Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
29 avril 2025
C’est un jour baudelairien. Après avoir écrit que jamais plus je ne mettrais le pied à Saint-Tropez, je décide d’y aller ce lundi parce que j’ai envie de faire un peu de bateau sur la Méditerranée avant de rentrer. J’use donc de l’un des deux Droits de l’Homme que voulait ajouter le poète à la liste officielle : le droit de se contredire.
Pour ce faire, je me rends, malgré une petite averse, à la Gare Routière de Saint-Raphaël afin de prendre le car Zou ! Huit Cent Soixante-Seize de sept heures quinze. Son arrivée à la Tour Carrée de Sainte-Maxime est prévue à sept heures cinquante-six, près de laquelle doit partir à huit heures pile, le premier Bateau Vert pour Saint-Tropez (le suivant dans quarante minutes). Ça va être chaud (comme disent certains).
Ce car Zou !, pour lequel je paie deux euros cinquante, part à l’heure. J’en descends après un voyage sans histoire à sept heures cinquante-huit. Une minute pour arriver à l’embarcadère, une minute pour acheter un aller retour à seize euros, je suis le dernier à monter dans le Bateau Vert bien chargé, avec certains qui doivent aller là-bas travailler, il y en a même des debout.
La traversée se fait à bonne vitesse en soulevant des flots d’écume. Peu à peu, le ciel devient bleu. Sitôt à quai, après avoir admiré les maisons du front de mer aux coloris pastel, j’enfile les ruelles désertes, passe par le quartier de la Ponge puis au pied de l’église aux couleurs parfaites, découvre la demeure du Bailli de Suffren. Le hasard guide mes pas car je n’ai pas de plan, l’Office du Tourisme n’ouvrant qu’à dix heures. Je dois manquer certaines choses remarquables mais qu’importe.
Redescendu dans le Vieux-Port, je marche sur la digue jusqu’au Phare. Comme ailleurs, une rangée de pointus et quelques bateaux de pêche font partie du décor. Quand je commence à fatiguer, délaissant les terrasses de La Pérouse et de Sénéquier (d’où l’on a vue sur une rangée de scouteurs), c’est à celle du Café de Paris que je m’assois, celui-ci se trouvant près de l’imposante statue de Suffren.
Rien à voir avec le Café de Paris de Sainte-Maxime. Ce n’est pas du tout la même ambiance. D’ailleurs, ici, il n’y a aucune ambiance. Je suis face à un bateau promenade avec pour produit d’appel une jeune matelote blonde en crop top. Ce bateau affiche une photo de De Funès et Galabru en gendarmes. C’est dire la clientèle qui est visée. Plein de pauvres viennent à Saint-Tropez. Comme ils vont aux Champs-Élysées. Ils arrivent vers dix heures trente. Mon café étant bu depuis un moment, le serveur se croit permis d’ôter ma tasse. Pour lui montrer que je ne me laisse pas impressionner, je sors Balzac de mon sac. Je lis là jusqu’à onze heures. Quand je demande au serveur combien pour mon café, il me répond quatre euros cinquante. Pas de doute, je suis bien à Saint-Tropez.
Le Gypsy VI qui part à onze heures dix me ramène à Sainte-Maxime. Nous ne sommes que trois voyageurs : une jeune femme et son bébé en bas et moi sur la partie supérieure du bateau où l’on ressent bien le tangage et la vitesse. J’ai l’impression plaisante d’avoir ce navire pour moi seul. A mi-course, nous croisons un Bateau Vert allant vers Saint-Tropez avec plein de monde à son bord.
Rien ne me faisant envie parmi les plats du jour du front de mer de Sainte-Maxime, je déjeune d’un burgueur frites à seize euros au Café Maxime puis je rentre avec le Car Zou ! de treize heures douze, ravi de ma double traversée du golfe en bateau et pas mécontent de ma demi-journée à Saint-Tropez.
*
L’autre Droit de l’homme surnuméraire de Charles Baudelaire : « Le droit de s’en aller ». Au sens de tirer sa révérence définitivement.
Pour ce faire, je me rends, malgré une petite averse, à la Gare Routière de Saint-Raphaël afin de prendre le car Zou ! Huit Cent Soixante-Seize de sept heures quinze. Son arrivée à la Tour Carrée de Sainte-Maxime est prévue à sept heures cinquante-six, près de laquelle doit partir à huit heures pile, le premier Bateau Vert pour Saint-Tropez (le suivant dans quarante minutes). Ça va être chaud (comme disent certains).
Ce car Zou !, pour lequel je paie deux euros cinquante, part à l’heure. J’en descends après un voyage sans histoire à sept heures cinquante-huit. Une minute pour arriver à l’embarcadère, une minute pour acheter un aller retour à seize euros, je suis le dernier à monter dans le Bateau Vert bien chargé, avec certains qui doivent aller là-bas travailler, il y en a même des debout.
La traversée se fait à bonne vitesse en soulevant des flots d’écume. Peu à peu, le ciel devient bleu. Sitôt à quai, après avoir admiré les maisons du front de mer aux coloris pastel, j’enfile les ruelles désertes, passe par le quartier de la Ponge puis au pied de l’église aux couleurs parfaites, découvre la demeure du Bailli de Suffren. Le hasard guide mes pas car je n’ai pas de plan, l’Office du Tourisme n’ouvrant qu’à dix heures. Je dois manquer certaines choses remarquables mais qu’importe.
Redescendu dans le Vieux-Port, je marche sur la digue jusqu’au Phare. Comme ailleurs, une rangée de pointus et quelques bateaux de pêche font partie du décor. Quand je commence à fatiguer, délaissant les terrasses de La Pérouse et de Sénéquier (d’où l’on a vue sur une rangée de scouteurs), c’est à celle du Café de Paris que je m’assois, celui-ci se trouvant près de l’imposante statue de Suffren.
Rien à voir avec le Café de Paris de Sainte-Maxime. Ce n’est pas du tout la même ambiance. D’ailleurs, ici, il n’y a aucune ambiance. Je suis face à un bateau promenade avec pour produit d’appel une jeune matelote blonde en crop top. Ce bateau affiche une photo de De Funès et Galabru en gendarmes. C’est dire la clientèle qui est visée. Plein de pauvres viennent à Saint-Tropez. Comme ils vont aux Champs-Élysées. Ils arrivent vers dix heures trente. Mon café étant bu depuis un moment, le serveur se croit permis d’ôter ma tasse. Pour lui montrer que je ne me laisse pas impressionner, je sors Balzac de mon sac. Je lis là jusqu’à onze heures. Quand je demande au serveur combien pour mon café, il me répond quatre euros cinquante. Pas de doute, je suis bien à Saint-Tropez.
Le Gypsy VI qui part à onze heures dix me ramène à Sainte-Maxime. Nous ne sommes que trois voyageurs : une jeune femme et son bébé en bas et moi sur la partie supérieure du bateau où l’on ressent bien le tangage et la vitesse. J’ai l’impression plaisante d’avoir ce navire pour moi seul. A mi-course, nous croisons un Bateau Vert allant vers Saint-Tropez avec plein de monde à son bord.
Rien ne me faisant envie parmi les plats du jour du front de mer de Sainte-Maxime, je déjeune d’un burgueur frites à seize euros au Café Maxime puis je rentre avec le Car Zou ! de treize heures douze, ravi de ma double traversée du golfe en bateau et pas mécontent de ma demi-journée à Saint-Tropez.
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L’autre Droit de l’homme surnuméraire de Charles Baudelaire : « Le droit de s’en aller ». Au sens de tirer sa révérence définitivement.
28 avril 2025
Tiens, v’là la pluie (comme disait Boby). J’enfile le vêtement ad hoc et, avec mon pain au chocolat de la Boulangerie du Soleil, marche rue Alphonse-Karr puis cours Jean-Bart jusqu’au Café Kro dont la véranda n’est pas encore inondée.
En attendant que le temps s’améliore, tandis que le marché dominical s’installe, Balzac m’est d’un grand secours. Trois commerçantes ambulantes venues boire un café parlent d’un restaurant dont les serveuses portent des tenues affriolantes et où on vous sert la paella dans des pelles de chantier. Hier j’ai consulté M. Roux, le successeur de Dupuytren (hélas !...) et il m’a fortement conseillé le voyage à pied comme le seul moyen de faire cesser la disposition à l’inflammation qu’a mon organe cérébral. écrit Balzac à Madame Hanska le vendredi neuf février mil huit cent quarante-quatre.
Vers neuf heures, la pluie cesse. Je saisis l’occasion pour faire un vrai tour du Vieux-Port, que se partagent les pêcheurs, les promène-touristes et les riches aux bateaux comme on en voit des masses à Cannes et Saint-Tropez. Un petit Marché des Pêcheurs s’y tient, peu de poissons, peu de clientèle.
Je réserve une table aux Sablettes où ce dimanche, c’est couscous royal, puis je marche entre la plage des Sablettes et le marché jusqu’à atteindre Au Coq Hardi pour un café en terrasse. Près de moi, trois gars du pays ont leur petite idée sur le prochain Pape : « Ils en ont soupé, les cathos, d’avoir un Pape de gauche, ils vont nommer un Pape de droite. » A onze heures, je demande un verre de sangria à la jeune serveuse (deux euros quatre-vingts, avec une coupelle de cacahouètes). A côté de moi, on lit Var Matin « Mobilisation citoyenne pour nettoyer le Sud ».
Ça carillonne fort à la Basilique quand, à midi, je m’installe en terrasse couverte aux Sablettes où les parasols de la plage privée sont fermés. Le couscous royal est à vingt euros. Il les vaut. Je ne suis pas déçu de mon choix. Contrairement à mes voisins qui se plaignent de leurs plats, assiette de la mer et pizza. Au moment de payer, ils disent que c’était très bien.
Le ciel reste gris, mais la pluie c’est terminé. Une table est pour moi sous la véranda ouverte du Coq Hardi où je retrouve Balzac et ses problèmes.
*
Un client du Coq Hardi au serveur qui lui apporte un verre d’eau :
-Merci, la jeune fille avait oublié.
Le serveur :
-Mais non, elle me l’a dit, vous n’allez pas l’incriminer.
(Sauvons les mots qui risquent de disparaître.)
*
Alphonse Karr est la célébrité locale de Saint-Raphaël. Une rue, un collège et même le cimetière où il est enterré portent son nom. Un nom croisé dans les lettres de Balzac à Madame Hanska. Un auteur oublié, ses livres ne sont pas réédités, à juste titre pour ce que j’en sais.
Sa biographie en revanche ne manque pas d’intérêt, comme je l’ai découvert en la lisant sur Ouiquipédia. Une vie pleine de rebondissements. L’un des épisodes se déroule à Sainte-Adresse.
En attendant que le temps s’améliore, tandis que le marché dominical s’installe, Balzac m’est d’un grand secours. Trois commerçantes ambulantes venues boire un café parlent d’un restaurant dont les serveuses portent des tenues affriolantes et où on vous sert la paella dans des pelles de chantier. Hier j’ai consulté M. Roux, le successeur de Dupuytren (hélas !...) et il m’a fortement conseillé le voyage à pied comme le seul moyen de faire cesser la disposition à l’inflammation qu’a mon organe cérébral. écrit Balzac à Madame Hanska le vendredi neuf février mil huit cent quarante-quatre.
Vers neuf heures, la pluie cesse. Je saisis l’occasion pour faire un vrai tour du Vieux-Port, que se partagent les pêcheurs, les promène-touristes et les riches aux bateaux comme on en voit des masses à Cannes et Saint-Tropez. Un petit Marché des Pêcheurs s’y tient, peu de poissons, peu de clientèle.
Je réserve une table aux Sablettes où ce dimanche, c’est couscous royal, puis je marche entre la plage des Sablettes et le marché jusqu’à atteindre Au Coq Hardi pour un café en terrasse. Près de moi, trois gars du pays ont leur petite idée sur le prochain Pape : « Ils en ont soupé, les cathos, d’avoir un Pape de gauche, ils vont nommer un Pape de droite. » A onze heures, je demande un verre de sangria à la jeune serveuse (deux euros quatre-vingts, avec une coupelle de cacahouètes). A côté de moi, on lit Var Matin « Mobilisation citoyenne pour nettoyer le Sud ».
Ça carillonne fort à la Basilique quand, à midi, je m’installe en terrasse couverte aux Sablettes où les parasols de la plage privée sont fermés. Le couscous royal est à vingt euros. Il les vaut. Je ne suis pas déçu de mon choix. Contrairement à mes voisins qui se plaignent de leurs plats, assiette de la mer et pizza. Au moment de payer, ils disent que c’était très bien.
Le ciel reste gris, mais la pluie c’est terminé. Une table est pour moi sous la véranda ouverte du Coq Hardi où je retrouve Balzac et ses problèmes.
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Un client du Coq Hardi au serveur qui lui apporte un verre d’eau :
-Merci, la jeune fille avait oublié.
Le serveur :
-Mais non, elle me l’a dit, vous n’allez pas l’incriminer.
(Sauvons les mots qui risquent de disparaître.)
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Alphonse Karr est la célébrité locale de Saint-Raphaël. Une rue, un collège et même le cimetière où il est enterré portent son nom. Un nom croisé dans les lettres de Balzac à Madame Hanska. Un auteur oublié, ses livres ne sont pas réédités, à juste titre pour ce que j’en sais.
Sa biographie en revanche ne manque pas d’intérêt, comme je l’ai découvert en la lisant sur Ouiquipédia. Une vie pleine de rebondissements. L’un des épisodes se déroule à Sainte-Adresse.
27 avril 2025
Allez Zou ! En train cette fois. Impossible d’aller le matin en bus sur la Corniche d’Or au-delà d’Agay et je veux atteindre Anthéor (commune de Saint-Raphaël). Un train Zou ! pas donné : cinq euros trente pour treize kilomètres (aucune réduction pour la Carte Avantage).
C’est le train qui va à Menton, départ à huit heures dix-sept. Ma gare d’arrivée sera Anthéor Cap Roux. Avant lui s’arrête le train de nuit Paris Austerlitz Nice, un vieux Corail tout tagué, dont descendent quelques mal réveillés. Des Parisiens attendent leur Tégévé de retour, lundi c’est la rentrée scolaire. Au téléphone, ils disent qu’il fait moins beau qu’hier, ce qui n’est pas vrai. « Oh, le Musée Louis de Funès, on aurait pu y aller. » Trop tard.
Mon petit train Zou ! s’arrête partout : Boulouris, Le Dramont (avec vue de haut sur l’Ile d’Or), Agay. Je suis le seul à descendre à Anthéor Cap Roux. Sans avoir été contrôlé. Ce qui me fait regretter de ne pas avoir osé voyager sans billet.
Il faut traverser les voies pour descendre au bord de la mer. Il y a là un viaduc remarquable mais je ne le remarque qu'à peine. A ma gauche c’est le Cap Roux et à ma droite c’est la route qui ramène à Agay. Je dois la suivre car des propriétés privées s’accaparent le littoral. Heureusement, chaque calanque est une ouverture sur la mer. L’une d’elles donne sur l’Ile des Vieilles. Je m’arrête à chacune pour photographier. « Ça vaut cher une photo ici », me dit un riverain sur sa terrasse. « Moins cher que chez vous », lui réponds-je.
Quand j’aperçois le Dramont et son Sémaphore, je sais que j’approche du but. Je passe devant le Phare d’Agay dont on ne peut s’approcher. Sur son mur d’enceinte, ceci : « Plaque rappelant que le Phare d’Agay sert de stèle au souvenir commémoratif d’Antoine de Saint-Exupéry ».
L’arrêt de bus La Bastide d’Agay n’est pas loin où j’attends le bus Vingt et Un de dix heures quinze. C’est le départ de la ligne, dont le terminus est Gare Routière de Saint-Raphaël. Sous l’abribus, je suis en compagnie de deux charmantes dames à valises pour qui c’est fini les vacances et qui elles aussi trouvent qu’il y a trop de propriétés privées en bord de mer à Anthéor.
Ce bus est à l’heure comme ils le sont toujours ici. A chaque arrêt montent de nouvelles valises et des sacs à dos. Je descends à Tour Vadon, longe le Vieux-Port, réserve une table aux Sablettes et vais attendre midi sur un banc face à la mer. Les familles sont de sortie. « Vous allez la rendre teubée, la gamine. » Ce n’est pas moi qui dis ça.
Sur la plage privée des Sablettes, les parasols sont déployés. Sur la soixantaine d’emplacements, peu sont occupés. On n’y échappe pas aux enfants qui courent partout. Certains choisissent d’y déjeuner. Je ne vois pas le plaisir qu’on peut avoir à manger les pieds dans le sable sur un emplacement minimal semblable à des dizaines d’autres en voyant à peine la mer derrière une forêt de parasols.
Je la vois bien, cette mer Méditerranée, de ma table en terrasse tandis que je mange mon tournedos sauce poivre frites salade, une viande fort tendre et copieuse. A la table voisine deux vieux couples de rockeurs harleyeurs parisiens. Les hommes aux longs cheveux blancs noués en catogan et aux lunettes noires. L’un avec un ticheurte « Harley Davidson of Bangkok ». L’autre, un ticheurte « Route 66 ». Leurs femmes semblables à des vieilles banales, avec lunettes noires. Leur conversation : les soucis de la copropriété et la sécurité des appartements. Quand on s’absente, on confie ses clés à Monsieur Rodriguez. J’en suis au tiramisu quand arrive une famille à bouquet de fleurs, une dizaine de personnes sur leur trente et un, dont une nymphette à cheveux nattés portant une casquette « Follow Me ». Est-ce raisonnable ?
Chez Au Coq Hardi la machine à café n’est pas en maintenance. Je reprends la lecture de Lettres à Madame Hanska tandis que le ciel se couvre du côté des Issambres. Page après page, je m’achemine vers la fin du premier volume. Des habitués retraités prennent place dans un coin de la salle du fond pour y faire comme chaque jour un rami deux contre deux. Ici, quand on commande un rosé piscine, c’est un verre de rosé avec des glaçons.
*
A Anthéor, au dessus d’une calanque, un banc est dédié à Monique M, née en mil neuf cent trente, qui devait s’y asseoir souvent, morte en deux mille vingt-quatre.
C’est le train qui va à Menton, départ à huit heures dix-sept. Ma gare d’arrivée sera Anthéor Cap Roux. Avant lui s’arrête le train de nuit Paris Austerlitz Nice, un vieux Corail tout tagué, dont descendent quelques mal réveillés. Des Parisiens attendent leur Tégévé de retour, lundi c’est la rentrée scolaire. Au téléphone, ils disent qu’il fait moins beau qu’hier, ce qui n’est pas vrai. « Oh, le Musée Louis de Funès, on aurait pu y aller. » Trop tard.
Mon petit train Zou ! s’arrête partout : Boulouris, Le Dramont (avec vue de haut sur l’Ile d’Or), Agay. Je suis le seul à descendre à Anthéor Cap Roux. Sans avoir été contrôlé. Ce qui me fait regretter de ne pas avoir osé voyager sans billet.
Il faut traverser les voies pour descendre au bord de la mer. Il y a là un viaduc remarquable mais je ne le remarque qu'à peine. A ma gauche c’est le Cap Roux et à ma droite c’est la route qui ramène à Agay. Je dois la suivre car des propriétés privées s’accaparent le littoral. Heureusement, chaque calanque est une ouverture sur la mer. L’une d’elles donne sur l’Ile des Vieilles. Je m’arrête à chacune pour photographier. « Ça vaut cher une photo ici », me dit un riverain sur sa terrasse. « Moins cher que chez vous », lui réponds-je.
Quand j’aperçois le Dramont et son Sémaphore, je sais que j’approche du but. Je passe devant le Phare d’Agay dont on ne peut s’approcher. Sur son mur d’enceinte, ceci : « Plaque rappelant que le Phare d’Agay sert de stèle au souvenir commémoratif d’Antoine de Saint-Exupéry ».
L’arrêt de bus La Bastide d’Agay n’est pas loin où j’attends le bus Vingt et Un de dix heures quinze. C’est le départ de la ligne, dont le terminus est Gare Routière de Saint-Raphaël. Sous l’abribus, je suis en compagnie de deux charmantes dames à valises pour qui c’est fini les vacances et qui elles aussi trouvent qu’il y a trop de propriétés privées en bord de mer à Anthéor.
Ce bus est à l’heure comme ils le sont toujours ici. A chaque arrêt montent de nouvelles valises et des sacs à dos. Je descends à Tour Vadon, longe le Vieux-Port, réserve une table aux Sablettes et vais attendre midi sur un banc face à la mer. Les familles sont de sortie. « Vous allez la rendre teubée, la gamine. » Ce n’est pas moi qui dis ça.
Sur la plage privée des Sablettes, les parasols sont déployés. Sur la soixantaine d’emplacements, peu sont occupés. On n’y échappe pas aux enfants qui courent partout. Certains choisissent d’y déjeuner. Je ne vois pas le plaisir qu’on peut avoir à manger les pieds dans le sable sur un emplacement minimal semblable à des dizaines d’autres en voyant à peine la mer derrière une forêt de parasols.
Je la vois bien, cette mer Méditerranée, de ma table en terrasse tandis que je mange mon tournedos sauce poivre frites salade, une viande fort tendre et copieuse. A la table voisine deux vieux couples de rockeurs harleyeurs parisiens. Les hommes aux longs cheveux blancs noués en catogan et aux lunettes noires. L’un avec un ticheurte « Harley Davidson of Bangkok ». L’autre, un ticheurte « Route 66 ». Leurs femmes semblables à des vieilles banales, avec lunettes noires. Leur conversation : les soucis de la copropriété et la sécurité des appartements. Quand on s’absente, on confie ses clés à Monsieur Rodriguez. J’en suis au tiramisu quand arrive une famille à bouquet de fleurs, une dizaine de personnes sur leur trente et un, dont une nymphette à cheveux nattés portant une casquette « Follow Me ». Est-ce raisonnable ?
Chez Au Coq Hardi la machine à café n’est pas en maintenance. Je reprends la lecture de Lettres à Madame Hanska tandis que le ciel se couvre du côté des Issambres. Page après page, je m’achemine vers la fin du premier volume. Des habitués retraités prennent place dans un coin de la salle du fond pour y faire comme chaque jour un rami deux contre deux. Ici, quand on commande un rosé piscine, c’est un verre de rosé avec des glaçons.
*
A Anthéor, au dessus d’une calanque, un banc est dédié à Monique M, née en mil neuf cent trente, qui devait s’y asseoir souvent, morte en deux mille vingt-quatre.
26 avril 2025
Direction Roquebrune-sur-Argens avec le bus Quatre de sept heures trente ce vendredi. Il se charge encore une fois des gens bizarres qui descendent à l’entrée de Puget où est leur hôpital de jour puis circule presque à vide. J’en descends avant le bourg de Roquebrune au Lac de l’Aréna.
Ce lac était autrefois une sablière. Il fait trente hectares, est alimenté par le fleuve Argens et est situé au pied de l’impressionnant Rocher de Roquebrune. On peut en faire le tour par un sentier de trois kilomètres cinq en à peu près une heure quinze. C’est à portée de mes pieds et c’est un vrai plaisir.
Au milieu de chants d’oiseaux, je marche sur le chemin qui me rapproche du Rocher de Roquebrune (le Colorado du Routard). La rencontre d’un petit bâtiment de pierre doté d’une annexe toute neuve en bois me permet d’avoir encore une première fois dans ma vie : celle d’utiliser des toilettes sèches. Arrivé sous le Rocher, avec mes yeux rénovés, je distingue aisément les Trois Croix à son sommet. Elles sont l’œuvre de Bernar Venet, lui ont été inspirées par Giotto, Grünewald et le Gréco. Chacune pèse une tonne et a été hélitreuillée. On peut aller là-haut pédestrement pour les voir de près et jouir d’une vue qui va jusqu’à la mer mais ce n’est plus dans mes compétences (« Ce sentier se termine par une montée particulièrement physique et des mains courantes »).
Après une photo de cette imposante muraille rocheuse, photo qui je le sais ne donnera pas une idée exacte de sa hauteur, je marche sur la partie retour du chemin entre le Lac et l’Argens, petit fleuve où l’on peut faire du canoë. Vers la fin, une passerelle permet de traverser le lit d’un ruisseau à sec. « Attention vous êtes dans une zone inondable. Danger de mort. »
Pour rejoindre le bourg, j’emprunte l’ancien pont devenu piétonnier qui permet de traverser l’Argens puis je dois longer la route à voitures qui toutefois passe devant la belle Chapelle Saint-Roch. Une Tesla s’arrête dont le passager me demande le marché médiéval. Je ne sais pas de quoi il parle. Lors de la montée dans les ruelles du bourg, je trouve un Office du Tourisme qui n’est pas celui où j’ai eu un plan la fois précédente. Je me demande si je n’ai pas la berlue. J’entre demander s’il y en a deux. « Nous venons de déménager. » Arrivé au cœur de Roquebrune, je découvre que le marché médiéval, c’est le banal marché hebdomadaire. Il n’attire pas la foule.
Je m’installe à la terrasse du Café de Roquebrune pour un café verre d’eau lecture. A ma droite deux quadragénaires sont attablés. L’un semble protégé par un jeune homme qui lui demande s’il repartira à pied ou s’il aura besoin d’une voiture puis reste debout devant la terrasse. Soudain surgit un homme corpulent qui se jette aux genoux de l’homme protégé. Le jeune homme se précipite, repousse l’intrus qui disparaît, puis se remet en faction. « Excusez-moi, monsieur, vous êtes quelqu’un de connu ? » demandé-je à ce voisin intrigant. « Non, en fait, c’était un petit exercice de formation de garde du corps. »
Je lis Balzac un moment, bien que cette terrasse soit à l’ombre, puis vais faire de même au soleil, au bout du marché, devant la Chapelle Saint-Michel. Elle date de mil trois cent quatorze, a appartenu aux Chevaliers de Saint-Jean puis aux Pénitents Blancs. Aujourd’hui, c’est un lieu d’exposition artistique visité par tous les touristes allemands.
J’ai près de moi une marchande de chapeaux. « Allez, monsieur dame, un petit chapeau. Profitez. Dix euros seulement. » Une femme en essaie un. « Il vous va bien. Vous avez une tête à chapeau, madame. » Un quart d’heure plus tard, elle s’assoit pas loin de moi. « Oh, j’en ai marre. » Elle a largement l’âge d’être à la retraite. Son mari l’accompagne mais il reste dans la voiture. Un seul chapeau vendu en une heure.
A onze heures trente, je commence à chercher où manger et trouve ouvert sur une placette tranquille un restaurant traiteur qui était fermé lors de mon précédent passage. J’y obtiens une table bien que le traiteur soit mal aimable. A chaque fois qu’il sort, c’est pour rayer un plat sur la carte. Je me rabats donc sur un de ceux qui restent : poulet rôti label rouge frites maison. Dans l’assiette, la cuisse de ce poulet peut-être label rouge n’est pas grosse. Les frites sont bien de la maison mais peu nombreuses et accompagnées d’une salade qui n’était pas annoncée. Ça coûte treize euros quatre-vingt-dix. C’est beaucoup pour ce que c’est. L’endroit s’appelle Evelyne.com à la maison (ah ah ah).
En remontant, je me procure une tartelette au citron à la Boulangerie du Rocher (trois euros dix) et direction le Café de Roquebrune, cette fois au soleil, café verre d’eau lecture. Le serveur a lui aussi l’âge d’être en retraite. Il est treize heures. Le marché est quasiment remballé.
Je rentre en début d’après-midi avec un bus dans lequel un couple de vieux réussit à faire accepter ses bicyclettes. Cela pose un problème au premier arrêt du Centre Commercial quand une femme monte avec une poussette garnie non seulement d’un bébé mais de toutes ses courses. Après un beau cafouillage, des chutes de bouteilles de lait et de casques de vélo, nous pouvons repartir.
*
On peut disparaître ici quand on a quinze ans. Jeudi, c’était Gabriela, partie de Roquebrune-sur-Argens à quatorze heures pour, avait-elle dit, aller à la plage à Saint-Raphaël et pas rentrée à la maison. Sa mère l’annonce retrouvée ce vendredi. Le sept avril, c’est Louenn, de Fayence, qui s’est, lui, déclaré en fugue. Sa mère et ses ami(e)s le cherchent toujours.
Ce lac était autrefois une sablière. Il fait trente hectares, est alimenté par le fleuve Argens et est situé au pied de l’impressionnant Rocher de Roquebrune. On peut en faire le tour par un sentier de trois kilomètres cinq en à peu près une heure quinze. C’est à portée de mes pieds et c’est un vrai plaisir.
Au milieu de chants d’oiseaux, je marche sur le chemin qui me rapproche du Rocher de Roquebrune (le Colorado du Routard). La rencontre d’un petit bâtiment de pierre doté d’une annexe toute neuve en bois me permet d’avoir encore une première fois dans ma vie : celle d’utiliser des toilettes sèches. Arrivé sous le Rocher, avec mes yeux rénovés, je distingue aisément les Trois Croix à son sommet. Elles sont l’œuvre de Bernar Venet, lui ont été inspirées par Giotto, Grünewald et le Gréco. Chacune pèse une tonne et a été hélitreuillée. On peut aller là-haut pédestrement pour les voir de près et jouir d’une vue qui va jusqu’à la mer mais ce n’est plus dans mes compétences (« Ce sentier se termine par une montée particulièrement physique et des mains courantes »).
Après une photo de cette imposante muraille rocheuse, photo qui je le sais ne donnera pas une idée exacte de sa hauteur, je marche sur la partie retour du chemin entre le Lac et l’Argens, petit fleuve où l’on peut faire du canoë. Vers la fin, une passerelle permet de traverser le lit d’un ruisseau à sec. « Attention vous êtes dans une zone inondable. Danger de mort. »
Pour rejoindre le bourg, j’emprunte l’ancien pont devenu piétonnier qui permet de traverser l’Argens puis je dois longer la route à voitures qui toutefois passe devant la belle Chapelle Saint-Roch. Une Tesla s’arrête dont le passager me demande le marché médiéval. Je ne sais pas de quoi il parle. Lors de la montée dans les ruelles du bourg, je trouve un Office du Tourisme qui n’est pas celui où j’ai eu un plan la fois précédente. Je me demande si je n’ai pas la berlue. J’entre demander s’il y en a deux. « Nous venons de déménager. » Arrivé au cœur de Roquebrune, je découvre que le marché médiéval, c’est le banal marché hebdomadaire. Il n’attire pas la foule.
Je m’installe à la terrasse du Café de Roquebrune pour un café verre d’eau lecture. A ma droite deux quadragénaires sont attablés. L’un semble protégé par un jeune homme qui lui demande s’il repartira à pied ou s’il aura besoin d’une voiture puis reste debout devant la terrasse. Soudain surgit un homme corpulent qui se jette aux genoux de l’homme protégé. Le jeune homme se précipite, repousse l’intrus qui disparaît, puis se remet en faction. « Excusez-moi, monsieur, vous êtes quelqu’un de connu ? » demandé-je à ce voisin intrigant. « Non, en fait, c’était un petit exercice de formation de garde du corps. »
Je lis Balzac un moment, bien que cette terrasse soit à l’ombre, puis vais faire de même au soleil, au bout du marché, devant la Chapelle Saint-Michel. Elle date de mil trois cent quatorze, a appartenu aux Chevaliers de Saint-Jean puis aux Pénitents Blancs. Aujourd’hui, c’est un lieu d’exposition artistique visité par tous les touristes allemands.
J’ai près de moi une marchande de chapeaux. « Allez, monsieur dame, un petit chapeau. Profitez. Dix euros seulement. » Une femme en essaie un. « Il vous va bien. Vous avez une tête à chapeau, madame. » Un quart d’heure plus tard, elle s’assoit pas loin de moi. « Oh, j’en ai marre. » Elle a largement l’âge d’être à la retraite. Son mari l’accompagne mais il reste dans la voiture. Un seul chapeau vendu en une heure.
A onze heures trente, je commence à chercher où manger et trouve ouvert sur une placette tranquille un restaurant traiteur qui était fermé lors de mon précédent passage. J’y obtiens une table bien que le traiteur soit mal aimable. A chaque fois qu’il sort, c’est pour rayer un plat sur la carte. Je me rabats donc sur un de ceux qui restent : poulet rôti label rouge frites maison. Dans l’assiette, la cuisse de ce poulet peut-être label rouge n’est pas grosse. Les frites sont bien de la maison mais peu nombreuses et accompagnées d’une salade qui n’était pas annoncée. Ça coûte treize euros quatre-vingt-dix. C’est beaucoup pour ce que c’est. L’endroit s’appelle Evelyne.com à la maison (ah ah ah).
En remontant, je me procure une tartelette au citron à la Boulangerie du Rocher (trois euros dix) et direction le Café de Roquebrune, cette fois au soleil, café verre d’eau lecture. Le serveur a lui aussi l’âge d’être en retraite. Il est treize heures. Le marché est quasiment remballé.
Je rentre en début d’après-midi avec un bus dans lequel un couple de vieux réussit à faire accepter ses bicyclettes. Cela pose un problème au premier arrêt du Centre Commercial quand une femme monte avec une poussette garnie non seulement d’un bébé mais de toutes ses courses. Après un beau cafouillage, des chutes de bouteilles de lait et de casques de vélo, nous pouvons repartir.
*
On peut disparaître ici quand on a quinze ans. Jeudi, c’était Gabriela, partie de Roquebrune-sur-Argens à quatorze heures pour, avait-elle dit, aller à la plage à Saint-Raphaël et pas rentrée à la maison. Sa mère l’annonce retrouvée ce vendredi. Le sept avril, c’est Louenn, de Fayence, qui s’est, lui, déclaré en fugue. Sa mère et ses ami(e)s le cherchent toujours.
25 avril 2025
Le coït est rapide chez le jeune couple voisin de mon Air Bibi. Ils ont fini avant que je sorte. Je suis pressé moi aussi ce jeudi matin car le bus Cinq que je veux prendre part à sept heures trente à la Gare Routière.
Ce bus va au Collège de l’Estérel. A part moi, il ne contient qu’une poignée de collégien(ne)s finissant leur nuit.
Je descends à l’arrêt Cap Boulouris. Une allée piétonnière mène à la mer. Elle me fait arriver sur la Plage de la Tortue. A bâbord : le Cap Dramont et l’Ile d’Or. A tribord : Les Issambres.
Une promenade goudronnée me permet d’aller jusqu’au petit Port de Boulouris. Des lycéen(ne)s, en vacances, s’apprêtent mollement à monter dans les deux bateaux de plongée amarrés au bout du quai.
Je m’assois sur un banc ensoleillé face à l’étendue maritime et sort Balzac de mon sac. Passent ici les inévitables attaché(e)s à un chien et quelques habitué(e)s de cette balade. Sur la mer, un petit bateau de pêche avec roue sur l’avant dépose ce qui est peut-être un casier. Il est dix heures dix quand je cesse de lire. Depuis Dunkerque, en bateau, Honoré de Balzac va enfin rejoindre, à l’été mil huit cent quarante-trois, Madame Hanska à Saint-Pétersbourg, sept années qu’il ne l’avait pas vue.
Je retourne à la Gare Routière de Saint-Raphaël avec le bus Vingt et Un de dix heures trente-deux et à onze heures me voici assis sur un banc mi-ombragé au-dessus de la plage de Fréjus. Je retrouve Balzac à Saint-Pétersbourg, logé dans un Air Bibi de l’époque avec punaises de lit. Il s’en plaint dans un billet à celle qu’il est venu rejoindre : Chère minette, je vais aussi bien qu’on peut aller en ne dormant pas sous le toit Koutaïsoff, et vous ?
C’est vraiment une belle journée. Vingt-cinq degrés sont annoncés. Aux Sablettes, de courageux employés installent pour la première fois de l’année la plage privée : transats, matelas, parasols et tutti. Pendant ce temps, je déjeune d’un bon saucisson lyonnais, sauce truffe, pommes vapeur. « Ça aurait été dommage de rester chez nous », dit à son mari ma voisine de derrière. Madonna chante La Isla Bonita. Un petit vent se lève, bienvenu. Pour dessert, je choisis une glace rhum raisin menthe chocolat. « Ça fait quatre parfums, ça », me dit le serveur. « Oui, c’est une façon de tricher. »
Personne ne se risque au soleil à la terrasse du café Au Coq Hardi. La machine à café est en maintenance. J’opte pour un diabolo menthe à trois euros trente. Chez les habitués, on plaisante en écho à l’actualité : « T’es pas à Rome toi ? » « Non, ils m’ont viré, ils ont cru que c’était moi qui l’avait tué. »
*
Cap Boulouris :
-Maman, je veux descendre dans les rochers.
-Non, pas ici, c’est escarpé.
(Sauvons les mots qui risquent de disparaître.)
Ce bus va au Collège de l’Estérel. A part moi, il ne contient qu’une poignée de collégien(ne)s finissant leur nuit.
Je descends à l’arrêt Cap Boulouris. Une allée piétonnière mène à la mer. Elle me fait arriver sur la Plage de la Tortue. A bâbord : le Cap Dramont et l’Ile d’Or. A tribord : Les Issambres.
Une promenade goudronnée me permet d’aller jusqu’au petit Port de Boulouris. Des lycéen(ne)s, en vacances, s’apprêtent mollement à monter dans les deux bateaux de plongée amarrés au bout du quai.
Je m’assois sur un banc ensoleillé face à l’étendue maritime et sort Balzac de mon sac. Passent ici les inévitables attaché(e)s à un chien et quelques habitué(e)s de cette balade. Sur la mer, un petit bateau de pêche avec roue sur l’avant dépose ce qui est peut-être un casier. Il est dix heures dix quand je cesse de lire. Depuis Dunkerque, en bateau, Honoré de Balzac va enfin rejoindre, à l’été mil huit cent quarante-trois, Madame Hanska à Saint-Pétersbourg, sept années qu’il ne l’avait pas vue.
Je retourne à la Gare Routière de Saint-Raphaël avec le bus Vingt et Un de dix heures trente-deux et à onze heures me voici assis sur un banc mi-ombragé au-dessus de la plage de Fréjus. Je retrouve Balzac à Saint-Pétersbourg, logé dans un Air Bibi de l’époque avec punaises de lit. Il s’en plaint dans un billet à celle qu’il est venu rejoindre : Chère minette, je vais aussi bien qu’on peut aller en ne dormant pas sous le toit Koutaïsoff, et vous ?
C’est vraiment une belle journée. Vingt-cinq degrés sont annoncés. Aux Sablettes, de courageux employés installent pour la première fois de l’année la plage privée : transats, matelas, parasols et tutti. Pendant ce temps, je déjeune d’un bon saucisson lyonnais, sauce truffe, pommes vapeur. « Ça aurait été dommage de rester chez nous », dit à son mari ma voisine de derrière. Madonna chante La Isla Bonita. Un petit vent se lève, bienvenu. Pour dessert, je choisis une glace rhum raisin menthe chocolat. « Ça fait quatre parfums, ça », me dit le serveur. « Oui, c’est une façon de tricher. »
Personne ne se risque au soleil à la terrasse du café Au Coq Hardi. La machine à café est en maintenance. J’opte pour un diabolo menthe à trois euros trente. Chez les habitués, on plaisante en écho à l’actualité : « T’es pas à Rome toi ? » « Non, ils m’ont viré, ils ont cru que c’était moi qui l’avait tué. »
*
Cap Boulouris :
-Maman, je veux descendre dans les rochers.
-Non, pas ici, c’est escarpé.
(Sauvons les mots qui risquent de disparaître.)
24 avril 2025
A huit heures, ce mercredi, le bus Huit quitte la Gare Routière de Saint-Raphaël avec sa poignée de travailleuses travailleurs et le glandeur que je suis.
Je descends à Agay Village où je suis accueilli par un autre travailleur, celui qui turbine dans la machine à pilonner la montagne (je l’avais oublié celui-là). En dépit de cette nuisance sonore, je vais voir une nouvelle fois le mignonnet port aux cabanes colorées puis je traverse le pont bien moche (autrefois il y en avait un qui ressemblait à celui de Sainte-Maxime mais il a été bombardé). De là, je peux voir le Sémaphore du Dramont. La Pharmacie de l’Estérel me permet de renouveler mes médicaments. Je tente ensuite, en passant sous les voies de chemin de fer, une petite balade le long de l’Agay où sont amarrés quelques bateaux, dont un Tout Va Bien, mais je me heurte vite à une propriété privée, rive gauche comme rive droite.
Qu’importe, la terrasse du petit Grand Café d’Agay m’accueille. J’ouvre Balzac. Un peu plus tard, sept retraités bicyclistes en maillot de sport cannois s’écroulent à la table voisine. Ils ne se racontent pas que des histoires de bicyclette, ils parlent aussi de la Vierge et puis l’un demande : « Et Daniel, comment y va ? » « Ça a l’air d’aller, il continue ses marches à poil. » « Il faut qu’y fasse attention aux vipères. Les vipères, elles s’attaquent à … » « Et puis aux ronces. »
Je rentre avec le bus Vingt et Un de dix heures dix-huit et trouve dans le Vieux-Port le grand catamaran Allures doté d’une immense voile en plastique noir que des marins harnachés comme des grimpeurs de montagne achèvent de fixer. Une fois qu’ils ont réussi cet exploit, ils l’affalent.
Cette fois je réserve aux Sablettes et pour demain aussi. Aujourd’hui, c’est foie de veau purée salade. Un autre solitaire, dont je ne vois que le dos, arbore un ticheurte Sons of Anarchy California. Une famille derrière moi joue parfaitement son rôle de famille : « On peut avoir plus de sauce ? » « Laquelle ? » « N’importe. » A ma gauche est un couple d’un certain âge pour qui l’angoisse monte d’un cran : « Le truc pour la piscine que j’ai commandé en Amérique, ils me l’ont promis pour le neuf et on part le quinze. Il faut pas qu’ils soient en retard. » Un jeune couple laisse son descendant jouer sur la plage pendant le repas. Tout à coup, père et mère, ne voyant plus le rejeton, se précipitent sur le sable. Ça aurait pu nous faire une nouvelle « disparition inquiétante » sur les chaînes d’information répétée.
Qu’Au Coq Hardi soit fermé, c’est normal, mais je trouve aussi le Café Kro clos. Sur sa porte une affichette « Fermeture exceptionnelle ce mercredi ». Rien d’autre n’est possible. Heureusement, les nouvelles assises en béton du Vieux-Port sont particulièrement confortables et c’est là que je poursuis ma lecture de Lettres à Madame Hanska tandis que sous un ciel d’azur passent de jolies filles plus ou moins dévêtues et d’autres bâchées par la faute de leur religion.
Je descends à Agay Village où je suis accueilli par un autre travailleur, celui qui turbine dans la machine à pilonner la montagne (je l’avais oublié celui-là). En dépit de cette nuisance sonore, je vais voir une nouvelle fois le mignonnet port aux cabanes colorées puis je traverse le pont bien moche (autrefois il y en avait un qui ressemblait à celui de Sainte-Maxime mais il a été bombardé). De là, je peux voir le Sémaphore du Dramont. La Pharmacie de l’Estérel me permet de renouveler mes médicaments. Je tente ensuite, en passant sous les voies de chemin de fer, une petite balade le long de l’Agay où sont amarrés quelques bateaux, dont un Tout Va Bien, mais je me heurte vite à une propriété privée, rive gauche comme rive droite.
Qu’importe, la terrasse du petit Grand Café d’Agay m’accueille. J’ouvre Balzac. Un peu plus tard, sept retraités bicyclistes en maillot de sport cannois s’écroulent à la table voisine. Ils ne se racontent pas que des histoires de bicyclette, ils parlent aussi de la Vierge et puis l’un demande : « Et Daniel, comment y va ? » « Ça a l’air d’aller, il continue ses marches à poil. » « Il faut qu’y fasse attention aux vipères. Les vipères, elles s’attaquent à … » « Et puis aux ronces. »
Je rentre avec le bus Vingt et Un de dix heures dix-huit et trouve dans le Vieux-Port le grand catamaran Allures doté d’une immense voile en plastique noir que des marins harnachés comme des grimpeurs de montagne achèvent de fixer. Une fois qu’ils ont réussi cet exploit, ils l’affalent.
Cette fois je réserve aux Sablettes et pour demain aussi. Aujourd’hui, c’est foie de veau purée salade. Un autre solitaire, dont je ne vois que le dos, arbore un ticheurte Sons of Anarchy California. Une famille derrière moi joue parfaitement son rôle de famille : « On peut avoir plus de sauce ? » « Laquelle ? » « N’importe. » A ma gauche est un couple d’un certain âge pour qui l’angoisse monte d’un cran : « Le truc pour la piscine que j’ai commandé en Amérique, ils me l’ont promis pour le neuf et on part le quinze. Il faut pas qu’ils soient en retard. » Un jeune couple laisse son descendant jouer sur la plage pendant le repas. Tout à coup, père et mère, ne voyant plus le rejeton, se précipitent sur le sable. Ça aurait pu nous faire une nouvelle « disparition inquiétante » sur les chaînes d’information répétée.
Qu’Au Coq Hardi soit fermé, c’est normal, mais je trouve aussi le Café Kro clos. Sur sa porte une affichette « Fermeture exceptionnelle ce mercredi ». Rien d’autre n’est possible. Heureusement, les nouvelles assises en béton du Vieux-Port sont particulièrement confortables et c’est là que je poursuis ma lecture de Lettres à Madame Hanska tandis que sous un ciel d’azur passent de jolies filles plus ou moins dévêtues et d’autres bâchées par la faute de leur religion.
23 avril 2025
Finies les vacances scolaires ici. Ce qui marque la reprise de certains bus que je comptais prendre mais hier je me suis aperçu que ceux-ci avaient des horaires incompatibles avec le tourisme. Un seul aller retour par jour, le matin pour venir à Saint-Raphaël, le soir pour repartir dans les lointains. J’en suis marri, mais je ne me laisse pas abattre.
Ce mardi, je retrouve le bus Huit de huit heures et en descends à l’arrêt Pierre Blave à l’entrée du Dramont. Se trouve là la Plage du Débarquement que je parcours sur ses gros galets où s’ébrouent avec leurs chiens quelques résidents du campigne de masse Yellow Village. Depuis cette plage, on a la meilleure vue sur l’Ile d’Or dont je fais une série de photos.
Un passage pas trop risqué du sentier du littoral me permet de rejoindre le petit Port du Poussaï. Je ne pousse pas plus loin. La gargote C le mieux m’offre une place en terrasse, bientôt au soleil, où, mon café bu, je lis Lettres à Madame Hanska, tout en gardant un œil sur les quelques randonneurs et pêcheurs qui passent, sur l’Ile d’Or et sa mystérieuse tour carrée, sur les bateaux aussi immobiles qu’elle. Spectacle plus inhabituel, la mise à l’eau d’un canot remorqué par un vieux campigne-car hollandais après une manœuvre hardie en marche arrière. « Faut pas bouger d’ici. Dès que tu vois la civilisation, c’est la merde », explique à une connaissance le gérant de C le mieux. « J’ai un copain, ajoute-t-il, il a acheté une maison en ville et après, sa femme, elle s’est barrée avec un autre. ».
Je rentre avec le bus Vingt et Un de dix heures vingt-huit, passe au Crédit à Bricoles qui prospère entre deux restaurants sur le Vieux-Port et à midi, pas tenté par le colombo de porc des Sablettes, opte encore une fois pour le Kashmir, puis direction Au Coq Hardi.
On y cuit en terrasse, d’où un recul d’une case sous la véranda ouverte, avec vue sur la Méditerranée derrière le Poste de Police Municipale. Où en est Balzac à l’aube de ses quarante-quatre ans? Cependant, chère, je n’ai plus cette abondance de pensées littéraires qui ne me permettait pas de chercher longtemps un sujet, et tout s’use ; je le vois : le corps et l’esprit.
*
Ce que j’aimerais ne plus entendre au Kashmir (et ailleurs), c’est : « Ça change ! ».
*
Juin ! Mon Dieu, comment vivre jusque-là ? maintenant que le travail ne me conserve plus comme un insecte pris dans l’ambre jaune. Où aller ? Où voyager ? Où me reposer ? (Honoré de Balzac à Madame Hanska, jeudi deux mars mil huit cent quarante-trois)
Ce mardi, je retrouve le bus Huit de huit heures et en descends à l’arrêt Pierre Blave à l’entrée du Dramont. Se trouve là la Plage du Débarquement que je parcours sur ses gros galets où s’ébrouent avec leurs chiens quelques résidents du campigne de masse Yellow Village. Depuis cette plage, on a la meilleure vue sur l’Ile d’Or dont je fais une série de photos.
Un passage pas trop risqué du sentier du littoral me permet de rejoindre le petit Port du Poussaï. Je ne pousse pas plus loin. La gargote C le mieux m’offre une place en terrasse, bientôt au soleil, où, mon café bu, je lis Lettres à Madame Hanska, tout en gardant un œil sur les quelques randonneurs et pêcheurs qui passent, sur l’Ile d’Or et sa mystérieuse tour carrée, sur les bateaux aussi immobiles qu’elle. Spectacle plus inhabituel, la mise à l’eau d’un canot remorqué par un vieux campigne-car hollandais après une manœuvre hardie en marche arrière. « Faut pas bouger d’ici. Dès que tu vois la civilisation, c’est la merde », explique à une connaissance le gérant de C le mieux. « J’ai un copain, ajoute-t-il, il a acheté une maison en ville et après, sa femme, elle s’est barrée avec un autre. ».
Je rentre avec le bus Vingt et Un de dix heures vingt-huit, passe au Crédit à Bricoles qui prospère entre deux restaurants sur le Vieux-Port et à midi, pas tenté par le colombo de porc des Sablettes, opte encore une fois pour le Kashmir, puis direction Au Coq Hardi.
On y cuit en terrasse, d’où un recul d’une case sous la véranda ouverte, avec vue sur la Méditerranée derrière le Poste de Police Municipale. Où en est Balzac à l’aube de ses quarante-quatre ans? Cependant, chère, je n’ai plus cette abondance de pensées littéraires qui ne me permettait pas de chercher longtemps un sujet, et tout s’use ; je le vois : le corps et l’esprit.
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Ce que j’aimerais ne plus entendre au Kashmir (et ailleurs), c’est : « Ça change ! ».
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Juin ! Mon Dieu, comment vivre jusque-là ? maintenant que le travail ne me conserve plus comme un insecte pris dans l’ambre jaune. Où aller ? Où voyager ? Où me reposer ? (Honoré de Balzac à Madame Hanska, jeudi deux mars mil huit cent quarante-trois)
22 avril 2025
Ce Lundi de Pâques, j’achève ma carte Zou ! dix voyages avec une troisième et dernière virée à Sainte-Maxime. Je descends une nouvelle fois juste après le pont du Préconil. Le temps est frisquet mais le soleil va réchauffer ça.
Je m’éloigne de ce pont en marchant le long de la mer vers la Pointe de la Croisette où devrait se trouver une Villa La Croisette due à l’architecte René Darde mais je ne la trouve pas. Au-delà doit être, du même René Darde, la Villa Mirages appartenant au Roi de Suède, mais trop loin pour que je puisse l’atteindre. Je ne pourrai donc pas en envoyer une photo à l’ami de Stockholm qui justement ce soir organise dans sa ville un concert de SuperBravo, « dream pop from Paris + art exhibition & bar », durée cinq heures.
Revenu les pieds cuits, je fais escale au Café de France pour un café verre d’eau lecture de dix à onze. Dix bicyclistes en maillot de sport (neuf hommes, une femme, trois avec le casque sur la tête) animent la terrasse. Des retraités, plus souvent sur une chaise qu’en action, comme moi.
Quand je repars, c’est pour aller voir, au-delà de la Tour Carrée, L’Arbois (encore du René Darde) qui a inspiré une peinture à David Hockney en mil neuf cent soixante-huit. Outre cet Hôtel L’Arbois Sainte-Maxime, Hockney a peint la même année un tableau intitulé Early Morning Sainte-Maxime. Ce qui prouve qu’on peut être un artiste et se lever tôt.
Je monte ensuite (c’est la direction à prendre en cas de tsunami, signale une pancarte) découvrir le lavoir puis l’Hôtel de Ville. Du parvis de ce bâtiment municipal, on peut voir les toitures de la vieille ville, la mer et le rivage d’en face. En redescendant, je rencontre une Mairie Annexe qui doit être là pour qui n’arrive pas à aller plus haut. Revenu dans les petites rues commerçantes, j’entends une boutiquière s’adresser à sa voisine. « T’as vu, le Pape, il est mort cette nuit. » « Non ! » « T’as vu dans quel état il était hier. » Je vais m’asseoir sur un banc du port pour me remettre de cette nouvelle. Devant moi est un petit bateau de pêche, le Quatre Frères II.
La Réserve n’a pas de formule aujourd’hui car c’est un jour férié. L’Escapade a gardé la même qu’hier. Faute de mieux, je déjeune pour dix-sept euros au restaurant Chez Sophie, place des Sarrazins, d’un médiocre faux-filet avec frites industrielles et petite salade suivi d’une honorable mousse au chocolat.
Je retourne au port et marche jusqu’au bout de la petite digue, assistant à l’arrivée d’un voilier allemand et au départ d’un Bateau Vert pour Saint-Tropez (seize euros l’aller retour) puis je vais boire un ultime café maximois au Café Maxime, perché à une table haute, sous un soleil un peu trop chaud. Derrière moi sont deux boutiquières dont l’une dit à l’autre : « Vouloir et ne pas pouvoir, on est de plus en plus nombreux à le vivre ». Après une enfance comme la mienne, il faut croire à un soir resplendissant ou se jeter à la rivière, écrit Balzac qui attend impatiemment le jour où il pourra retrouver et épouser Madame Hanska.
*
Donc le Pape est mort. Il est mort après des semaines d’acharnement thérapeutique le mettant dans un drôle d’état.
Ce que je constate, c’est que cet homme, qui plus qu’aucun autre est censé croire en Dieu, a tout fait pour retarder le moment de le retrouver. Il en est ainsi de tous ceux qui affirment croire en ce Dieu, des religieux comme des laïcs.
S’ils étaient vraiment croyants, ils se réjouiraient d’attraper une maladie grave et ne la soigneraient pas, pour être le plus vite possible au royaume de leur Dieu. Or, tous ont recours à la médecine, même au-delà du raisonnable.
Ma conclusion est la suivante : personne ne croit en Dieu, pas même le Pape.
Je m’éloigne de ce pont en marchant le long de la mer vers la Pointe de la Croisette où devrait se trouver une Villa La Croisette due à l’architecte René Darde mais je ne la trouve pas. Au-delà doit être, du même René Darde, la Villa Mirages appartenant au Roi de Suède, mais trop loin pour que je puisse l’atteindre. Je ne pourrai donc pas en envoyer une photo à l’ami de Stockholm qui justement ce soir organise dans sa ville un concert de SuperBravo, « dream pop from Paris + art exhibition & bar », durée cinq heures.
Revenu les pieds cuits, je fais escale au Café de France pour un café verre d’eau lecture de dix à onze. Dix bicyclistes en maillot de sport (neuf hommes, une femme, trois avec le casque sur la tête) animent la terrasse. Des retraités, plus souvent sur une chaise qu’en action, comme moi.
Quand je repars, c’est pour aller voir, au-delà de la Tour Carrée, L’Arbois (encore du René Darde) qui a inspiré une peinture à David Hockney en mil neuf cent soixante-huit. Outre cet Hôtel L’Arbois Sainte-Maxime, Hockney a peint la même année un tableau intitulé Early Morning Sainte-Maxime. Ce qui prouve qu’on peut être un artiste et se lever tôt.
Je monte ensuite (c’est la direction à prendre en cas de tsunami, signale une pancarte) découvrir le lavoir puis l’Hôtel de Ville. Du parvis de ce bâtiment municipal, on peut voir les toitures de la vieille ville, la mer et le rivage d’en face. En redescendant, je rencontre une Mairie Annexe qui doit être là pour qui n’arrive pas à aller plus haut. Revenu dans les petites rues commerçantes, j’entends une boutiquière s’adresser à sa voisine. « T’as vu, le Pape, il est mort cette nuit. » « Non ! » « T’as vu dans quel état il était hier. » Je vais m’asseoir sur un banc du port pour me remettre de cette nouvelle. Devant moi est un petit bateau de pêche, le Quatre Frères II.
La Réserve n’a pas de formule aujourd’hui car c’est un jour férié. L’Escapade a gardé la même qu’hier. Faute de mieux, je déjeune pour dix-sept euros au restaurant Chez Sophie, place des Sarrazins, d’un médiocre faux-filet avec frites industrielles et petite salade suivi d’une honorable mousse au chocolat.
Je retourne au port et marche jusqu’au bout de la petite digue, assistant à l’arrivée d’un voilier allemand et au départ d’un Bateau Vert pour Saint-Tropez (seize euros l’aller retour) puis je vais boire un ultime café maximois au Café Maxime, perché à une table haute, sous un soleil un peu trop chaud. Derrière moi sont deux boutiquières dont l’une dit à l’autre : « Vouloir et ne pas pouvoir, on est de plus en plus nombreux à le vivre ». Après une enfance comme la mienne, il faut croire à un soir resplendissant ou se jeter à la rivière, écrit Balzac qui attend impatiemment le jour où il pourra retrouver et épouser Madame Hanska.
*
Donc le Pape est mort. Il est mort après des semaines d’acharnement thérapeutique le mettant dans un drôle d’état.
Ce que je constate, c’est que cet homme, qui plus qu’aucun autre est censé croire en Dieu, a tout fait pour retarder le moment de le retrouver. Il en est ainsi de tous ceux qui affirment croire en ce Dieu, des religieux comme des laïcs.
S’ils étaient vraiment croyants, ils se réjouiraient d’attraper une maladie grave et ne la soigneraient pas, pour être le plus vite possible au royaume de leur Dieu. Or, tous ont recours à la médecine, même au-delà du raisonnable.
Ma conclusion est la suivante : personne ne croit en Dieu, pas même le Pape.
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