Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
10 avril 2016
Le ciel est gris, des averses encore prévues, mais moins de vent permettra de tenir le parapluie. Quand je sors de l’Ibis Budget, je vais me balader le long de la Nivelle, rivière soumise à marées parsemée de bateaux de plaisance, puis j’explore un peu plus Ciboure (Ziburu) qui, apprends-je, était a l’origine un quartier d’Urrugne, le village voisin. Je photographie sur le quai la maison de style hollandais où est né, et a vécu trois mois, Maurice Ravel (Mazarin y a passé la nuit lors du mariage de Louis le Quatorzième) puis je monte jusqu'à l’église typiquement basque avec son chœur plein de dorures, ses trois galeries et son grand orgue. « Les cagots accédaient à l’intérieur par une petite porte située au fond de l’église et possédaient leur propre bénitier » explique un panneau de l’Office de Tourisme.
A midi, passé côté Saint-Jean-de-Luz (Donibane Lohizune) et ne voulant prendre aucun risque, je retourne déjeuner Chez Michel où encore une fois ne mangent que des habitué(e)s (ce restaurant est situé dans une petite rue non touristique et ne figure sur aucun guide). La plupart des client(e)s se connaissent et tutoient le chef qui les tutoie et les rudoie à leur grande joie.
L’une : « T’es enrhumé, Michel, non ? »
-Oui, c’est parce que j’ai dormi tout nu cette nuit.
-Oh la la, qu’il est rigolo ce Michel !
J’opte pour un axoa de veau servi avec du riz et l’accompagne d’un bon vin en pichet (trois euros le quart). Un groupe d’ami(e)s comprenant un enfant de dix ou onze ans s’installe à la grande table voisine :
-Tu as une maitresse ou des profs ? demande Michel à ce pré branlotin.
-Une maîtresse, une seule.
-Tu préfèrerais en avoir plusieurs comme ton père ?
(Oh la la, qu’il est rigolo ce Michel !)
Je demande à la serveuse quel est donc ce dessert fumant qui vient de sortir du four. Une tarte tatin mais, me dit-elle, elle est déjà quasiment réservée avant même d’avoir été faite. Elle va voir ce qu’elle peut faire. J’ai de la chance, je peux en avoir une part. A peine ai-je bu le café (un euro vingt) qu’arrivent deux femmes contentes d’hériter de ma table.
Je reviens au port par la plage et m’arrête à la grilladerie où l’on mange des sardines l’été. Le Rotary local y organise une vente de vinyles et de livres. Elle ne doit ouvrir qu’à quinze heures. Sans que je demande quoi que ce soit, l’un des organisateurs m’invite à entrer « comme ça vous pourrez choisir avant les autres ». Je ne me fais pas prier. Hélas, les livres proposés ne sont pas de mon goût ou bien trop abîmés.
Il pleut toujours par intermittence. Aussi, après un café lecture au Vauban, je rentre tôt à l’hôtel d’où j’ai spectacle permanent depuis la fenêtre de ma chambre : les deux beaux phares blancs, le port et ses bateaux de pêche en mouvement, les vagues qui explosent au loin sur les digues, et même les trains qui passent tout près sans qu’on les entende plus qu’à peine : tégévés, régionaux à peu de voyageurs, fret dont certains de voitures construites en Espagne venant en France et d’autres de voitures construites en France allant en Espagne.
Demain dimanche, il devrait faire meilleur, de quoi pouvoir satisfaire mon désir d’aller voir ailleurs mais également de quoi avoir moins de temps pour écrire.
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Pierre Benoît est mort à Ciboure, écrivain qui connut le succès, peu lu aujourd’hui. Il eut l’honneur d’être le premier édité au Livre de Poche avec son roman Kœnigsmark.
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Une Marseillaise dépitée au Vauban et au téléphone : « On a eu été en Bretagne, on n’a jamais eu de mauvais temps comme ça. » Trois jours qu’elle est là avec son mari et ils rentrent demain matin.
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Un couple d’Espagnols. Elle qui voyage à l’arrière de la voiture avec le bébé. Celui-ci installé le dos tourné à son père.
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Ici semblent bien loin la Loi Travail et la Nuit Debout, nul ne semble s’en soucier. Ignorées aussi les consignes de sécurité du plan Vigipirate, aucune barrière devant les écoles.
9 avril 2016
Du vent, des averses, un peu de grêle, un arc-en-ciel qui se déploie au-dessus de Ciboure, telle est la situation au matin de ce vendredi. Avec un temps aussi incertain, je n’envisage pas une excursion hors de la double ville. Je passe donc une nouvelle fois le pont qui mène à Saint-Jean-de-Luz et, comme les nuages laissent un peu de place au ciel bleu, m’engage sur la digue promenade qui longe la plage. Celle-ci a pour nom Jacques Thibaud, un violoniste qui fut célèbre et pour qui l’architecte André Pavlosky fit construire une villa. Ce musicien repose (comme on dit) dans le cimetière de la ville après être mort dans un accident d’avion en allant au Japon le premier septembre mil neuf cent cinquante-trois (« son fameux stradivarius de mil sept cent neuf, le Baillot, disparut avec lui »).
Une grêlée me rabat à l’intérieur de la ville. J’entre au Café Vauban en haut de la rue piétonnière, maison ouverte depuis mil neuf cent cinquante-huit où se retrouve la bourgeoisie locale. J’y lis un peu l’abbé Mugnier.
Redescendant vers le port, je visite l’église du mariage royal à galerie en bois à trois étages. Sur les piliers de bois, l’injonction « le dimanche six personnes par banc » laisse entendre un certain succès de fréquentation. Plus bas dans cette même rue, j’entre dans une solderie de livres déjà là il y a plus de dix ans car je me souviens y avoir acheté les deux volumes de la correspondance d’Henry de Monfreid, aujourd’hui revendus. On y entend une chanson irlandaise en basque.
Avant midi, je repasse à Ciboure dans les entrailles de laquelle je trouve un restaurant nommé Chez Valentin dont le menu unique et ouvrier est à quinze euros cinquante tout compris. La salle est grande, composée de tablées de seize et de quelques petites pour esseulés dans mon genre. Des buffets hideux décorés de bibelots hideux font le décor ainsi qu’un grand miroir caché par une grande télé dont je me tiens éloigné. Sur les tables sont disposés des litres de limonade et d’eau mais la question à laquelle répondent les ouvriers c’est « rouge ou rosé ? » Déjeuner ici est une expérience intéressante que je ne renouvellerai pas. La cuisine est sommaire et lourde, notamment le merlu pané au riz épais. Le tiramisu du dessert sauve un peu la mise.
Après un repas aussi calorique, je juge bon de repasser le pont et de reprendre la digue qui domine la plage. Cette fois, je poursuis jusqu’au petit bâtiment blanc au loin, une sorte d’oratoire, apprends-je en touchant au but, autour duquel des familles pique-niquent malgré le vent frisquet. De là-haut, on a une vue globale sur la baie et ses deux villes, ainsi que sur les Pyrénées dont se détache la Rhune où autrefois vaillant et bien accompagné je suis grimpé jusqu’au sommet à pied parmi les chevaux sauvages nommés pottocks.
Près de l’oratoire, un bouquet de fleurs artificielles est accroché au grillage qui protège d’une éventuelle chute en contrebas. Il est accompagné d’une affichette : « La vie de notre enfant s’est brusquement arrêtée ici. Pour respecter sa mémoire, merci de ne pas toucher aux fleurs. »
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A Saint-Jean-de-Luz, Sisyphe est sur la plage au volant d’un tractopelle jaune, s’employant à remonter le sable que la mer lui dispute.
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Une retraitée belge au petit-déjeuner : « Moi, je suis satisfaite de ce qu’on a. On aurait un peu plus, on serait content aussi. »
8 avril 2016
Le ciel est nuageux avec risque d’averses lorsque je franchis le pont qui mène de Ciboure à Saint-Jean-de-Luz. Je retrouve des lieux qui m’étaient restés en tête, la place de l’Hôtel de Ville avec son kiosque à musique (je prends là un café à la terrasse du Café de la Marine), la rue piétonnière, l’église où s’est marié Louis le Quatorzième avec l’infante Marie-Thérèse (quand même !). Une affichette invite à ne pas y entrer pour cause d’enterrement.
Arrivé au bout de cette rue piétonnière, je demande le Crédit Agricole à un épicier.
-Le bon sens près de chez vous, me répond-il, ici il est un peu plus loin.
Il m’indique comment trouver la halle du marché, ce sera à côté. L’argent retiré via la tirette, j’avise l’Office de Tourisme et y entre afin de savoir comment bouger autour de mon lieu de villégiature. Celle qui me renseigne porte un badge marqué stagiaire et fait ça très bien.
-Vous êtes une stagiaire parfaite, lui dis-je quand elle m’a remis tous les plans et horaires et écrit manuellement des renseignements complémentaires sur une feuille volante.
-Merci beaucoup, je viens d’arriver, je ne suis pas d’ici, je suis bretonne, mais j’aime beaucoup le Pays Basque.
Il ne pleut toujours pas quand je la quitte. Je songe au restaurant où j’ai déjeuné plusieurs fois il y a plus de dix ans un été où j’étais seul en vacances dans le coin. Son nom me revient tout à coup : Chez Michel. Je le cherche et le retrouve, avec le même patron et le même décor. J’y réserve une table pour midi. En attendant cette heure, je retourne à la terrasse du Café de la Marine et y commence la relecture du Journal de l’abbé Mugnier. Une fille demande pour un emploi saisonnier de serveuse. On lui répond qu’on ne prend que des garçons car la limonade, le service au plateau, c’est fatigant physiquement. Elle ne proteste pas autant que je l’aurais fait à sa place. Les vieux parents de deux pénibles garçons en bas-âge s’installent à proximité et envoient leur marmaille jouer plus loin.
-Lui : « Le parapluie, ils vont le casser. »
-Elle : « C’est pas grave, c’est une chinoiserie. »
Je lève le camp, les laissant se débrouiller avec Charles et Stanislas.
« Ici, c’est plat et dessert », indique Michel. La plupart de ses clients le savent qui sont des habitué(e)s d’un certain âge. La femme octogénaire qui me tourne le dos à la table devant la mienne se retourne vers moi à peine assise :
-Bonjour monsieur, on est vendredi ou samedi aujourd’hui ?
-On est jeudi.
-Zut alors !
Notre conversation en reste là. Je commande une entrecôte avec frites et salade et un gâteau aux marrons crème anglaise. C’est fort bon, surtout le dessert. Avec un quart de vin et un café, cela fait dix-sept euros. On m’invite à revenir.
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Tour du port et balade sur la digue surmontant la plage après le repas et avant de rudes averses. J’apprends que les deux phares élégamment déstructurés que je vois de ma chambre (« les feux du port ») sont dus à l’architecte André Pavlosky, mort en mil neuf cent soixante et un. Son œuvre est d’une « modernité intemporelle ». Il a aussi construit des villas, dont je photographie une avec mon nouvel appareil.
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Si je me souvenais si bien de ce restaurant nommé Chez Michel c’est parce que l’été où j’y suis passé y travaillait une saisonnière blonde et filiforme avec de petits seins et de longues jambes que dévoilaient une microjupe plissée. Cela me donnait de l’appétit.
Par coïncidence, je lis ce jour qu’Esther Benbassa, Sénatrice, Ecologiste, publie dans Libération une tribune intitulée « Le voile, pas plus aliénant que la minijupe », un bel exemple de discours islamo gauchiste.
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C’est aussi, sans guère de protestations hormis celles des concernées et de quelques libres penseurs comme le philosophe Ruwen Ogien, le vote de la loi faisant des clients de prostituées des coupables, une mesure contre laquelle je ne vais pas répéter ce que j’ai déjà écrit. Ce début de vingt et unième siècle est décidément politiquement consternant.
7 avril 2016
Le train Rouen Paris arrive à l’heure à Saint-Lazare ce mercredi, dix heures dix, mais celle qui devait m’attendre au bout du quai n’y est pas. Elle surgit heureusement dix minutes plus tard et comme la Senecefe ne se considère pas en retard puisque celui-ci est inférieur à vingt minutes. Par la ligne Treize du métro nous gagnons Montparnasse. Mon tégévé pour Saint-Jean-de-Luz n’est qu’à midi vingt-huit, nous avons le temps de prendre une boisson chaude à la petite terrasse ensoleillée du Rapide. Elle m’annonce que plutôt que me prêter son appareil photo elle me le donne car désormais elle utilise son téléphone pour photographier. C’est un beau cadeau et c’est une étrange situation : je m’apprête à partir en vacances seul à l’endroit même où se sont prématurément achevées les nôtres, il y a quelques années, suite à ma chute dans la rue et au cassage de clave. C’est le cœur serré (comme on dit) que je la vois disparaitre dans l’escalier du métro.
Le tégévé pour Irun n’est pas complet. Cela me donne le luxe de voyager sans voisinage immédiat.
Le premier arrêt est à la gare de Bordeaux Saint-Jean annoncée par les ceps et toute échafaudée, puis c’est la traversée des Landes, cette Beauce du sud, un arrêt à Dax, puis Bayonne, Biarritz, et soudain surgit la mer. J’arrive à la gare de Saint-Jean-de-Luz/Ciboure à dix-huit heures précises comme prévu et par bleu temps, en arrière-plan les Pyrénées. Plus qu’à tirer ma valise jusqu’à Ciboure où, avec l’aide d’aimables autochtones, je trouve l’Hôtel Ibis Budget.
Ma chambre est au cinquième étage et bénéfice d’une superbe vue sur le port, la mer et le bourg accroché à la colline, ce à quoi je ne m’attendais pas.
A dix-neuf heures, je m’enquiers dans le port d’un restaurant mais ceux que l’on m’indique ne sont pas à mon goût. Je finis par dénicher, dans une petite rue intérieure de Ciboure, une gargote nommée Chez Kathy « menu et pension pour ouvrier ». J’y dîne dans une grande salle avec trois vrais ouvriers parlant basque et un retraité dépressif qui mange manteau sur le dos. Au comptoir, trois habitués mettent l‘ambiance. Point de Kathy mais un patron très sympathique qui m’annonce soupe au vermicelle et aux carottes, assiette de charcuterie, cuisse de poulet confite frites et salade, fromage et gâteau basque, un quart de vin compris, le tout pour quinze euros. Exactement ce qu’il me fallait.
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Le patron de Chez Kathy : « Je vous mets un peu plus de vin pour pousser le fromage. Ne le dites pas aux autres, normalement c’est un quart », et il revient avec un deuxième.
6 avril 2016
Dans ces conditions, j’ai à peine le temps de lire le livret programme, d’autant que je suis distrait par l’arrivée d’une famille deux rangs plus bas. Les trois enfants se chamaillent pour trouver à côté de qui s’asseoir. La mère en rajoute. Le père semble ailleurs.
-Heureusement qu’ils n’en ont pas fait dix, commente un peu trop fort l’homme assis devant moi.
En première partie est donnée le Dixtuor pour deux flûtes, hautbois, cor anglais, deux clarinettes, deux bassons, deux cors de Georges Enesco, une œuvre qui suscite l’enthousiasme de deux ou trois applaudisseurs prématurés à la fin du deuxième mouvement pourtant joué « modérément » mais qui laisse indécis l’un que je côtoie à l’entracte : « Si si si, c’était bien, je crois. »
La seconde partie, que je suis d’un fauteuil isolé resté libre, fait en revanche l’unanimité. Il s’agit de l’Octuor pour clarinette, cor, basson, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse de Franz Schubert, l’un de mes musiciens préférés. Cette œuvre qui dure près d’une heure ne me lasse à aucun moment et suscite de forts et longs applaudissements de toutes et tous.
Il est presque dix-huit heures lorsque je contourne à nouveau le vide grenier. Les vendeurs remballent, chargeant leurs voitures de quasiment autant de vieilleries qu’ils en avaient déballées.
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Ce dimanche matin au Clos Saint-Marc un vieux papier (comme on dit dans le milieu de la brocante) attire mon attention, une page imprimée recto verso pliée en quatre. Il s’agit de l’édition spéciale datée du mardi vingt-trois août mil neuf cent vingt-sept du Libertaire consécutive à l’exécution de Sacco et Vanzetti.
En énormes capitales « ASSASSINÉS ! » suivi de « Tous à l’Ambassade américaine ! ».
« C’est fini maintenant. Il sont morts. Ils sont morts parce qu’ils rêvaient d’une humanité meilleure. » (La coquille marque peut-être l’émotion de l’ouvrier qui a composé le texte).
Pour un euro, ce document historique devient mien.
5 avril 2016
A cette époque du retour au Cameroun, L’Armitière lui a téléphoné à lui Adji pour qu’il intervienne avec un conte lors de la venue dans la librairie de Mongo Beti de passage en France. C’était extraordinaire pour lui. Rencontrer ce personnage dont les textes étaient déjà utilisés en dictée à l’école quand il était enfant. Hélas, Mongo Beti est tombé malade, a été mal soigné et est mort avant de revenir à Rouen.
Quand les portes s’ouvrent, nous allons jusqu’à la table où je me souviens avoir vu les deux livres jaunes de Mongo Beti. Ils y sont encore, Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur et La Revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, et donc pour Adji. Nous furetons ensuite chacun pour soi. Ce samedi matin, je me concentre sur les cédés à un euro et trouve entre autres Un homme d’Albin de la Simone, ce sympathique être humain avec lequel j’ai discuté à Paris en ce début d’année sans savoir qui il était.
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A la sortie, je passe à La Poste de la rue de la Jeanne, où l’antipathique vigile a disparu depuis un moment, afin d’affranchir un courrier avec l’automate.
-Ça va, monsieur, tout se passe bien ? me demande une employée sans doute stagiaire.
-Oui, si on ne me dérange pas.
Elle me souhaite quand même un bon ouiquennede lorsque je m’en vais.
Je remonte la rue jusqu’à la gare afin de retirer des billets à l’automate. Là aussi on me dérange. C’est le Play-Boy Communiste (rentré de Paris) qui me demande une pièce.
Je la lui donne. Il ne me dit pas merci.
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Toujours une clientèle particulière au Sushi Tokyo de la rue Verte : des guiques, des nerdes, des lesbiennes camionneuses. Deux ouaiches à casquette à l’envers aussi ce samedi midi, comme on ne voit plus guère.
Demander à des ouaiches s’il veulent une soupe, il n’y a qu’une serveuse chinoise pour oser ça.
4 avril 2016
Avant qu’elle ne s’assoie au piano est donné Fabrique vocale de la chanteuse Rosa Silber (musique de ballet sur un tableau de Paul Klee et sur des motifs de Stravinsky), composition de mil neuf cent cinquante de Hans Werner Henze, musicien dont l’enfance fut nazifiée, une agréable découverte qui donne place au trombone, instrument souvent effacé. A l’issue, le couple de derrière cherche le tableau de Klee sur son téléphone et trouve la musique ressemblante et réciproquement, ce qui dans son esprit n’est un compliment ni pour l’un ni pour l’autre.
Lise de la Salle arrive vêtue d’une robe qui lui irait mieux si elle avait vingt ans de plus. Elle est accompagnée de Franck Paque, premier trompette de l’Orchestre pour le Concerto pour piano et trompette numéro un en ut mineur de Dimitri Chostakovitch. Point besoin de partition à l’éblouissante pianiste dont le jeu rapide et vigoureux est un régal et lui vaut de chauds applaudissements partagés avec un trompettiste moins souvent à la manœuvre. Plusieurs rappels ne nous donnent cependant pas droit à un petit bonus de Lise.
Après l’entracte, le maestro Leo Hussain se passe à son tour de partition pour diriger la Symphonie numéro quarante et un (dite Jupiter) en do majeur de Wolfgang Amadeus Mozart, Elle vaut un beau succès aux musicien(ne)s et à leur chef, bien que comme le remarque le couple de derrière : « C’est très bien, mais ce n’est pas le meilleur Mozart. »
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Ne pas avoir encore trente ans et bientôt fêter ses vingt ans de carrière, c’est ce qui arrive à Lise de la Salle qui se fit entendre en direct sur Radio France à l’âge de neuf ans.
2 avril 2016
Ensuite la déception est également habituelle chez ceux que je connais et moi-même. Il n’empêche que nos sacs se remplissent peu à peu et qu’en définitive ce n’est pas si mal que ça. L’organisation est toujours un peu soviétique mais j’ai appris à la supporter, on pose ses achats, l’une compte ce que l’on doit et inscrit une lettre sur la note, un deuxième remise les livres à l’arrière en posant dessus un carton avec la même lettre, on paie à un troisième tandis qu’un quatrième note la somme réglée dans un ordinateur, notre lettre est criée par le caissier, notre pile de livres nous est redonnée.
De retour dehors, j’emprunte le raccourci du transept de la Cathédrale qui consiste à entrer par la porte de la Calende pour ressortir par celle des Libraires, mais à l’intérieur du bâtiment je fais un détour par les soixante-quatre cloches du futur carillon que des ouvriers terminent d’installer dans la nef. Certaines sont couvertes de fleurs. D’autres se font lustrer.
A la maison, vidant mon sac, j’y trouve notamment Flâneries parisiennes de Franz Hessel (Rivages Poche), Lettres à Fanny du général Bertrand (Albin Michel) et Facéties et bons mots du Pogge Florentin et du curé Arlotto (Anatolia/Le Rocher), ce dernier trouvé en mauvaise compagnie, celle des ouvrages niais des comiques de télévision.
Ce même vendredi, à dix-sept heures, je rejoins le rassemblement décidé par la Cégété, la Haie Fessue, Sud (Solidaires) et l’Unef pour protester contre les violences policières ayant eu lieu la veille pendant la manifestation contre la « Loi Travail », attaques de Céhéresses devant la Préfecture pour empêcher son approche et devant l’Hôtel de Ville pour empêcher que s’y installent pour la nuit celles et ceux qui voulaient la passer debout, gazages, matraquages, treize arrestations.
Nous sommes environ trois cents dont deux porteurs de drapeaux du Saf, le Syndicat des Avocats de France dont j’ignorais l’existence. Se relayant au micro, les représentants des quatre syndicats disent clairement ce qu’ils pensent de l‘action de la Police. La Cégété notamment s’engage à défendre les jeunes manifestants interpellés s’il y avait des poursuites judiciaires et, en cas de futures arrestations, à participer aux protestations devant Brisout (ainsi appelle-t-on à Rouen l’Hôtel de Police sis dans la rue Brisout-de-Barneville). Elle a bien changé, cette Cégété. Dans les années soixante-dix, elle tapait sur les étudiants avant que la Police s’en charge.
Un représentant de la coordination des étudiants prend la parole et déclare que ce rassemblement c’est bien gentil mais que le mieux c’est d’aller en manifestation jusqu’à l’Hôtel de Ville d’où on s’est fait chasser hier. Le représentant de la Cégété appelle ceux qui se reconnaîtront à se mettre en branle pour bloquer la circulation automobile et nous voilà partis. Participer à une manifestation non autorisée est plus jouissif que de suivre un itinéraire défini à l’avance avec la Préfecture comme ce fut la cas la veille (une partie des manifestants s’étant échappée pour aller encore une fois maculer de peinture rouge la façade du local du Péhesse).
A l’approche de l’Hôtel de Ville la jeunesse étudiante se met à courir et s’engage dans le bâtiment. Robert, Maire, Socialiste, a de la visite.
Quant à moi, je rentre à la maison, ayant à voir et entendre Lise de la Salle à l’Opéra.
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Ce vendredi ensoleillé, entre achat de livres et manifestation, je prends pour la première fois de l’année un café en chemise en terrasse. J’ai choisi le bar Le Sacre. Quoi de mieux pour célébrer le printemps, comme aurait dit Stravinsky s’il avait parlé français. J’y lis le numéro d’Europe consacré à Georges Perros. Adji, l’ancien bouquiniste de la rue Bouvreuil, passe par là. Je lui apprends qu’il a raté une fois encore l’ouverture de la vente de livres du Secours Pop.
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Détruit et reconstruit en une semaine, la Café des Floralies s’est malheureusement transformé en Flo’s Café, « bar à salades ».
(Ne pas confondre un bar à salades avec un bar à embrouilles.)