Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 décembre 2023


Ce Marché de Noël qui m’empêche de traverser le parvis de la Cathédrale en diagonale pour aller chez mon nouveau dentiste ce mardi matin est le copié collé du précédent avec peut-être davantage de tables hautes pour poser son godet après avoir été le remplir aux abreuvoirs de vin chaud.
Mon rendez-vous est à neuf heures, le premier de la journée. Je ne suis pas tranquille, il s’agit de m’arracher une dent de sagesse. Dans la salle d’attente me tient compagnie un plus vieux que moi qui a rendez-vous avec une autre dentiste pour un souci d’appareil. A un moment, il se lève et se tourne vers la fenêtre pour remonter sa braguette sans que je m’en aperçoive.
Mon nouveau jeune dentiste aux cheveux longs arrive à neuf heures pile. L’ancien aux cheveux gris est encore là pour quelques interventions par semaine avant d’être tout à fait à la retraite. Il me dit bonjour, sachant pourquoi je suis là, l’extraction d’une dent de sagesse. « Une dent en moins, ce n’est pas une bonne chose », lui dis-je. « Quand il n’y a pas d’autre solution », me dit-il. Et d’ajouter : « Ça dépend de l’endroit où elle se situe. »
« Je suis un peu stressé », dis-je à mon nouveau dentiste qui cache ses cheveux sous une toque. « Ça peut se comprendre », me répond-il. Quand je suis allongé, il prépare l’anesthésiant. Une piqûre, deux piqûres, cela ne suffit pas, il faut en faire d’autres. Après ce moment désagréable, la dent est arrachée rapidement. Aidé par son assistante, il nettoie la plaie puis me fait serrer une compresse entre la mâchoire supérieure et la mâchoire inférieure afin d’arrêter l’hémorragie.
Je dois la garder quarante-cinq minutes sans ouvrir la bouche, même pour parler. C’est donc sans que je puisse poser de questions que l’arracheur de dent me donne des instructions pour les jours à venir, manger et boire ni chaud ni froid, pas d’alcool si possible, ne pas cracher quand je me brosse les dents. Le but étant que la cicatrisation se fasse à partir du caillot. Il me fait une ordonnance pour un bain de bouche à partir de jeudi soir et me demande si j’ai du paracétamol à la maison.
Sans un mot, je le salue et fais de même avec son assistante et secrétaire après avoir payer le reste à charge.
 

18 décembre 2023


La même semaine, des collégiens musulmans ont la pudeur choquée par la vue d’une reproduction montrée en classe du Diane et Actéon du Cavalier d'Arpin (leur professeure, menacée, est accusée d’islamophobie) et des féministes créent une pétition en ligne demandant à ce qu’une future station de métro aux Lilas ne porte pas, comme il est prévu, le nom de Serge Gainsbourg.
Le Nouvel Ordre Moral est une coproduction des Islamistes et des Néo Féministes, avec le concours des puritains réseaux sociaux américains et chinois.
                                                                    *
Celles et ceux qui appellent à la censure quand leur sensibilité est heurtée par des mots, des images, des idées ou des faits heurtent ma sensibilité.
                                                                    *
Marchant dans les rues de Rouen, je me demande quand y a été visible la dernière affiche publicitaire montrant une femme nue. Il aurait fallu être vigilant, noter cela.
                                                                    *
Autre disparation, on ne voit quasiment plus de couples s’embrassant dans la rue, le métro, les cafés ou un tout autre lieu public. S’ils le font, c’est presque toujours un court baiser sur la bouche pour se dire au revoir, pas en se roulant des pelles (pour utiliser une expression que je n’aime pas et qu’on n’entend plus). Si Brassens revenait, il ne pourrait plus chanter Les Amoureux des bancs publics.
                                                                     *
Comme on peut le constater, depuis que la Vertu fait rage, le monde va beaucoup mieux.
 

16 décembre 2023


Au début du mois d’août dernier, j’achète à l’automate de la Gare de Rouen un billet pour Le Havre, aller et retour le cinq août.
Une forte pluie étant annoncée au Havre le jour choisi, j’annule ce billet le quatre août au même automate, repartant de la Gare avec en main un ticket d’annulation où il est écrit que ma demande de remboursement est bien prise en compte, qu’elle sera traitée dans les prochains jours et que je recevrai un mail avec toutes les informations pour ce remboursement.
Mi-août, n’ayant rien reçu, j’envoie un mail à Train Nomad pour m’en étonner et demander quoi faire pour que mon remboursement devienne effectif.
Le mercredi seize août, j’obtiens la réponse qui suit :
« Bonjour,
Nous avons bien reçu votre message et vous remercions d'avoir pris le temps de nous écrire. 
Nous vous confirmons que votre demande est bien prise en compte. 
Compte tenu  d’un flux très important de demandes, le délai de traitement est fortement rallongé. Nous mettons tout en œuvre pour réduire votre temps d’attente et répondre à vos demandes. 
Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée. »
Le mercredi vingt-trois août, nouveau message de Train Nomad :
« Nous souhaitons vous informer que nous sommes toujours en cours de traitement de votre demande.
Soyez assuré que nous mettons tout en œuvre pour vous répondre dans les meilleurs délais.
Afin de ne pas encombrer le service, nous vous invitons à ne pas réitérer votre demande et à bien vouloir patienter. »
Je patiente, je patiente, et enfin, le vendredi treize octobre, deux mois après ma demande, je reçois le mail suivant :
« Par votre courriel du 16 août 2023, vous me faites part de l’annulation de votre voyage entre Rouen Rive Droite et Le Havre le 5 août dernier. Vous demandez un remboursement.
Tout d'abord, je vous prie d’accepter mes regrets pour le délai apporté à ma réponse. Le temps de traitement des réclamations a été allongé en raison d’un flux important de demandes.
Je regrette vivement les désagréments que vous avez connu (sic) en la circonstance.
Cependant, l'étude de votre dossier est suspendue en raison du manque de pièce :
Vos titres de transports (la mention du prix et le référence dossier voyage doit impérativement apparaître)
Votre relevé d’identité bancaire
Votre adresse postale complète
Pour permettre la finalisation de votre dossier, ces pièces sont indispensables. Je vous remercie de bien vouloir me les faire parvenir en retour à ce courriel. »
Quand je rentre d’Annecy, je communique le numéro de dossier de mon voyage annulé, les chiffres et lettres figurant sur mon relevé d’identité bancaire et mon adresse postale complète.
Pour réponse, j’ai droit à ceci le jeudi vingt-six octobre :
« Bonjour,
Nous avons bien reçu votre message et vous remercions d'avoir pris le temps de nous écrire. 
Nous vous confirmons que votre demande est bien prise en compte. 
Compte tenu  d’un flux très important de demandes, le délai de traitement est fortement rallongé. Nous mettons tout en œuvre pour réduire votre temps d’attente et répondre à vos demandes. 
Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée. »
Puis le lundi trente octobre :
« Par votre retour de courriel du 26 octobre 2023, j'atteste la bonne réception de vos informations et vous en remercie.
Votre demande a retenu toute mon attention.
Cependant, afin de finaliser votre demande et comme indiqué dans mon précédent courriel, je vous invite à me faire parvenir votre billet ou justificatif de voyage (la mention du prix et la référence dossier voyage doit impérativement apparaître) en retour de ce courriel.
Par ailleurs, sans cette pièce justificative, je ne pourrai donner suite à votre demande. »
Ce même jour, je réponds :
« Je n'ai en ma possession que le ticket d’annulation avec la référence du dossier annulé où le total à rembourser est indiqué. Sur ce ticket d'annulation il est écrit que ma demande de remboursement est prise en compte et qu'on me contactera par mail, ce qui n'a jamais été fait.
Avec le numéro de dossier, vous avez tout ce qu'il vous faut pour me rembourser. »
Train Nomad me récrit le lundi trente octobre :
« Nous avons bien reçu votre message et vous remercions d'avoir pris le temps de nous écrire. 
Nous vous confirmons que votre demande est bien prise en compte. 
Compte tenu  d’un flux très important de demandes, le délai de traitement est fortement rallongé. Nous mettons tout en œuvre pour réduire votre temps d’attente et répondre à vos demandes.
Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée. »
Puis le lundi six novembre, nouveau mail :
« Nous souhaitons vous informer que nous sommes toujours en cours de traitement de votre demande.
Soyez assuré que nous mettons tout en œuvre pour vous répondre dans les meilleurs délais.
Afin de ne pas encombrer le service, nous vous invitons à ne pas réitérer votre demande et à bien vouloir patienter. »
Cette fois, je n’ai pas à attendre longtemps avant que Train Nomad ne me récrive. Le nouveau mail arrive mardi sept novembre :
 « Par votre retour de courriel du 30 octobre 2023, vous me faites part de ne pas être en possession de votre billet. Vous demandez un remboursement.
Votre demande a retenu toute mon attention.
Cependant, je vous invite à me faire parvenir le ticket d'annulation en votre possession et votre relevé d'identité bancaire complet en retour à ce courriel.
Par ailleurs, sans ces pièces justificatives, je ne pourrai donner suite à votre demande. »
Immédiatement, j’envoie un mail avec les photos des deux documents demandés en pièces jointes en espérant que cette fois je vais pouvoir toucher le remboursement qui m'est dû.
Le jeudi neuf novembre, c’est enfin la bonne nouvelle :
« Par votre retour de courriel du 7 novembre 2023, j'atteste la bonne réception de vos documents et vous en remercie.
Votre demande a retenu toute mon attention.
Après étude de votre dossier, j’ai le plaisir, au nom de SNCF, de vous informer qu’un virement bancaire de 15,60 € a été effectué à votre profit. Cette somme sera disponible sur votre compte dans une vingtaine de jours (délai de mise en œuvre par les organismes bancaires).
Ce montant correspond au remboursement de votre billet. »
Allez, plus que vingt jours à attendre.
Effectivement, le vingt-neuf novembre mon compte est crédité de la somme attendue depuis le quatre août.

15 décembre 2023


Sous la pluie, je rejoins la Gare de Rouen, ce mercredi. Le train pour Paris de sept heures vingt-quatre n’est plus. Il est remplacé par le train de sept heures vingt-trois. Cette minute en plus permet d’arriver à la même heure. La Senecefe a plus d’un tour dans son sac.
Le ciel est gris dans la capitale mais point de pluie. Je choisis donc le bus pour rejoindre la Bastille. Dans le Marais des affiches rappellent qu’« Il y avait un cessez-le-feu avant le 7 octobre ».
Je dois sortir le parapluie avant d’arriver au Marché d’Aligre. Si Emile n’a pas risqué ses livres, les remplaçant par de la friperie, son concurrent expose les siens sans protection contre l’eau qui tombe des nuages. Avant la catastrophe, et contre deux euros, je sauve le numéro vingt-deux de la revue de bandes dessinées Psikopat dans lequel on trouve Crumb et Shelton puis vais m’abriter au Camélia.
J’y lis jusqu’à onze heures Les Veuves abusives d’Anatole de Monzie, réédité aux Cahiers Rouges Grasset avec une préface du fâcheux Emmanuel Pierrat. Un sale type cet Anatole de Monzie, responsable des ennuis de Célestin Freinet, ami avec le nazi Otto Abetz. Son livre est un manuel de misogynie bien écrit. A propos de Marie-Louise, veuve de Napoléon : ce n’était qu’une oie accouplée à un aigle.
Je passe une heure chez Book-Off, où la foule d’avant Noel me saoule, puis rejoins Châtelet en métro. Sorti place Sainte-Opportune, je pousse la porte du restaurant Au Diable des Lombards mais y découvrant beaucoup de monde je la referme, pas envie d’attendre mes plats pour cause de serveur unique.
Je marche jusqu’au China, le restaurant à volonté à douze euros cinquante de la rue de la Verrerie. Cinq mangeurs m’ont précédé. Je trouve place au bout d’une longue table. Il y a bientôt trop de monde à mon goût, surtout des touristes étrangers. Deux vieilles Françaises du genre baba, vêtues comme des bohémiennes, m’énervent particulièrement. Elles ne savent pas comment procéder pour se servir, ni utiliser les micro-ondes. L’une d’elles parle fort au téléphone. Je les mettrais dehors si j’en avais le pouvoir.
Il pleut à fond quand j’en sors. Je n’ai pas loin à marcher pour atteindre le Book-Off de Saint-Martin mais j’y arrive trempé. Heureusement, il n’y a pas trop de monde au sous-sol dans lequel Fip se laisse aller à la musique de Noël.
Il pleut toujours quand je remonte. Sans sortir le parapluie, je rejoins la station Hôtel de Ville puis ressors de sous la terre à Quatre Septembre. A la pizzeria La Trama je peux une nouvelle fois boire un café au prix du comptoir d’à côté. C’est la dernière fois. Samedi, le Bistrot d’Edmond rouvrira.
Le troisième Book-Off est celui dont les allées sont les plus étroites. Elles sont plus qu’encombrées à cette période. Quand on n’a pas d’idée, qu’on on ne veut pas dépenser beaucoup pour un cadeau, on vient ici. Je suis une nouvelle fois exaspéré.
C’est au sec que je rejoins la Gare Saint-Lazare où dans la zone commerciale une jeune femme brune offre un concert de chants de Noël. On voit là pendues de grandes affiches à la gloire du Chivas. Je croyais que la publicité pour l’alcool était interdite. Je dois me tromper.
Le train du retour n’a pas changé d’horaire. J’arrive à Rouen après la pluie. Le Musée des Beaux-Arts brille de tous ses feux. Sous les yeux de trois Policiers y entre la bourgeoisie bourgeoisante. Il s’agit de fêter la désignation de Rouen comme Capitale Européenne de la Culture deux mille vingt-huit, mais zut, c’est Bourges qui l’emporte.
Pourtant vers la fin, Nicolas Mayer-Rossignol, Maire de Rouen, Socialiste, avait compris qu’il fallait parler des faiblesses de la ville pour que sa candidature ait une chance d’être retenue. Bourges en avait davantage, notamment d’être petite et enclavée.
                                                                        *
Quelques livres à un euro trouvés dans les trois Book-Off : Chez les fous d’Albert Londres (Le Serpent à Plumes), Alice et autres nouvelles d’Anaïs Nin et ses amis (La Musardine), Nancy Mitford, la dame de la rue Monsieur de Jean-Noël Liaut (Allary Editions), Dictionnaire du parfait cynique de Roland Jaccard illustré par Topor (Hachette), Londres intime de Fernand Auberjonois illustré par lui-même (Metropolis) et Ma chienne de vie de James Thurber illustré par lui-même (Wombat).
                                                                        *
Dans le Dictionnaire du parfait cynique de Roland Jaccard, à l’entrée Foule, cette citation de Sénèque : La preuve du pire, c’est la foule.
 

12 décembre 2023


Genevois, Daniel de Roulet, bien qu’athée, marche en deux mille douze de Saint-Coulomb à Soissons sur les traces de Gall et de Colomban, moines partis d’Irlande en l’an six cent douze. Je le suis en lisant au Socrate son récit de voyage Légèrement seul publié chez Phébus. Muni d’un gépéhesse et d’une carte, il va au bord des routes, pas les rouges ni les jaunes, mais les blanches, moins fréquentées par les véhicules à moteur, ce qui n’empêche pas que parfois il doive sauter dans le fossé pour éviter d’être heurté.
Au cours de ma lecture, je découvre, pour une fois, quelqu’un d’accord avec moi sur les éoliennes :
Ces moulins à vent métalliques s’élèvent donc à cent vingt et un mètres. Dix fois trois pales tranchent le vent, produisant un bruit que je ne peux que qualifier de langoureux ; comme le serait un ressac régulier sur la plage d’une mer calme, avec un quelques chose d’industriel fort plaisant, la rumeur d’un bateau amarré résistant au ressac. Ceux qui n’aiment pas les éoliennes disent qu’elles gênent le sommeil des vaches. Le bruit d’une fontaine nous empêche-t-il de dormir ?
Et qui a le même regard que moi sur les familles de bicyclistes :
Dimanche, de joyeuses familles cyclistes en promenade à la queue leu leu, comme les canards, le mâle devant et la mère qui roule derrière les canetons casqués.
Son parcours le mène au Havre :
Il vient sans doute d’Irak ou de plus loin. Je lui parle anglais, puis français, il ne comprend pas. Pour lui, le voyage est terminé, il ne réussira pas à s‘accrocher sous un camion qui traverse la Manche. Malgré mon habituel manque de charité, je lui laisse une pièce et m’enfile dans une belle et grande librairie, La Galerne, où je trouve de confortables fauteuils de cuir rouge, du café, des pâtisseries et des rayonnages bien garnis. (…)
Entré dans la librairie à 11 heures, j’en ressors à 18 h 30.
Puis le voici marchant le long des falaises allant de valleuse en valleuse et se méprenant :
A chaque fois que la rivière réussit à s’ouvrir un passage jusqu’à la mer, la falaise s’interrompt, il faut descendre jusqu’à une crique, remonter de l’autre côté. L’une d’elles, surnommée l’Avaleuse du curé, est si friable que le maire a fait placarder une mise en garde sous plastique désormais illisible.
La pluie le fait flancher et rejoindre la Gare de Bréauté-Beuzeville :
Quand le train arrive à Rouen, il pleut encore. Dans la ville policée j’ai mauvaise allure, grosses chaussures, chemise hors du pantalon. Deux clochards sous un abribus me hèlent : « Allez, le vieux, viens finir le litron avec nous. »
Il prend une chambre prés de la Gare :
Hôtel Morand. Construction médiévale tremblant à chaque fois qu’on referme la porte, escalier aux marches de bois couvertes d’un tapis retenu par des tringles. La réceptionniste, petite boulotte sympathique comme une Sud-Américaine, sourit en servant le café et plus tard, changent les draps, encaissant les factures, renseignant les clients attirés par le prix dérisoire des chambres. Même si la nuit est animée par des bruits divers à tous les étages, au matin je n’y pense plus. Devant moi, une journée à Rouen ; je la consacrerai à chercher les traces du passage de Gall ou de Colomban.
Daniel de Roulet ne trouve pas trace de ce passage dans la Cathédrale, ni au Musée des Beaux-Arts où il croit voir dans un tableau Mme Bovary transportée par deux brancardiers suivis d’un cortège de curieux et dans un autre ce pauvre M. Bovary se désolant au pied du lit de la morte.
Peut-être nous sommes-nous croisés ce vendredi dix-huit mai deux mille douze quand il se baladait en ville, ce qu’il résume (beaucoup trop, à mon goût) d’un simple : Promenade sur les pavés de Rouen. car, me dit mon Journal, j’étais en ville ce jour-là :
Ce vendredi matin, sur le parvis de la Cathédrale de Rouen, on monte la scène destinée aux festivités d’inauguration de l’Espace Monet-Cathédrale, l’immeuble privé construit en lieu et place du jardin promis aux Rouennais(e)s par Valérie Fourneyron avant qu’elle ne soit élue Maire, remplaçant feu le Palais des Congrès abandonné pendant des années qui avait fini par ressembler à un kouglof pas très frais.
                                                                       *
Jamais entendu parler de Daniel de Roulet (né à Genève le quatre février mil neuf cent quarante-quatre) avant de payer son Légèrement seul un euro chez Book-Off.
Ouiquipédia m’apprend que le cinq janvier mil neuf cent soixante-quinze, il incendia le chalet du magnat de la presse allemande Axel Springer, ancien nazi, situé sur un alpage au-dessus de Rougemont. Un acte qu’il rendit public dans le livre Un dimanche à la montagne paru en deux mille six, après le délai de prescription.
 

11 décembre 2023


C’est fait, le nouveau voisin de l’appartement de l’étage où n’a passé que quelques mois la dame au petit chien, est arrivé. Ce samedi, avec des proches, il transporte ses meubles sous la pluie.
Je suis allé le voir la veille parce qu’à peine arrivé il avait mis sa musique un peu fort. J’ai affranchi ce jeune homme à casquette sur absence d’isolation phonique, lui ai appris que j’entends tout ce qui se passe chez lui.
J’ai l’impression qu’il ne m’a pas vraiment cru. Il m’a cependant promis d’en tenir compte, m’a dit qu’il était « plutôt calme », qu’il ne faisait pas de soirées, qu’il travaillait jusqu’à trois heures du matin et qu’il avait un chien. Je ne lui ai pas posé de question sur cet animal.
Le soir venu, comme il s’installe avec l’aide d’un peute, je vais dormir dans la petite chambre. Au cours de la nuit, par deux fois, j’entends aboyer le chien. Brièvement.
                                                                     *
Ce samedi, j’apprends avec un peu de retard la mort de Jean-Charles Houel que j’ai connu au temps du Comité d’Action de Gauche à Louviers, quand Ernest Martin était Maire et que la ville voulait aller vers l’autogestion. J’étais alors au Lycée des Fontenelles et Jean-Charles Houel était journaliste à La Dépêche de Louviers, hebdomadaire totalement acquis, grâce à lui, aux idées de la municipalité. Je le revois à cette époque parcourant les rues de ma ville natale dans sa Rodéo jaune, l’équivalent chez Renault de la Méhari de Citroën.
Plus tard, devenu rédacteur en chef, Jean-Charles Houel acheta une partie du terrain où mon père s’échinait à pratiquer l’arboriculture en perdant de l’argent. Il y fit construire une maison cossue.
C’est dans celle-ci qu’il est mort, à l’âge de soixante-dix-sept ans, d’une mauvaise chute ayant causé une commotion cérébrale, laquelle a été suivie à l’Hôpital d’un coma dont il ne s’est pas réveillé. « Il était en plein forme, n’avait aucune maladie », a déclaré l’un de ses enfants à La Dépêche de Louviers.
                                                                   *
Je me souviens de ce propos d’un spécialiste de la vieillesse il y a longtemps sur France Culture : « Beaucoup de personnes âgées ont peur dans la rue, alors que l’endroit dangereux pour elles, c’est leur salle de bains ».
 

8 décembre 2023


Mon voisin dort au moment où la cheffe de bord vient « valider les titres de transport ». Elle me demande l’autorisation de passer le bras devant moi pour le réveiller et s’excuse auprès de lui. Je reprends ma lecture du jour : Conrad, La vie à la mer d’Alain Dugrand. Nous sommes dans le train parti de Rouen à sept heures vingt-quatre. Il arrive à l’heure dans la capitale.
Le bus Vingt-Neuf annonce qu’il part dans cinq minutes. De Bastille je marche jusqu’au Marché d’Aligre. Chez Emile Débarras, quelques livres attirent mon attention mais je ne les achète pas. Parmi ceux-là, Anthologie nègre de Blaise Cendrars, qui ne sera sûrement pas réédité sous ce titre quand on sait la polémique en cours à propos du quartier de la Négresse à Biarritz.
Puisqu’il faut attendre onze heures pour qu’ouvre Book-Off, je bois un café assis au Camélia, lequel est surtout fréquenté à cette heure par les commerçants et artisans voisins.
Il y a du monde devant le rideau baissé de Book-Off à onze heures moins cinq et ça peste contre l’ouverture tardive. La plupart ne sont là que pour vendre, des livres notamment. Je constate que désormais certains sont repris de moins en moins cher, une broutille même. Au prétexte que leurs tranches sont un peu jaunies, on les paie dix centimes. Un livre à dix centimes sera mis en vente un euro. Soit dix fois son prix d’achat. Il n’y a pas beaucoup de commerçants qui font une telle culbute. Parmi ces livres à un euro il y en a pour moi : Souvenirs sur Apollinaire de Louise Faure-Favier (Les Cahiers Rouges / Grasset), Un trajet en hiver de Bernard Noël (Pol), Acqua alta de Joseph Brodsky (Arcades / Gallimard), Victor Hugo visions graphiques de Danielle Molinari (Paris Musées) et Victor Hugo sur les routes de Normandie, une anthologie parue chez Magellan & Cie.
Il y a davantage de monde que les mercredis précédents à midi au Diable des Lombards. Le jeune gérant, toujours seul à servir, court partout et sans cesse. Je dois passer là plus de temps que souhaité pour manger mon avocat crevettes et mon cochon de lait pommes sautées.
Du monde il y en a aussi plus qu’avant au deuxième Book-Off, même dans son sous-sol que certains ne remarquent pas. Noël approche. C’est le moment de penser aux cadeaux. Si on offrait à la cousine un livre à un euro qu’elle croira payé bien plus cher. J’imagine cette cousine, déçue du cadeau, allant le vendre au Book-Off de Ledru-Rollin. « Quoi ! Dix centimes pour mon cadeau de Noël ? » Mes cadeaux, je me les fais moi-même et à un euro. Je remonte du sous-sol avec Une Anglaise à Paris de Nancy Mitford (Petite Bibliothèque Payot) et Le poids du monde, Un journal (Novembre 1975 - Mars 1977) de Peter Handke (Gallimard).
Arrivé à Quatre Septembre, j’entre à la pizzéria où le café doit être à un euro vingt pour les habitués du comptoir du Bistrot d’Edmond pendant qu’il est en travaux. Je m’annonce pour tel, bois mon café assis car ici point de comptoir, descends aux toilettes, remonte, demande combien. « Deux euros cinquante », m’annonce le jeune patron. J’objecte. « Ah oui, un euro vingt ».
Trop de monde encore dans le troisième Book-Off où je réussis quand même à trouver deux livres à un euro : Si peu de terre, tout de James Sacré (Le Dé Bleu) et Les Veuves abusives d’Anatole de Monzie (Les Cahiers Rouges / Grasset), cet Anatole de Monzie étant dans le collimateur des vertueux Ecologistes niçois, il y a du débaptême dans l’air là-bas.
A Saint-Lazare, les écrans lumineux montrent qu’on a bien du mal à recruter des volontaires pour assurer la sécurité des compétitions sportives de l’an prochain : « Trouvez votre place pour les Jeux : devenez agent de sécurité. Prime de 2000 euros pour votre formation. »
Je m’assois à ma place habituelle dans la voiture Cinq du seize heures quarante pour Rouen. Devant, un homme ôte sa parka et la dispose sur son dossier, la capuche pendouillant vers moi. Je pousse un soupir de réprobation.
-Ça vous dérange monsieur ? me demande-t-il d’un air suffisant.
-Oui, ça heurte mon sens de l’esthétique.
C’est à son tour de soupirer, il fait disparaître son vêtement.
                                                                      *
« Ce livre va carboniser les pauvres malheureux volumes rangés à ses côtés. Comment n’entre-t-il pas immédiatement en combustion ? C’est un mystère pour moi. » C’est ce qu’écrit Jonathan Safran Foer à propos d’un autre livre à un euro trouvé ce mercredi, un livre que j’avais déjà, dont j’achète tous les exemplaires que je trouve à ce prix. Sur sa couverture, un homme aux prises avec un point d’interrogation.
Si on me demandait : « Quel livre aimerais-tu avoir écrit ? », je répondrais : « Celui-là ».
 

7 décembre 2023


Ce mardi matin, je rejoins le laboratoire d’analyses médicales de la place Saint-Marc qui ouvre à sept heures. Une jeune femme m’a précédé. Nous attendons sous la pluie. Deux hommes nous rejoignent. A l’ouverture, nous nous alignons devant le bureau de la secrétaire. Celle-ci met un certain temps à enregistrer tout ce que doit subir la jeune femme qui est enceinte, comme me l’apprend la non confidentialité de l’endroit.
J’ai affaire à la même infirmière que la fois précédente. Il s’agit de me prélever un peu de sang pour tenter une nouvelle fois d’obtenir le chiffrage du potassium plasmatique. Afin qu’il y ait moins de risque de rater encore, mon médecin traitant a inscrit sur l’ordonnance : « Sans garrot si possible ».
Sans garrot, c’est difficile de trouver la veine. Elle essaie mais échoue. Aussi le met-elle pour la faire gonfler puis le retire avant de piquer. C’est un peu douloureux cette fois. Pour avoir plus de chance de réussite, elle me prélève deux fois.
Vers seize heures trente, je vais chercher le résultat : normal.
                                                           *
A quatorze heures, sortant pour rejoindre le Socrate, je trouve dans la ruelle la dame au petit chien sans son petit chien, cette calme voisine de quelques mois seulement. Elle me dit avoir déménagé pour Sotteville dans une maison achetée par son fils. Elle est là pour l’état des lieux de l’appartement quitté. C’est reloué. Elle ne sait pas à qui mais pense que l’emménagement aura lieu bientôt.
                                                           *
Deux colis arrivés il y a une semaine pour quelqu’un qui n’a pas son nom sur une boîte à lettres. Le livreur les a laissés au-dessus desdites. Je m’aperçois qu’ils sont maintenant éventrés, leur contenu dérobé.
 

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