Je m’abstiens car je ne mets plus de disques chez moi depuis qu’il n’y a personne pour en partager l’écoute. Je me contente de mettre un petit billet dans le chapeau à la sortie et repars content de l’Hôtel de l’Europe.
Il est presque vingt-trois heures. A l’autre bout de la rue aux Ours, les brocanteurs et brocanteuses rangent la table installée sur la chaussée. Au son des rires et des voix, on devine que leur soirée a été bien arrosée.
                                                                 *
 Je suis ta petite culotte/ Une culotte de coton blanc/ Je suis ta petite culotte/ Tu cours, tu trottes/ Et mes élastiques/ Se tendent et s'agrippent/ Tu t'assois sur moi/ M'écrase et croise les jambes/ M'étouffe/ J'ai peur quand tu tousses. (David Lafore)
 

6 octobre 2017


Quatrième et dernière partie de mes notes prises lors de la lecture des rapports de Ferdinand de Federici publiés sous le titre Flagrants délits sur les Champs-Elysées (1777-1791) dans la collection Le Temps retrouvé du Mercure de France. C’est l’époque de la Révolution. Dans un premier temps, cela ne change rien à l’activité du sieur Federici (bien que l’on sente une certaine baisse de motivation, comme on dirait aujourd’hui), mais quand en mil sept quatre-vingt-onze les Champs-Elysées passent sous la responsabilité de la ville de Paris, Federici et ses gardes suisses sont remerciés :
Ce lundi matin, l’on a trouvé un Suisse noyé dans l’égout qui règne le long de la ruelle des Gourdes ; fait garder le corps par un homme de la garde, tandis qu’un autre est allé à la compagnie de Chaillot pour l’avertir de faire la levée de ce cadavre. (Rapport du 9 au 16 février 1789)
La nuit du vendredi au samedi, une chaumière du maraîcher Amat, dans le marais, s’est écroulée et sa chute a occasionné la mort d’un jeune homme et quatre personnes, hommes et femmes, ont été plus ou moins blessées. M. le commissaire Carré a rempli les formalités d’usage. (Rapport du 16 au 23 mars 1789)
La garde est sans cesse occupée à renvoyer la mendicité pour la tranquillité des personnes honnêtes qui jouissent de la promenade.
Jeudi 13, de toute l’après-midi on n’a pu quitter S.A.S. Mme la duchesse d’Orléans et les princes ses enfants, à l’effet d’éloigner une quantité de mendiants qui la tourmentaient malgré 12 livres qu’elle leur avait fait distribuer. (Rapport du 10 au 17 août 1789)
Il ne s’est rien passé de nouveau, si ce n’est qu’une fille vers minuit est entrée par le jardin de Mme la comtesse de Sabran, dont un domestique lui a ouvert les grilles en disant que c’était sa femme. (Rapport du 1er au 8 octobre 1789)
La nuit du vendredi au samedi, a relevé et mis sur son chemin un bourgeois fort bien couvert, qui était pris de vin. Idem, à la même heure, arrêté et conduit au district une fille trouvée en posture indécente avec un particulier, qui s’est sauvé. Idem, arrêté et conduit au district une fille pour cause de persévérance dans le scandale. (Rapport du 23 au 30 août 1790)
Mercredi 1er, la garde s’est portée deux fois avec les armes pour dissiper des gardes nationaux qui se disposaient pour se battre. Idem, la patrouille réunie a arrêté et conduit au district vers les dix heures du soir un particulier qui faisait du tapage. (Rapport du 30 août au 6 septembre 1790)
                                                               *
Lettre du comte d’Affry, colonel des gardes suisses, à M. de la Porte, intendant de la liste civile, Paris, le 19 décembre 1791 :
J’ai reçu, monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire par laquelle vous m’annoncez que l’intention du Roi est de ne plus entretenir aux Champs-Elysées le poste de six soldats aux gardes suisses, commandé par le sieur Federici qui y avait été établi pour la conservation des arbres et pour veiller jour et nuit par des patrouilles à la sûreté et à l’ordre public. Les ordres de Sa Majesté seront exécutés et ce détachement rentrera au régiment le 31 de ce mois.
 

5 octobre 2017


Quand j’arrive à la gare de Rouen, ce mercredi, vingt minutes de retard sont affichées pour le sept heures cinquante-neuf menant directement à Paris. Je demande à un employé de la Senecefe si l’omnibus de huit heures douze arrivera avant et si je peux le prendre malgré mon billet à tarif réduit. Il répond oui aux deux questions. Bientôt le retard du premier passe à trente minutes environ. La raison en est un problème de signalisation.
Beaucoup font comme moi et le huit heures douze part complet. Celles et ceux qui montent à Oissel, Val-de-Reuil, Gaillon Aubevoye, Vernon Giverny et Mantes-la-Jolie ont des places debout.
Hélas, une nouvelle complication a lieu à l’approche de Paris. Notre train doit changer d’itinéraire suite à un mystérieux « problème d’installation ». Il est détourné par Bois-Colombes, ce qui entraîne un retard de vingt minutes à l’arrivée.
En conséquence, il y a bien longtemps que c’est ouvert quand j’entre chez Book-Off, rue du Faubourg-Saint-Antoine. Deux sexagénaires amateurs de musique populaire anglo-saxonne s’y livre à une concurrence bavarde, faisant le tour de leurs admirations, dont pas mal de chanteurs et chanteuses ayant vécu peu longtemps pour cause d’excès divers.
-Il reste les Stones, dit l’un.
-C’est parce qu’ils ont fait changer leur sang en Suisse, répond l’autre.
Je sors de là avec presque rien et un peu soûlé.
Après avoir déjeuné au Palais de Pékin, je me trouve à treize heures dans la petite foule de pauvres et de marchands camouflés qui attend l’ouverture de la Petite Rockette, la ressourcerie de la rue du Chemin Vert. Comme l’indique une grande banderole, son avenir est compromis par la politique de Macron. Quatorze salariés sur vingt sont menacés par la suppression des contrats aidés. Une femme qui se trouve devant moi ouvre son courrier. Une enveloppe venant de Montpellier contient une amende de trois cents euros. A l’ouverture, je ne trouve aucun livre à mon goût.
J’en trouve peu au deuxième Book-Off. Mon dos fatigué n’a pas à souffrir du poids de mon sac quand je rejoins La Ville d’Argentan. J’y prends un café en attendant un train de retour que j’espère à l’heure. Derrière moi, un réalisateur de séries discute avec Jean-Michel Cousteau, fils du Commandant, qui repart demain aux Etats-Unis. Il s’agit d’un projet sur les aventures de la Calypso. Il est surtout question d’argent, du surcoût entraîné par les films tournés en mer. « Surtout ne pas oublier la Chine pour les droits », insiste le descendant à barbe blanche sans bonnet rouge. « C’est vingt pour cent de la population mondiale et ils connaissent le Commandant Cousteau, ils ont piraté ses films à l’époque. »
                                                                     *
Mes voisines au Palais de Pékin en ont après Mimie, celle qui gueule quand on lui téléphone à midi :
-Aller coucher avec le père de son copain. Quand même, ça se fait pas. Un peu de respect.
                                                                     *
Rue Ledru-Rollin, des employés de Jicé Decaux se consacrent à neutraliser les bornes des Vélib’. Leur patron a perdu le marché.
                                                                     *
Un drapeau catalan suspendu à une fenêtre parisienne, le siège de la future Ambassade peut-être.
                                                                     *
Pas une journée sans qu’un problème ne perturbe la circulation ferroviaire sur la ligne Paris Rouen Le Havre. Depuis qu’il a commandé des trains de grande largeur qui ne changeront rien aux problèmes d’infrastructure, Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, semble se désintéresser de la question.
On l’a vu récemment s’amuser avec des voitures électriques sans conducteur en compagnie de Frédéric Sanchez, Chef de la Matmutropole, Socialiste. Ces deux gars sont résolument modernes.
 

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