Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

17 octobre 2024


Pour la nuit de mardi à mercredi et les deux jours qui suivent, la météo annonce un fort vent et des grosses pluies sur le Languedoc, la faute à « une entrée maritime ». Ce vent, je l’entends gronder dans le noir. Il me gêne à peine. Mon principal souci reste d’ordre intestinal.
Au matin, avant même le petit-déjeuner au Classic, je trouve une pharmacie déjà ouverte près des Halles. « Votre médecin aurait dû vous prescrire un probiotique avec », me dit le pharmacien. « Les fois précédentes où j’ai pris des antibiotiques, je n’ai pas eu ce genre de problème alors je ne me suis pas méfié », lui réponds-je. « Ça dépend des antibiotiques », me dit-il, se gardant d’ajouter « Et puis maintenant vous n’êtes plus jeune », mais je l’ai lu. Seize euros, cette petite chose à prendre pendant dix jours, ce qui veut dire qu’il va falloir attendre pour que ça s’améliore.
Le vent souffle fort mais il ne pleut pas. Pour me trouver non loin d’un abri en cas de nécessité, je prends le bus Trois qui longe la Corniche et le quitte à Plan de la Corniche, un lieu doté d’au moins un café restaurant.
Le ciel est quasiment bleu. Je descends pédestrement jusqu’à la Crique de la Nau d’où l’on surplombe la mer agitée qui se heurte aux rochers, cette Méditerranée que je ne vois pas très souvent. Je tente quelques photos, mais appuyer au moment le plus spectaculaire relève de l’impossible.
Remonté, j’entre au bien nommé La Ressource pour mon café verre d’eau lecture du matin, un grand établissement à terrasse qui donne sur la grand-route. La mer n’est pas loin derrière, invisible.
Il fait meilleur qu’annoncé, doux et ensoleillé. C’est ce que je constate en descendant du bus Trois à l’arrêt Savonnerie, non loin des restaurants du Port. Je peux déjeuner dehors car la terrasse est bien protégée du vent au Bamboo, six huîtres de Bouzigues, la pièce du boucher avec ses frites fraîches et un tiramisu pour vingt euros quatre-vingt-dix, la sangria est offerte. L’ambiance est touristique mais sympathique. C’est un restaurant où l’on sort un chauffe-terrasse au gaz pour ceux qui ont froid, je croyais que c’était interdit. Une femme fait garder son chien pendant qu’elle va aux toilettes par la femme de la table voisine. « Elle revient ta mère. » Je ne m’y habituerai jamais.
Je marche ensuite sous un ciel bleu avec petits nuages blancs le long du Canal Royal jusqu’au Classic. Le vent m’oblige à l’intérieur pour le café, le verre d’eau et la lecture. C’est bientôt la fin pour Lagarce. Terrible.
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Une femme et un homme qui ne sont pas d’accord sur le chemin à suivre. Elle : « Comme tu veux, trésor. » Trésor !
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Canal Royal, un bâtiment d’habitation de trois étages surmonté d’une petite tour carrée. Mieux vaut que ce ne soit pas les toilettes là-haut quand on est malade comme moi.

16 octobre 2024


Je suis affreusement malade toute la nuit, inutile d’entrer dans les détails. Plutôt que la paella de dimanche midi, je crains que ce soit une conséquence de la prise d’antibiotiques. Une nuit sans quasiment dormir, pourtant je tiens debout quand je rejoins le Classic vers huit heures trente. Mon croissant au chocolat me fait moins envie que d’habitude.
Je dois me ménager. Le ciel est gris quand je longe le Canal Royal en direction de la Gare. Je m’arrête devant le numéro cinq du quai Adolphe-Merle. Georges Brassens avait là son pied-à-terre sétois face auquel était amarré son bateau, le Gyss. C’est un modeste immeuble de deux étages, un appartement au premier, un au second. J’imagine qu’il était dans ce dernier.
A proximité, avenue Victor-Hugo, se trouve le Théâtre Molière qui fut inauguré en mil neuf cent quatre, un théâtre à l’italienne où Brassens a chanté sept fois entre mil neuf cent cinquante-six et mil neuf cent soixante-treize. Je réussis à en faire une photo sans voiture ni piéton devant.
En haut de cette avenue qui mène à la Gare, près du Canal Latéral, se trouve la Brasserie Le Vauban. J’y entre pour un café verre d’eau lecture. Lire le Journal de Jean-Luc Lagarce là où il en a écrit quelques lignes est un plaisir d’esthète.
Je pense que depuis les années quatre-vingt-dix le mobilier a été changé. Aussi je ne cherche pas où il pouvait être assis. Quant à l’actuelle patronne, une jolie jeune femme blonde particulièrement gentille, peut-être n’était-elle pas encore née.
A un moment, le pont s’ouvre pour laisser passer des voiliers. Des piétons à valises doivent patienter, de même que les voitures et les bus. Cela dure de longues minutes. Il ne faut pas attendre le dernier moment pour rejoindre son train à Sète.
N’ayant pas faim, je rentre à mon logis provisoire vers midi me contentant pour déjeuner d’un yaourt et d’un verre de jus d’orange.
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A la jonction du Canal Royal et du Canal Latéral, le vieux gréement que l’on trouve dans chaque ville portuaire. Celui-là n’a pas de nom.
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Les hommes d’ici ont une façon élégante, de se tenir assis dans les cafés qui me fait songer à celle des hommes new-yorkais. Ils savent occuper l’espace.

15 octobre 2024


Je prends le premier bus Vingt ce lundi matin. Il part à huit heures dix du Pont de Pierre. Son terminus est Mas de Garric à Mèze.
C’est Mèze que je veux découvrir, après Bouzigues, sur l’Etang de Thau, l’autre commune à parcs à huîtres. Ce bus n’annonce pas ses arrêts. Le chauffeur m’arrêtera à la Poste. Je le lui ai demandé à la Gare et juste après pour la première fois je me fais contrôler. Trois voyageurs, aucun fraudeur. En chemin on a belle vue sur les parcs à huîtres. C’est immense
Vous verrez, c’est après Intermarché, m’a dit le chauffeur. Je repère ce magasin. Un autre a déjà sonné. Grâce au plan obtenu à Balaruc, un beau plan gratuit sur papier glacé (Sète devrait en prendre de la graine, comment on dit), je sais que l’arrêt Poste est le seul pas trop éloigné du Port et qu’une piste cyclable y descend. Je la fais mienne. C’est moins loin que je le croyais.
Le temps est gris malheureusement, mais attendre qu’il fasse beau serait imprudent. Le joli Port rectangulaire, où se font remarquer les bateaux des jouteurs locaux, est entouré de restaurants. Rien n’est ouvert, hormis l’Hôtel du Port au bout de celui-ci. « Ce monsieur ? » me demande la serveuse. « Un allongé avec un verre d’eau, s’il vous plaît. » Je m’installe en terrasse. A l’intérieur la clientèle de l’Hôtel petit-déjeune. J’ai pris la précaution d’acheter un pain au chocolat à la Boulangerie Pâtisserie Bon près du Pont de Pierre avant de partir (un euro dix). L’allongé est à un euro soixante.
Je ne suis pas en forme ce matin. le temps bouché, le souci de mes paupières qui me démangent à nouveau, ce qui m’attend en novembre, la lecture du Journal de Lagarce qui s’achemine vers sa fin (dans tous les sens du mot), le manque de nouvelles de celles qui m’ont tenu la main et qui m’écrivent de moins en moins, tout contribue à rendre morose le chanceux vacancier que je suis (il en est même qui m’envient).
Plutôt que continuer mon tour du Port, j’entre dans le bourg et là, divine surprise, de jolies rues étroites sans personne, des maisons colorées, des placettes avec des chats qui se font connaître (j’aime tous les chats) et tout à coup dans mon dos une fort belle église fortifiée, Saint-Hilaire. Prés de celle-ci, une esplanade avec des Halles à l’ancienne et un kiosque à musique
En redescendant, je trouve sans l’avoir cherchée la Chapelle des Pénitents qui tourne le dos au Petit Port de Nacelles et à la Plagette. De retour dans le Port, fatigué plus que de raison, je m’arrête à la terrasse du Tabou. Le café n’y coûte qu’un euro cinquante, vue sur les bateaux sans voitures.
Vers midi moins le quart, je fais le tour des restos et choisis de revenir au Tabou. Le plat du jour comporte des spaghettis et j’ai horreur de ça. N’ayant pas grand faim, je choisis la tielle salade, le plat le moins cher, douze euros. Bien qu’elle soit petite, j’ai du mal à la terminer. En revanche, je bois un litre d’eau.
Direction l’Hôtel du Port pour le café. Je suis servi depuis cinq minutes quand la serveuse revient pour me dire qu’elle ferme dans un quart d’heure, ordre du patron, il n’y a personne. Je proteste lui reprochant surtout de ne pas m’avoir prévenu à mon arrivée. Elle le reconnaît et quand je lui explique que si j’avais su ça, j’aurais pris un bus plus tôt et que je vais devoir attendre le suivant une heure trente sur un banc, elle me dit qu’elle m’emmène chez Olive et Framboise, même maison mais restaurant, et qu’elle m’offre un autre café. Nous nous quittons bons amis (si l’on peut dire) mais j’y perds, cette terrasse est moche en bas de la rue du Port, avec vue sur celui-ci mais d’un peu loin.
Je suis malgré tout en avance devant la Poste pour mon bus du retour. Je le prends sans attendre de l’autre côté pour être au chaud et bien assis et voir la fin de la ligne. Elle dessert des quartiers résidentiels sans charme et le Mas de Garric est une zone de petites et moyennes entreprises. Je signale au chauffeur que je vais repartir dans l’autre sens. « Est-ce que je dois descendre et remonter ? » « Non, restez », me dit-il.
Suis fatigué quand je monte la rue Arago puis l’escalier irrégulier qui mène à mon logis Air Bibi. Je me coucherais bien mais je veux écrire mon texte du jour. Je me demande si ce n’est pas la paella de dimanche au Seven qui m’a rendu malade. Je ne suis pas certain qu’elle ait été fraîche.
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Une femme au Tabou : « Allo, je t’appelle car Richard a un rendez-vous cet après-midi à Sète. Alors je lui ai demandé de me laisser à Balaruc et de me reprendre après et j’ai pensé qu’on pourrait passer un moment ensemble. Hein quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? T’es malade ? T’as une pneumonie pendant la cure ? C’est pas de chance. »
Au loin, on ne sait où, on entend Léo Ferré chanter C’est extra.
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Il existe un bateau bus entre Sète et Mèze jusqu’à fin octobre : huit euros l’aller, onze l’aller et retour. On est loin des prix pratiqués dans ceux de Toulon et de Lorient
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A Mèze, un salon de coiffure nommé Hair de Thau. J’ai beau chercher, je ne trouve pas. A part Air de Thau, mais bon, pas terrible.

14 octobre 2024


« Heureusement que vous êtes là, il n’y a pas âme qui-vive ce matin », me dit la serveuse retraitée du Classic dimanche vers huit heures. C’est vrai qu’il n’y a quasiment personne dehors. Pourtant le temps est doux, pas de vent et le ciel un peu bleu.
Mes deux objectifs du jour : visiter le Quartier Haut en bas du Mont Saint-Clair et passer à la Foire aux Livres qui a lieu une fois par mois devant la Mairie.
Le Quartier Haut, je l’ai traversé l’autre dimanche pour aller au Musée Paul Valéry. C’est l’origine de la ville de Sète. Il est maintenant habité par les descendants des Italiens d’alors, d’où la présence de linge qui sèche aux fenêtres.
Je fais un crochet pour voir le Lycée Paul Valéry, autrefois collège de garçons (Brassens y fut élève pendant onze ans, ai-je lu, ça fait beaucoup) puis j’enfile la Grande Rue Haute et enfin me répands dans les adjacentes, dont la rue des Députés transformée d’un coup de pinceau en rue des Putes. Alors que je m’apprête à photographier une façade particulièrement colorée, j’aperçois une femme assise sur un balcon cigarette en main. « Ah, excusez-moi, je voulais faire une photo, je ne vous avais pas vue. » « Je vais bouger, mais doucement, je me réveille. » « A moins que vous vouliez être sur la photo. » Elle ne veut pas. L’église du quartier est massive. Elle est partiellement cachée par des travaux.  « Ici la ville rénove la Décanale Saint-Louis »
Mon tour fait, je passe à la Foire aux Livres, sept bouquinistes ambulants et un disquaire du même genre. Trois ne sont pas encore prêts. Deux ont des livres intéressants. Ceux qui retiennent mon attention, je les ai déjà
Des Halles, je descends tout droit sur le Tabary’s pour un café verre d’eau lecture à ma table préférée de la véranda. Un couple de vieux à chien occupe la table voisine. Ce chien me déplaît (comme tous les chiens). Je leur demande de le tenir serré, qu’il ne vienne pas vers moi. La femme me dit qu’il y a d’autres tables ailleurs. « J’aimerais encore pouvoir m’asseoir à la table de mon choix », lui dis-je d’un ton sec. Suis resté d’un calme courtois assassin, lis-je peu après chez Lagarce, une formule que je fais mienne.
A onze heures trente, je retourne vers les Halles et m’assois à la terrasse de L’Idéal Bar, un troquet à fresque murale où je commande six huîtres de Bouzigues avec un verre de Picpoul de Pinet pour neuf euros (pas de carte bancaire). Je les déguste avec vue sur ces Halles d’où s’échappe un bourdonnement de ruche.
A midi, je déjeune rue Frédéric-Mistral au bar Le Seven, un troquet de piliers de comptoir qui propose une paella à onze euros (pas de carte bancaire). De ma table de rue j’ai vue sur les Halles qui sont emballées à la manière de Christo et Jeanne-Claude mais pour une raison non artistique. Cette paella est bonne mais n’attire personne d’autre.
A mes deux objectifs du jour, j’ajoute un troisième : prendre le café à Balaruc-les-Bains. Pour cela, je monte dans le bus Dix. A l’arrivée, je m’installe à la terrasse du Bon Coin. Sur l’eau naviguent les voiliers du dimanche. C’est le jour où les curistes se baladent sans leur sac. « On fait une photo devant la mer ? », disent ceux qui ignorent que derrière, c’est un étang. Tout à coup, un animal s’abat sur une gaufre et disparaît avec elle. « Ah, la vache ! », crie la dépossédée. Ce n’était pourtant qu’un goéland.
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Les trois expressions que j’aime entendre dans la bouche des serveuses et serveurs du Sud lors de la commande : « Et bonjour ! » « Ce monsieur ? » « Allez ! »

13 octobre 2024


« C’est la tramontane ce matin », m’apprend la serveuse à grande mémoire du Classic, une retraitée qui fait des dépannages. « Le temps se cherche », ajoute-t-elle. Ce qui est sûr, c’est qu’il a bien changé, hier estival, aujourd’hui automnal, avec de gros nuages noirs et cette tramontane que je sais maintenant être un vent froid.
Je voulais aller au Cimetière Marin ce samedi matin. Comme je préfère le voir sous le soleil, j’ajourne. J’improvise en choisissant le bus Cinq dont le terminus m’inspire : Notre-Dame Souveraine du Monde. Son départ est Passage du Dauphin, devant l’entrée du sombre couloir où s’achètent les tickets. C’est une ligne qui fait l’ascension du Mont Saint-Clair. Je prends le huit heures cinquante en espérant ne pas me faire saucer à l’arrivée.
Ça grimpe sacrément le Mont Saint-Clair. Après avoir passé la Croix, le bus descend par l’autre côté et nous arrivons au terminus. L’église Notre-Dame Souveraine du Monde n’est pas à la hauteur de son nom. C’est un petit bâtiment d’architecture contemporaine dont je fais néanmoins une photo.
Comme en chemin j’ai repéré un jardin et que le bus va repartir dans l’autre sens, je demande au chauffeur quel arrêt. « Les Pierres Blanches », me dit-il. J’y descends. Ce que je voyais comme un jardin est la Forêt Domaniale de Sète Les Pierres Blanches qui s’étend sur vingt-sept hectares. Une végétation méditerranéenne sur un sol caillouteux dont je parcours les sentiers prudemment avant d’en trouver un moins périlleux et presque plat. Par-ci par-là sont présentes des ruines et de temps à autre une trouée dans les arbres permet de voir l’Etang de Thau et les parcs à huîtres de Bouzigues et de Mèze. En contrebas, je reconnais l’Ile de Thau et ses petits bateaux.
Ma balade faite, je rentre avec le bus suivant, conduit par le même chauffeur, un distrait qui oublie de s’arrêter quand on sonne. Pas de souci pour moi, je descends au terminus, Passage du Dauphin, non loin du Tabary’s.
Je m’installe à sa terrasse de véranda pour un café verre d’eau lecture. Le temps se cherche toujours. A onze heures : moins de vent mais pas encore de pluie. A onze heures quarante : quelques gouttes. A midi : une courte drache, que j’évite car je suis déjà installé dans l’un des restaurants du Port.
Il a pour nom Aux Copains d’abord. On n’y entend pas les chansons de Brassens mais de la variété anglophone féminine. Je déjeune du menu à vingt-cinq euros cinquante : six huîtres de Bouzigues, un loup entier à la plancha et un tiramisu (ne suis-je pas au bord du Canal Grande ?)
Le temps a fini par se trouver quand je quitte l’endroit : du gris sans pluie ni vent.  Direction le Classic pour mon classique café verre d’eau lecture d’après-midi. Le lundi deux mai mil neuf cent quatre-vingt-quatorze, Jean-Luc Lagarce est à L’Olympia pour un concert d’IAM : Il y a là un côté théâtre soviétique des années 30, sans que personne ne s’en soucie, l’idée aussi qu’on peut avoir des futuristes.
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La serveuse retraitée du Classic, soixante kilomètres en bicyclette tous les jours autour de l’Etang de Thau et vers Palavas et La Grande Motte. « En vélo sec en plus », commente un habitué admiratif. « Il y a des pistes cyclables partout », dit-elle, comme si ceci expliquait cela.
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Pas mécontent de cette expédition improvisée qui m’a mené aux Pierres Blanches. Elle m’a également permis de constater qu’au Mont Saint-Clair, il vaut mieux monter en bus qu’à pied.
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Jean-Luc Lagarce, Journal :
Vendredi vingt-neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-treize :
Je pars parfois un peu en biais, côté gauche, j’ai des petites douleurs au front, etc. Scanner programmé la semaine prochaine.
Je ne cache pas que ce point là me préoccupe pas mal. Je suis un intellectuel et les intellectuels – comme les autruches – sont persuadés que leur tête est importante.
Jeudi vingt-cinq novembre mil neuf cent quatre-vingt-treize :
Tout le monde doit savoir que je suis malade, et comme depuis toujours, j’ai l’air aussi enthousiaste et jovial qu’un rescapé des camps, on me parle avec une déférence endeuillée assez étrange. Comme si on craignait toujours que je me tire une balle dans la tête.
Vendredi 27 mai 1994, Dijon, Hôtel du Nord :
Je joue le rôle du « Monsieur qui va mourir » dans « La Grande Famille du Théâtre français ».

12 octobre 2024


Quand on sort du Classic, il suffit de passer le pont et c’est tout de suite l’arrêt de bus Noël Guignon, point de départ des bus Dix dont le terminus est Thermes à Balaruc-les-Bains. Je monte dans celui de huit heures. Nous sommes cinq passagers, dont un perturbé qui ne cesse de se lever pour aller dire au chauffeur qu’il conduit mal. L’arrêt final est derrière l’immense bâtiment des Thermes.
Je contourne cette institution. Du côté de l’Etang de Thau,  elle est vitrée. On peut voir des curistes en plein effort, un spectacle dont je me détourne pour contempler Sète juste en face. Le Mont Saint-Clair vu d’ici, c’est vraiment reposant. Quelques bateaux de pêche circulent sur l’eau calme.
Un chemin dénué d’habitations m’appelle sur la droite. J’y croise quelques personnes et passe près d’un groupe de pêcheurs à la ligne qui occupent un banc et ses à-côtés. « Fausse alerte », dit l’un quand je m’éloigne. C’est gens-là n’ont pas la conscience tranquille. Plus loin, une peinture murale évoque la montgolfière. Un des frères Montgolfier est mort ici, de vieillesse. Quand ce chemin sauvage retrouve la civilisation, je fais demi-tour. Les pêcheurs sont partis. Ils cachaient une peinture murale en trompe-l’œil montrant un Brassens gratteur de guitare en bonne compagnie.
On sue toujours aux Thermes, bien que certains soient maintenant dans des transats. Au-delà, c’est une promenade goudronnée, elle est bordée de restaurants à terrasse dont l’avantage est d’être près de la plage, les voitures passent derrière. Au-dessus, de nombreux petits appartements cherchent des locataires curistes ou touristes.
Je m’assois au premier rang de la terrasse de la Brasserie Les Voiles et commande un café verre d’eau que je bois bien chauffé par le soleil devant un petit bout de port. Je reprends là le Journal de Lagarce. « Ça passe vite les journées, les soins sont tôt le matin. Après tu peux faire ce que tu veux », déclare une curiste à la table voisine.
Quand il commence à y avoir du monde, je pars et, avec l’aide de deux autochtones’ trouve l’Office de Tourisme. Il est un peu caché près d’un bain pour les pieds des anciens Thermes où l’eau jaillit à quarante-cinq degrés. « Si tu veux attraper une mycose, tu mets les pieds là-dedans », dit une passante. Je me procure les plans de Balaruc et de Mèze
Il est onze heures dix quand je redescends au bord de l’Etang. Je commande les six huîtres de Bouzigues avec un verre de vin blanc que propose L’Escale pour neuf euros. Elles sont belles et bonnes. Je réserve là une table pour midi car le vendredi c’est aïoli puis je vais me poser sur un banc. « Tu veux pas te baigner Jocelyne ? Elle est à trente degrés. » On plaisante chez les curistes. Ils sont facilement reconnaissables à leur immense sac en plastique plus ou moins transparent avec de la publicité pour les Thermes d’un côté et pour le Casino de l’autre. Des sacs presque vides où je ne vois qu’une serviette et des chaussures.
A midi, je suis de retour à L’Escale, assis à une table ombragée, attendant mon aïoli provençal où l’on promet cabillaud, carottes, pommes de terre, chou-fleur, haricots verts, bulots, œuf dur et courgette. Il est bon sans plus. Au moment de régler l’addition, j’ai la désagréable surprise d’apprendre qu’il est à vingt-cinq euros alors que je croyais l’avoir vu à quinze. Je paie sans sourciller, gardant pour moi-même l’opinion que ça ne vaut pas ça.
Je prends le café à la terrasse d’une gargote à gaufres et à crêpes nommée Au Bon Coin. Il ne coûte qu’un euro cinquante. Peut-être parce que l’endroit ne possède pas de toilettes. Une femme téléphone à un de sa connaissance pour savoir s’il est inondé. Il l’est, cinquante centimètres d’eau dans la maison. Ce qui la désole, elle, c’est qu’on va être obligé de repousser le déjeuner de la semaine prochaine. Elle ne comprend pas comment c’est possible. Ici il fait beau, tu verrais et pas une goutte d’eau.
C’est avec le bus Dix de quatorze heures trente que je retourne à Noël Guignon. Noël Guignon, du nom du quai où est le terminus, celui d’un ancien Maire. Lorsque j’ai vu ça pour la première fois affiché sur les bus, j’ai pensé que ça arrive un Noël source de guignon.
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Rentré, je découvre que le sentier sauvage de Balaruc-les-Bains s’appelle Promenade Georges Brassens / Laurent Spinosi. Le second, dit Lolo, était un ami d’enfance du premier. Un pêcheur amoureux de la mer et de la nature, un artiste aussi qui vivait à l endroit de la peinture en trompe l’œil le montrant avec le chanteur, dans une cabane sans eau ni électricité. Une sorte d’ermite, mais outre son ami Brassens, il lui arrivait de recevoir Brigitte Bardot, Manitas de Plata, Eddy Barclay, Salvador Dali et d’autres.

11 octobre 2024


Ce jeudi, je prends le petit bus Vingt-Trois de sept heures cinquante à son point de départ Pont de Pierre (le suivant est à dix heures). Il passe quasiment au-dessus de la Pointe Courte.
J’en descends à l’arrêt Plage, commune de Bouzigues. A ma droite, les installations huitrières, en face Sète, à gauche le village vers lequel je marche avec le soleil dans les yeux. Le premier que je rencontre dans les rues étroites aux maisons colorées est un Policier Municipal en uniforme. Il m’indique la boulangerie. Le pain au chocolat est à un euro trente. La boulangère m’indique le seul café ouvert qui a nom Le Globe. Celle qui m’y reçoit le fait fraîchement. Peut-être parce que je suis un homme. Je m’installe à l’une des tables de rue. Prés de moi sont six femmes bavardes ayant laissé la marmaille à l’école. « Quelqu’un veut autre chose, les garces ? » demande l’une. L’allongé coûte un euro quatre-vingts.
Mon petit-déjeuner terminé, je visite le Port sous toutes ses coutures puis comme rien n’est encore ouvert au bord de l’eau, je retourne au Globe, où ce qui tient lieu de terrasse est malheureusement encore à l’ombre, pour un café verre d’eau lecture. Le samedi onze décembre mil neuf cent quatre-vingt-treize, à onze heures, Jean-Luc Lagarce est au Café Vauban à Sète :
Ici, théâtre magnifique (XIXe siècle), mais représentation un peu étrange (beaucoup de monde).
Hier soir j’étais un peu triste. (Ah ?) Je suis monté à la troisième galerie pour regarder le spectacle.
Le spectacle : La Cantatrice chauve dont il assure la mise en scène. Le théâtre magnifique : le Théâtre. Molière devant lequel je suis passé avec le bus Vingt-Trois. Le Café Vauban est en face de la Gare.
Une alignée de restaurants borde l’Etang de Thau avec voitures garées entre eux et l’eau. Les coquillages n’y sont pas moins chers qu’ailleurs. Pour déjeuner, je choisis sur le port l’excentré Chez Turlot : tourte façon tielle, dos de morue crème citronnée et gâteau au chocolat noisettes pour vingt-deux euros cinquante, une table en terrasse au soleil sans vent, le tout est plutôt bon.
Le café, je le prends à La Voile Blanche, hôtel bar restaurant, vue sur le port entre deux voitures. La terrasse côté restaurant est complète. Celle côté café n’a qu’un seul client, moi. « Le service est terminé, monsieur dame», annonce la patronne à un couple qui veut déjeuner à treize heures trente.  « Je crois que je rêve ! Je crois que je rêve ! », s’exclame la femme en partant. A deux heures et quart, deux vieilles s’installent côté café et se font virer par la patronne : « On est encore en plein service, c’est trop tôt. » Elles partent sans rien dire. Je me demande ce qui m’a valu d’être accepté. Peut-être simplement le fait que j’aie demandé si c’était possible avant de m’asseoir. Quand je lui donne deux euros vingt, je remercie la patronne de m’avoir accueilli.
De retour à l’arrêt Plage, un banc au soleil me permet d’attendre le bus Vingt-Trois de quinze heures vingt-huit, terminus Pont de Pierre, en regardant les baigneurs, moins nombreux qu’à Granville. Bouzigues est un joli village. Il gagne à être vu de loin. Le désordre des habitations donne naissance à une harmonie colorée, entre crème et orange, avec le clocher qui dépasse.
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Une affiche sur la vitrine et dans les toilettes : « Café Le Globe, chez Céline et Sandra, café philo le 17 octobre à 18 h, « Le rôle de l’animal de compagnie » animé par Brigitte, suivi d’un banquet philosophique à 15 € : macaronade, tarte aux fruits, vin à volonté. »
Je ne pense pas que cette Brigitte ait pour patronyme Bardot mais je présume que la fin de banquet sera philosop’hic !

10 octobre 2024


Voici venu le moment d’inaugurer ma Carte Thermalis (vingt et un jours à volonté) et pour ce faire je monte à l’arrêt Pont Virla dans le bus Trois direction Centre Malraux.
Nous passons près de la Plage de la Corniche où n’aura pas été creusé un petit trou moelleux et plus loin je descends à l’arrêt Cimetière du Py. La tombe de Georges Brassens est fléchée guitare à l’appui, à gauche après l’entrée puis à droite.
Mon caveau de famille, hélas n'est pas tout neuf / Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf. C’est possible mais quatre noms seulement figurent sur la pierre tombale de la famille Brassens-Dagrosa : celui du chanteur et ceux des trois enterrés après lui, sa sœur Simone Cazzani, le mari de celle-ci Yves Cazzani et Joha Heiman dite Püppchen (Petite Poupée), la non demandée en mariage, dont le surnom est mal orthographié.
Ce n’est pas une tombe qui respire la joie de vivre. Le cimetière non plus. Je n’ai pas envie d’en parcourir les allées. Je marche jusqu’à l’Espace Georges Brassens mais je ne le visiterai pas. Cela se fait avec un casque sur les oreilles dans lequel le chanteur nous raconte sa vie et je n’ai pas envie d’être ainsi mené. Je préfère suivre mon chemin de vieux bonhomme.
Je reprends donc un bus Trois terminus Malraux et en descends à l’arrêt Ile de Thau, un nom prometteur. Dans la réalité, des canaux avec quelques bateaux, dont certains en piteux état, bordés d’immeubles habités par des pauvres. Je me balade le long de l’eau. A un moment, deux bicyclistes me dépassent, signe particulier : un revolver à la ceinture. Rien dans leur tenue ne signale qu’ils appartiennent à la Police Municipale.
Je rentre par le bus Trois direction Gare, un long bus accordéon qui est plein comme un œuf quand il arrive au centre ville. C’est le jour du marché. Pour moi, c’est un café au soleil à la terrasse du Classic, suivi d’une heure de lecture.
Pour déjeuner, j’essaie le Korner Café au coin à côté, une grande terrasse et rien dedans. Le mercredi, c’est la macaronade à la sétoise (quatorze euros). J’ai vite mon assiette et ça nourrit son homme. Bizarrement, le couple d’à côté, arrivé juste après moi, n’est toujours pas servi quand je pars à treize heures. Elle et lui sont mécontents mais ne disent rien. Certains font vraiment preuve de patience.
Peu de bancs le long du Canal Royal et souvent occupés par des zonards. J’en trouve un de libre sur la rive d’en face. J’y étudie le plan des bus pour les jours à venir. Puis je retourne de l’autre côté pour un café lecture au Marina. Je m’assois avec le soleil dans le dos. Une main sur mon épaule, c’est la serveuse qui vient aux nouvelles. Deux filles sont à la table devant la mienne. L’une à l’autre à propos d’une troisième : « Elle est pétillante, même si elle a vécu de la merde. »
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Sète est la source d’innombrables jeux de mots. Le nom d’un site d’information locale Ici7. Même mon smartphone s’y met. Si, lui dictant mes textes, je dis « Je suis à Sète », il écrit « Je suis ascète ».
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Dans le même genre, vu du bus, un café, nommé Les Temps de Thau.
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Jean-Luc Lagarce, Journal, le mercredi treize octobre mil neuf cent quatre-vingt-treize : Soirée en chaussons, tout seul, ensuite et c’est bien. Àh ! vivre comme Léautaud…
Le plus souvent à courir partout pour son travail ou ses plaisirs bien que terriblement malade.

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