Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

4 mai 2020


Première information de ce dimanche matin : la mort d’Idir, le chanteur kabyle, d’une « maladie pulmonaire », à l’âge de soixante-dix ans. Je l’avais vu en concert gratuit au Théâtre Charles Dullin du Grand-Quevilly. C’était en mars deux mille sept pour l’ouverture du festival métropolitain Les Transeuropéennes, disparu depuis. Une centaine de personnes avaient dû rester dehors et à l’issue l’agglo avait offert champagne et petits fours épicés. C’était une période faste. Si je m’en souviens si bien, c’est que j’ai raconté cela dans la première partie de mon Journal.
C’est le deuxième chanteur qui sera mort avant que j’atteigne son initiale dans la réécoute alphabétique de ma cédéthèque francophone. J’en suis à Jacques Dutronc avec le bon C Q F Dutronc, les moyens Brèves rencontres et Madame l’Existence et enfin son concert au Casino de Paris, puis je passe  à Stephan Eicher, dont je ne suis pas fou, Engelberg, Carcassonne et Louanges.
Dans la deuxième moitié de l’après-midi, l’absence de gouttes d’eau et la douceur de la température me permettent de lire un peu du Journal de Samuel Pepys sur le banc du jardin. Depuis le début du confinement, l’arbre a largement eu le temps de passer de tondu à feuillu.
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Olivier Véran, Ministre de la Santé, fait les gros yeux. Attention si vous n’êtes pas sages, point de déconfinage.
Un chantage de mauvais prof auquel personnellement je me suis toujours refusé, préférant dire à mes élèves : « Oui on ira en voyage scolaire le onze mai, en attendant vous vous tenez tranquille. »
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Idir, je l’ai découvert comme tout le monde avec A Vava Inouva qui passait et repassait sur les radios en mil neuf cent soixante-seize. M’a toujours étonné le fait qu’on annonce cette chanson sous le nom de son compositeur et non pas sous celui de celle qui l’interprète et sans qui elle n’aurait pas eu un tel succès.
Il faut se donner un peu de mal pour trouver son nom : Mila.
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Entendu à la radio ou à la télé, l’autre jour, un invité évoquant la mortalité chez les humains de sexe mâle, déclarer : « Il y a aussi le virus des soixante-dix ans. »
 

3 mai 2020


Ce samedi matin est marqué par la colère des pharmaciens et autres professionnels dits de santé suite à l’annonce par la grande distribution (comme elle s’appelle elle-même) de la mise en vente dès lundi de millions de masques jusque-là introuvables, peut-être ceux commandés en Chine par mon codétenu du troisième étage. Ne fréquentant pas cette grande distribution, je n’en aurai pas davantage. Quand même, je demande au caissier de U Express si certains arriveront jusqu’ici. « Cela m’étonnerait », me répond-il.
Malgré quelques nuages venus d’une direction inhabituelle, je peux lire sur le banc du jardin. Après la peste, Samuel Pepys fait face à l’incendie de Londres, dont heureusement pour lui sa maison sort indemne, le feu s’arrêtant au bout de sa venelle. Ayant pris accidentellement dans une boulangerie, cet incendie se propagea durant quatre jours et quatre nuits sur deux cents hectares, détruisant environ treize mille deux cents maisons ainsi que de nombreux monuments. Il ne laissa debout qu’un cinquième de la ville. Cent mille personnes se retrouvèrent à la rue. Pepys raconte cela très bien avant de faire revenir son or et son argent mis en sûreté. Ce qui ne revint pas, ce fut la peste, vaincue par les flammes. Cette lecture est agréablement accompagnée par le concert de carillon hebdomadaire puis par le calme.
C’est à l’intérieur que je poursuis le tapotage de ma prise de notes de lecture du premier tome de son Journal en reprenant ma réécoute des cédés francophones à la lettre Dé. Une mienne connaissance s’inquiète de mon classement à cette lettre d’Albin de la Simone « Mon côté bibliothécaire trouve à redire même si vous faites comme vous voulez », m’écrit-elle. Je me suis posé la question. Devais-je le mettre avec Nina Simone ou près de Vincent Delerm ? Mon choix est un peu tendancieux, je le reconnais. Cela aurait plus simple s’il avait gardé son véritable nom, Albin L'Eleu de la Simone.
Je n’ai pas ce genre de problème avec le plébéien Dutronc, un de mes compagnons d’adolescence, dont j’écoute deux compilations (disques Vogue) des succès des années soixante. La seconde se termine hélas par des niaiseries post Jacques Lanzmann datant du début des années soixante-dix : Le petit jardin, La France défigurée, La ballade du bon et des méchants, J’comprends pas. Je ne comprends pas non plus. Heureusement, par la suite, Dutronc sortira du trou.
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Cela fait aujourd’hui un quart de siècle qu’est mort à La Rochelle, de façon naturelle ou provoquée, mon frère Jacques. Dans son recueil « les animots », il écrivait : on ne confondra pas ma mort avec une gousse d’ail.
 

2 mai 2020


Quoi de plus tentant ce matin de Premier Mai qu’une sortie pédestre reprenant partiellement le chemin de la sempiternelle manif à laquelle je m’abstenais de participer avant guerre, sauf quand le père Le Pen fut au second tour de la Présidentielle et peut-être aussi une fois où il s’agissait de marcher contre le recul de l’âge de départ à la retraite.
A six heures trente, le jour à peu près levé, sous un ciel gris, muni d’un parapluie, je remonte la rue de la Rép puis tourne à gauche dans celle du Canuet que je parcours jusqu’à sa fin. Il faudrait ensuite descendre une partie du boulevard des Belges avant de mettre le cap sur la Préfecture, mais une manif ça s’abandonne avant la fin.
Aussi, je redescends vers l’hypercentre par la rue Cauchoise. Sur la porte du Rêve de l’Escalier, une annonce avec faute d’orthographe indique qu’on n’y rachètera plus de livres jusqu’à une date indéterminée, ce dont je me doutais. A la réouverture des magasins, cette bouquinerie fera partie des lieux dans lesquels j’aurai du mal à entrer tant que le virus courra. La raison en est sa forme de couloir avec passage très étroit devant la caisse. Par le passé déjà, je n’y restais guère quand s’y trouvaient plus de trois personnes.
Après être passé sous l’église de la Jeanne et avoir brièvement ouvert mon parapluie, je remonte la rue du Gros jusqu’à la Cathédrale et à sept heures dix je suis chez moi où mes activités sont chaque jour les mêmes. Je l’ai voulu ainsi et que ferais-je sinon ?
A la lettre Dé de ma cédéthèque, cela commence par Dani, une compilation de son meilleur avec l’inoubliable Comme tu les aimes de quand elle était jeune avec cette bouche qui inspirait à mes seize ans des pensées lubriques. Puis vient le souchonien Un homme d’Albin de la Simone, sympathique garçon avec qui j’ai discuté une après-midi sans savoir que c’était lui, à Paris, chez Philippe Dumez qui, lui, par la suite s’est révélé l’être beaucoup moins. J’enchaîne avec le premier de Vincent Delerm, son meilleur, avec des chansons qui pourraient aider à passer à l’acte un dimanche (ou autre jour férié) où l’on songerait à se suicider. Je termine avec Pour lui, la compilation du meilleur de Lucienne Delyle ; pour le feu de la Saint-Jean, cette année c’est fichu.
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A chaque fois qu’une éclaircie me donne l’espoir d’aller lire sur le banc du jardin, une averse le douche.
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Naïve / Craintive / Captive / Comme tu les aimes / Aimante / Démente / Savante / Comme tu les aimes (Dani)
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Pour me consoler un peu des miens, j’ai les soucis de santé de Samuel Pepys :
Dix octobre mil six cent soixante et un : Rentré chez moi avec l’intention de passer une soirée joyeuse, car c’est mon sixième anniversaire de mariage, mais j’ai si mal à un testicule que je me suis meurtri dernièrement, que je prends mon souper et au lit, dolent ; ma femme et moi assez joyeux tout de  même.
Onze octobre mil six cent soixante et un : Toute la journée avec un cataplasme sur mon couillon ; me lève un peu le soir, puis me recouche, un peu soulagé par rapport à la nuit dernière.
Quinze octobre mil six cent soixante et un : Retour chez moi fort dolent ; trop marché aujourd’hui si bien que j’ai fait de nouveau enfler mon testicule, ce qui me préoccupe fort.
 

1er mai 2020


Elle venant de la rive gauche, moi de la rive droite, c’est logiquement sur le pont de l’île Lacroix, qu’au prétexte d’une sortie liée à l’activité physique individuelle, nous nous rencontrons, avant que drache ne tombe, pour une transaction à but non lucratif, mais néanmoins non autorisée pas l’état d’urgence sanitaire.
En échange du masque qui me sera nécessaire lundi prochain pour mon examen médical, je lui remets deux livres qui j’espère lui plairont. Puis, avec l’air dégagé de qui n’a rien fait de mal, nous repartons chacun de notre côté.
Le mauvais temps ne m’incite pas à prolonger la promenade. Rentré, au fil de la journée, tout en lisant Pepys puis tapotant mes notes de lecture du même, je poursuis ma réécoute alphabétique du domaine francophone de ma cédéthèque, lettre Cé suite et fin.
Se succèdent donc dans ma platine d’une façon fort hétéroclite Chansons pour de rire de Coluche, Retrouvailles de Nicolas Comment (à qui j’ai vendu un livre avant guerre) et Xavier Waechter (sur des textes de Bernard Lamarche-Vadel), Mes plus grands succès d’Eddy Constantine, Cornu et à 3 de Cornu (il n’y eut pas de troisième disque) et Live de Patrick Coutin (enregistré à Lille, avec pour couverture une paire de fesses assez moyenne).
Cornu, ça me plaît beaucoup, les textes et la voix de Julie Bonnie, son violon poussé jusqu’à saturation. Celle qui me l’a fait découvrir, depuis longtemps me tient pour mort.
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Cornu, Je suis fière (mes fesses) : J'aime mes fesses et je t'aime, ma sœur / J'aime mes seins et j'aime aussi, les tiens / Sincèrement je vous mélange, mes frères / Dans la glace je perçois bien, vos lèvres.
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Vingt-trois avril mil six cent soixante et un, couronnement de Charles II, de notre envoyé spécial Samuel Pepys :
Mais j’avais une telle envie de pisser que je sortis un peu avant que le roi n’eût achevé toute ses cérémonies et remontai le long de l’abbaye jusqu’à la Grand-Salle de Westminster, en faisant tout le trajet derrière des barrières, au milieu de 10 000 personnes, sur un sol recouvert de drap bleu – avec des tribunes tout le long. (…)
Si jamais je fus saoul, c’est bien cette fois-là – je ne m’en rendis pas compte sur le moment, car je plongeai dans le sommeil jusqu’au matin. Lorsque je me réveillai, je me sentis humide de ma propre vomissure. C’est ainsi que se termina cette journée dans l’allégresse universelle…
 

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