Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 mai 2018


« Aux armes aux armes / Nous sommes les Marseillais / Et on va tout casser chez toi » hurle une bande alcoolisée dans la rue située derrière l’Hôtel Colisée Verdun sur laquelle donne ma chambre quand j’en ouvre la fenêtre vers six heures et quart après avoir été prendre une dernière douche lointaine à l’étage inférieur. Ce n’est pas moi qui suis visé car une avancée de toiture empêche que l’on se voie. Qu’il y ait des filles dans ce genre de bouffonnerie me désolera toujours.
A sept heures, pendant que je petit-déjeune, une voiture allemande s’arrête devant la porte et en sort une jeune femme blonde que je devine être la patronne. Elle s’adresse sèchement à celle qui est assise à l’entrée dans le canapé :
-C’est vous mademoiselle qui avez des soucis avec votre compagnon ? Vous savez, vous ne pouvez pas rester ici jusqu’à onze heures.
C’est un bel exemple de solidarité féminine. La malheureuse explique qu’il va bientôt partir et qu’elle va retourner dans la chambre.
Quand je quitte la mienne mon bagage fait, c’est lui qui est dans le canapé. Il a une sale tête. Je laisse ma valise dans le placard non fermé à clef en me disant que si je ne la retrouve pas il sera le premier suspect.
Une nouvelle fois je vais prendre l’air frais du matin en terrasse à La Coquille puis à midi déjeune au Bouchon Saint-Roch, « maison fondée ici depuis longtemps », où le menu du jour férié est à dix-neuf euros quatre-vingt-dix. Trois filles qui ont dû faire leurs études dans un institut catholique et qui travaillent dans le social sont installées pas loin. Celle qui a une robe rouge et de l’acné explique aux deux autres qu’elle est déjà venue ici avec papimamie et qu’on peut choisir n’importe quel plat et le faire entrer dans le menu du jour. Elles déchantent quand la serveuse blonde à l’amabilité forcée leur dit que non.
-C’est bizarre. Ce n’était pas comme ça avec papimamie
-Et qui a payé ? demande l’une des deux autres.
Papimamie évidemment, elle comprend alors. Elle pourrait être jolie. Je connais un remède contre l’acné mais elle ne voudrait pas de moi comme docteur.
Pourquoi faut-il que ce soit à ma gauche qu’on installe un couple à enfançon alors qu’il y avait tant d’autres possibilités, et de quidams disposés à faire risette et guiliguili à n’importe quel bambin ? A peine arrivé, celui-ci, qui a la même tête que le petit Jésus des Vierges à l’Enfant, tente de s’emparer de mon carnet Muji.
-Non, lui dis-je méchamment.
« Le monsieur veut déjeuner tranquille », constate sa mère. Le père maintient le calme pendant qu’ils mangent leur entrée, en faisant vroum vroum tut tut coin coin, puis la mère va le promener avant qu’arrive leur plat. J’en ai heureusement fini à ce moment-là, après avoir eu comme dessert celui certifié lyonnais : une tartelette à la praline rose.
Un étudiant que je n’ai jamais vu est à l’accueil de l’hôtel quand je vais voir si ma valise est encore là. Je la fais rouler sur neuf cents mètres jusqu’à la terrasse du Dôme où je bois un café en attendant qu’il soit l’heure de me présenter à l’adresse proche où j’ai retenu la chambre d’hôtes pour le reste de mon séjour montpelliérain, quarante-deux euros la nuit petit-déjeuner compris.
J’y suis aimablement accueilli. Me voici dans un petit appartement cossu sous les toits avec vue sur d’autres toits.
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C’est sur le site de l’Office de Tourisme de Montpellier que j’ai trouvé cette chambre, tout comme l’hôtel précédent (plus de guide des hébergements sur papier). L’hôtel était également dans Le Guide du Routard sans que soient mentionnées les chambres les moins chères. Cela donne une idée de ce qu’est devenu ce guide, lequel à l’origine s’adressait aux petits budgets. Le Routard met en garde contre le bruit du Rockstore qui est juste en face mais c’est surtout le bruit des autres qui s’y fait entendre : ronflements, portes qui claquent, conversations téléphoniques, chasses d’eau, etc.
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« Libres ? Fous ? Fous d’être libres », l’écriteau d’un couple de jeunes zonards à chien, à remorque, à chaise roulante, à drapeau de pirate. Parfois, installée dans la chaise roulante, elle se fait traîner par le chien tandis qu’il suit en tirant la remorque à drapeau et à écriteau.
 

21 mai 2018


Par beau temps ce dimanche à huit heures cinquante je grimpe dans le train qui va jusqu’à Port Bou après l’avoir attendu près d’un couple à chienchien, elle sosie de France Gall et lui sosie de François Ruffin. J’en descends onze minutes plus tard à Frontignan, bien connue pour son muscat, et dont une partie se trouve en bord de mer mais par où passer pour y aller à pied ?
L’un me conseille de prendre un bus, une autre me reproche de n’avoir pas de téléphone avec gépéhesse, le troisième me met sur le chemin. Pour les piétons, pas d’autre choix que d’emprunter la piste cyclable sur deux kilomètres cinq. Elle longe la route et passe entre deux étangs puis près d’énormes cuves de carburant. Enfin j’arrive au port de plaisance. L’Office de Tourisme est ouvert qui fait local commun avec la Capitainerie. Un trentenaire m’y remet un plan. Quand je lui donne mon code postal, il m’apprend qu’il est un gars du Pays de Caux, ici depuis dix ans.
Pour se balader le long de la mer, il faudrait marcher dans le sable, ce dont j’ai horreur, aussi je décide de faire dans l’autre sens les deux kilomètres cinq de piste cyclable imposée aux piétons et me voici de retour au bourg où passe un canal dont j’ignore le nom.
Frontignan ressemble à tous ces villages du sud où l’on crève de chaleur en été, maisons serrées et allées de platanes. En plein milieu, devant la Mairie, se trouve le Central Bar avec son immense terrasse rouge et noire près de laquelle s’installent les deux musiciens du Corleone Band. Le midi, on sert ici des brochettes.
C’est ailleurs que je déjeune, au restaurant Le Goût des Hôtes, qui loue aussi des chambres. Sa tenancière ressemble à une ancienne coiffeuse, d’où le jeu de mot laid peut-être. Elle a une haute idée de sa maison, aussi quand quatre femmes mûres lui annoncent qu’elles veulent manger vite pour aller ensuite rejoindre les maris au rugby, elles s’entendent répondre qu’elles sont dans un vrai restaurant où l’on cuisine des produits frais et que cela prend du temps. « Comme si on avait l’habitude d’aller dans des gargotes ! », maugrée l’une d’elles.
Nous déjeunons dans un patio où est diffusée de la musique jazzy, sous un figuier qui a besoin de l’aide de parasols pour nous ombrager. Arrivent un couple de quinquagénaires, leur fiston au crâne rasé et la vieille grand-mère qui accroche sa canne à un siège pour bébé. C’est son anniversaire. Elle a droit à deux cadeaux, l’un utile qui vient de la pharmacie et l’autre pour le plaisir : le dernier livre de Jean d’Ormesson. L’ancêtre cache sa joie et fait remettre tout ça dans le sac. Une autre famille s’installe dont la plus jeune ne mange ni viande rouge ni gluten ni lactose. Eh bien ce sera une salade de magret sans magret et des filets de rouget sans sauce.
La vie des autres est souvent consternante. Cela me console de la mienne, guère glorieuse.
« Monsieur prendra-t-il un café après son dessert ? », me demande la tenancière qui depuis le début du repas me parle comme si elle était ma gouvernante.
Non, il le va boire au Central Bar. S’y termine le concert country folk rock du Corleone Band. Je poursuis là ma (re)lecture du Journal de Matthieu Galey jusqu’à seize heures moins dix.
A seize heures dix, je suis de retour à Montpeu (comme disent certains jeunes). A la sortie de la gare deux zonards et une zonarde ont une franche discussion, cette dernière parle d’elle-même en ces termes : « C’est pas toujours la même mongole qui va payer les joints ». Au bout de la rue de Verdun, face à l’hôtel, la Police serre contre le mur un jeune homme à casquette. Cette rue où je loge, qui mène droit à la place de la Comédie, est diversement fréquentée, le jour et surtout la nuit.
                                                                      *
J’ai toujours rêvé d’avoir une gouvernante. Dans le genre soubrette de préférence. Les temps sont hélas révolus où ce n’était pas réservé aux riches.
 

20 mai 2018


C’est samedi, je suis seul au petit-déjeuner à sept heures. J’ai pour spectacle, grâce à la vitre sans tain placée derrière l’accueil de l’Hôtel Colisée Verdun, le ravalement de façade d’une zonarde pour qui la nuit a été difficile. J’en ai terminé avant elle.
Dès dehors, je suis pédestrement les voies de l’un des tramouais jusqu’au quartier Antigone, « le chef-d’œuvre de Riccardo Bofill qui a intrigué les architectes du monde entier par son intégration réussie dans la ville », selon Le Guide du Routard.
Personnellement, je qualifierais cette architecture de néofasciste. La Médiathèque Emile Zola qui fait face à la Piscine Olympique, l’une et l’autre écrasantes, ne me donne pas envie d’attendre son ouverture. Et que dire de l’Hôtel de Région, voulu par le mégalomaniaque Georges Frèche, près duquel coule le pauvre Lez ?
Bien qu’il ne soit que neuf heures, la chaleur fait des siennes sur les dalles. Je n’ai de cesse de rebrousser chemin et après ce purgatoire subis l’enfer de la traversée du centre commercial Polygone pour rejoindre au plus court le bout de la place de la Comédie.
Vite je retourne vers la fraîche place de la Canourgue et prends un café à la terrasse de La Coquille face au délicieux Hôtel du Palais qui sert ses petits déjeuners de sept heures à treize heures, et même quatorze heures le dimanche, « formule buffet, café Bibal, thé Mariage, oranges pressées, réservation conseillée ». Une élégante jeune femme y arrive traînant derrière elle une valise en tissu rose hélas un peu sale.
Rue Jules-Latreilhe, je suis séduit par le nom d’un restaurant à petites tables et chaises bleues d’extérieur : Le Paresseur, puis par son menu du jour à seize euros cinquante : camembert pané aux noisettes gelée de groseille et salade du jardin, tajine de veau aux fruits sec et semoule, carpaccio de fraise à la menthe et sa glace maison. Le quart de vin rouge Mas Peyrolle Pic Saint Loup est à neuf euros. Un couple s’installe à ma gauche. L’homme est disposé à entamer une petite conversation avec moi mais je m’y refuse. Le serveur leur demande s’ils sont en vacances. C’est évidemment lui qui répond :
-Non non ça fait cinq mois qu’on est là. On s’installe. Pourquoi ? On a des gueules de touristes ?
Je rejoins ensuite La Panacée, dont le directeur est Nicolas Bourriaud, l’« éminent critique d’art, écrivain et co-fondateur du Palais de Tokyo à Paris » (comme l’écrit MMM ! Magazine des curiosités touristiques) mais je n’y trouve ouvert qu’un restaurant pour broncheurs à volonté. Aucune œuvre d’art n’y est visible en ce moment et ce soir c’est défilé de mode. L’église néogothique désaffectée Sainte-Anne, autre lieu dédié à l’art contemporain, est fermée pour un an de travaux. Quant au Musée Fabre, ses salles consacrées aux Modernes sont interdites par un changement d’accrochage.
Qu’à cela ne tienne, je m’installe à la terrasse du Café Riche, place de la Comédie. Se côtoient dans ce théâtre de plein air sans metteur en scène : une manifestation de soutien à Gaza avec drapeaux palestiniens, un défilé folklorique occitan avec fifres et galoubets, des gyropodes publicitaires vantant la bière sans alcool Tourtel, des vendeurs de ballons et de lunettes à la sauvette, le petit train promène-touristes et un enterrement de vie de jeune fille.
L’orage menace, les serveurs installent des gouttières entre les parasols.
                                                         *
La patronne de La Coquille, d’un air un peu offusqué :
-Non non ici c’est pain au chocolat. La chocolatine, c’est vers Toulouse.
                                                         *
Mon voisin au Paresseur :
-Du camembert pané, j’en reviens pas, c’est dingue !
Elle fait une photo.
                                                         *
Un trentenaire au téléphone :
-Et vous avez beau temps ? Parce que nous, on est à Montpellier.
Bah ouais !
 

19 mai 2018


A l’Hôtel Colisée Verdun, le patron compte les croissants et les petits pains, pas un de plus que le nombre de petits déjeuners commandés. Ce vendredi matin, le mien n’a pas été noté. Je les ai pourtant tous payés d’avance ainsi que les nuitées, comme exigé. L’employé de nuit doit courir à la boulangerie avant de profiter de sa journée (ou d’aller se coucher).
Je profite de la mienne pour parcourir plus ou moins au hasard le « cœur de ville » comme on dit ici (et un peu partout désormais). On le nomme Ecusson en raison de sa forme d’écu ancien : beaucoup de rues étroites et parfois pentues, des places ombragées par de magnifiques platanes, peu ou pas de voitures, des parcs, des jardins, des squares, et partout des terrasses tentantes où je m’emploie à lire  ou plutôt relire, mais cette fois dans la version intégrale récemment parue chez Bouquins/Laffont, le Journal de Matthieu Galey.
Entre deux pauses, je découvre la paisible place de la Canourgue, explore la promenade du Peyrou puis passe à l’est au Jardin du Champ de Mars, où s’épanouissent les lycéen(ne)s de Joffre, et vais me renseigner à l’Office du Tourisme sur la trente-troisième Comédie du Livre.
Mon Guide du Routard deux mille seize recommande le restaurant Chez Mémé Suzon, rue des Teissiers. A part une boutique de décoration, il n’y a que des restos dans cette courte rue mais pas celui que je cherche. J’entre à la déco me renseigner et apprends que c’était en face. Il a brûlé. La plus jeune des deux charmantes commerçantes me conseille Le Restaurant Agricole à deux pas, rue du Plan d’Agde. « Je n’y ai jamais mangé mais on en dit beaucoup de bien ». Ce nom m’inspire. Je réserve une table en terrasse puis vais lire un peu dans le square Dominique Bagouet, près de l’église Saint-Roch.
Hormis moi, il n’y a que des habitué(e)s du quartier à s’installer au Restaurant Agricole, connu aussi sons le nom de Café Léon, et effectivement on y mange très bien, servi par trois jeunes femmes efficaces et décontractées.
Tartare de veau avocat et épaisse pièce du boucher sauce échalote mettent l’addition à douze euros quatre-vingt-dix. Je lui ajoute six euros en commandant un tiramisu caramel beurre salé. Le quart de faugères coûte sept euros. Je quitte la table satisfait et vais marcher au Jardin des Plantes qui n’est ouvert qu’après midi.
« C’est universitaire », me donne pour explication l’un des gardiens de l’entrée quand je lui demande pourquoi un horaire si restrictif. Ce jardin dépend de la proche Faculté de Médecine. C’est le plus vieux de France. Il a été fondé par Henry le Quatrième pour l’étude des plantes médicinales. C’est un vrai fouillis par endroit. Une partie est interdite pour cause de réfection.
J’y poursuis ma lecture en compagnie d’une limace sur un vieux banc de pierre ombragé dans un coin reculé. En contrebas, des grenouilles coassent. Une fille en passant caresse un coquelicot.
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Chemise blanche pour les contrôleurs des tramouais de Montpellier. Les tramouais ont également belle allure : ribambelle de fleurs, sable et coquillages sur fond noir, etc.
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Deux clodos avinés discutant des dossiers qui sont sous la pile et qui passent bizarrement dessus, l’un d’eux :
-J’ai travaillé trente ans dans l’administration alors tu penses bien que je sais comment ça se passe.
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Publicité de rue de l’Hôtel Europa : « Chambres à trente-cinq euros la nuit ». C’est suivi d’un astérisque. Il faut lire les petites lignes en bas de l’affiche : « Tarif uniquement valable le samedi et le dimanche à partir de vingt-trois heures, sans réservation ».
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Je suis toujours le seul à lire aux terrasses des cafés, et même, je suis souvent le seul à être seul à une table.
Une constatation plus effrayante: j’ai presque tout oublié de ma première lecture du Journal de Matthieu Galey, pourtant pas si ancienne.
Consolation : cela me passionne d’autant plus.
 

18 mai 2018


Point trop de bruit la nuit dans la rue à l’Hôtel Colisée Verdun, c’est le ronflement du voisin qui est un peu gênant. Après un petit-déjeuner basique dans un bout de salle près de la réception, comme la journée est sans grève de cheminots et le beau temps assuré, je prends le train pour Sète.
Le trajet fait dix-sept minutes mais il est augmenté de dix minutes de retard au départ. A l’arrivée, je découvre cette ville où je n’ai jamais mis le pied. Ma première impression est bonne mais qu’est-ce que ce serait mieux si le bord des ports et des canaux n’était pas réservé au stationnement automobile.
Le soleil commence à darder. Je prends un café en terrasse près de l’eau au Classic. « Vous voulez que je descende la bâche ? », me demande la patronne. Peut-être est-ce ainsi que tout le monde appelle l’auvent dans la région, je ne sais. « Non non merci », lui dis-je tandis que je regarde des retraités qui font une formation de galériens avec Occitarame.
Plus loin dans le port je découvre d’énormes chalutiers et demande à l’un des marins ce qu’il pêche. Il m’enjoint de passer à l’anglais. Ce travailleur détaché m’apprend qu’il s’agit de thon. Je poursuis pour aller voir la mer, elle est calme évidemment.
Pour déjeuner je privilégie la vue sur la qualité culinaire. Le Saint Louis est de l’autre côté du port. On m’y installe à ras d’eau avec les goélands. Derrière moi deux femmes écoutent de la musique sur un smartphone. Je leur dis d’arrêter ça. Elles refusent. Je demande à la patronne d’intervenir mais ce sont des amies à elle. Je change de table et choisis le menu sétois : tielle et friture d’éperlans.  Les deux sont sèches, ça n’a pas de goût malgré le piment de la première et le jus de citron de la deuxième.
Pour me remettre, je pousse la porte du Miam, le Musée International des Arts Modestes qu’a créé Hervé Di Rosa. Le prix d’entrée est également modeste : cinq euros et soixante centimes. Je suis seul à profiter de ses trois niveaux. Les deux premiers sont consacrés à Evasions, l’art sans liberté, une exposition d’œuvres de prisonniers de tous lieux, et le troisième aux accumulations d’objets clinquants et bariolés du quotidien passé. Tout cela est très intéressant et parfaitement présenté dans le très beau bâtiment qui donne sur le port à l’endroit où sont amarrées les barquettes marseillaises colorées. L’une d’elles s’appelle Poupette.
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Parmi les barquettes, un pointu à vendre nommé Boghosse..
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La daube musicale, spécialité de la patronne du Saint Louis, quai Léopold Suquet.
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Au retour cinquante-cinq minutes de retard, aucune explication en gare ni dans le train.
 

17 mai 2018


Ce mercredi, le six heures vingt et une pour Paris est blindé. Je fais partie des debout avec ma petite valise. Heureusement un contrôleur m’annonce qu’il a fait virer des bagages posés sur des sièges en fin de train et me voici assis. A Paris, la ligne Quatorze m’emmène rapido à la gare de Lyon. J’ai place réservée dans le Tégévé de neuf heures vingt-cinq pour Montpellier qui ne fait escale qu’à Nîmes. Il est peu chargé. Je peux voyager sans personne à mon côté. Le beau temps de la Normandie et de Paris cède la place au brouillard. Quand on en sort, c’est pour découvrir des collines vertes parsemées de vaches blanches. Le ciel reste gris mais à l’approche du but le bleu le dispute aux nuages d’orage.
Entre la gare et la place de la Comédie m’attend une petite chambre sans confort à quarante-six euros dans l’Hôtel Colisée Verdun où je dois passer cinq nuits. Je la choisis sur l’arrière, craignant le bruit d’une rue fort fréquentée la nuit.
Montpellier vibre d’une énergie toute méridionale. Je fais le tour de la place de la Comédie et constate que mon appareil photo ne répond plus. J’achète une batterie de remplacement pour photographier l’Opéra où l’on vient de donner Hip Hop Britten et la libraire Sauramps surmontée de l’Hôtel Ibis à l’architecture impressionnante vue de face et sinistre vue de profil. Une très longue file d’attente serpente à l’extérieur de cette librairie. Elle est composée de quatre-vingt-quinze pour cent de femmes, la plupart jeunes. Le responsable s’appelle Guillaume Musso.
Je m’offre un café au Café Riche dont la terrasse est imposante. Au centre de la place jouent un violoniste et un guitariste d’un certain âge jusqu’à ce qu’ils se fassent virer par deux policiers municipaux à vélo.
Comme dîner, je commande une salade tartiflette au Yam’s près de l’Opéra. Je la déguste en terrasse en observant la population locale sur fond de tramouais qui se croisent. Ici, zonards en nombre et multitude de jolies filles sexy.
 

16 mai 2018


Le ciel est gris mais la pluie se retient quand je sors de chez moi ce dimanche matin afin de me rendre à l’arrêt République du bus Teor Un dont le terminus est Mont aux Malades à Mont-Saint-Aignan. Déception en y arrivant, le prochain est annoncé dans vingt-deux minutes. « Fichue ville de province arriérée », maugréé-je en moi-même. J’impatiente donc, tandis que passent quelques fêtards décatis qui vont attendre le Teor dans l’autre sens.
Quand arrive le bus convoité, je ne manque pas de glisser ma carte dix voyages dans le composteur et je fais bien car à l’arrêt Théâtre des Arts monte une escouade de contrôleurs habillés comme des miliciens. Il m’est arrivé de me faire choper par leurs semblables à la même heure au même endroit pour avoir omis de valider mon trajet et ça m’a servi de leçon. Pourtant, je continue à penser que lorsqu’on doit attendre un bus vingt-deux minutes, on devrait être dispensé de payer.
A l’arrivée, il me reste à aller à pied jusqu’au lieu-dit Le Village, c’est-à-dire le vieux Mont-Saint-Aignan. Autour de l’église est installé le vide grenier annuel. La foule des acheteuses et acheteurs est la même que celle côtoyée chez les pauvres au Grand-Quevilly. Côté vendeuses et vendeurs, c’est peu différent et leur nombre est à la baisse. De simples barrières protègent tout ce beau monde du risque d’attentat par camion. S’il survenait, elles n’arrêteraient rien et se transformeraient même en projectiles.
Je fais deux fois le circuit et à l’issue n’ai que trois livres dans mon sac. Il ne pleut toujours pas quand je rejoins le Mont aux Malades à pied. Le prochain Teor Un est dans vingt et une minutes.
                                                           *
Depuis toujours sinistre le dimanche après-midi, Rouen l’est encore plus depuis que ses rues quasiment désertes sont parcourues en tous sens par les malheureux qui pédalent pour Deliveroo  et Uber Eats. Pas moins de huit sont en attente devant le Mac Do de la rue du Gros quand je me résous à aller prendre un café verre d’eau au Café de Rouen, la froidure et le risque de pluie empêchant la terrasse du Sacre.
                                                         *
Autre type d’attentat, celui des islamistes armés d’un couteau. L’un d’eux a fait un mort et plusieurs blessés dans les rues que j’emprunte chaque semaine pour aller au second Book-Off. Je devais y être encore ce lundi mais la « journée sans cheminots » a eu raison de mon voyage à Paris. Le risque était trop grand de faire le voyage debout tassé et quand en plus une caténaire est arrachée de nuit par des inconnus près de Gaillon et retarde les trains de trois heures environ…
                                                         *
Le recours au sabotage, un aveu de faiblesse.
 

15 mai 2018


Ce vendredi matin, après avoir fait le tour de la drouille du Clos Saint-Marc, je me rapproche des terrasses où est fixé le rendez-vous de neuf heures trente. L’ami de Stockholm me fait de grands signes depuis celle du Grand Saint Marc. Il y est assis à une table qui sera bientôt au soleil et m’attendait en lisant un livre que je lui ai offert autrefois.
Un peu plus tard arrive l’homme en chemisette. Nous devisons un bon moment avant que nous rejoigne celle qui était retenue ailleurs. Voici la bande des quatre au complet. Les deux exilés ont envie de découvrir le Centre d’Art Contemporain de la Matmut à Saint-Pierre-de-Varengeville, ce qui va aux deux Rouennais qui le connaissent déjà. Cette institution n’est ouverte que l’après-midi.
Pour le déjeuner, je suggère Un Grain de …, ce qui est l’occasion de traverser la ville par le chemin des touristes, rue Martainville, église Saint-Maclou, rue Saint-Romain, Cathédrale, rue du Gros, église Jeanne-d’Arc, arrivée en bas de la rue Cauchoise à proximité de lieux que je fréquente assidûment, Le Rêve de l’Escalier et Le Sacre.
Il est précisément midi. Une table en terrasse, qui sera au soleil à midi et quart, nous est attribuée. Chacun(e) trouve son bonheur en fonction de ses habitudes alimentaires dans le menu à treize euros quatre-vingt-dix servi par la patronne au grain de folie et la petite serveuse sérieuse.
-Je comprends pourquoi Michel a choisi cet endroit, déclare l’ami de Stockholm.
Un demi de vin blanc pour quatre, nous ne quittons pas la table en titubant. La Twingo prêtée aux amis exilés est au parquigne de la place Saint-Marc. Nous y retournons par une voie détournée qui passe devant la maison natale de Pierre Corneille et un lunetier.
En ce dernier jour de vacances scolaires il y a présence d’enfants au château de la Matmut. Sous la surveillance relative de parents ou de grands-parents, ils gambadent dans les salles où sont exposées les œuvres d’un certain Kriki, des peintures chargées, aux personnages redondants, témoignant d’un univers fantastico-onirique, inutile d’en dire plus. La visite se termine en sous-sol où une grand-mère rappelle sa descendance à l’ordre :
-Touche pas à rien.
Il reste à voir dans la crypte les têtes d’artistes sculptées qui constituent le panthéon personnel de Philippe Garel et puis, ce qui nous réjouit davantage, à errer dans le parc. Nous l’explorons tous azimuts. Il est orné de sculptures, dont des Garel père et fils et des De Pas. Certaines sont pires mais heureusement anonymes.
J’ai envie de voir un moutard tomber dans l’un des plans d’eau avant de partir mais c’est le chapeau de paille de l’amie de Stockholm qui d’un coup de vent s’y pose. Notre dernière étape est pour ce qui ressemble à une chapelle. Restaurée aussi luxueusement que le château, elle possède une cheminée et des toilettes munies de petites serviettes en tissu épais comme on en trouve dans certains restaurants chinois.
On est tous les quatre contents de notre journée de retrouvailles quand nous nous quittons à l’entrée de l’île Lacroix. Le prochain rendez-vous sera à l’automne. La date est déjà fixée.
                                                                *
Le dimanche vingt-sept mai à quinze heures, le Centre d’Art Contemporain de la Matmut propose une visite décalée en famille de l’exposition Hybrid de Kriki par la compagnie de clowns Nez à Nez.
Dommage que ce ne soit pas Kiri le Clown qui fasse visiter l’expo de Kriki l’Artiste.
 

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