Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
5 juillet 2018
Publicité télévisée pour le quatre-vingts kilomètres heure sur les routes secondaires :
Un camion surgit d’un chemin vicinal, le conducteur d’une voiture s’arrête juste avant la collision grâce aux treize mètres de freinage gagnés en passant de quatre-vingt-dix à quatre-vingts.
Sauf que s’il avait roulé à quatre-vingt-dix, il aurait été déjà loin quand le camion surgit.
*
Juste avant la mise en œuvre de cette diminution de vitesse, j’ai reçu un courrier avec du bleu blanc rouge. C’était pour m’annoncer que j’ai à nouveau douze points sur mon permis de conduire.
Cela me serait utile si j’avais encore une voiture.
*
Place de la Cathédrale, puis rue Damiette, ces dernières semaines, de nombreux jeunes hommes à gilet orange sous les ordres d’une sorte de contremaître refont les joints entre les pavés.
La ville aurait-elle engagé du personnel de voirie ? Je pense qu’il s’agit plutôt de Travaux d’Intérêt Général.
Pour les autres rues piétonnières, il va falloir attendre que d’autres jeunes hommes fassent des conneries, se retrouvent à Brisout puis devant un juge.
*
Au Son du Cor :
-Une grande bouteille d’eau, vous avez ça ?
-Non, en trente-trois seulement.
-Bon, bah alors, je vais prendre une Carlsberg.
*
Trois collègues hommes au restaurant japonais. C’est le repas du bilan de la jeune recrue. Les deux autres l’interrogent. Est-ce qu’il se sent bien avec eux ? Il répond très positivement, puis ajoute « Heureusement, parce que je passe plus de temps avec vous qu’avec ma femme ». Et se met à rougir.
Un camion surgit d’un chemin vicinal, le conducteur d’une voiture s’arrête juste avant la collision grâce aux treize mètres de freinage gagnés en passant de quatre-vingt-dix à quatre-vingts.
Sauf que s’il avait roulé à quatre-vingt-dix, il aurait été déjà loin quand le camion surgit.
*
Juste avant la mise en œuvre de cette diminution de vitesse, j’ai reçu un courrier avec du bleu blanc rouge. C’était pour m’annoncer que j’ai à nouveau douze points sur mon permis de conduire.
Cela me serait utile si j’avais encore une voiture.
*
Place de la Cathédrale, puis rue Damiette, ces dernières semaines, de nombreux jeunes hommes à gilet orange sous les ordres d’une sorte de contremaître refont les joints entre les pavés.
La ville aurait-elle engagé du personnel de voirie ? Je pense qu’il s’agit plutôt de Travaux d’Intérêt Général.
Pour les autres rues piétonnières, il va falloir attendre que d’autres jeunes hommes fassent des conneries, se retrouvent à Brisout puis devant un juge.
*
Au Son du Cor :
-Une grande bouteille d’eau, vous avez ça ?
-Non, en trente-trois seulement.
-Bon, bah alors, je vais prendre une Carlsberg.
*
Trois collègues hommes au restaurant japonais. C’est le repas du bilan de la jeune recrue. Les deux autres l’interrogent. Est-ce qu’il se sent bien avec eux ? Il répond très positivement, puis ajoute « Heureusement, parce que je passe plus de temps avec vous qu’avec ma femme ». Et se met à rougir.
4 juillet 2018
Lu le Tombeau de Verlaine, publié par Le Promeneur, recueil de textes réunis en mil neuf cent quatre-vingt-seize pour le centenaire de la mort du poète par Jacques Drillon, l’auteur du Traité de ponctuation.
Ces textes dus aux témoins de l’époque narrent la mort de Verlaine et ses obsèques suivies par quatre mille personnes dans la neige parisienne (on ne verra plus jamais ça). C’est l’abbé Mugnier qui dira la messe dite du bout de l’an :
Dit, ce matin, la messe du bout de l’an de Verlaine. Beaucoup de monde, à la chapelle de la Sainte-Vierge. M. Stéphane Mallarmé est venu me remercier après. Nous avons causé un instant. Nous avons dit que le poète était un vrai catholique : « Il y a des infiltrations étrangères dans les autres poètes, Lamartine, Hugo », dit Mallarmé. Verlaine est « l’enfant de chœur ». Alors j’ai dit à Stéphane : « L’Eglise doit mettre les poètes dans les stalles du chœur. » A quoi il a répondu : « Ce sont des chanoines. »
*
Dans les Friandises littéraires rassemblées par Joseph Vebret (Ecriture) cette lettre de Marcel Proust à son grand-père datée du jeudi soir du dix-sept mai mil huit cent quatre-vingt-huit (il a seize ans et neuf mois) :
Mon cher grand-père, je viens réclamer de ta gentillesse la somme de 13 francs que je voulais demander à Monsieur Nathan, mais que Maman préfère que je te demande. Voici pourquoi. J’avais si besoin de voir une femme pour cesser mes mauvaises habitudes de masturbation que papa m’a donné 10 francs pour aller au bordel. Mais 1° dans mon émotion j’ai cassé un vase de nuit, 3 francs 2° dans cette même émotion je n’ai pu baiser.
*
Et cette citation tirée du Journal de Stendhal :
Les bibliothèques sont particulièrement utiles pour les livres médiocres qui, sans elles, se perdraient.
Ces textes dus aux témoins de l’époque narrent la mort de Verlaine et ses obsèques suivies par quatre mille personnes dans la neige parisienne (on ne verra plus jamais ça). C’est l’abbé Mugnier qui dira la messe dite du bout de l’an :
Dit, ce matin, la messe du bout de l’an de Verlaine. Beaucoup de monde, à la chapelle de la Sainte-Vierge. M. Stéphane Mallarmé est venu me remercier après. Nous avons causé un instant. Nous avons dit que le poète était un vrai catholique : « Il y a des infiltrations étrangères dans les autres poètes, Lamartine, Hugo », dit Mallarmé. Verlaine est « l’enfant de chœur ». Alors j’ai dit à Stéphane : « L’Eglise doit mettre les poètes dans les stalles du chœur. » A quoi il a répondu : « Ce sont des chanoines. »
*
Dans les Friandises littéraires rassemblées par Joseph Vebret (Ecriture) cette lettre de Marcel Proust à son grand-père datée du jeudi soir du dix-sept mai mil huit cent quatre-vingt-huit (il a seize ans et neuf mois) :
Mon cher grand-père, je viens réclamer de ta gentillesse la somme de 13 francs que je voulais demander à Monsieur Nathan, mais que Maman préfère que je te demande. Voici pourquoi. J’avais si besoin de voir une femme pour cesser mes mauvaises habitudes de masturbation que papa m’a donné 10 francs pour aller au bordel. Mais 1° dans mon émotion j’ai cassé un vase de nuit, 3 francs 2° dans cette même émotion je n’ai pu baiser.
*
Et cette citation tirée du Journal de Stendhal :
Les bibliothèques sont particulièrement utiles pour les livres médiocres qui, sans elles, se perdraient.
3 juillet 2018
Ce dimanche matin, à sept heures et demie, je me dirige vers la rue des Bons Enfants où est annoncé un vide grenier. Lorsque j’aborde cette rue, nul déballage n’y est en cours. Je la remonte néanmoins. A l’autre bout, deux camionnettes remplies de marchandises sont arrêtées moteur tournant. Leurs conductrices sont désemparées.
-Apparemment, c’est peut-être annulé, apparemment, dit l’une à l’autre.
Le téléphone indiqué par les organisateurs ne répond pas.
La Mairie avait pourtant préparé des barrières et fabriqué des panneaux d’interdiction de circulation.
Arrive une voiture de la Police, mais son conducteur ne sait rien, il passait là par hasard.
Les deux déballeuses déçues restent plantées, comme si un miracle allait se produire, tandis que je rentre à la maison.
*
La veille, à seize heures, l’hymne national braillé par la partie masculine de la clientèle du Bar des Fleurs (il doit y avoir des femmes mais on ne les entend pas) vient troubler la quiétude du jardin. S’y ajoutent des sirènes du genre de celles qui donnent l’alerte et, à chaque but des joueurs de l’équipe de France, des pétards qui font autant de bruit que des bombes.
Le message subliminal des fanatiques de la Coupe du Monde, c’est : « On a envie d’une guerre ». Les nationalismes en plein essor et l’Europe se désagrégeant, leur espoir pourrait ne pas être vain.
*
Catherine Morin-Desailly, Sénatrice, Centriste de Droite, sur les réseaux sociaux : « Sous le regard du grand Pierre Corneille, l’Opéra de Rouen Normandie dévoile sa nouvelle façade pour sa nouvelle saison 2018/19 ! ». La photo accompagnant ce message enthousiaste en témoigne : comme elle l’a toujours fait, la statue de Corneille tourne le dos à la façade de l’Opéra. Les politicien(ne)s ont du mal avec la réalité.
-Apparemment, c’est peut-être annulé, apparemment, dit l’une à l’autre.
Le téléphone indiqué par les organisateurs ne répond pas.
La Mairie avait pourtant préparé des barrières et fabriqué des panneaux d’interdiction de circulation.
Arrive une voiture de la Police, mais son conducteur ne sait rien, il passait là par hasard.
Les deux déballeuses déçues restent plantées, comme si un miracle allait se produire, tandis que je rentre à la maison.
*
La veille, à seize heures, l’hymne national braillé par la partie masculine de la clientèle du Bar des Fleurs (il doit y avoir des femmes mais on ne les entend pas) vient troubler la quiétude du jardin. S’y ajoutent des sirènes du genre de celles qui donnent l’alerte et, à chaque but des joueurs de l’équipe de France, des pétards qui font autant de bruit que des bombes.
Le message subliminal des fanatiques de la Coupe du Monde, c’est : « On a envie d’une guerre ». Les nationalismes en plein essor et l’Europe se désagrégeant, leur espoir pourrait ne pas être vain.
*
Catherine Morin-Desailly, Sénatrice, Centriste de Droite, sur les réseaux sociaux : « Sous le regard du grand Pierre Corneille, l’Opéra de Rouen Normandie dévoile sa nouvelle façade pour sa nouvelle saison 2018/19 ! ». La photo accompagnant ce message enthousiaste en témoigne : comme elle l’a toujours fait, la statue de Corneille tourne le dos à la façade de l’Opéra. Les politicien(ne)s ont du mal avec la réalité.
2 juillet 2018
Vendredi vers dix-sept heures sous le fort soleil je franchis la Seine, remonte la rue Saint-Sever puis continue tout droit pendant un bon moment. Comme je suis en avance, et assoiffé, je trouve une place à la terrasse de trottoir de La Civette. J’y commande un diabolo menthe et me renseigne sur l’endroit exact de l’école où m’appelle le départ à la retraite de celle qui était directrice de l’école maternelle où se déroulèrent mes dernières années d’instituteur et qui est depuis une dizaine d’années adjointe en élémentaire sur la même rive. Dans une semaine elle aura cessé le travail, à un âge plus avancé que le mien d’alors.
A dix-huit heures, je franchis la porte de cette école primaire que je ne connais pas et y retrouve avec plaisir l’héroïne du jour entourée d’élèves et d’ancien(ne)s élèves, de leurs parents, de collègues d’aujourd’hui et d’hier, de son fiston et de l’amie d’icelui. Quelques personnes sont de ma connaissance, ainsi l’une de mes anciennes élèves qui entre en terminale scientifique et vise à devenir ingénieure.
Bientôt arrive une de nos collègues de la maternelle d’autrefois.
-Cela fait douze ans que je n’avais pas remis le pied dans une école, leur dis-je.
J’ajoute que c’est sans doute la dernière fois. La nouvelle arrivée proteste, elle doit prendre sa retraite dans deux ans, et tu seras invité me dit-elle.
En attendant, celle qui la prend cette année grimpe sur un banc et annonce qu’on attend sa sœur et sa mère, parties un peu tard d’Honfleur, et elle nous invite à nous rafraîchir. Il y a des boissons diverses, dont l’une pour les adultes qui ne boivent pas que de l’eau, et des brochettes de fruits frais confectionnées par ses élèves qui, précise-t-elle, se sont lavés les mains.
Lorsque les deux invitées attendues sont là, c’est le moment du discours du directeur de l’école. Il retrace le parcours de celle qui s’en va. J’apprends ainsi que lorsqu’elle avait vingt ans, au tout début de sa carrière (comme on dit) dans un village proche de Rouen, elle avait abonné sa classe à Grodada, la revue pour enfants du Professeur Choron (« on ne pourrait plus faire ça maintenant », dit-elle) et que celle-ci ayant gagné un concours de bandes dessinées proposé par ce mensuel, elle avait eu la surprise de voir arriver le camion du Professeur Choron chargé de jeux électroniques destinés à chaque enfant. Par la suite, elle fut l’une des responsables nationales, et même pendant deux ans la Présidente, de l’Icem (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne) qui promeut ce qu’on appelle la Pédagogie Freinet.
Un chœur des collègues et anciens collègues, dans lequel je me fais discret, interprète une chanson de circonstance sur l’air du Chant des Partisans puis une vidéo réalisée à l’insu de la quasi retraitée par l’un des enseignants de sa dernière école, avec la participation des différentes classes, est ensuite projetée sur un écran bricolé fixé au mur avec des bouts d’adhésif (l’école publique manque de moyens). Le son est diffusé par les deux petites enceintes d’un ordinateur portatif. On entend donc peu, mais c’est sympathique, frais et drôle.
Arrivent ensuite les cadeaux farfelus que l’on offre dans ce genre de circonstance. Ils sont accompagnés d’une enveloppe de participation financière à un voyage futur vers une lointaine contrée.
L’héroïne du jour, émue, remercie et conclut son intervention par une version personnelle de Ma plus belle histoire d’amour c’est vous à destination de ses élèves.
On peut aller se resservir en jus d’orange amélioré. Nous colloquons un moment, assis en triangle, nous les deux anciens adjoints de l’école maternelle Marcel Cartier avec notre ancienne directrice et promettons de nous revoir.
Au retour, lorsque je croise la ligne de métro, je regarde dans combien de temps arrive le prochain : quatorze minutes. Je continue donc à pied. Il n’y a pas mieux que les transports en commun rouennais pour vous obliger à faire de l’exercice physique.
A dix-huit heures, je franchis la porte de cette école primaire que je ne connais pas et y retrouve avec plaisir l’héroïne du jour entourée d’élèves et d’ancien(ne)s élèves, de leurs parents, de collègues d’aujourd’hui et d’hier, de son fiston et de l’amie d’icelui. Quelques personnes sont de ma connaissance, ainsi l’une de mes anciennes élèves qui entre en terminale scientifique et vise à devenir ingénieure.
Bientôt arrive une de nos collègues de la maternelle d’autrefois.
-Cela fait douze ans que je n’avais pas remis le pied dans une école, leur dis-je.
J’ajoute que c’est sans doute la dernière fois. La nouvelle arrivée proteste, elle doit prendre sa retraite dans deux ans, et tu seras invité me dit-elle.
En attendant, celle qui la prend cette année grimpe sur un banc et annonce qu’on attend sa sœur et sa mère, parties un peu tard d’Honfleur, et elle nous invite à nous rafraîchir. Il y a des boissons diverses, dont l’une pour les adultes qui ne boivent pas que de l’eau, et des brochettes de fruits frais confectionnées par ses élèves qui, précise-t-elle, se sont lavés les mains.
Lorsque les deux invitées attendues sont là, c’est le moment du discours du directeur de l’école. Il retrace le parcours de celle qui s’en va. J’apprends ainsi que lorsqu’elle avait vingt ans, au tout début de sa carrière (comme on dit) dans un village proche de Rouen, elle avait abonné sa classe à Grodada, la revue pour enfants du Professeur Choron (« on ne pourrait plus faire ça maintenant », dit-elle) et que celle-ci ayant gagné un concours de bandes dessinées proposé par ce mensuel, elle avait eu la surprise de voir arriver le camion du Professeur Choron chargé de jeux électroniques destinés à chaque enfant. Par la suite, elle fut l’une des responsables nationales, et même pendant deux ans la Présidente, de l’Icem (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne) qui promeut ce qu’on appelle la Pédagogie Freinet.
Un chœur des collègues et anciens collègues, dans lequel je me fais discret, interprète une chanson de circonstance sur l’air du Chant des Partisans puis une vidéo réalisée à l’insu de la quasi retraitée par l’un des enseignants de sa dernière école, avec la participation des différentes classes, est ensuite projetée sur un écran bricolé fixé au mur avec des bouts d’adhésif (l’école publique manque de moyens). Le son est diffusé par les deux petites enceintes d’un ordinateur portatif. On entend donc peu, mais c’est sympathique, frais et drôle.
Arrivent ensuite les cadeaux farfelus que l’on offre dans ce genre de circonstance. Ils sont accompagnés d’une enveloppe de participation financière à un voyage futur vers une lointaine contrée.
L’héroïne du jour, émue, remercie et conclut son intervention par une version personnelle de Ma plus belle histoire d’amour c’est vous à destination de ses élèves.
On peut aller se resservir en jus d’orange amélioré. Nous colloquons un moment, assis en triangle, nous les deux anciens adjoints de l’école maternelle Marcel Cartier avec notre ancienne directrice et promettons de nous revoir.
Au retour, lorsque je croise la ligne de métro, je regarde dans combien de temps arrive le prochain : quatorze minutes. Je continue donc à pied. Il n’y a pas mieux que les transports en commun rouennais pour vous obliger à faire de l’exercice physique.
30 juin 2018
Proust pèse lourd dans mon sac quand d’un coup de métro je rejoins Ledru-Rollin. Je vais d’abord au marché d’Aligre où l’antiquaire aux livres déstockés est de nouveau présent avec ses deux rabatteurs. Cette fois, tout est à un euro. Une aubaine dont je profite, trouvant là notamment une vieille édition de mil neuf cent cinquante-trois des Lettres de la maison des morts de Julius et Ethel Rosenberg (Gallimard) dont les pages n’ont pas été coupées.
Je passe ensuite chez Emmaüs faire don des quatre livres refusés par Book-Off puis entre dans mon Péhemmu chinois préféré.
-Alors, on change ou on change pas ? me demande la gentille serveuse.
-On change pas.
Elle me récite mon menu : « harengs pommes à l’huile, confit de canard pommes sautées salade, avec un quart de côtes-du-rhône et un café ».
C’est une belle journée d’été bien chaude. Tout en mangeant, j’observe par la vitre les jolies Parisiennes dans leurs tenues sexy. Elles ne les portent pas avec autant d’assurance que les filles de Montpellier. C’est le premier jour des soldes. Une femme blonde arpente la rue en répétant d’une voix de stentor « Ils vont dépenser leur pognon comme des moutons ».
A l’issue de mon repas, j’entre dans le second Book-Off où parmi les romans à un euro, magie des livres mal classés, je trouve Journal d’une crise suivi de Correspondance de concert de Glenn Gould (Fayard).
La chaleur me déconseillant de faire davantage d’efforts, je vais lire à l’ombre, dans le port de l’Arsenal, le Points/Seuil Notre Guerre (Journal de Résistance 1940-1945) d’Agnès Humbert, historienne d’art prisonnière des nazis pour son implication dans le réseau du Musée de l’Homme, l’un des livres achetés au vide grenier de la Butte aux Cailles.
Après qu’il m’eût été dit que l’administration n’allait pas me nourrir d’aspirine. Frau Vicom me donna un bon coup de poing dans l’estomac et me voilà partie en vol plané dans l’escalier… ayant pu m’accrocher à la rampe à moitié de l’étage, je n’ai pas eu de mal et il m’a été possible de méditer, pendant le restant de la journée, sur le traitement de la grippe en Allemagne.
Près de moi, un quadragénaire félicite un sexagénaire pour ses écritures :
-L’histoire que tu m’as racontée deux cents fois de Roland Garros avec la caméra qui revient sur la tante Hélène, je trouve que tu l’as écrite vraiment bien, avec légèreté.
*
De plus en plus de trottinettes électriques en libre-service sur les trottoirs et personne pour les utiliser ? Si, deux pré-branlotins dans le port de l’Arsenal. Ils font avec elles des dérapages contrôlés qui laissent des traces de pneu sur le sol.
*
En ce jour de grève, les barrières à Morin sont en fonction pour le seize heures vingt-huit qui va à Rouen. La voix enchaîne les messages anxiogènes : pas question de revenir en arrière une fois entré dans la zone, pas moyen de se faire accompagner dans la zone.
Ainsi, par la faute du Duc de Normandie, les vieux parents et les femmes enceintes ne peuvent plus avoir l’aide de leur famille pour s’installer dans le train.
*
Le dix-sept heures quarante-huit est en libre accès. C’est un Corail et il est climatisé. De plus, il part à l’heure. Les mêmes qui le matin, voulant encore dormir ou déjà travailler, demandent aux bavards de faire moins de bruit, au retour jouent bruyamment aux cartes, après la journée de labeur faut bien se détendre. Rien ne peut m’empêcher de lire.
Je passe ensuite chez Emmaüs faire don des quatre livres refusés par Book-Off puis entre dans mon Péhemmu chinois préféré.
-Alors, on change ou on change pas ? me demande la gentille serveuse.
-On change pas.
Elle me récite mon menu : « harengs pommes à l’huile, confit de canard pommes sautées salade, avec un quart de côtes-du-rhône et un café ».
C’est une belle journée d’été bien chaude. Tout en mangeant, j’observe par la vitre les jolies Parisiennes dans leurs tenues sexy. Elles ne les portent pas avec autant d’assurance que les filles de Montpellier. C’est le premier jour des soldes. Une femme blonde arpente la rue en répétant d’une voix de stentor « Ils vont dépenser leur pognon comme des moutons ».
A l’issue de mon repas, j’entre dans le second Book-Off où parmi les romans à un euro, magie des livres mal classés, je trouve Journal d’une crise suivi de Correspondance de concert de Glenn Gould (Fayard).
La chaleur me déconseillant de faire davantage d’efforts, je vais lire à l’ombre, dans le port de l’Arsenal, le Points/Seuil Notre Guerre (Journal de Résistance 1940-1945) d’Agnès Humbert, historienne d’art prisonnière des nazis pour son implication dans le réseau du Musée de l’Homme, l’un des livres achetés au vide grenier de la Butte aux Cailles.
Après qu’il m’eût été dit que l’administration n’allait pas me nourrir d’aspirine. Frau Vicom me donna un bon coup de poing dans l’estomac et me voilà partie en vol plané dans l’escalier… ayant pu m’accrocher à la rampe à moitié de l’étage, je n’ai pas eu de mal et il m’a été possible de méditer, pendant le restant de la journée, sur le traitement de la grippe en Allemagne.
Près de moi, un quadragénaire félicite un sexagénaire pour ses écritures :
-L’histoire que tu m’as racontée deux cents fois de Roland Garros avec la caméra qui revient sur la tante Hélène, je trouve que tu l’as écrite vraiment bien, avec légèreté.
*
De plus en plus de trottinettes électriques en libre-service sur les trottoirs et personne pour les utiliser ? Si, deux pré-branlotins dans le port de l’Arsenal. Ils font avec elles des dérapages contrôlés qui laissent des traces de pneu sur le sol.
*
En ce jour de grève, les barrières à Morin sont en fonction pour le seize heures vingt-huit qui va à Rouen. La voix enchaîne les messages anxiogènes : pas question de revenir en arrière une fois entré dans la zone, pas moyen de se faire accompagner dans la zone.
Ainsi, par la faute du Duc de Normandie, les vieux parents et les femmes enceintes ne peuvent plus avoir l’aide de leur famille pour s’installer dans le train.
*
Le dix-sept heures quarante-huit est en libre accès. C’est un Corail et il est climatisé. De plus, il part à l’heure. Les mêmes qui le matin, voulant encore dormir ou déjà travailler, demandent aux bavards de faire moins de bruit, au retour jouent bruyamment aux cartes, après la journée de labeur faut bien se détendre. Rien ne peut m’empêcher de lire.
29 juin 2018
Quand j’arrive à la gare de Rouen, ce mercredi, les trains pour Paris de six heures vingt et une et de six heures cinquante-quatre sont encore là pour cause de « restitution tardive de travaux à Gaillon » (il n’y a pas que dans l’art contemporain que l’usage du mot restitution fait florès). Je m’assois en attendant des nouvelles du mien, le sept heures vingt-quatre. « Les personnes qui ont des examens à Paris Saint-Lazare sont priées de se présenter à l’accueil », déclare la voix de la gare puis elle annonce que l’un des deux trains n’est pas en état de partir et invite ses voyageurs à le quitter pour s’installer dans l’autre. C’est une folle cavalcade pour remonter les escaliers puis descendre sur l’autre quai. Les moins rapides voyageront debout. Ce sont les plus vieux, les boitillants et les plus chargés. Pour voyager en train aujourd’hui mieux vaut être jeune, en bonne santé et sans bagage.
La voie deux étant encombrée par le train en panne, c’est de la trois que part le mien avec du retard. De plus, ce direct est devenu omnibus. Il arrive dans la capitale trente minutes après l’heure prévue. Les employés de la Senecefe distribuent les imprimés qui permettront à certains d’être partiellement remboursés. Ce faisant, ils créent un embouteillage. « Ils devraient distribuer les bons de retard au départ de chaque train, dit un voyageur, on gagnerait du temps. »
Etre en retard m’arrange. Cela me permet de ne pas être trop en avance devant le Book-Off de Quatre Septembre où j’ai un sac de livres à vendre. Alors que j’attends à la porte, une nymphette arrive et essaie de la pousser.
-C’est fermé, lui dis-je.
-Je suis la stagiaire, me répond cette enfant.
-C’est fermé quand même. Il y a encore des stages de troisième en cette fin d’année ?
-Je suis en quatrième, me dit-elle tandis qu’on lui ouvre.
Deux minutes plus tard, c’est à mon tour d’entrer. Quatre livres me sont refusés. Les autres me rapportent neuf euros quatre-vingts centimes. Je fais ensuite le tour des rayonnages à un euro, y trouve un mince livre de Rainer Maria Rilke intitulé Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, trente et une pages, chez Actes Sud, puis, sur un chariot, l’énorme Recherche du temps perdu en un seul volume, deux mille quatre cent huit pages, chez Quarto Gallimard, à un euro également, comment est-ce possible ?
Pendant ce temps la stagiaire met des livres dans les rayons sans jamais se laisser distraire.
*
Aurélien Bellanger n’a pas la cote chez les bouquinistes rouennais. Ni Le Rêve de l’Escalier ni Les Mondes Magiques n’ont voulu de La Théorie de l'information dont la lecture m’avait déçu. Book-Off me le refuse, le trouvant un peu défraîchi. C’est pourtant là que je l’avais acheté, un euro. Plus qu’à le déposer chez Emmaüs, où il trouvera preneur pour deux euros.
La voie deux étant encombrée par le train en panne, c’est de la trois que part le mien avec du retard. De plus, ce direct est devenu omnibus. Il arrive dans la capitale trente minutes après l’heure prévue. Les employés de la Senecefe distribuent les imprimés qui permettront à certains d’être partiellement remboursés. Ce faisant, ils créent un embouteillage. « Ils devraient distribuer les bons de retard au départ de chaque train, dit un voyageur, on gagnerait du temps. »
Etre en retard m’arrange. Cela me permet de ne pas être trop en avance devant le Book-Off de Quatre Septembre où j’ai un sac de livres à vendre. Alors que j’attends à la porte, une nymphette arrive et essaie de la pousser.
-C’est fermé, lui dis-je.
-Je suis la stagiaire, me répond cette enfant.
-C’est fermé quand même. Il y a encore des stages de troisième en cette fin d’année ?
-Je suis en quatrième, me dit-elle tandis qu’on lui ouvre.
Deux minutes plus tard, c’est à mon tour d’entrer. Quatre livres me sont refusés. Les autres me rapportent neuf euros quatre-vingts centimes. Je fais ensuite le tour des rayonnages à un euro, y trouve un mince livre de Rainer Maria Rilke intitulé Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, trente et une pages, chez Actes Sud, puis, sur un chariot, l’énorme Recherche du temps perdu en un seul volume, deux mille quatre cent huit pages, chez Quarto Gallimard, à un euro également, comment est-ce possible ?
Pendant ce temps la stagiaire met des livres dans les rayons sans jamais se laisser distraire.
*
Aurélien Bellanger n’a pas la cote chez les bouquinistes rouennais. Ni Le Rêve de l’Escalier ni Les Mondes Magiques n’ont voulu de La Théorie de l'information dont la lecture m’avait déçu. Book-Off me le refuse, le trouvant un peu défraîchi. C’est pourtant là que je l’avais acheté, un euro. Plus qu’à le déposer chez Emmaüs, où il trouvera preneur pour deux euros.
28 juin 2018
Francisco de Goya demeura fidèle à son ami d’enfance Martin Zapater. Ils correspondirent longuement. Goya survécut vingt ans à Zapater. Leur correspondance s’arrête avant la mort du second (fâcherie ou perte des lettres on ne sait). Des Lettres à Martin Zapater de Francisco de Goya, traduites, préfacées et annotées par Danielle Auby, publiées en mil neuf cent quatre-vingt-huit par les éditions Alidades, lues en terrasse, au Son du Cor et au Sacre, j’ai tiré peu :
Sabatini s’est jeté sur quelques jolies esquisses que j’avais, je les avais déjà promises et toi tu étais en bonne place pour les avoir et maintenant me voilà les couilles au vent ! (décembre mil sept cent soixante-dix-huit)
Moi je veux faire ce qu’il me plaît et qu’il aille se faire foutre celui qui tient compte du monde et des fortunes de cour, je vois bien clairement que les ambitieux ne vivent pas qu’ils ne savent rien de l’endroit où ils vivent. (vingt octobre mil sept cent quatre-vingt-un)
*
Intrigantes éditions Alidades.
Sises en quatre-vingt-huit à Sainte-Adresse où elles n’avaient pour adresse qu’une boîte postale, mais diffusées par Distique, elles sont maintenant à Thonon-les-Bains et n’ont plus de diffuseur :
« Nos ouvrages, pour la plupart de fabrication "maison" et de petit volume (de 24 à 64 pages), sont diffusés par nos soins, pour peu qu'on les demande, notre logique restant associative et non commerciale.
Comme de nombreux petits ou "micro" éditeurs, nous ne sommes guère en mesure de définir une "ligne éditoriale" : certains textes s'imposent, d'autres nous ennuient. » Leur catalogue est riche.
On ne peut accuser Alidades de harceler l’éventuel lecteur. Sur le réseau social Effe Bé, sa page est réservée aux amis. Ils ne sont que dix-sept.
*
La maison est la sépulture des femmes. dixit la femme de Goya, cité par son mari dans une lettre à Zapater.
Sabatini s’est jeté sur quelques jolies esquisses que j’avais, je les avais déjà promises et toi tu étais en bonne place pour les avoir et maintenant me voilà les couilles au vent ! (décembre mil sept cent soixante-dix-huit)
Moi je veux faire ce qu’il me plaît et qu’il aille se faire foutre celui qui tient compte du monde et des fortunes de cour, je vois bien clairement que les ambitieux ne vivent pas qu’ils ne savent rien de l’endroit où ils vivent. (vingt octobre mil sept cent quatre-vingt-un)
*
Intrigantes éditions Alidades.
Sises en quatre-vingt-huit à Sainte-Adresse où elles n’avaient pour adresse qu’une boîte postale, mais diffusées par Distique, elles sont maintenant à Thonon-les-Bains et n’ont plus de diffuseur :
« Nos ouvrages, pour la plupart de fabrication "maison" et de petit volume (de 24 à 64 pages), sont diffusés par nos soins, pour peu qu'on les demande, notre logique restant associative et non commerciale.
Comme de nombreux petits ou "micro" éditeurs, nous ne sommes guère en mesure de définir une "ligne éditoriale" : certains textes s'imposent, d'autres nous ennuient. » Leur catalogue est riche.
On ne peut accuser Alidades de harceler l’éventuel lecteur. Sur le réseau social Effe Bé, sa page est réservée aux amis. Ils ne sont que dix-sept.
*
La maison est la sépulture des femmes. dixit la femme de Goya, cité par son mari dans une lettre à Zapater.
27 juin 2018
Le beau temps est assuré ce dimanche, ce qui m’incite à aller à Bois-Guillaume pour le vide grenier annuel. A cette fin, je monte dans le premier bus Effe Un de la journée, départ à six heures quarante de République. J’en descends à la Mairie de cette commune de banlieue bourgeoise puis vais à pied jusqu’aux terrains de foute où ça déballe.
Si les vendeurs et vendeuses y proposent une marchandise de meilleure qualité que celle des pauvres de la rive gauche, elle n’en est pas moins d’aussi peu d’intérêt pour moi. Je fais plusieurs fois le circuit, que de livres de Busso et de Mussi ! Deux fois, je croise un homme qui porte autour du cou une pancarte « Proposez-moi des pin’s et des fèves », sa femme n’a pas l’air d’en être gênée. L’un des organisateurs s’en prend de façon agressive à un Chinois qui s’est installé sans autorisation, celui-ci n’est pas décidé à bouger. Je ne saurai pas comment se termine cet affrontement car je me trisse avec dans mon sac deux livres qui rembourseront mon déplacement.
Il faut que je me rende à l’évidence : plus aucun vide grenier de la région rouennaise n’est susceptible de me satisfaire.
*
Au Son du Cor, point de télé pour le foute heureusement, mais au Sacre, grand écran et drapeau tricolore de même taille fixé sur la façade, de quoi éviter au maximum l’endroit jusqu’à la fin de l’évènement totalitaire. J’y suis néanmoins le lundi faute de Son du Cor, vers midi, avant que ça commence.
L’autre semaine un homme tirant un chariot s’arrête à ma table et, me montrant la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier fermée, me demande si c’est fermé.
-Il est en vacances cette semaine, lui dis-je, et en plus c’est fermé tous les lundis.
-Je sais, me répond ce casse-pied.
Passent trois hommes en costume.
-Il y a des bureaux dans cette rue ? me demande-t-il
-Je n’en sais rien, et de toute façon je ne suis pas là pour discuter.
Il va son chemin avec son chariot, puis passe un branlotin au bras cassé avec un plâtre bleu blanc rouge.
*
L’autre semaine aussi, pendant que je suis à la Poste de la rue de la Jeanne occupé avec un automate à qui je demande des vignettes d’affranchissement, l’alarme se déclenche. Un ordre d’évacuation est donné. Je décide de rester jusqu’à ce que toutes mes vignettes soient imprimées. Une postière vient me faire la leçon.
-Si vous voulez, je vous donne mon nom et vous me dénoncerez comme mauvais citoyen, lui dis-je.
Quand, assourdi, je sors avec elle et mes vignettes, je constate que tous les autres usagers ont obtempéré. Elle fait descendre le rideau derrière nous. Je m’éclipse tandis que les citoyens obéissants attendent sur le trottoir en compagnie des employés qu’on les autorise à entrer de nouveau.
*
Ce mardi, au Son du Cor, ma jeune voisine lit La méthode simple pour les femmes qui veulent arrêter de fumer. Elle en surligne des passages en rose fluo et puis demande un cendrier.
Si les vendeurs et vendeuses y proposent une marchandise de meilleure qualité que celle des pauvres de la rive gauche, elle n’en est pas moins d’aussi peu d’intérêt pour moi. Je fais plusieurs fois le circuit, que de livres de Busso et de Mussi ! Deux fois, je croise un homme qui porte autour du cou une pancarte « Proposez-moi des pin’s et des fèves », sa femme n’a pas l’air d’en être gênée. L’un des organisateurs s’en prend de façon agressive à un Chinois qui s’est installé sans autorisation, celui-ci n’est pas décidé à bouger. Je ne saurai pas comment se termine cet affrontement car je me trisse avec dans mon sac deux livres qui rembourseront mon déplacement.
Il faut que je me rende à l’évidence : plus aucun vide grenier de la région rouennaise n’est susceptible de me satisfaire.
*
Au Son du Cor, point de télé pour le foute heureusement, mais au Sacre, grand écran et drapeau tricolore de même taille fixé sur la façade, de quoi éviter au maximum l’endroit jusqu’à la fin de l’évènement totalitaire. J’y suis néanmoins le lundi faute de Son du Cor, vers midi, avant que ça commence.
L’autre semaine un homme tirant un chariot s’arrête à ma table et, me montrant la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier fermée, me demande si c’est fermé.
-Il est en vacances cette semaine, lui dis-je, et en plus c’est fermé tous les lundis.
-Je sais, me répond ce casse-pied.
Passent trois hommes en costume.
-Il y a des bureaux dans cette rue ? me demande-t-il
-Je n’en sais rien, et de toute façon je ne suis pas là pour discuter.
Il va son chemin avec son chariot, puis passe un branlotin au bras cassé avec un plâtre bleu blanc rouge.
*
L’autre semaine aussi, pendant que je suis à la Poste de la rue de la Jeanne occupé avec un automate à qui je demande des vignettes d’affranchissement, l’alarme se déclenche. Un ordre d’évacuation est donné. Je décide de rester jusqu’à ce que toutes mes vignettes soient imprimées. Une postière vient me faire la leçon.
-Si vous voulez, je vous donne mon nom et vous me dénoncerez comme mauvais citoyen, lui dis-je.
Quand, assourdi, je sors avec elle et mes vignettes, je constate que tous les autres usagers ont obtempéré. Elle fait descendre le rideau derrière nous. Je m’éclipse tandis que les citoyens obéissants attendent sur le trottoir en compagnie des employés qu’on les autorise à entrer de nouveau.
*
Ce mardi, au Son du Cor, ma jeune voisine lit La méthode simple pour les femmes qui veulent arrêter de fumer. Elle en surligne des passages en rose fluo et puis demande un cendrier.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante