Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

26 mai 2021


Mon oiseau réveil est actuellement réglé sur cinq heures et demie. Il remplit parfaitement son office ce mardi pour me sortir du lit de mon logis temporaire où je suis à nouveau seul à l’étage. Le temps hésite encore entre éclaircies et averses quand je me dirige vers la Gare Routière qui jouxte celle des chemins de fer. On trouve en face une boulangerie on j’achète deux croissants et je prends un allongé (un euro soixante) un peu plus loin à la terrasse d’un hôtel dont j’oublie de noter le nom.
La Gare Routière fourmille d’internes à valises pour qui c’est le début de la semaine. Aucun n’attend le car BreizhGo Quarante et Un de sept heures cinquante qui mène à Bénodet, station balnéaire où vinrent en villégiature, entre autres, Emile Zola, Marcel Proust, Guillaume Apollinaire, Sarah Bernhard et Winston Churchill qui y fit de la peinture.
Nous sommes six au départ, inclus le chauffeur qui se passe allégrement de masque. En chemin nous traversons Gouesnac’h (belle chapelle typique) puis Clohars-Fouesnant ((belle chapelle typique). Dans ce dernier bourg est organisé un concours de poésie dont le thème est « Le Désir ». L’arrivée à Bénodet se fait en bord de mer, près du Casino et de l’Hôtel Ker-Moor, devant un gros canard jaune en plastique sur lequel il est interdit de monter. En revanche, rien n’indique qu’il est interdit d’enlever son masque et j’ai tôt fait de mettre le mien dans mon sac à dos.
Je n’ai qu’à traverser la route pour être à la plage. Je la longe par sa promenade en direction de l’embouchure de l’Odet, photographiant au passage le Minaret, le Phare du Coq et le Grand Phare. Arrivé en vue du pont de Cornouaille, je rebrousse et marche le long de  la mer jusqu’à ce que des maisons en occupant le bord me dissuadent d’aller plus loin.
Il est temps de s’asseoir sur un banc au-dessus de la plage, à l’abri du vent et au soleil quand il est là, pour retrouver Jules et Edmond. Après dix heures apparaissent des retraités marcheurs à bâtons et des familles à enfançons. Cet endroit donc être abominable l’été.
Pour déjeuner il n’y a pas le choix, c’est le Resto Plage Le Sans Souci, un endroit qui d’extérieur ne paie pas de mine mais qui s’avère sympathique quand on y entre. Il possède de grandes terrasses, dont l’une couverte où je trouve place.
Comme je sens que le temps va bientôt mal tourner, je décide de rentrer à Quimper plus tôt que je n’en avais l’intention et demande à l’aimable serveuse de faire presser ma commande : un stèque de thon à la plancha, écrasé de pommes de terre, crème de pesto rouge, à treize euros quatre-vingt-dix.
Il ne me déçoit pas. Je l’accompagne d’un verre de muscadet à trois euros vingt. A la table voisine sont trois handicapées et leurs deux accompagnatrices, derrière moi une famille à enfançon. Nul propos à en noter.
Nous sommes une dizaine au retour dans le BreizhGo de treize heures onze. Il arrive à Quimper juste à temps pour que je chope un bus A qui me monte en haut de la côte.
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Le Minaret, situé à l'embouchure de l'Odet, est le nom courant de la Villa Magdalena. Elle a été construite entre mil neuf cent vingt-six et vingt-huit par Albert Laprade et son assistant Léon Bazin pour Maurice Heitz-Boyer, l’architecte et le commanditaire ayant tous deux séjourné au Maroc, Laprade en tant qu'architecte et urbaniste, Heitz-Boyer comme médecin de Thami El Glaoui, pacha de Marrakech, apprends-je de Ouiquipédia.
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Comment passer par Bénodet sans évoquer Le Monologue shakespearien de Vincent Delerm :
Pendant la deuxième scène en fait j'imaginais
Ses vacances y a deux ans sur la plage de Bénodet
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Bénodet vu par Guillaume Apollinaire en mil neuf cent dix-sept :
Je vous aime ce soir où monte la marée, / Bateaux de Bénodet à la voile azurée, / Pêcheurs de Loctudy dont les filets d'azur / Se confondent avec la mer et le ciel pur. / Cependant que l'Odet bleu comme une prière / Pâlit et que là-bas, chaque phare s'éclaire / L'Odet / Est la plus bleue et la plus claire / Rivière / Loin de la guerre atroce et des coups de canon / Bénodet ne sait pas celle-là qu'il préfère / La mer aux mille écueils ou sa tendre rivière / L'Odet plus douce encore que ne sonne son nom / Mais le temps passe il faudra bien que tu t'en ailles / Laissant Quimper et le Comté de Cornouailles
 

25 mai 2021


Craignant fort que ce Lundi de Pentecôte soit à Quimper aussi mort qu’hier et par ailleurs le temps, entre averses et coups de vent, ne m’offrant pas la possibilité de lire sur un banc, je me résous à ne pas quitter de la journée le studio où je loge. Ce n’est pas une punition car j’y suis bien, avec pour vis-à-vis la forêt.
Mon logement Air Bibi est meublé simplement. Le lit y est confortable. On y trouve tout ce dont je ne me servirai pas pour faire la cuisine. Il bénéficie même du chauffage central la nuit. Sa salle d’eau est la plus petite que je crois avoir utilisée dans ma vie, un mètre sur deux environ, où sont logés douche, lavabo et toilettes. Je n’y trouve rien à redire. Ce serait être bien exigeant alors que je ne paie, tous frais inclus, que vingt-cinq euros la nuit.
J’étais seul à l’étage les premiers jours mais avec cette Pentecôte est arrivé un jeune couple dans l’un des deux appartements qui ont toilettes dans le couloir. Je ne peux m’en plaindre, le bruit qu’ils font est celui de la vie quotidienne. Pas de musique, pas de télé, c’est ce qui m’importe. Pour le sexe, soit ils s’en passent, soit ils sont on ne peut plus discret.
Ces studios sont à l’étage d’une maison mitoyenne en ravalement de façade. Depuis que je suis là les ouvriers n’ont pas encore fait leur apparition sur l’échafaudage.
Posé ainsi pour la journée, j’organise la suite de mon séjour en Finistère Sud (à partir de maintenant, il va s’agir de rayonner autour de Quimper) et je poursuis ma relecture du Journal des Goncourt.
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Quelques méchancetés signées Jules et Edmond :
Gautier allant de la rue de la Tour-d’Auvergne au Temps corriger ses épreuves : chemise rose ouverte, pantalon gaine gris, pantoufles vertes. Mil huit cent cinquante-trois 
La première fois que Gavarni vit Balzac, c’était chez Girardin et Lautour-Mézeray, du temps de La Mode. Il vit un homme gros, de très jolis yeux noirs, un nez retroussé et un petit peu cassé, parlant beaucoup et fort. Il le prit pour un commis de librairie. Mil huit cent cinquante-cinq
Corot, l’homme heureux par excellence. Quand il peint, heureux de peindre ; quand il ne peint pas, heureux de se reposer. Heureux de sa petite fortune, quand il n’avait pas hérité ; heureux de son héritage, quand il a hérité. Heureux de son obscurité, quand il n’était pas connu ; heureux de ses succès – et tirant tous les mois son coup avec quelque sale modèle qui vient le voir. Mil huit cent cinquante-cinq
 

24 mai 2021


Il faut se rendre à l’évidence : le dimanche matin à Quimper, aucun café n’est ouvert. C’est donc sur un banc face à Laennec statufié que je mange croissant et pain au chocolat.
Profitant d’un ciel bleu qui ne durera pas, je marche au hasard dans les rues pavées, découvrant ainsi l’Hôtel de Boisbilly, ancienne résidence du chanoine éponyme, où habita aussi, début des années cinquante, Polig Montjarret, « le père des bagadoù ». Je passe ensuite devant la maison natale de René Madec qui fut au dix-huitième siècle « Nabab de 1ère classe dans l’Inde ».
Bientôt j’atteins le Steïr, affluent de l’Odet, que je remonte un moment par un chemin paisible de Grande Randonnée. Dans cette jolie rivière nagent la truite fario et le saumon atlantique, en toute discrétion.
Arrivé à un rond-point, je rebrousse et, faute de café pour m’accueillir, je vais lire le Journal des Goncourt sur un banc au soleil contre les vestiges des fortifications qui entouraient la ville. Passent devant moi des familles dont je mets un moment à comprendre qu’elles vont à la messe.
Quand les nuages apparaissent, en l’absence de bus, je remonte à pied la méchante côte qui mène à mon chez moi temporaire. L’après-midi sera à la pluie.
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Ne pas confondre le Steïr, affluent de l’Odet et le Ster, petit fleuve côtier situé dans la commune de Plobannalec-Lesconil, précise Ouiquipédia
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Outre Max Jacob, René Laennec et René Madec, sont également nés à Quimper : Jacques Villeglé (rien vu de lui au Musée) et Dan Ar Braz (il y vit toujours). Pierre-Jakez Hélias y est mort. Julien Gracq y a vécu.
 

23 mai 2021


Chaque jour en descendant en ville je passe devant l’Hôtel de Police et ce samedi un peu après huit heures j’y entre. Sans le moindre scrupule, je signale au fonctionnaire de service le non-respect des consignes sanitaires au restaurant Chez Max avec ses tables pliantes rajoutées sur les côtés. « On va aller y faire un contrôle ce midi », me dit-il. On ne me traite pas comme l’a fait hier le patron de ce restaurant sans que je réagisse.
En raison des averses récurrentes, le Café de la Cathédrale a doublé le nombre de ses tables sous l’auvent. Je préfère aller prendre mon allongé viennoiseries au Café du Finistère où je peux être à plus grande distance du voisinage. J’y reste à lire les Goncourt jusqu’à neuf heures et demie, quand ouvre juste à côté le Musée des Beaux-Arts.
Il est gratuit jusqu’au sept juin et surtout on y entre sans réservation. Il peut accepter cent soixante visiteurs mais j’y suis seul. Ce Musée ne présente pas d’œuvres exceptionnelles. On y trouve néanmoins un Corot, des Boudin, L’Oie de Gauguin et des toiles de l’Ecole de Pont-Aven. La salle Max Jacob est malheureusement fermée.
J’ai un faible pour une statue représentant une jeune femme aux petits seins nus de René Quillivic. Il s’agit de L’Appel aux marins. Elle a été créée pour le Pavillon des Chemins de Fer de l’Exposition des Arts Décoratifs de mil neuf cent trente-sept à Paris mais n’y a jamais été exposée (les petits seins nus y sont peut-être pour quelque chose). J’apprécie aussi une peinture endiablée de mil neuf cent vingt-trois signée Pierre de Belay La Fête du 14 juillet en Bretagne. Elle appartenait, avec quatre autres, également acquises en vente publique par ce Musée, à l’Hôtel Kermoor de Bénodet.
Nous ne sommes pas plus de cinq au moment où je quitte les lieux pour longer l’Odet jusqu’à la Gare afin de retirer à l’automate le nouveau billet de retour que j’ai dû acheter suite à l’annulation par la Senecefe du train dans lequel j’avais réservé.
En face de cette Gare est la brasserie L’Ilot Saveur où un café en terrasse ne coûte qu’un euro cinquante. J’y suis bien pour continuer ma lecture tandis qu’aux tables voisines un sexagénaire ventru engage la conversation avec une jeune femme à valise en ciré jaune :
-Ah moi, j’ai aucune arrière-pensée, rien du tout, lui dit-il.
Il me serait loisible de déjeuner ici mais le risque d’une averse est trop grand. La pluie chassée par le vent rendrait l’auvent inopérant. C’est donc à la maison que je me sustente, fenêtre ouverte sur la forêt. De temps à autre une ondée s’abat. Cela n’empêche pas les oiseaux de chanter.
                                                                        *
Egalement au Musée des Beaux-Arts de Quimper : un immense Degottex mal accroché (dans un couloir derrière un plâtre de Rodin) et Portrait de La Goulue de Louis Anquetin, bizarrement présenté à l’horizontal dans une vitrine. « Pourquoi donc ? », demandé-je à la gardienne. « Je sais pas du tout », me répond-elle.
 

22 mai 2021


Ce vendredi matin, le temps n’est pas celui annoncé. Il est davantage aux éclaircies qu’à la pluie. Aussi décidé-je, arrivé en bas de ma côte, de prendre à gauche les marches de béton qui permettent d’accéder à la « Promenade du Mont Frugy ». C’est un chemin forestier de « Grande Randonnée » bien aménagé. On y surplombe l’Odet et derrière lui la ville entière, vue imprenable sur la Cathédrale.
Ce chemin aboutit à Locmaria, le berceau de la ville à l’époque gallo-romaine, où l’on trouve une massive église romane, son prieuré, la Faïencerie Henriot-Quimper, le Musée de la Faïencerie, l’Ecole de Broderie Pascal Jaouen et son espace d’exposition. Tout est fermé à cette heure matutinale. Je n’en suis pas marri, n’étant amateur ni de broderie ni de faïence.
Mon retour vers le centre historique actuel s’effectue par le chemin de halage qui longe l’Odet. Je passe à La Mie Câline pour les viennoiseries puis m’installe au soleil à la terrasse du Finistère. Je peux y lire les Goncourt jusqu’à ce que le vent se mette à renverser les chaises inoccupées.
Où déjeuner en ce jour passablement agité ? Le restaurant Chez Max, qui occupe la maison natale de Max Jacob, rue du Parc, près de l’Odet, possède dans sa cour une terrasse qui a l’avantage d’être entourée de murs. Je vais y réserver une table que je souhaite à l’abri de la pluie. Pas de problème, me dit le patron, on a investi dans les auvents.
J’attends midi avec un autre café lecture place Terre-au-Duc, au Steïr, du nom de l’affluent de l’Odet qui coule à côté. L’expresso y est à un euro quatre-vingts. Quimper est chère, à moins que ce soit le prix partout après plus d’une année de guerre. Je verrai quand je bougerai d’ici.
A midi un couple avec moutard en poussette me précède dans la cour de Chez Max. Ils n’ont pas réservé. Le patron leur ajoute une table contre un mur, hors consignes sanitaires et hors protection contre les averses. Quand il se tourne vers moi, c’est pour me proposer la même chose. « Vous m’aviez dit ce matin que j’aurais une place à l’abri », lui fais-je remarquer. « Vous n’êtes pas content ? Allez manger ailleurs », me répond-il agressivement. « Avec plaisir », lui dis-je.
Pauvre Max Jacob, dont le destin fut si tragique, il est bien triste que sa maison d’enfance soit occupée par un gougnafier.
                                                                        *
Par coïncidence, de retour à mon logis où je déjeune succinctement, j’apprends de mon fidèle lecteur breton que la Maison de Max Jacob, devenue le restaurant Chez Max en deux mille douze, devait être mise aux enchères le seize juin. Les propriétaires ayant fait appel de cette décision, la vente est repoussée à une date ultérieure.
                                                                       *
Si j’apprends un jour que l’actuel patron de Chez Max (qui est là depuis juin dernier) est expulsé, je reprendrai deux fois des moules.
 

21 mai 2021


Le ciel est gris mais pas encore de pluie lorsque ce jeudi matin je descends la côte de Pen Ar Stang que j’ai pris la décision de ne plus remonter à pied (trop dur pour le vieux que je suis). Au Café de la Cathédrale, Corentin me salue comme un connu de la maison. J’y petit-déjeune à l’abri du vent puis ouvre le gros volume du Journal des affreux Goncourt.
C’est calme, rien à voir avec la réouverture de la veille (une journée du désir mimétique). Cet endroit est aussi un tabac. J’y achète une carte de bus dix voyages, pour remonter la côte.
Vers dix heures je traverse le parvis et entre dans la Cathédrale Saint Corentin (premier évêque de Quimper). Un sens de visite y est imposé, que j’accepte benoîtement. Le circuit terminé, je gagne le quartier des Halles et réserve une table au Barococo, quai du Port au Vin. « A midi et à l’abri », demandé-je au patron. « Comment vous m’avez dit ? Kerdrial ? », me dit-il. On aurait tôt fait ici de faire de moi un Breton.
Cela assuré, je vais à côté, au Bar des Amis, pour un autre café lecture. C’est un troquet d’habitués contents de s’y retrouver sans la foule de la réouverture. C’était chaud hier soir, le patron a eu du mal à faire régner l’ordre, entre ceux qui prétendaient être servis debout et celles qui s’asseyaient sur les genoux de leurs copines. « T’as vu à Rennes, le bordel que ça a été rue de la Soif, lui dit un autre Michel, y a eu des palettes de brûlées, les flics sont venus avec leur gaz lacrymogène ».
A midi, au Barococo, j’ai une table sous un auvent bien costaud. Pas de menu, ni de formule en ce lieu, je me contente du plat du jour, une bavette d’aloyau sauce échalote pommes grenaille que j’accompagne d’un verre de Saint-Nicolas. C’est rapidement complet. Quand une averse se déclenche, certains, mal abrités, doivent ouvrir le parapluie. Après avoir réglé mes seize euros soixante-dix, je passe par les toilettes des messieurs. Elles sont du meilleur goût : une bouche féminine bien ouverte, aux lèvres roses.  
J’entre ensuite, à côté du Bar des Amis, dans une allée commerciale ruinée, au sous-sol de laquelle est un Carrefour City. J’y achète de quoi tenir le ouiquennede de Pentecôte sans avoir à faire la cuisine au cas où le temps annoncé bien pourri me bloquerait sur mon sommet.
Il ne pleut plus quand je réapparais à l’air libre avec mon sac de courses. Après avoir marché jusqu’au bas de la côte, j’attends un bus A. Il arrive assez vite. J’en redescends à l’arrêt suivant. Jamais encore je n’ai pris un bus pour une si courte distance, mais au moins je ne risque pas la crise cardiaque.
                                                                  *
Que de zonard(e)s déglingué(e)s dans cette ville de Quimper, à la recherche d’« un brin de monnaie » pour aggraver leur état. Longtemps que je n’en avais vu autant.
                                                                  *
Que d’abominations écrivent Jules et Edmond. Ceci, datant de l’année mil huit cent cinquante-deux :
De Lurde et Siméon, un autre haut fonctionnaire, sont à causer très sérieusement. Une personne, qui les avait interrompus, dit : « Vous êtes en affaire, je vais me retirer. – Oui, nous étions en discussion pour savoir si on doit porter des décorations au bordel ou non. Moi, je dis que non ; Siméon dit que si. Il dit qu’on vous fait donner des femmes qui n’ont pas la vérole. »
 

20 mai 2021


Ma première nuit quimpéroise est bonne. Ce sont les oiseaux qui me réveillent. Le temps s’avérant meilleur qu’attendu, je descends sans tarder la côte qui mène à l’Odet. Je le traverse par l’une de ses nombreuses passerelles et arrive sur le parvis de la Cathédrale Saint Corentin, m’enquérant auprès des autochtones d’une boulangerie. Leur réponse est la même, aucune digne de ce nom dans le centre, que La Mie Câline près des Halles. J’y achète croissant et pain au chocolat puis m’installe à la terrasse du Bistrot de la Cathédrale face à icelle pour commander un allongé (un euro soixante-dix). Le serveur s’appelle Corentin (à quand un Maclou pour servir à Rouen face à l’église Saint Maclou ?). Il est tout excité.
-Ça fait du bien de reprendre, me dit-il.
-Oui, des deux côtés.
Hormis moi-même ne sont là des habitué(e)s. On est content de retrouver le patron qui a pris onze kilos pendant l’inaction. Bien que l’on soit à l’ombre, je m’attarde pour attaquer la relecture du premier tome du Journal des Goncourt. Une journaliste d’Ouest France passe demander leurs impressions à deux filles rieuses.
Le ciel est à presque bleu quand je vais voir de plus près quelques maisons typiques. Je passe à l’Office du Tourisme dont je suis le seul client afin de me documenter pour la suite puis je bois un deuxième café (un euro quatre-vingts), au soleil cette fois, au Café du Finistère qui prend la Cathédrale par le travers. J’y peux lire un bon moment avant de chercher un endroit où déjeuner.
Là, c’est compliqué. Quimper manque de ressources dans ce domaine. De plus, certains restaurants à terrasse n’ont pas rouverts. D’autres ont toutes leurs tables réservées  Je trouve refuge au Bar des Amis près de Halles où l’on ne sert que le plat du jour : un émincé de bœuf frites maison que j’accompagne d’un verre de syrah (quatorze euros vingt). Au moins suis-je vaguement nourri quand je quitte les lieux.
Longeant l’Odet, je me rends à la Gare Routière. J’y achète dix tickets de cars BreizhGo pour vingt euros puis retourne au Bistrot de la Cathédrale pour un autre café lecture. Un vingtenaire situé derrière moi offre un gros pourboire pour la réouverture, si gros que le patron veut le refuser, avant de finalement dire oui. Hélas, il s’en vante quand arrive un de ses copains. Cinquante euros. Le ciel s’est à demi couvert. Demain un peu de pluie est annoncée puis beaucoup avec un gros vent pour la Pentecôte. Qui verra vivra, comme disait Perros, le gars d’une ville d’à côté.
                                                                              *
Le mont Frugy domine Quimper. Je ne l’avais même pas vu lors de mes précédents passages. Là, je le sens dans mes jambes quand je remonte à mon logis temporaire. J’y arrive totalement essoufflé.
Du studio, je vois une partie de la forêt de ce mont Frugy. Elle a été saccagée par un ouragan en octobre mil neuf cent quatre-vingt-sept. Gilles Servat évoque cet évènement dans sa chanson, Route de Kemper, que m’a fait découvrir un fidèle lecteur, par ailleurs breton.
                                                                              *
La Senecefe m’apprend que mon voyage retour « est supprimé suite à l'adaptation du plan de transport ». Comme cette chose est joliment dite.
Je dois prendre un nouveau billet pour le même jour. Il est à quarante-six euros quatre-vingt-dix. L’annulé était à trente-trois euros vingt.
Après mon voyage aller, qui s’est bien passé, la Senecefe m’a envoyé une enquête de satisfaction (que j’ai supprimée sans y répondre). Là, elle ne se risque pas à me demander si je suis satisfait.
 

19 mai 2021


Levé à quatre heures ce mardi. Un bus Teor puis le Métro pour échapper aux averses. Un train Morin de Rouen à Paris. Neuf mais qui vieillira vite, avec des tas de portes coulissantes qui ne servent à rien. Une heure trente pour rejoindre Saint-Lazare, c’est la nouvelle norme. Collés serrés (mieux qu’en discothèque) sur la ligne Treize pour rejoindre Montparnasse. Bigrement en avance pour mon Tégévé. Il part complet. Gwen est notre cheffe de bord. La lecture de ma voisine : Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, Déjà des genêts. Eoliennes et colza. La plupart des voyageurs descendent à Rennes. Fin de la grande vitesse. Vannes, où monte la Police Ferroviaire, souvenir du Homard Frites. Auray, souvenir de Saint-Goustan. Lorient, souvenirs plus anciens. Me voici à Quimper dont je connais (un peu) le centre historique.
J’ai en tête le plan pour rejoindre mon studio Air Bibi. Une surprise de taille : la méchante côte où il me faut tirer ma valise. A l’arrivée, je dois passer par la rocaille du jardin, pour cause de ravalement de façade. Me restent encore l’angoisse de la boîte à clés : ouf elle s’ouvre, et l’angoisse de la ouifi : ouf elle fonctionne.
Je n’aime pas voyager. J’aime être arrivé.
 

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