Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

8 février 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset).
Jean-Michel voulait aller à la soirée de Jermaine Jackson au Limelight. Nous y sommes allés (taxi $7). C’était une de ces soirées où les videurs ont le genre mafioso idiot et ne reconnaissent personne. Jean-Michel nous a emmenés du mauvais côté. Ils nous ont dit de dégager et il a fait : «  Maintenant tu vois ce que c’est d’être noir. » (Dimanche cinq août mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Jean-Michel  ne voulait pas aller à Rounds (le truc pédé sur 53e et 2e). Il a appelé ce matin pour me dire que dans le temps, quand il n’avait pas d’argent du tout, il faisait des passes pour se faire 10 dollars, et qu’il ne voulait pas s’en souvenir. (Mardi sept août mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Jane Fonda a appelé et j’ai pris l’appel. C’était une erreur : elle veut toujours quelque chose. (Lundi treize août mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Toute l’après-midi nous avons attendu que Stuart Pivar appelle. Michael Jackson était censé l’appeler pour venir voir les Bouguereau. (…) C’est drôle, ce sont les tableaux idéaux pour Michael Jackson –des garçons de dix ans avec des ailes de fées, à côté de belles femmes. (Lundi premier octobre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Nous sommes allés dans la chambre de Sean. Il y avait un gamin qui montait l’ordinateur Apple que Sean avait reçu comme cadeau, le Macintosh. J’ai dit qu’une fois un type m’avait appelé pour m’en donner un, mais que je n’avais jamais rappelé. Le gosse m’a regardé et a dit : « Oui, c’est moi. Je suis Steve Jobs. » (Mardi neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Il est si difficile de parler avec Jean-Michel. Il tombe amoureux des serveuses, alors il se tait et les observe. Alba a dit que la fille qui s’occupait de ses enfants en pinçait pour Jean-Michel (déjeuner $90). Après, nous sommes rentrés avec elle à son appartement pour que Jean-Michel puisse rencontrer la fille, Monica. Mais elle était sortie avec les gosses (Dimanche quatre novembre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Oh, j’oubliais, j’ai reçu une lettre de ma nièce Eva de Denver qui disait : « Dieu te bénisse, et au fait je t’ai volé des dessins il y a dix ans, tu veux que je te les rende ? » Vers 1970, quand elle vivait ici pour s’occuper de ma mère. Elle m’a dit qu’elle avait enroulé quelques-unes de mes « Fleurs » pour les emporter. Depuis, elles moisissent au sous-sol. (…) Et mon neveu Paul est toujours à Denver –l’ex-prêtre qui a épousé l’ex-bonne sœur, ils ont deux enfants. (Vendredi dix-neuf avril mil neuf cent quatre-vingt-cinq)
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C’est en lisant ce Journal d’Andy Warhol que j’ai mis un nom sur ma propension à être séduit par les jeunes serveuses dans les cafés et les restaurants : le syndrome de Jean-Michel Basquiat.
 

7 février 2017


C’est sous le titre « Bal masqué » que l’Opéra de Rouen propose ce samedi soir un concert de musique de chambre consacré à Camille Saint-Saëns et Francis Poulenc. J’y suis au dernier rang de corbeille devant les loges.
En première partie la Sonate pour basson et piano de Saint-Saëns puis le Trio pour hautbois, basson et piano de Poulenc permettent d’entendre à loisir cet instrument ingrat qu’est le basson, ici tenu par Batiste Arcaix (chaussures à talonnettes).
Après l’entracte, je suis davantage conquis par la Sonate pour clarinette et piano de Saint-Saëns dont l’allegretto m’est familier car il était l'indicatif de Mémoires de siècle sur France Culture. La clarinette est entre les mains de Naoko Yoshimura (robe longue bien choisie).
Pour finir est interprétée Bal masqué, cantate profane sur des poèmes de Max Jacob de Poulenc, une musique carnavalesque. Les poèmes sont chantés par le baryton Marc Scoffoni. Ils auraient mérité un surtitrage. Malgré cela, c’est un bon moment qui suscite suffisamment d’applaudissements pour que la Finale soit bissée.
Au bout de vingt minutes que dure le Bal masqué, le public doit être stupéfait et diverti comme les gens qui descendent d’un manège de la Foire du Trône. écrivit Francis Poulenc dans son Journal. Je dois être très bon public car à la sortie je tombe dans l’escalier, et pas qu’à moitié. Une femme crie. Un homme m’aide à me relever. Je n’ai pas le moindre mal, mais cela aurait pu être une clavicule cassée comme à Espelette ou bien pire, « Bal tragique à l’Opéra de Rouen : un mort ».
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Paris Normandie fait le point après un an d’ouverture de la Chapelle Corneille dont la programmation est sous deux responsabilités : celle de l’Opéra de Rouen qui dépend de la Région (aux mains de la Droite) et celle de l’Etincelle, la structure créée par la ville de Rouen (aux mains de la Gauche) après qu’elle a fermé le Hangar Vingt-Trois. D’où des bisbilles politiciennes, mais c’est surtout du côté de la qualité sonore que ça pêche.
La grosse boule suspendue, censée résoudre les problèmes d’acoustique, brille de tous ses feux mais pas par son efficacité, comme l’expriment les personnalités interrogées par la journaliste Sandrine Grosjean :
« L’acoustique est très bien, un peu moins au fond de la salle. Jusqu’au quinzième rang, ça va. Au-delà, le son est un peu brouillon. » (Frédéric Roels, actuel Directeur de l’Opéra)
« Ibrahim Maalouf sur un ensemble de cuivres hyper fort, ça le fait pas » « Que ce soit en classique, en jazz ou en musique baroque, il y a des répertoires qui marchent, d’autres moins bien. » (Sébastien Lab, Directeur de L’Étincelle)
« A capella, ça passe bien, comme ça a toujours été le cas à la Chapelle Corneille. Mais on m’a dit qu’à partir d’un certain rang, la voix ne passe plus, à cause de la forte réverbération. » Laurence Equilbey, (Cheffe du chœur accentus)
« Dès que vous êtes au huitième ou au dixième rang, la qualité d’écoute est nettement réduite. Mais pour moi, c’est une acoustique tout à fait correcte, qui reste une acoustique d’église : on ne peut pas faire des miracles ». (Mathieu Dranguet, Président de l’association des Publics de l’Opéra de Rouen)
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Si l’on ajoute que dans cette église, les sièges ne sont pas en amphithéâtre, on voit ce qu’on a perdu à préférer une restauration patrimoniale coûteuse à la construction d’une salle faite pour la musique.
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En annexe de l’article de Sandrine Grosjean, les chiffres plutôt faiblards de la fréquentation :
Lors de la première saison, les dix-neuf concerts programmés par l’Opéra de Rouen n’ont eu que quatre cent quinze spectateurs en moyenne. Le festival des quatuors, quant à lui, n’a attiré que deux cent six spectateurs en moyenne lors de ses huit concerts.
Pour la saison Seize Dix-Sept qui comprend trente concerts (dont cinq séances scolaires), la moyenne à ce jour est à la baisse : deux cent quatre-vingt-sept spectateurs.
 

6 février 2017


Retour à l’Opéra de Rouen ce jeudi soir sans devoir y attendre longuement ni ensuite avoir à se précipiter pour une bonne place. Le concert est organisé par la maison, les places numérotées. Je suis en corbeille, quatre rangs derrière celui réservé au staff et à ses invités. L’un d’eux, dont la photo figure dans le livret programme, est assis à la gauche de Frédéric Roels, Directeur Artistique et Général (plus pour longtemps). Il s’agit de Meinrad Schmitt, compositeur bavarois né en mil neuf cent trente-cinq.
L’Orchestre est dirigé par Rudolf Pielhmayer, lui aussi bavarois, dont le costume est une sorte de queue de pie de là-bas. C’est d’abord Blumine, extrait de la Symphonie numéro un de Gustav Mahler, puis Catherine Hunold chante Einsamkeit (Solitude), un poème de Johann Mayhofer mis en musique par Franz Schubert.
-Elle chante très bien mais ce n’est pas une soprane, c’est une mezzo, dit mon voisin contestant ce qui est écrit dans le livret programme.
-C’est maintenant que ça risque de se gâter, déclare l’une assise dans la loge derrière moi.
Encore une qui redoute la musique contemporaine. « Verwishte Spuren » (Traces brouillées), inspiré par l’Einsamkeit de Schubert, est une commande faite à Meinrad Schmitt par l’Opéra de Rouen et est donc donné en création mondiale. L’inquiète de derrière n’avait pas à l’être, cette musique n’a rien de révolutionnaire, ni même d’innovant. Elle aurait pu être écrite il y a plus d’un siècle. Elle n’en est pas moins agréable à entendre.
A l’issue son auteur, voûté et marchant d’un pas vif monte sur scène. Il est chaleureusement applaudi.
Après l’entracte, Catherine Hunold revient pour interpréter Ich bin der Welt abhanden gekommen (Je me suis retiré du monde), un poème de Friedrich Rückert mis en musique par Gustav Mahler, puis c’est la Symphonie numéro cinq en si bémol majeur de Franz Schubert.
Rudolf Pielhmayer a beau se démener et même sauter en l’air de temps à autre, je trouve la prestation de l’Orchestre un peu molle et sans relief.
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De l’influence de la tenue vestimentaire du maestro sur l’interprétation d’une œuvre ou sur la façon dont le public la reçoit, ce pourrait être l’objet d’une étude que ferait quelqu’un de plus qualifié que moi.
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Ce jeudi après-midi, je renoue avec Détéherre, la plus grande bouquinerie rurale de Normandie, grâce à l’une de ses responsables qui m’a trouvé un covoiturage. Rendez-vous à quatorze heures devant la pharmacie du bas de la rue de la République avec la conductrice d’une Fiat Punto bleue. Retour à la maison avec un sac de livres.
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Qu’apprends-je le matin de ce même jour sur France Culture ? Le Journal de Matthieu Galey publié en deux volumes chez Grasset est incomplet. Il ne fallait pas heurter certaines personnes encore vivantes lors de sa parution. Une nouvelle édition, intégrale, vient de sortir chez Bouquins/Laffont, qu’il faudra absolument que je me procure, un jour ou l’autre.
 

4 février 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset):
Jean-Michel (Basquiat) m’a dit qu’il ne voulait pas emmener Paige à Vassar avec lui parce qu’il voulait baiser des filles là-bas. Quand je suis rentré à la maison, il y avait un message de Robert Hayes disant que Paige était devenue folle parce que Jean-Michel n’était pas passé la prendre. C’était cruel. Je lui ai dit que c’était la vie et qu’on irait boire un verre. (Vendredi vingt et un octobre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Richard (Gere) a dit que s’il avait tout l’argent qu’il voulait, il achèterait tous les tableaux de Balthus, celui qui fait ces petites filles qui sourient comme après avoir baisé. (Dimanche treize novembre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Suis arrivé au bureau. J’ai appelé Jean-Michel. Il est venu et a peint sur une peinture que j’avais faite. Je ne sais pas si ça l’a améliorée ou pas. (Mardi dix-sept avril mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Mon visage est ravagé par les boutons. Je paie le fait de ne pas être allé à l’église à Pâques. (Lundi vingt-quatre avril mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
J’en ai tellement marre de la façon dont je vis, de toutes ces merdes et de toujours en ramener davantage à la maison. Rien que des murs blancs et un sol propre, c’est tout ce que veux. Je veux dire, pourquoi les gens possèdent-ils quelque chose ? C’est vraiment stupide. (Mercredi deux mai mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
C’était Vicky Vanini qui a été mariée à Peppo Vanini, maintenant elle est devenue l’actrice Victoria Tennant ! Et moi j’étais là à la regarder de l’autre côté de la table sans la reconnaître depuis une heure. Pas étonnant que les gens pensent que je suis drogué. (Jeudi vingt-quatre mai mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Messe à 11 heures. Je grince toujours des dents quand on en arrive à « que la paix soit avec vous », et qu’il faut serrer la main du voisin. Je veux toujours partir avant. Ou bien je fais semblant de prier. (Dimanche trois juin mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Les communications dans les téléphones publics sont passées à 25 cents. Je vais tout simplement arrêter de téléphoner. (Lundi deux juillet mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
 

3 février 2017


Il y a déjà une longue file d’attente devant la grille de l’Opéra de Rouen quand j’arrive ce mercredi soir. Je me mets au bout, près d’une fille qui explique par téléphone à sa copine comment venir du Cent Six où elle est allée par erreur jusqu’à l’Opéra qui accueille le concert de Vincent Delerm (piano voix).
Bientôt la file atteint le quai haut et doit bifurquer le long dudit puis se heurtant aux rails du métro elle se poursuit dans l’autre sens. Corneille est cerné mais n’en reste pas moins de pierre. Des employés de l’Opéra viennent mettre un peu de désordre en demandant la constitution de deux files, une devant chacune des deux portes. J’y gagne quelques places.
A l’ouverture, les deux files se reconstituent devant les portes de la salle. J’opte pour l’impaire gardée par une courageuse ouvreuse. Chacun peste contre l’attente. A vingt heures, le feu vert est donné. L’ouvreuse n’a alors qu’un objectif : ne pas être emportée par la ruée. Je laisse courir. Ma connaissance du lieu me fait choisir l’une des places de premier rang de corbeille côté jardin. Côté cour, ces places sont réservées aux invités, les amis et la famille, dont les parents de l’artiste que je n’avais pas recroisés depuis notre voyage en commun dans le bus parisien numéro vingt un mercredi matin.
Qu’est devenu Vincent Delerm (quarante ans maintenant) que je n’ai pas revu sur scène depuis ses débuts (une fois à Rouen dans le Jardin de l’Hôtel de Ville, une autre à Deauville dans le manège d’un haras le soir de son anniversaire). C’est pour le savoir que je suis là ce soir. Son premier disque (piano voix) m’avait séduit, les suivants m’ont déçu avec leurs chansons moins bien écrites et surtout pour certains le piano remplacé par un accompagnement musical sirupeux dans le genre du pire d’Aznavour. Où en est-il aujourd’hui alors qu’il renoue avec le piano voix ?
Vincent Delerm entre, salue et s’assoit face à l'instrument. Il chante devant un décor de fond de scène un peu foutraque et des projections vidéo qui lui permettent parfois de dialoguer avec le public par écrit. Il manie l’humour et ne se prive pas de quelques expérimentations participatives avec le public sur le thème du sentiment. Il n’est pas seul. Un complice est assis devant un autre clavier au fond dans la pénombre.
Je peux vérifier que ses chansons récentes ne valent pas les premières. Beaucoup se résument à des énumérations qui certes évoquent un souvenir mais ne donnent pas naissance à une petite histoire bien ficelée comme il savait en écrire alors qu’il habitait Rouen, rue des Requis. Cet amateur de foute (la faute à son éducation) a joué en première division une seule saison. Depuis il est en deuxième division, ce qui est encore bien mais plus très bien. Je n’en passe pas moins une bonne soirée.
A un moment, Vincent Delerm nous demande de choisir lesquels on veut entendre parmi ses succès. Les trois élus sont du début. « Je vois que j’ai bien fait de continuer à faire des disques après le premier », constate-t-il avant de jouer les premières notes de Fanny Ardant et moi.
Pour la fin du concert et les rappels, il se centre sur ses origines géographiques avec son anaphorique Je suis le garçon et son panoramique Voici la ville.
-Il faut quand même que je vous dise que le concert de ce soir a failli ne pas avoir lieu. Le camion de matériel a eu un grave accident ce matin. Le chauffeur et le piano en sont sortis indemnes, mais pas le décor. S’il est un peu de travers, ce n’est pas suite à un goût particulier que j’aurais.
Après plusieurs ovations debout, la chanson de l’ultime rappel est Tes parents dans une interprétation un peu chaotique. Un facétieux spectateur du balcon, au lieu de la question attendue Alors Vincent! Quand est-ce que vous faites un disque?, lui lance :
-Alors Vincent ! Quand est-ce que tu prends des cours de chant ?
Il se fait un peu huer.
-Laissez, laissez, tout le monde a droit de s’exprimer. Monsieur a dû avoir une invitation.
Vincent Delerm disparaît dans la coulisse, une main levée, d’un petit saut de pied.
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Une constatation : le piano est un instrument qui supporte mal l’amplification du son par l’électricité.
 

2 février 2017


Ayant acheté une place non numérotée pour le concert de Vincent Delerm (piano voix) ce mercredi soir, après avoir appris seulement ce mardi que le Cent Six (salle de musiques zactuelles) proposait désormais des concerts à l’Opéra de Rouen, remplaçant la stabulation libre dans son hangar par une confortable assise dans une vraie salle de spectacle, j’espère que mon train du retour de Paris ne sera pas de ceux qui arrivent en retard à Rouen et je ne peux m’empêcher d’être un peu inquiet à l'heure où je me lève.
Celui de l’aller, un sept heures cinquante-neuf, va bien son chemin. J’y commence la lecture des Lettres de Gertrud Kolmar, cousine de Walter Benjamin qui mourra à Auschwitz en mil neuf cent quarante-trois. Le préfacier, Hanns Zischler, a l’art de la concision quand il évoque la vie de l’écrivaine : Pendant la Première Guerre mondiale, Gertrud fait la connaissance d’un homme et de l’amour –ses parents l’obligent à avorter.
Ce soir j’ai peur affiche le titre de l’un des livres à un euro qui attire mon œil chez Book-Off. Il est signé Annie Saumont dont j’ai appris la mort ce matin avant de quitter la maison. Elle avait quatre-vingt-neuf ans. J’ai aimé les premiers textes de cette nouvelliste, réputée pour sa façon de narrer et son style, avant de m’en lasser. Au rayon des livres de poche, le titre d’un autre Annie Saumont se veut rassurant : C’est rien ça va passer.
Il fait bon dans la capitale. Cet avant-goût de printemps m’invite à aller de rue en rue pédestrement. Devant la Mairie du Onzième, j’échappe de peu à une embuscade tenue par un cameraman et un porteur de micro muni d’une photo en couleur du candidat écologiste pour la Présidentielle. « Bonjour, est-ce qui vous connaissez Yannick Jadot ? ». C’est une jeune femme d’origine asiatique, moins rapide que moi dans l’esquive, qui se fait attraper.
« Vous aimez les oiseaux, ne les nourrissez pas », m’enjoint la Mairie de Paris dans le square Maurice-Gardette où je m’assois quelque temps sur un banc en attendant midi et un déjeuner au Palais de Pékin.
Pas plus que dans le premier, on ne solde dans le second Book-Off. Cela me fait songer aux vêtements que je devrais avoir le courage d’aller acheter avant le vingt et un février.
Le train de dix-sept heures vingt-cinq, dans lequel je m’installe chargé de livres, part au moment indiqué mais il va de ralentissement en ralentissement et arrive à Rouen avec dix minutes de retard. Je n’ai que le temps de poser mes sacs à la maison et de boire un verre d’eau avant de filer à l’Opéra dont les portes doivent ouvrir dans un quart d’heure.
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Une bonne dose de patience et de la diplomatie, c’est ce qu’il a fallu à la guichetière du Cent Six quand j’y suis arrivé mardi après-midi énervé du manque d’information qui m’avait fait prendre un billet Prem’s pour Paris un jour où à Rouen se tiendrait un concert qui pouvait m’intéresser.
Le tort est partagé. Je ne me suis pas beaucoup soucié du programme du Cent Six ces derniers mois, n’en pouvant plus des concerts debout où l’on ne voit que les têtes de ceux qui sont devant, de qui il faut en plus subir les conversations et les photos ou filmages incessants.
-Si jamais votre train était vraiment en retard et que vous loupiez le concert, à titre exceptionnel, je vous rembourserais le billet, m’a-t-elle dit avec un grand sourire.
 

1er février 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset). Après Jean-Michel Basquiat, c’est Keith Haring qui entre dans la vie d’Andy fin mil neuf cent quatre-vingt-deux. L’année suivante, il croise un Français pas du tout à son avantage.
Chris nous avait invités à la galerie Shafrazi pour la clôture de l’exposition Keith Haring. C’est celui qui fait ces personnages dans toute la ville, des graffitis. Son petit ami est noir. Il y avait quatre cents gamins noirs là-bas, si mignons, si adorables. Comme dans les années 60, sauf qu’ils étaient noirs. (Samedi treize novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Allé au Waldorf au machin du Bal des débutantes. (…) Un garçon blond aux cheveux bouclés m’a dit : « Vous avez fait quelques peintures pour mon grand-père. » Je lui ai demandé qui était son grand-père. Il a répondu  « Nelson Rockefeller. » (Mercredi vingt-deux décembre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Keith Haring prend de l’importance. Il est venu du Japon à New York pour trois jours et ensuite Paris. Ces gosses vendent tout –l’expo de Jean-Michel Basquiat à Los Angeles a tout vendu. (Mercredi vingt trois mars mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Tout le monde appelait parce que le Village Voice a publié trois pages sur ma perruque. (Mardi douze avril mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Il y avait une réception à la statue de la Liberté, mais comme j’avais vu la publicité qui disait que j’y étais allé, j’ai pensé que c’était fait. (Mardi cinq juillet mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Le plus drôle, c’est Benjamin qui l’a entendu. Quand ils ont montré mes portraits, un des photographes a dit : «  Comment Andy Warhol a-t-il pu descendre à un tel niveau de médiocrité ? » Et le photographe à qui il a dit cela a répondu : « Que veux-tu dire ? C’est sa médiocrité qui l’a rendu célèbre. » (Mardi six septembre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Le type de Mitterrand a été horrible. Il a marché sur un des tableaux qui était par terre en prétendant qu’il croyait que c’était un tapis. Je sais qu’il savait que c’était un tableau. (Mercredi vingt-huit septembre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Je me suis réveillé avec des piqûres de puces. Ça m’a rendu fou. J’ai couru acheter des colliers antipuces pour mes chevilles. (Jeudi vingt-neuf septembre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
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« Le type de Mitterrand » est facilement identifiable car plus tôt dans son Journal Andy Warhol précise qu’il a été prisonnier politique quelque part en Amérique du Sud.
Ce jour-là, Régis Debray quitta la soirée en limousine, tout comme la rebelle du Nicaragua également présente.
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Régis Debray est un des trois doctrinaires que j’ai envie d’entarter à chaque fois que je les entends sur France Culture.
Les deux autres sont Philippe Sollers et Michel Onfray.
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Sa Suffisance Régis Debray
Sa Boursouflure Philippe Sollers
Son Insuffisance Michel Onfray
 

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