Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

20 août 2018


Comme chaque année, ce mois d’août à Rouen est le mois des Italiens. Pour quelle raisons les transalpins choisissent-ils de venir en vacances à la fin de l’été et en famille dans la moitié nord de la France et notamment de visiter Rouen, alors que rarissimes sont les Espagnols et les Portugais à faire de même, c’est un mystère.
Chaque jour plusieurs familles italiennes avec enfants d’âge divers passent donc sous mes fenêtres. Ce sont là des touristes autonomes, heureux d’admirer les maisons à pans de bois et d’en faire des photos avec leur descendance au premier plan. Tout au plus pourrais-je leur reprocher de parler un peu fort.
En revanche, quelle plaie que ces troupeaux d’Allemands cornaqués par les guides de l’Office de Tourisme. Dans cette ville, dès neuf heures, chaque matin, on sort les encombrants, ces vieilles et vieux débarqués des bateaux de tourisme fluvial et on les tire jusqu’à ma ruelle. Ils rendent impossible la circulation piétonnière entre la rue Saint-Romain et la rue Saint-Nicolas.
Ils sont là comme ils seraient ailleurs, sans l’avoir choisi, n’ayant pas idée qu’ils pourraient se débrouiller seuls pour visiter la cité et découvrir ainsi autre chose que ce qu’on veut bien leur montrer.
C’est un public captif dont profitent celles et ceux qui, après avoir fait des études d’histoire ou de langue, n’ont trouvé d’autre emploi que celui de guide touristique. Impossible d’apercevoir une lueur d’enthousiasme dans le regard de la plupart des membres de ces troupeaux mais ils rient de manière pavlovienne aux piètres plaisanteries de leur cornac. Parfois à mes dépens car, côté guides, on me déteste et on ne se prive pas pour déblatérer sur mon compte dans la langue de Goethe.
S’il y avait une police municipale qui fasse son travail, chaque matin elle distribuerait des pévés pour entrave à la libre circulation et s’il y avait espoir d’une justice rendue, il faudrait déposer plainte pour abus de faiblesse contre celles et ceux qui profitent de la vieillesse pour en faire leur gagne-pain.
                                                              *
Quelle tristesse la mort de ces quatre jeunes Français, Mélissa Nathan Axelle William, lors de l’effondrement du pont Morandi à Gênes. Je les vois heureux d’être entrés en Italie, de bientôt prendre le ferry pour la Sicile où allait se tenir l’un de ces concerts sauvages qu’ils affectionnaient. Partis quelques minutes plus tôt ou quelques minutes plus tard, il ne leur serait rien arrivé. J’imagine ce que ressent le père d’Axelle, la conductrice, qui avait prêté sa voiture.
                                                              *
Vu à la télé, un survivant de l’effondrement remercier Dieu de l’avoir gardé en vie. La crétinerie à l’état pur.
 

17 août 2018


Qui dit quinze août, dit vide grenier du Vaudreuil. Le temps sec assuré, je suis dès potron-minet à la gare de Rouen. Le train pour Paris venant du Havre s’arrête au quai numéro deux à sept heures dix comme prévu. J’en descends à Val-de-Reuil.
Ayant passé le pont, je trouve l’étroit sentier qui longe l’Eure et mène au Vaudreuil, un sentier heureusement préservé et réservé aux piétons. Les bicyclistes ont pour pédaler une voie verte en béton qui lui est plus ou moins parallèle. C’est un bonheur quand on marche de ne pas devoir partager l’espace avec les vélos. Ce sentier n’est pas « un chemin noir » mais il faut quand même à certains endroits se méfier des ronces et des orties. Sa dernière partie est plus civilisée, longeant des propriétés cossues. Leurs habitants y ont accès par un portillon au fond du jardin. En un peu plus d’une demi-heure et sans avoir vu quiconque, j’arrive au rond-point qui marque l’entrée du village. Là commence le déballage.
« Grande foire à tout du Vaudreuil, quatre cents exposants », est-il écrit sur les affiches. C’est conforme à la réalité. Assez vite je trouve un premier livre, Qui a tué Roger Ackroyd ? de Pierre Bayard (Editions de Minuit), que son vendeur me propose à cinquante centimes, puis j’aperçois une table de confitures d’abricot et de quetsche. Trois euros les deux pots, j’en achète quatre que je laisse en dépôt.
Ce vide grenier est l’un des derniers de la région à rassembler des vendeurs locaux, presque uniquement des particuliers dont la marchandise, quelle qu’elle soit, est en bon état. De plus l’ambiance y est agréable. J’y croise une dizaine de mes concurrents, moitié que je salue, moitié que j’ignore. A un moment, nous sommes à quatre autour d’un gisement de livres à deux euros les trois. J’en capte quatre.
-Alors, ce sera deux euros cinquante, me dit le vendeur.
Plus loin, je trouve des poches à cinquante centimes puis aperçois le Taschen Hiroshige cent vues célèbres d’Edo au milieu d’autres livres sans intérêt.
-Bonjour, vous le vendez combien ?
-Ce n’est pas à moi, c’est à ma sœur, me répond le jeune homme brun.
-Non, ce n’est pas à moi, répond celle-ci tout aussi brune et du même âge. Ça doit être papa qui avait acheté ça. Cinq euros, ça va ?
Son frère tique mais ne dit rien. Je sors un billet et alourdis sérieusement mon sac.
Je termine le circuit, constatant qu’il y a cette année profusion de jolies filles des deux côtés des stands, puis retourne explorer le gisement. Trois autres livres pour deux euros m’obligent à porter un sac à chaque main.
Je repasse chez les vendeuses de confitures, leur achète deux pots supplémentaires, case le tout dans mon sac à dos puis prends courageusement le chemin du retour en songeant à celles qui furent ici avec moi autrefois, me tenant par la main.
Un sac sur le dos, deux autres à bout de bras, je dois ressembler à un vagabond  pourtant quand, à l’endroit le plus reculé, surgit une jeune joggeuse, celle-ci n’opère pas un demi-tour paniqué, elle me sourit et dit bonjour. Pas de quoi m’illusionner sur mon physique, inutile de regarder mon reflet dans la rivière.
Chargé comme je suis, je m’offre une montée puis une descente en ascenseur à la gare de Védéherre. Le train pour Rouen venant de Paris s’arrête au quai numéro un à onze heures vingt-huit comme prévu.
                                                                      *
Châtelain en Pologne, les mémoires du Comte Potocki (Julliard), Les pauvres gens de Dostoïevski (Ressouvenances), Scènes de la vie rustique de Tourguéniev (Gallimard) et Journal d’un diplomate en Russie (1917-1918) de Louis de Robien (Albin Michel), quatre des livres provenant du gisement, portent une étiquette d’appartenance à Monsieur et Madame A-C Dubrulle, d’abord domiciliés à Louviers puis à Saint-Didier-des-Bois, un nom qui fait partie de mon paysage d’enfance : les établissements Bart-Dubrulle Camping Plein Air, avenue Henri-Dunant à Louviers. L’entreprise a disparu dans les années quatre-vingt-dix. Témoignage d’une époque où certains commerçants d’une petite ville de province étaient férus de littérature, et du fait que les livres encombrent les héritiers.
 

16 août 2018


J’ai pris assez peu de notes lors de ma lecture (faite juste avant de voir et entendre l’auteur à propos d’un autre de ses livres à la librairie rouennaise L’Armitière) de Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), ouvrage dans lequel il narre sa traversée de la France en diagonale de Tende (Mercantour) à Omonville-la-Rogue (Cotentin), du vingt-quatre août au huit novembre deux mille quinze. Pour ce faire, il s’efforce de suivre ce qu’il appelle ses chemins noirs, autrefois tracés par les paysans et aujourd’hui envahis par les ronces Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre.
Cette équipée doit lui permettre d’achever de se rétablir (plutôt que d’aller faire ça dans un centre de rééducation) après le long séjour qu’il a dû faire à l’hôpital : … pris de boisson, je m’étais cassé la gueule d’un toit où je faisais le pitre. J’étais tombé du rebord de la nuit, m’étais écrasé sur la terre. Il avait suffi de huit mètres pour me briser les côtes, les vertèbres, le crâne.
Le récit qu’il fait de cette marche lui est l’occasion de parler de lui-même et de la société contemporaine. 
Une formule résume son état d’esprit :
Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie.
Et cet extrait, sa vision de l’urbanisme des petites villes, qui n’est pas nouvelle mais la façon dont il en parle est plaisante :
Dans les bourgs de guide Michelin, le centre-ville était charmant, l’église restaurée et une librairie s’inaugurait parfois devant le salon de thé. Woody Allen aurait pu tourner son film habituel. Ses acteurs auraient trouvé que la province est une fête et que le débarquement avait valu la peine.
Venait le deuxième cercle : le quartier pavillonnaire. Un monsieur y tondait sa pelouse en pyjama. Il avait fini de laver sa voiture. Une affiche signalait la disparition d’une vieille dame affligée d’Alzheimer.
Le troisième cercle apparaissait, commercial. Le parking était plein, le supermarché jamais fermé, les promotions permanentes sur le jarret. Plus loin, un rond-point distribuait les points cardinaux et l’on gagnait les champs, les hangars à machines et des bois où les sangliers attendaient l’ouverture de la chasse. Tout cela prouvait une chose : avec des efforts, même le Français réussit à ordonner le monde.
A mon regret, Sylvain Tesson n’évoque pas certains aspects pratiques de sa randonnée spartiate. Si l’on sait comment il dort, le plus souvent en bivouac, parfois en chambre d‘hôtes ou à l’hôtel, il ne dit rien de ses repas, que mange-t-il, où mange-t-il, fait-il des courses, s’assoit-il à la table d’un restaurant, cela m’aurait intéressé de le savoir.
Parfois, il se fait temporairement accompagner. Par sa sœur, et par deux amis amateurs de steppes sibériennes comme lui, l’un après l’autre, puis les deux ensemble pour la fin de son trajet le long de la Manche. J’aurais aimé savoir comment il a fait pour leur donner rendez-vous à un point précis à un moment précis. Aurait-il eu avec lui l’un de ces moyens de communication modernes qu’il ne cesse de critiquer ? Sinon comment ?
Autre frustration, le peu d’anecdotes. Quand même celle-ci :
Le 24 octobre, par le pays de Laval
J’approchais de la ville et entrant dans Entrammes, je demandai un Viandox à la patronne d’un café.
-Qu’est-ce que c’est ? dit-elle.
-Un bouillon, dis-je.
-Jamais entendu. Où trouvez-vous cela ?
-Partout. A Brûlon, ils m’en ont servi un hier.
-C’est dans la Sarthe ça ! dit-elle. Cela ne m’étonne pas d’eux.
Et cette autre :
Une joggeuse opéra un demi-tour paniqué au moment où elle me vit. Je n’osais pas regarder mon reflet dans la rivière.
                                                                        *
Cité par Sylvain Tesson dans son livre, de Georges Bernanos dans Français, si vous saviez… :
Il n’y a plus beaucoup de liberté dans le monde, c’est entendu, mais il y a encore de l’espace.
                                                                         *
Enfin cette image poétique, s’agit-il d’une volonté de l’auteur ou d’une erreur de saisie (je penche pour la seconde hypothèse) :
… à la manière des Japonais qui montent sur les montagnes, un fois l’an, rejoindre un autel taoïste sous les cerisiers en pleurs.
 

14 août 2018


Je passe une dernière nuit sans histoire dans le studio de la rue aux petites maisons de briques à toiture en tuiles. A sept heures et demie, ma cordiale logeuse dépose derrière ma porte une double longueur de pain frais pour mon ultime petit-déjeuner (compris dans le prix de la location). J’y étale le beurre breton et les confitures bios. Le café finit de passer. Sur la table qui m’a aussi servi de bureau le jus de fruit, le yaourt, une nectarine et une banane. De quoi être en forme pour le voyage de retour
A neuf heures, la petite voiture rouge me conduit à la gare.
Cette gare de DK a pour particularité que l’on est obligé de faire ce qui ailleurs est interdit : traverser les voies pour rejoindre son train, cela sous la surveillance des employés de la Senecefe.
J’ai place dans le Tégévé de neuf heures cinquante-six pour Paris Nord. J’en descends à Arras pour attendre le Téheuherre qui va de Lille Flandres à Rouen Rive Droite. Il se présente prodigieusement à l’heure. Sur les quais sont présents des Policiers surveillant les migrations.
Il fait gris en Picardie mais au moins les éoliennes tournent-elles. Ce voyage pas très rapide m’est l’occasion de songer à mon séjour réussi au Nord. Grâce au beau temps. Il aurait plu sans cesse que cela aurait été catastrophique. A Dunkerque, point de café fait pour lire. D’ailleurs, je n’ai vu personne d’autre que moi avec un livre sur la digue de Malo. J’arrive à Rouen à treize heures quarante-deux, comme prévu.
Une éclaircie me permet de tirer ma valise jusqu’à la maison sans devoir ouvrir le parapluie.
Fin de la course.
                                                                   *
Il y a longtemps déjà / Que j'ai pas vu mon copain Bismarck / Qui faisait cornac dans un cirque / Et traduisait Pétrarque, en turc, à Dunkerque.
Ce treize août marque le vingtième anniversaire de la mort de Nino Ferrer, suicidé dans un champ de blé d’une balle dans le cœur, deux jours avant son soixante-quatrième anniversaire, dont j’aime les chansons, qu’elles soient loufoques ou non.
 

13 août 2018


Etrange réveil au cours de mon avant-dernière nuit dans le studio de Dunkerque, mon voisin, qui est là depuis quelques jours et que je n’ai jamais vu, sanglote. Ces sanglots (pas des pleurs) sont suffisamment intenses pour passer à travers le mur. Je l’entends ensuite se livrer à des ablutions puis il sort. Je ne regarde pas ma montre mais il doit être entre minuit et deux heures du matin. Pourvu qui n’aille pas se jeter dans le canal voisin, pensé-je.
Je l’entends rentrer ultérieurement et ce matin, notre logeuse, d’un petit mot, demande à ce qu’on veille à bien refermer la porte d’entrée. Ce ne peut être que lui. Il y a deux jours, c’était son anniversaire comme me l’a appris le message écrit sur l’emballage d’une viennoiserie supplémentaire de petit-déjeuner qui lui a été offerte à cette occasion. Je ne saurai pas le fin mot de cette histoire.
J’ai quand même suffisamment dormi et suis d’attaque pour ma performance du dimanche : faire le tour à pied d’une grosse partie du Grand Port Maritime de Dunkerque, comme il se nomme lui-même. Pour ce faire, je vais en DK’Bus gratuit jusqu'au Casino puis emprunte la passerelle qui mène au Frac, un lieu que j’ai snobé à cause de ses horaires d’ouverture trop tardifs. Puis à l’aide de mon plan, je tente de suivre le bord de l’eau, photographiant au passage ce qui m’attire, notamment le phare de Risban et un pont levant que je vois en action pour donner passage à un bateau de la Gendarmerie Maritime.
Dans ce genre de dérive portuaire, il arrive toujours un moment où j’entre dans une zone plus ou moins interdite. Comme ce fut aussi le cas à Saint-Nazaire, j’y trouve des pêcheurs du genre à poser les cannes au bord du bassin et à boire des bières dans la voiture. L’un deux m’explique comment me sortir de là.
Quelques bicyclistes se baladent dans le coin mais piéton je suis le seul. Je ne peux évidemment pas tout voir car c’est immense et certains endroits sont impénétrables. Ma visite s’achève dans le centre de la ville où sont amarrés des bateaux destinés aux touristes, dont un voilier de type Armada de Rouen.
J’ai marché de neuf heures à onze heures et demie, il est temps de reprendre un DK’Bus pour le Casino. Faute d’autre choix, je retourne déjeuner au Figaro, du fameux menu avec vin à volonté pour vingt-trois euros. Comme je n’ai pas réservé mais qu’on m’a déjà vu, on me donne une table, dans l’entrée. C’était la seule disponible. La clientèle est faite d’habitué(e)s qui téléphonent à l’avance. La moyenne d’âge des serveuses et serveurs est de vingt-cinq ans, celle des convives de soixante-dix ans. Deux aveugles sont conduits à une table avec vue sur la mer.
La vue sur la mer, je l’ai après avoir mangé la part de tarte au roquefort et aux noix, le tartare mi cuit aux légumes et le trio de desserts. Et avoir bu quelques verres de blanc et de rouge, en m’arrêtant avant d’être à Drunkerque. Assis sur un banc face à la plage de Malo, je tente de lire la suite de la Correspondance de Sigmund Freud tout en regardant passer les familles sur la digue. Toutes mériteraient d’être photographiées. Ce défilé incessant m’intéresse autant que celui de la place de la Comédie à Montpellier.
Je rentre avec deux bus gratuits quand il se met à faire gris. Par la fenêtre ouverte, j’entends jouer de l’accordéon. On reçoit dans une maison voisine et l’un des invités se fait applaudir.
                                                               *
Les actuels abribus du centre sont en passe d’être remplacés par des nouveaux très élégants de grande hauteur. Il s’agit de ne pas cacher les enseignes des magasins.
Commentaire d’un dunkerquois qui ne prend pas les DK’Bus : « Ça fait haut, quand y va pleuvoir, y vont se faire torcher. »
 

12 août 2018


Retour du soleil ce samedi et de la gratuité des transports en commun, je grimpe vers huit heures et quart dans le DK’Bus Un qui passe entre plusieurs exploitations horticoles de Rosendaël et dont le terminus est Grand Large, commune de Leffrinckoucke. Je descends ensuite à pied la rue principale de ce bourg. Elle est bordée de petites maisons presque identiques et mène à la mer. Je suis quasiment seul sur la digue d’où l’on peut rejoindre Zuydcoote par les dunes ou la plage mais il faut aimer marcher dans le sable.
Je reste sur le dur et vais jusqu’à l’entrée de Malo-les-Bains. Un panneau d’information m’invite à pratiquer le Réveil Musculaire puis à enchaîner sur un cours de Zumba pour seniors et à finir par une initiation au hip hop. Je préfère glander, même la gym douce spéciale dos serait trop pour moi.
Un DK’Bus Trois qui part de la plage me ramène à la place Jean-Bart. Je réserve une table pour midi chez Les Frangines puis prends un café en terrasse au Péhemmu L’Eclipse (un euro quarante). Il y fait frais, aussi est-ce sur un banc situé au soleil, près de l’église Saint-Eloi, que je poursuis la lecture de la Correspondance de Sigmund Freud.
C’est complet chez Les Frangines. Seules deux sont présentes et bien moins dévergondées qu’en semaine. La serveuse débutante a pris de l’assurance. Vêtue d’un djine moulant, elle évolue agréablement entre les tables. Je ne peux quitter la Flandre sans manger un potjevleesch. Ce plat au nom difficilement prononçable est constitué de viandes froides prises dans la gelée. Celui des trois sœurs n’en comporte qu’une, du poulet, mais il est bien bon, accompagné de sauce béarnaise, de frites fraîches et de salade. C’est le jour des familles. Un homme parti garer la voiture arrive après sa femme et sa belle-mère et passe à côté de leur table sans les voir. « Ho, on est là ! », s’insurge sa moitié. A ma gauche sont un couple de quadragénaires, leur garçon pré branlotin, leur fille enceinte et celui qui a fait ça. Elle a appris hier que ce sera une fille. Aussitôt la nouvelle connue, elle et lui sont allés chez Babou pour acheter le nécessaire : quatre cent vingt euros de dépense. « Pourtant chez Babou, c’est pas cher. » disent-ils en chœur. Elle fera toutes ses échographies au Pôle Santé, explique-t-elle à sa mère pendant que les hommes sont sortis fumer.
Après cela, je reprends un DK’Bus Trois et en descends près du Kursaal. Par une inscription en énormes lettres sur la façade de cette salle de spectacles, on apprend que les Communistes du Nord vont y faire leur journée à la mer le vingt-huit août : « Ambiance, bonne humeur, solidarité et fraternité seront les maîtres-mots de ce rendez-vous annuel qui se veut à la fois festif et combatif. »
Je contourne cet imposant bâtiment pour aller m’asseoir sur un banc au soleil face à une plage peu fréquentée. La masse des estivants va et vient sur la digue. « Allez, dit l’un, je vous offre une glace à l’italienne, on n’a pas ça à Valenciennes ».
                                                                  *
Au Nord, tout au moins dans la communauté urbaine de Dunkerque, le bus n’a pas de terminus, on annonce la « fin de la course ».
 

11 août 2018


Encore des averses au réveil ce vendredi, et treize degrés de température extérieure, alors que je suis venu dans le Nord sans la moindre veste à mettre sur ma chemise. J’envisage un achat. Vers neuf heures trente arrive l’éclaircie. Je rejoins le centre de Dunkerque à pied sous le soleil et n’ai pas froid, un peu frais seulement. Je m’épargne donc l’épreuve du magasin de vêtements et vais boire un café au Terminus, face à la gare, en attendant qu’il soit l’heure du prochain train pour Esquelbeck, Village du Livre.
Dans ce café un peu décati, les locaux parlent du gars qui a poussé sa grand-mère en fauteuil roulant dans une rivière d’Armentières où elle s’est noyée. Pendant ce temps, je lis dans La Voix du Nord que la pêche à l’aimant est en expansion dans les rivières de la région, un adepte a ainsi récupéré cinq cents kilos de ferraille en quatre mois. Il n’y a aucun rapport entre les deux sujets.
Le train pour Lille Flandres part à onze heures zéro huit précises et me dépose vingt-quatre minutes plus tard devant la gare désaffectée d’Esquelbeck. Je suis le seul sur le quai. A la sortie, je hèle une factrice qui descend de sa voiture de l’autre côté de la rue et lui demande si le centre du village, c’est bien par là.
-Oh oui, me dit-elle, mais faut bien marcher deux kilomètres.
L’averse menace, je presse le pas et ai le temps d’arriver jusqu’à la belle église de briques bicolores dont le carillon est à l'extérieur sans avoir à ouvrir mon parapluie. Autour de la place sont quelques bouquineries dont une moitié est fermée.
Hormis une baraque à frites, le seul endroit ouvert pour déjeuner est La Chèvre Book’In (hin hin hin) qui se trouve au bout d’un couloir entre deux bouquineries dont l’une est ouverte. « Estaminet littéraire » est-il écrit au-dessus de la porte.
Outre une grande salle, s’y trouvent une terrasse couverte et des chaises et tables dans le jardin, mais tout est mouillé dehors. Le couple de tenanciers pourrait être qualifié de soixante-huitards : longue barbe grise et cheveux en catogan pour lui, cheveux en chignon lâche et créoles pour elle. Je les devine ici depuis longtemps, un peu englués dans la campagne et la routine.
La femme me confie une clé pour que je puisse utiliser les toilettes qui sont dans le couloir puis je m’installe à une des tables de l’intérieur. Aux murs sont des affiches sans souci d’unité. Belmondo dans Week-end à Zuidcoote côtoie Guernica de Picasso. Deux bibliothèques montrent des livres sans intérêt. Il doit s’agir d’un reliquat des voisins bouquinistes. La carte des boissons est déconcertante par ses prix disparates. Un verre de vin coûte quatre euros mais la bouteille de soixante-quinze centilitres seulement treize. Le café n’est qu’à un euro dix. Le Martini à deux cinquante. J’en prends un et me contente de la carafe d’eau pour le repas.
La formule entrée plat est à seize euros. Je choisis la tarte au maroilles et le pavé de Vire avec des frites. Le pain est chichement compté et semble provenir d’un sachet. C’est peu copieux, à peine cuisiné.
Se sont aussi installés une mère avec sa fille adulte et un couple de quadragénaires qui n’ont rien à se dire. Je ne suis pas favorable à la musique d’ambiance dans les restaurants mais ici, oui, ce serait bien. Pendant dix minutes, une drache claquant sur la verrière rend l’atmosphère un peu moins pesante.
-Ça s’est bien passé ? me demande la femme à l’issue.
Je suis lâche dans cette situation, je dis toujours oui oui.
-De passage ? demande-t-elle au couple qui paie avant moi.
Elle ne me pose pas la question. Dommage, j’étais prêt à lui dire « On est tous de passage ».
Je quitte cet estaminet littéraire qui n’est ni l’un ni l’autre. C’est plutôt une cantine mortifère. Sinistre, le village l’est dans son ensemble avec ses bouquineries petites et sombres, dans lesquelles je n’entre pas, et ses autres commerces qui ferment sur le temps du repas.
Je parcours vite fait les deux kilomètres jusqu’à la gare et peux ainsi choper le treize heures trente-sept pour Dunkerque.
                                                              *
Montolieu, Bécherel, La Charité-sur-Loire, Fontenoy-la-Joute et maintenant Esquelbeck, je suis passé par cinq des huit Villages du Livre et n’y ai pas acheté le moindre ouvrage.
J’ai en revanche le souvenir d’un bon repas dans un restaurant de La Charité-sur-Loire et celui des excellents moments passés dans l’ébouriffant bistrot La Vache Qui Lit à Bécherel.
 

10 août 2018


Pluie annoncée ce jeudi, c’est le moment de ne pas s’éloigner. Dès huit heures, sous un ciel chargé, je me dirige pédestrement vers le quartier dit Excentric situé à moins d’un kilomètre de mon logis temporaire.
-Il faut que tu ailles voir Excentric City, m’a dit le sympathique musicien menuisier de ma connaissance au marché du Clos Saint-Marc lorsque je lui ai dit que j’allais à Dunkerque.
J’ai également eu connaissance de ce lieu par Le Guide du Routard et par l’Office du Tourisme de DK mais est-ce que cela aurait suffi à ce que je mette le pied dans ce petit coin de Rosendaël, pas sûr.
Cet endroit dit Excentric l’est pour les trente-cinq maisons qu’y a construites l’architecte François Reynaert dans les années Trente, parfois sans autorisation et en payant des amendes. On prend la rue Dumez et on arrive dans l’ilot constitué des rues Martin-Luther-King et André-Chénier. C’est un enchantement pour les yeux.
Profitant de l’absence de circulation automobile, je fais de nombreuses photos depuis le milieu de la rue de ces constructions tarabiscotées et colorées. Certaines sont un peu dégradées. L’une beaucoup : la villa Les Disques qu’habita la fille du bâtisseur. Des gars de la ville arrosant les fleurs me regardent faire l’air de se dire « Bah quoi, c’est des maisons, pourquoi les prendre des photos ? ».
Je vais ensuite voir ce qu’il en est du Laac, Lieu d’Art et Action Contemporaine, situé dans un parc pas loin de la mer. Après avoir payé deux euros seulement, privilège de la vieillesse, je visite d’abord l’exposition temporaire Enchanté au premier étage.
D’intéressantes œuvres y sont montrées dans des salles disposées en cercle au-dessus d’un amphithéâtre dans lequel une femme fait découvrir l’art contemporain par le jeu à une douzaine de bambins d’âge maternel.
Je note les Portraits des travailleurs de la rue photographiés par Pierre Mercier, l’Œuvre sans valeur de Robert Filliou, les objets de grève photographiés par Jean-Luc Moulène, l’installation Local Time de Jean-Luc Vilmouth (quatre-vingt-dix-neuf horloges à l’heure de Dunkerque et quatre-vingt-dix-neuf marteaux symbolisant le travail de l’ouvrier mais avec lesquels je les briserais bien), des affiches arrachées de Raymond Hains, un petit Andy Warhol, douze photos de châteaux d’eau signées Bernd et Hilla Becher, pas mal de Ben dont « N’importe qui peut avoir une idée » (eh oui, même Ben),  la valise expansion de César, l’inquiétant Antoine n°5 de Monory, la Trabant peinte par Philippe Hollevout (que j’ai prise dans un premier temps pour une œuvre de Combas), une compression de César, des toiles de Joan Mitchell, Sam Francis, Pierre Soulages et Gérard Schlosser, des violons massacrés par Arman.
Parmi les œuvres de la collection permanente, je note un personnage en bronze de Miró, le Circus de Karel Appel, la maquette d’un projet d’Arman pour une accumulation de grues portuaires (hélas non réalisée), une nana de Niki de Saint-Phalle et le tableau d’Erro qui sert de support aux moutards.
Au deuxième étage sont visibles des œuvres graphiques dont beaucoup cachées dans des meubles. Tu tires un tiroir : tiens un Fautrier, un autre : tiens un Alechinsky et Dotremont, un autre : tiens un André Masson, un autre : tiens un Henri Michaux, etc. Le « Sois jeune et tais-toi » de Mai Soixante-Huit est aussi ici.
-Ça vous a plu ? me demande la dame de l’accueil quand je redescends.
-On n’a pas ça à Rouen malheureusement, lui dis-je.
J’ai le temps de marcher un peu sur la digue et dans le vent avant que la pluie n’arrive. Je me réfugie alors au Longchamp, un Péhemmu où le café n’est qu’à un euro. On y perd de l’argent en famille à des jeux de tirage (grand-père, père en maillot Griezmann, mère et deux filles de douze et quinze). « Stop aux clients sales », est-il écrit sur la porte des toilettes commandée électriquement depuis le bar.
A midi, je déjeune une nouvelle fois au Figaro : tartare de thon macédoine et œuf dur sur salade, fricassée de poulet aux pleurotes et girolles avec légumes, trio de desserts. C’est la formule vin à volonté. Je rentre sous le parapluie. C’est plus ou moins tout droit.
Et je ne bouge plus de mon abri, tandis qu’il drache jusqu’à la nuit.
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Parmi les réalisations de François Reynaert : la salle de spectacle l’Excentric Moulins, avec permis de construire, qu’il dirigea jusqu’à sa mort, il y a soixante ans, le douze août mil neuf cent cinquante-huit.
 

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