Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En lisant les Cahiers 1918-1937 du comte Kessler

4 novembre 2014


Harry Kessler, comte de son état, fut diplomate entre les deux guerres mondiales et grand amateur d’art. Ses Cahiers 1918-1937, publiés aux Cahiers Rouges chez Grasset, l’une de mes lectures d’été passé, sont une passionnante plongée dans l’Allemagne d’entre l’insurrection spartakiste et le triomphe des nazis.
Extraits choisis :
Toute éducation est une entreprise d’oppression, de même que le pouvoir exercé par un Etat, quel qu’il soit. Education, société, Etat, ne servent qu’à sublimer et raffiner les formes brutes de la violence. Ce n’est pas une différence de nature, mais de forme et de degré. Berlin, vendredi sept février mil neuf cent dix-neuf
L’après-midi chez George Grosz. Tout son art, dans son culte exclusif de la laideur de la bourgeoisie allemande, toute sa peinture est l’antithèse de l’idéal de beauté que Grosz cache secrètement en lui-même, avec pudeur. Berlin, vendredi sept juillet mil neuf cent vingt-deux
A dix heures, voté dans la Linkstrasse. Matin humide et froid. Il tombe une pluie fine qui vide les rues. Sur la Potsdamer Platz, seulement quelques jeunes avec des croix gammées, armés de solides gourdins, blonds et bêtes comme des veaux. Berlin, dimanche vingt-six avril mil neuf cent vingt-cinq
J’ai dit avec tristesse adieu à mon tableau des Poseuses de Seurat, que j’ai été obligé de vendre pour 100 000 marks en Ecosse. Berlin, lundi premier mars mil neuf cent vingt-six
… j’avais promis à Nabokov de lui rendre visite. Je le trouvai dans une pension minable située derrière le Panthéon, 3, rue de l’Estrapade. Des escaliers mal entretenus, nauséabonds, une chambre minuscule, avec un piano, un divan en désordre, sur lequel il devait dormir, une chaise et quelques photographies au mur. Il s’en dégageait une impression de misère hideuse, que dans le monde, son savoir-vivre, son extérieur soigné, son attitude de grand seigneur ne laissait pas soupçonner. Néanmoins, il me reçut sans la moindre gêne, comme s’il m’accueillait dans son château. Puis il joua une cantate qu’il avait composée sur des vers de Lomonosov. J’étais profondément ému, le contraste entre l’œuvre géniale et le misérable décor était saisissant, pareil à celui que j’avais connu chez Munch autrefois à Berlin. Paris, dimanche six juin mil neuf cent vingt-six
Hier soir, la malheureuse Isadora Duncan a été étranglée en auto par sa propre écharpe, qui s’était enroulée sur une roue arrière. Une mort tragique et fatidique : l’écharpe, qui jouait dans sa danse un rôle si important, lui a donné la mort. Son accessoire et son esclave lui a donné la mort. Paris, jeudi quinze septembre mil neuf cent vingt-sept
Pendant la cérémonie, Brecht a présenté mon livre dont il a lu un fragment. J’avais constamment devant moi le visage de Franz Mendelssohn, complètement bouleversé par la mort de sa fille. Berlin, dimanche vingt-quatre juin mil neuf vingt-huit
Discuté avec Maillol de son voyage à Londres pour son exposition. Il pose comme condition d’être accompagné par Lucien ou par moi, car il n’aime pas voyager seul, et comme sa femme est toujours de mauvaise humeur, pas question qu’elle vienne avec lui. Paris, mardi vingt-huit août mil neuf cent vingt-huit
J’ai fait la connaissance de Brecht, une tête remarquablement décadente, presque une physionomie de criminel, cheveux noirs très foncés, yeux noirs, peau basanée, presque le visage du bandit type toujours aux aguets. Mais quand on lui parle, il sort de sa réserve, devient presque naïf. Berlin, mardi trente octobre mil neuf cent vingt-huit
Après la séance, j’ai attendu Diaghilev dans les couloirs derrière la scène. Il est venu en compagnie d’un petit garçon maigre dans un manteau usé, et il a dit : « Vous ne le connaissez pas ? » Moi : «  « Non, vraiment, je ne me souviens pas. » Diaghilev : «  mais c’est Nijinski ! » (…)
Avec difficulté et lentement nous avons descendu les trois étages qui semblaient sans fin, pendant qu’il s’appuyait lourdement sur nous deux… Paris, jeudi vingt-sept décembre mil neuf cent vingt-huit
Ouverture du Reichstag. Pendant tout l’après-midi et le soir, d’importantes manifestations de masse de nazis dans la Leipziger Strasse où ils ont cassé les vitrines des magasins de Wertheim, Grunfeld, etc. Le soir rassemblement sur la Postdamer Platz, hurlements : « Allemagne ! Réveille-toi ! Crèvent les juifs ! Heil ! Heil ! » La police essayait de les disperser… Berlin, lundi treize octobre mil neuf cent trente