Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

10 septembre 2025


Quintin, ce nom ne me dit rien. A croire que je ne suis jamais passé, lors de mes nombreuses escapades en Bretagne, dans cette Petite Cité de Caractère située au sud de Saint-Brieuc.
C’est là où je veux aller ce mardi matin. Pour ce faire, je prends le car BreizhGo numéro Deux Cent Cinq de huit heures quarante terminus Rostrenen (avec ma carte de bus Tub car je reste dans l‘agglo) à la voie Vingt-Deux de la Gare Routière qui se trouve de l’autre côté de la passerelle, cela après avoir petit-déjeuner au bar tabac La Passerelle. Le ciel est bleu, ça ne va pas durer, selon Météo France. « Il faut descendre à La Vallée », me dit la conductrice. « C’est le marché en plus », ajoute-t-elle comme une promesse de plaisir assuré. On va droit vers les nuages.
L’arrêt La Vallée est en bas du bourg près d’un étang. Je suis les dames à panier qui vont au marché, lequel se trouve dans le centre. Les bâtiments sont en pierre grise pour l’essentiel, austères. Les commerçants ambulants s’efforcent d’animer les rues qui au moins sont débarrassées des voitures. Je constate qu’il est plus facile de vendre des maquereaux que des culottes.
Je fais quelques photos des bâtiments remarquables, dont des cafés fermés pour toujours. D’autres de la Fontaine d’entre les Portes et de la Basilique Notre-Dame de la Délivrance. J’entre ensuite dans le Parc de Roz Maria, ancien jardin du Couvent des Carmes, bien plus agréable que le Parc des Promenades de Saint-Brieuc. Plusieurs bassins à l’eau croupie attendent qu’un enfant s’y noie. Heureusement, ils sont à l’école.
Il ne pleut toujours pas quand je termine cette première visite. Car je reviendrai à Quintin.
Grande Rue, j’entre dans un café sombre tout en profondeur nommé Toujours le P’tit Trou et je commande un p’tit café (comme toujours) à la jeune personne qui toute seule fait face avec brio à une clientèle locale chargée de courses pour la semaine. On se plaint du manque de place au cimetière et du fait que les handicapés aient du mal à y accéder. Un homme est convié à une assemblée générale. « Je peux pas, j’ai un mariage et l’inhumation de mon père. »
Je reprends là la lecture des missives de Balzac. La folie des gens qui ont pris sur eux de nous gouverner dépasse toutes les bornes.
Pour déjeuner, j’entre au Bar Restaurant La Vallée, face à l’arrêt de car du même nom, qui propose un menu ouvrier à quatorze euros avec, divine surprise, un buffet d’entrées, un quart de vin rouge, plusieurs choix de plats (je choisis le rougail saucisses et son écrasé de pommes de terre) et le dessert en libre-service (je choisis le tiramisu au café). Il y a là des ouvriers à camionnettes (des artisans et des jardiniers) ainsi que de vieux couples locaux. La plupart mangent à l’intérieur. J’ai pris place en terrasse abritée mais au soleil quand il apparaît entre deux nuages noirs.
Point d’averse et même une éclaircie. Après ce repas comme je les aime, je me chauffe au soleil sur un banc au bord de l’étang, puis je rentre avec le BreizhGo de treize heures trente-deux (le suivant après dix-sept heures) manquant m’endormir pendant le trajet.
A l’arrivée, je me réveille d’un café au Bistrot Gourmand où je poursuis ma lecture. Possible que je sois déjà passé à Quintin. Ce bourg a du charme, mais il n’est pas de ceux qu’on garde en mémoire.
                                                                       *
Quintin a eu son philosophe et ses deux poètes et amies :
« Dans cette maison est né Jules Lequyer philosophe 1814-1862 » (il est mort par noyade dans la baie de Saint-Brieuc)
« Dans ces maisons (n° 3 et 5) les deux poètes et amies Mathilde Delaporte 1866-1941 et Marie Allo 1866-1948 vécurent et composèrent leurs œuvres » (les deux amies, au sens que donnait Courbet à ce terme, je suppose)

9 septembre 2025


Un programme prudent ce lundi, le jour où beaucoup de cafés et de restos sont fermés où que ce soit. Je ne me risque pas ailleurs qu’à Saint-Brieuc. Un achat de pain au chocolat chez Les Gallo’Pains et direction le Bistrot de la Poste où, comme dans les rues, ce n’est pas la foule. Le contraste est grand entre Colmar hors saison et Saint-Brieuc hors saison. Peu de touristes dans cette dernière. Globalement, la ville vivote. De nombreuses cases commerciales restent vides après la faillite des boutiques les ayant occupées. Personne pour remplacer France Loisirs.
Je décide d’aller voir à quoi ressemble le Parc des Promenades. Je le rejoins par la rue Saint-Benoît et découvre un banal jardin public sans fleurs qui inclut le Palais de Justice. En deux mille neuf, la partie nord, dite « esplanade du théâtre de verdure » a été renommée « esplanade Patrick Dewaere » (il est né à Saint-Brieuc). On trouve aussi dans ce jardin (il faut le savoir, son nom n’est inscrit nulle part) un buste d’Auguste de Villiers de l'Isle-Adam (il est né à Saint-Brieuc). Je me pose sur un banc au soleil pour lire Balzac Au moment où je vous écris, la France est ruinée pour longtemps et nous attendons de l’Assemblée nationale. Cette phrase est bizarre, j’ai peut-être oublié de noter la fin. (Quand je l’écrivais sur mon carnet un semi-clochard est venu me soûler, que j’ai envoyé bouler)
Le moment venu de prendre un nouveau café, je suis bien aise de trouver Le Père Moustache ouvert, dont la terrasse est au soleil.
Je me dirige ensuite vers le vieux quartier du faubourg, au-delà de la Cathédrale, où l’on trouve quelques belles maisons à pans de bois, notamment place Anna-Politkovskaia « journaliste russe, militante des droits de l’homme, assassinée 7 octobre 2006 à Moscou ». Je retrouve là Auprès de mon Arbre, café que j’ai fréquenté lors d’un précédent voyage, place Louis-Guilloux, avec sa belle terrasse sous le bel arbre, un noyer du Caucase. Malheureusement, il n’ouvre désormais que le soir. Le ouiquennede prochain on y chantera Brassens. Au programme : La 5G, Les Amis de Brassens, quatre scènes ouvertes et place aux amateurs. Ce sera sans moi. Georges Brassens a aussi par-là un passage à son nom. Les Halles, entre la Cathédrale et le Transat Kafé, le portent aussi.
Pour déjeuner, je retourne au Comptoir du Père Moustache (son nom complet). Au menu du jour : œufs mimosa, suprême de poulet avec pommes sautées et encore la panna cota. Je fais remarquer au serveur que le dessert est toujours le même et qu’en conséquence je n’en prendrai pas, me contentant de l’entrée plat à quinze euros quatre-vingt-dix. Je mange au soleil et dans le vent. « Tout se délite en ce moment. Moi, je suis effrayée », déclare l’une des vieilles derrière moi. Côté nourriture, c’est un peu moins bien que la fois précédente.
Après avoir réglé, je m’installe à une table ensoleillée au Transat Kafé pour le café et la lecture des Lettres à Madame Hanska. Je n’ai pas pu voir Lamartine, il était au lit et dormait, à 11 heures. Un six sept ans sortant du bar avec son père lui demande : « Est-ce que ce sera la fin du monde quand je serai grand ? »
                                                                          *
C’en est fini de Bayrou, Premier Ministre auto-nommé puis auto-dissous, une parenthèse avec du vide à l’intérieur.

8 septembre 2025


Je crains Saint-Brieuc le dimanche. Aussi, comme le car BreizhGo Deux Cent Un circule ce jour, je prends le premier à neuf heures trente (seulement) pour aller à Binic où je suis sûr de trouver de la vie. Nous passons devant la Pharmacie Balzac puis sur le Viaduc du Gouët avec vue plongeante sur le Port du Légué.
A l’arrivée, le ciel est gris, mais il fait doux. Un petit tour à la boulangerie et me voici assis à la terrasse du Narval avec mon allongé verre d’eau. Sur la place, c’est un jour de concentration de voitures sportives de collection.
Je m’en vais voir la plage qu’heureusement je ne pratique pas car elle est couverte d’algues vertes. Ça ne dérange pas certains qui pataugent allègrement. Il y en a même un qui pêche en creusant dans le sable avec une pelle.
Arrivé au bout de la promenade, je fais demi-tour et au passage prélève dans la boîte à livres Ravel de Jean Echenoz (Editions de Minuit) et Un été avec Colette d’Antoine Compagnon (Equateurs France Inter). Cela en prévision des jours de pluie intense (ces ouvrages peuvent se glisser dans ma poche contrairement au gros Bouquins Laffont Lettres à Madame Hanska qui nécessite mon sac à dos lequel n’est pas étanche).
Le ciel hésite entre se dégager (côté mer) et s’assombrir (côté terre). J’entre chez Jeff Burger « depuis 1982, on vous donne la frite ». J’en commande un avec des frites qui ne sont pas données mais en supplément. Ça fait treize euros cinquante qu’il faut régler illico. Je vais attendre en terrasse, vue sur le port avec au premier plan la passerelle. C’est vite prêt car je suis le premier. A partir de midi, non, Jeff n’est pas tout seul, une serveuse blondinette l’assiste. Le vent se lève et j’en fais autant après avoir terminé ce burgueur qui n’est assurément pas le meilleur que j’aie mangé.
A l’autre boulangerie, près de l’église, je m’offre une tartelette aux pommes à deux euros cinquante que je mange le vent dans le dos sur un banc de l’autre côté de la passerelle. Des choucas me tiennent compagnie. On ne voit pas ça en Normandie, ni à Paris. Sans cesse, les voitures de collection font le tour du pays et retournent se garer à leur point de départ. C’est l’opération m’as-tu-vu dans ma belle bagnole.
Vers treize heures, des gouttes se mettent à tomber. Je prends la direction du Narval et m’installe à la petite table ronde au coin à l’intérieur, un café verre d’eau et Balzac Me voici en présence de plus de difficultés que je n’en puis résoudre ; et sans votre image adorée, je serais devenu quasi fou. (Cinq négociants de Rouen sont devenus fous, hier, et n’avaient pas tant de raisons que moi de le devenir)
Comme de temps en temps ça tombe, je reste à lire puis commande un second café avant de rentrer. Pour ce faire, j’attends le car de quinze heures quarante-huit (rien avant) à côté du rassemblement des voitures de sport que viennent voir des familles de pauvres. L’une démarre avec les reines du pays assises sur le coffre arrière. Elles me font coucou de la main.
                                                                 *
Au Narval, le Cantona fait de la publicité sur une affichette signée Gouvernement pour Parions Sport, ce moyen sournois de faire payer plus d’impôts à certains qui n’ont pourtant pas beaucoup d’argent. Il y a quelques années, il prônait la révolte en demandant à tous de retirer l’argent des comptes bancaires. Il voulait tout bloquer. Il débloque.
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Une femme, trouvant l’Office du Tourisme fermé, demande à des autochtones s’il y a des ruines à visiter. Des ruines ? Ils l’envoient marcher sur le Géherre. Ce qu’ils se gardent bien de faire eux-mêmes préférant partager une bouteille de chardo (comme on dit dans les bars).
                                                                 *
Un homme avec dans le dos de son ticheurte « Ensemble contre le cancer des enfants ». C’est vrai que parfois ils sont pénibles mais de là à les qualifier de cancer.

7 septembre 2025


Ce samedi matin je passe devant la Gare et continue tout droit jusqu’à hauteur du Parc des Promenades. A droite, un sentier descend vers le Goëdic, petit cours d’eau que si l’on suit, on arrive au Port du Légué.
C’est une agréable promenade dans la nature. Le Goëdic a des airs de ruisseau de montagne. Je passe sous le viaduc ferroviaire puis sous le viaduc routier et arrive au bout d’une heure à la station d’épuration. Ici le Goëdic se jette dans le Gouët dont l’embouchure abrite le Port du Légué que se partagent Saint-Brieuc et Plérin-sur-Mer.
Je traverse ce Gouët par le Pont Tournant et prends à gauche, quai Gabriel-Péri. Se trouvent là Le Fournil du Légué où le pain au chocolat est à un euro vingt et le Bar Les Mouettes où l’allongé est à un euro soixante. Presque en face est la tirette du Crédit à Bricoles. Le monde est bien fait.
Je petit-déjeune en terrasse au soleil face à la partie plaisance du Port, avec vue sur le viaduc routier en béton à dispositif anti-suicide. La clientèle est locale et populaire, tout comme la serveuse.
Je quitte ce sympathique endroit pour, un peu en aval, aller zoner dans le Port de Pêche. Beaucoup de bateaux colorés autour du bassin, mais rien qui bouge. Des filets sèchent sur le sol. Au bout est un hangar un peu craignos dont le mur du fond sert de lieu d’expression aux artistes de rue. Un typique Café du Port complète le tableau, malheureusement fermé le samedi.
Je retourne aux Mouettes pour un expresso. « Défense de nourrir les pigeons », est-il écrit sur une ardoise. Est-ce pour cela qu’un de ces oiseaux lâche une fiente sur le journal que lit mon voisin ? Cela me conduit à migrer vers une table abritée par l’auvent pour ouvrir Balzac. Notre loueur de voiture devait arriver à 6 heures. A 5 heures, il m’a envoyé dire qu’on prenait les voitures pour faire des barricades, que je ne serais en sûreté qu’à pied.
A midi, je déjeune en terrasse ensoleillée et abritée du vent à la pizzeria Britalia un peu cachée, d’une savoyarde à quatorze euros trente. J’achète le dessert au Fournil du Légué, un kouign-amann à trois euros cinquante que je fais réchauffer avant d’aller le manger chez Les Mouettes avec un expresso à un euro cinquante.
A treize heures trente, le jeune serveur à la peau noire qui m’appelle jeune homme m’annonce que le bar va fermer jusqu’à quinze heures mais que je peux rester là tranquillement avec mon livre. Balzac est en pleine Révolution, celle de Quarante-Huit. Ne voulant pas devenir citoyen, il désespère et rêve d’exil auprès de son Ukrainienne. Il ne part pas bien sûr et constate que cette période troublée est propice aux affaires.
Avant que ça rouvre chez Les Mouettes et n’ayant pas le courage de remonter à pied, je prends un bus D à l’arrêt Résistance et il me ramène à la Gare.
                                                                        *
Le Légué est le cinquième port breton en terme d'activité. Pas vu un bateau en mouvement. Ni même quelqu’un à bord. Côté pêche comme côté plaisance.

6 septembre 2025


Pas de boulangerie près de la Gare de Saint-Brieuc, je dois descendre au-delà du Collège Lycée La Providence Saint-Charles ce vendredi matin pour en trouver une, appelée Saada, où le pain au chocolat est à un euro vingt, puis je remonte à la Gare, croisant une jeunesse en marche vers les apprentissages.
Une élégante et imposante passerelle enjambe les voies ferrées et aboutit au bar tabac La Passerelle. C’est là que je petit-déjeune. L’allongé est à un euro cinquante. « On est les premiers ouverts le matin à Saint-Brieuc », me dit l’aimable patron. Il m’apprend que la commerçante d’à côté vend des viennoiseries.
Je repasse les voies ferrées puis prends le bus Tub qui mène à Plérin par le Port du Légué, terminus La Ville Hervy. J’en descends après le Port à l’arrêt Place Bellevue, d’où l’on a belle vue sur la mer. Je trouve là le Géherre Trente-Quatre qui doit me permettre de faire le tour de la Pointe du Roselier que je ne connais pas.
C’est d’abord un chemin goudronné puis il devient plus intéressant, étroit sentier de terre entre verdure et mer. A un moment, je dois passer sous une barrière. Je découvre alors que je viens de parcourir une portion interdite où la falaise est instable. Je longe la plage de Saint-Laurent. « Plage antifasciste » est-il écrit sur le mur, et plus loin « Ni dieu, ni maître, ni patron, ni mari ». Au bout de cette plage, je découvre le Café Librairie d’Occasion Au Bord du Monde qui malheureusement n’ouvre que certains jours à quinze heures. Je domine Port-Aurélie où l’on amarre à flot et arrive enfin au bout de la Pointe qui offre un beau point de vue sur la Baie de Saint-Brieuc. S’y trouvent un monument aux péris en mer érigé à la fin du vingtième siècle et un four à boulets (de canon) de mil sept cent quatre-vingt-quatorze. On y chauffait les boulets et on les envoyait sur les navires ennemis qu’ils enflammaient. De là, l’expression : tirer à boulets rouges, me rappelle Le Routard. Je m’assois sur un banc, à bâbord au loin Binic et Saint-Quay-Portrieux et tout près l’îlot du Rocher-Martin et sa croix blanche. Il s’agit ensuite de redescendre par l’autre côté de la Pointe. En étant prudent car on peut glisser. C’est là que je croise les premiers humains, des promeneurs de chien.
A dix heures trente, j’arrive à Martin-Plage, face au Rocher-Martin. Il y a là une gargote, La Cabane du Pêcheur. C’est ouvert. Je m’installe à une table face à la mer, commande un café à un euro cinquante et la réserve pour le déjeuner. Le café bu, j’ouvre Balzac. Cet imbécile brûle les lettres de Madame Hanska par peur de mourir en voyage et qu’elles soient lues par un notaire qui inventorie sa vie. La vue est magnifique. Quelques hardis baigneurs. Quelques pêcheurs à petits bateaux qu’ils remontent avec un vieux tracteur. Deux randonneuses en solo. Des bicyclistes. Peu à peu, ça se couvre. Un petit vent se lève. « Y’a rien de trop », comme dirait Madame Michu.
Le choix est court sur la carte de La Cabane du Pêcheur. J’opte pour les six huîtres à sept euros cinquante, évidemment pas bien grosses à ce prix, et les moules marinières à quatorze euros, on ne peut pas dire qu’elles soient petites, elles sont minuscules. Il y a pourtant des habitués ici, mais on vient là pour le cadre avant tout.
Je dois remonter une longue route pentue pour arriver au terminus de la ligne D : La Ville Hervy. Il est treize heures vingt-neuf et, miracle, un bus doit arriver à treize heures trente et une pour repartir aussitôt pour La Ville Oger. Je l’attends sur le petit banc et il est pile à l’heure.
J’en descends à la Gare et, le soleil étant revenu, m’assois en terrasse au Bistrot Gourmand pour le café (un euro cinquante) et Balzac. J’en suis à la lettre Quatre Cent du onze février mil huit cent quarante-huit. Il rentre d’Ukraine où il est allé voir Madame Hanska. Le mariage n’est toujours pas fait. Il doit d’abord rembourser ses dettes, des dettes qu’il aggrave sans cesse, notamment par son goût du bric-à-brac, au grand mécontentement d’icelle. Quant à l’avenir, je connais mes forces je suis sûr de vous donner une aisance à moi seul.
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Pas de mal aux pieds lors de ma randonnée autour de la Pointe du Roselier. J’ai résolu le problème en ôtant mes semelles orthopédiques. C’est leur épaisseur qui pressait mes extrémités dans les chaussures et qui était source de douleurs et de blessures.
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Un article de France Trois Bretagne me l’a appris. Il y a eu plusieurs accidents sérieux cet été sur le Géherre Trente-Quatre. Bilan : deux morts et des blessés graves. Parmi les victimes : des imprudents qui ont emprunté une portion fermée.

5 septembre 2025


Avec le car BreizhGo Deux Cent Un de huit heures trente-cinq, en utilisant ma carte de bus Tub car je reste dans l’agglo, je rejoins ce jeudi matin le charmant bourg de Binic.
Le temps d’acheter un pain au chocolat à un euro vingt-cinq à la boulangerie ouverte sept sur sept de l’autre côté du port puis d’entrer au Narval et ça se met à tomber. « C’était pas prévu », commente la clientèle, dont une partie est là pour le marché à côté. Je n’avais jamais vu Binic par mauvais temps, c’est fait. L’allongé est à un euro soixante. Quand je le termine, l’averse cesse, le bar se vide quasiment. Il s’agit de faire ses courses avant la prochaine. Ceux qui restent disent du mal de nos gouvernants. Où que ce soit depuis mon arrivée, j’entends critiquer Bayrou et Macron, lesquels n’ont pas idée de leur degré d’impopularité.
Sous un soleil incertain, je longe le bassin, passe la passerelle, arrive à la digue, emprunte le passage sous la falaise « Attention à vos têtes » et me voici à la plage aux cabanons colorés.
Au retour, la terrasse du Chaland Qui Passe étant complète, c’est à celle de La Bodega, au soleil et sous l’auvent, que je reprends Balzac : Selon moi, l’incendie gagne. D’ici peu de temps, souvenez-vous de ce que je dis, l’Italie aura commencé l’insurrection ; mais ce sera terrible, car vous ne vous figurez pas le chemin que fait le communisme, doctrine qui consiste à tout bouleverser, à partager tout, même les denrées de marchandises entre tous les hommes considérés comme frères. Vous savez quelles sont mes idées sur la répression ; je ne trouve que la mort à infliger à de pareils apôtres qui préparent une conflagration générale. Un peu plus loin dans la même lettre : Si vous saviez à quels hommes l’élection est descendue en France, et par qui nous sommes non pas gouvernés mais administrés ! C’est à dégoûter d’un pays. Enfin l’Europe est folle de Bourgeoisie. On ne peut pas se mettre en travers de son siècle. Ce Balzac ne supporte pas plus l’ordre établi que la révolution. En quoi je lui ressemble.
Deux averses et deux éclaircies plus tard arrivent fille, mère et grand-mère discutant d’accouchement. Je lève le camp. Il est midi et j’ai réservé à La Sentinelle où le menu du jour est à dix-huit euros, deux euros de plus qu’à mon dernier passage, ce qui est raisonnable : cassolette du pêcheur, tête de veau sauce gribiche et flan pâtissier aux pommes. Tout cela est très bon et le personnel jeune et sympathique.
En sortant j’ouvre la boîte à livres du bout de la passerelle et y trouve le Dix/Dix-Huit Révo. Cul. dans la Chine pop. que j’ai eu et sûrement pas lu autrefois ainsi que deux bizarreries locales : Panique chez les cartophiles de l’Atelier Artisanal de la Malhoure Plouhatine, couverture illustrée par Hervé Boivin et Noiraudes en fureur édité par la Médiathèque de l’Ic à Pordic, couverture illustrée par le même Hervé Boivin.
Le café, je le prends au Narval en terrasse face au port sous l’auvent par prudence. Un peu de Balzac et je rentre avec le BreizhGo de quatorze heures sept. Il essuie une averse. Devant moi, au premier rang, un vieux mal lavé à casquette sale vante le blocage du dix septembre au chauffeur qui est d’accord avec lui. Tous deux appartiennent à la tendance facho du mouvement : « Le pognon qu’il envoie en Ukraine, c’est ça qui nous fait mal. Il est le chef des Armées, il a même pas fait son service militaire. Tout ça à cause des cons qui ont voté pour lui deux fois ».
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« Alors nous, on mange pas ? » (une agressive à qui la serveuse de La Sentinelle vient d’annoncer que c’est complet).
L’énervement est partout.

4 septembre 2025


Le mercredi est un jour comme un autre pour les élèves de l’immense Collège Lycée La Providence Saint-Charles situé à l’autre bout de ma rue. A peine le jour levé qu’elles et eux passent devant mes vitres sans guère faire de bruit.
Il a encore plu cette nuit mais c’est au sec que je rejoins le Bistrot de la Poste en me procurant un pain au chocolat à la boulangerie contiguë pas vue hier où il est à un euro vingt. Dans les rues et sur les places voisines s’installe un courageux marché. Il est question de rafales de vent atteignant soixante-quinze kilomètres heure. « Moi, j’ai retiré la bâche hier », déclare mon voisin de table. Des averses ou des orages sont également annoncés. Cela va encore être pour moi une journée à ne pas faire grand-chose. A neuf heures et quart, tout à coup, grosse affluence, il repleut et pas qu’un peu. J’attends que ça cesse et rejoins la Cathédrale Saint-Etienne où cette fois j’entre.
Dans cette ville démunie de remparts, les premiers évêques bâtisseurs en ont fortifié la façade et le mur nord (contreforts, mâchicoulis, meurtrières, tour de guet). On y trouve une nef romane et un chœur de style anglo-normand. Réalisé en mil sept cent quarante-cinq par Yves Corlay, le retable de la chapelle est un chef-d’œuvre de style baroque en bois polychrome et doré à la feuille. L’orgue est de Cavaillé-Coll. Il est doté d’un très beau buffet dont certains panneaux viendraient d’Angleterre. Je fais une photo du gisant de pierre de Saint Guillaume. Cette Cathédrale a été restaurée en deux mille dix-huit mais n’est déjà plus étanche. De grosses gouttes tombent sur la table des imprimés à emporter.
Muni de mon parapluie, je retrouve aisément le chemin qui mène à La Cigale pour un nouveau café allongé verre d’eau puis la lecture des missives de Balzac à Madame Hanska. Je n’ai rien fait hier et j’ai bien peur de ne rien faire aujourd’hui. Bientôt, c’est le déluge au désespoir de deux clientes commerçantes : « T’as vu la flotte ? » Elles n’ont rien fait hier et ont bien peur de ne rien faire aujourd’hui.
Vers onze heures trente, en plus de la pluie, arrive le vent, plus question de parapluie. J’enfile mon imperméable, acheté un jour à Saint-Brieuc juste avant la tempête Alex, et descends jusqu’au marché où les ambulants sont dégoûtés. « Tu ranges déjà ? » « Bah, y a personne alors à quoi bon. »
Je choisis de déjeuner près du Bistrot de la Poste à la Brasserie du Père Moustache qui propose un menu du jour à dix-huit euros quatre-vingt-dix affiché nulle part : crème d’avocat avec sa burrata et ses noix, sauté de veau riz basmati et panna cota au caramel. La musique est folk rock. Les nappes sont à carreaux. Les serveurs aimables et efficaces. J’apprécie surtout l’entrée. Chez le couple moules frites derrière moi la conversation vire au ressentiment. De son côté à lui, car elle l’a trompé avec une connaissance. « Je lui ai promis la mort au téléphone », dit-il. « Après ce que tu m’as fait, ajoute-t-il, je devrais même plus te parler, même plus te fréquenter » puis ils en reviennent à la taille des moules, un peu décevante.
Le temps étant un peu meilleur, je fais des courses chez U puis m’installe à une table ventée au soleil de la terrasse du Transat Kafé pour un café Balzac. J’ai toujours un peu de fièvre et un abattement à quitter la vie. Vers quatorze heures, je suis contraint de migrer sous la halle où sont d’autres tables. Je devrais être abrité mais les gouttes sont de style horizontal. Plus qu’à attendre la prochaine éclaircie et à rentrer avant une autre averse. « Bon, demain c’est bon », se réjouit un couple de touristes derrière moi. « C’est pas sûr, ça change tout le temps », les prévient la serveuse.
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Jean-Pierre Bouyxou, homme de mauvais genre, est mort ce mardi à l’âge de soixante-dix-neuf ans. On lui doit notamment Satan bouche un coin court-métrage sorti le quatre mai mil neuf cent soixante-huit dont le sujet est Pierre Molinier, un film réédité sur le dévédé Thee Majesty Hommage à Pierre Molinier publié chez Sordide Sentimental par Jean-Pierre Turmel qui me l’a offert un jour. On peut écouter les deux Jean-Pierre sur France Culture dans l’émission Le Rendez-Vous du jeudi six décembre deux mille douze.

3 septembre 2025


Mon petit logis Air Bibi étant situé au rez-de-chaussée, je dois faire ce que je n’aime pas : tirer les rideaux pour la nuit. Celle-ci est bonne, bien que durant mes périodes de réveil j’ai l’esprit occupé par la mort de Sylvain Amic sur son lieu de villégiature. Il s’est vu mourir puisqu’il a appelé le Samu et il devait être seul puisqu’il a téléphoné lui-même.
Au matin, alors qu’il a plu en fin de nuit, une accalmie me permet de rejoindre le centre de Saint-Brieuc sans ouvrir le parapluie. Je me procure un pain au chocolat (un euro trente) à la boulangerie Les Gallo’Pains (ah ah ah) puis m’installe à l’intérieur du Bistrot de la Poste où je commande un allongé verre d’eau (un euro soixante).
L’endroit est agréable. Un grand comptoir circulaire, une banquette et des tabourets usés par les fessiers, de la musique potable, une clientèle d’habitué(e)s qui discutent sur le thème « Ça y est, c’est reparti ». Je tente de lire Ouest-France mais les dimensions de ce journal sont rédhibitoires. « A partir de jeudi, il fera beau », dit une femme. Un homme se lève pour fermer la porte des toilettes restée ouverte, cela heurtait sa sensibilité. Tou(te)s ces Breton(ne)s donnent de la vie à ce café. Ce bruit, ajouté à la musique, m’empêcherait d’y lire. Aussi, je me propulse jusqu’à l’Office du Tourisme avec l’aide d’un aimable autochtone muni d’un smartphone.
Doté de plans supplémentaires, je retrouve le Cœur de Ville (comme ils disent) et la pluie qui fait une petite apparition sous forme d’averse. J’entre à La Cigale où la dame du comptoir est très souriante et l’allongé à un euro soixante. C’est là que je rouvre le deuxième volume de Lettres à Madame Hanska d’Honoré de Balzac laissé au repos depuis Colmar. Il m’en reste une bonne moitié à lire. Dès aujourd’hui, je vais me mettre à faire disparaître les 155 000 Fr. de dettes avec une rapidité de travail qui vous prouvera combien j’ai le cœur tout à vous. C’est beau comme du Bayrou. « C’était très bien, on avait les fumées du Portugal qui remontaient. Sinon on aurait eu quarante degrés », raconte la deuxième serveuse au cuisinier. La musique est un peu forte. On entend du bègue Beder soliloqué sur du son en béton: Ma génération est passée en un clin d’œil de l’inconséquence à la paranoïa.
Vers onze heures trente il est temps de se mettre en quête d’un restaurant. « Alors, vous avez trouvé quelque chose hier ? » m’interpelle depuis sa porte la patronne de La Cuisine du Marché où c’était complet. Je lui raconte mes malheurs. « Bah oui, le lundi c’est dur. » Je lui réserve une table pour midi.
Salade de gésiers, noix de jambon mariné au piment d’Espelette, c’est la formule du jour à seize euros de La Cuisine du Marché. Ce n’est pas complet ce mardi, et que des retraité(e)s. It’s All Right chante Ray Charles. C’est fort bon. Surprise dans les toilettes : deux planches de Reiser. L’une est intitulée Gros Caca. Sur l’autre, une fillette dit à sa mère « Papa s’est pendu dans le grenier ». La mère affolée y court. Rien. Elle redescend et la fillette l’achève d’un « Poisson d’avril ! C’est pas dans le grenier, c’est dans la cave ». Le dernier dessin montre le père verdâtre suspendu à la corde.
Le Transat Kafé, près de la Cathédrale, me permet de prendre un café à un euro soixante apporté par une jeune serveuse à anneau dans le nez, en terrasse, au soleil, avec Balzac et ses hémorroïdes … les mêmes souffrances ont reparu au même endroit, il va falloir si elles persistent recourir aux bains de siège et aux fomentations. Cette fois, il n’y a pas d’ambiguïtés sur les causes, c’est bien le café…

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