Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

25 janvier 2020


Bénéficiant une nouvelle fois de la générosité d’un de mes lecteurs qui m’a offert son billet étant absent de Rouen en cette fin du mois, j’affronte le froid ce jeudi soir vingt-trois janvier jusqu’à la Chapelle Corneille dans le but d’y ouïr quatre des Sonates pour violon et piano de Ludwig van Beethoven données par Lorenzo Gatto (violon) et Julien Libeer (piano).
Les mêmes en ont déjà joué trois le quatorze et en joueront encore trois le vingt-huit. Ainsi l’Opéra de Rouen en aura fait entendre l’intégralité à l’occasion du deux cent cinquantième anniversaire de la naissance du compositeur.
Une constatation en prenant place en Bé Dix : il fait dans cette chapelle un froid qui m’oblige à garder écharpe et blouson. Même ainsi ça pèle. Certes, depuis deux jours, Rouen est la ville la plus froide de France mais la température extérieure est à peine négative. Que serait-ce s’il faisait moins dix ?
Cet endroit est décidément déplaisant : déco rococo, mauvaise acoustique sauf si l’on est comme je le suis proche de la scène, dangerosité due à la difficulté d’en sortir, à quoi s’ajoute un chauffage défectueux. Certain(e)s dans mon entourage regrettent d’avoir déposé leur manteau au vestiaire.
Ce froid a peut-être un avantage. Durant toute la durée du concert, pas une toux, pas un éternuement. Rien ne vient troubler l’écoute de la paire de talentueux musiciens, lesquels ont gardé les deux sonates les plus virtuoses pour après l’entracte.
Lorenzo Gatto et Julien Libeer (coiffé un peu comme Ludwig van) obtiennent les applaudissements qu’ils méritent. Ils offrent en bonus une petite valse viennoise dont le nom du compositeur m’est inconnu mais pas sa musique.
« C’était superbe » « Oui, mais qu’est-ce qu’il fait froid », entends-je à plusieurs reprises pendant le long temps que dure la sortie dans le calme de cette église qui n’aurait jamais dû être transformée en salle de spectacle.
                                                                    *
Dans le bonheur d’autrui, je cherche mon bonheur. Telle est la corneillerie descendue du ciel à l’ouverture de la soirée. Tirée du Cid et dite par la voix très comédienne d’un membre de La Factorie, Maison de Poésie de Normandie, sise à Val-de-Reuil.
 

24 janvier 2020


Ce mercredi vingt-deux janvier, maintenant que la circulation est redevenue normale pour le train et le métro parisien, il s’agit de fêter la nouvelle année comme il se doit avec celle qui travaille près de la Bastille.
Dans le Corail parti de Rouen à sept heures cinquante-six, j’ai pour voisine une ancêtre de petite taille qui me prend pour son auxiliaire de vie. Il me faut mettre son manteau dans le porte-bagage, lui rappeler à chaque fois qu’elle y va de quel côté sont les toilettes, l’aider à retrouver sa place, lui redonner son manteau à l’arrivée
-Et ma valise, s’il vous plaît.
La valise, elle est où l’a mise son fils et je ne le sais pas. J’abandonne lâchement celle qui me fait songer à Alois pour reprendre mes automatismes de métro et déboucher au pied du Café du Faubourg, ciel bleu et soleil jaune.
Mon café bu, je regarde se lever le rideau métallique de Book-Off. J’y cherche de quoi me plaire et ne le trouve pas, non plus au marché d’Aligre, non plus chez Emmaüs.
De là, pédestrement, je rejoins le boulevard Richard-Lenoir et comme il n’est pas encore midi je me balade dans le jardin Truillot jusqu’à l’église Saint-Amboise. Ses tours jumelles sont en passe d’être recouvertes de filets de protection contre les chutes de pierres à l’aide d’un long bras télescopique.
L’édifice est chauffé, ce qui lui vaut d’être fréquenté par des clochards sagement assis sur des chaises. Quelques dames de sacristie vaquent à leurs occupations sans s’en soucier.
A midi dix, je pousse la porte de l’Auberge Flora et suis aimablement accueilli par une petite serveuse et le couple propriétaire de ce charmant hôtel restaurant recommandé par Michelin où j’ai déjà déjeuné une fois avec celle que je vois arriver cinq minutes plus tard joliment vêtue.
-Tu es bien élégante, lui dis-je.
Une excellente cuisine, une bouteille de bon vin rouge, la joie de se revoir et de converser font des deux heures que nous passons ensemble un moment fort agréable, pendant lequel elle se plaint d’être à un âge où elle plaît aux hommes de toutes les classes d’âge, de quatorze et soixante ans (c’est la même chose pour sa copine rouennaise devenue parisienne comme elle).
Nous marchons ensemble jusqu’à la Bastille, puis nous séparons, elle devant dessiner des plans pour un appartement où rien n’est droit (le vin l’y aidera) et moi descendant (avec prudence) dans le métro.
Le Huit m’emmène à Opéra. Au second Book-Off, dans les livres à un euro, je fais la découverte d’un ouvrage publié par Christian Bourgois, Histoire réversible de Lydia Davis, qu’en quatrième de couverture The Guardian juge « aussi puissante que Kafka, aussi subtile que Flaubert et aussi représentative de son époque – à sa manière – que Proust de la sienne » et d’un épais roman publié chez Lunatique d’un certain Clinquart, Esthétique du viol, dans lequel, l’ouvrant au hasard, page deux cent dix-sept, je lis ceci : Certaines femmes ont la bouche ainsi faite que leur sexe en devient superflu.
                                                                          *
Autre voisine de train, d’outre couloir, une grande et jolie fille lisant, ou plutôt ayant sur les genoux, le livre de François Ruffin Il est où le bonheur. « Dans ton cul », serais-je tenté de répondre, si je n’étais pas aussi poli.
                                                                          *
Pierre Desporges : « Et ne me parlez pas de l’église Saint-Ambroise. Quand je la croise, j’ai honte pour Dieu. » A l’intérieur, une tablette permet de faire un don à la religion et de repartir avec un reçu fiscal.
                                                                           *
Un train de retour dont il manque la voiture Dix où certains avaient réservation. Le chef de bord indique que la voiture Une la remplace et invite ceux qui l’occupent à libérer leur place, d’où un certain énervement. Peu avant l’arrivée à Rouen, grosse dispute entre un voyageur qui n’est pas dans le bon train et le contrôleur qui le taxe de cinquante euros.
« Voleur ! », crie le premier quand le second s’éloigne. « Outrage ! », lui répond ce dernier qui revient vers lui pour entreprendre une procédure. Je ne sais comment cela se termine.
 

23 janvier 2020


La grève reconductible contre la réforme des retraites ayant échoué, les plus énervés des opposants montrent leur faiblesse en faisant preuve d’agressivité. Ils envahissent le siège national de la Céheffedété, tentent de faire de même au Théâtre des Bouffes du Nord où Emmanuel et Brigitte Macron assistent à une pièce de Peter Brook.
Dans un cas comme dans l’autre, les voici frappant dans leurs mains en chantant On est là. Cette pitoyable rengaine de Gilets Jaunes s’est répandue dans toutes les formes de contestation sociale, ce qui aura été une raison supplémentaire pour moi de ne participer à aucune des manifestations suscitées par cette réforme des retraites que je n’approuve pas.
S’il est un travers de la nature humaine que je déteste, c’est bien la violence et celle-ci est désormais de sortie à chaque occasion. Que ce soit du côté de certains manifestants ou du côté de certains policiers. D’aucuns, chez ces derniers, s’en sont donné à cœur-joie ces derniers temps, entre croche-patte et tabassage d’homme à terre.
Depuis le début des Gilets Jaunes, la haine est le moteur du mécontentement. La semaine dernière, des Gilets de Caen promettaient à Macron le même sort que celui de Louis le Seizième. D’autres à Paris, passant au sein d’une manifestation des syndicats devant La Rotonde criaient : A mort Macron ! A mort La Rotonde ! Quelques nuits plus tard celle-ci brûlait.
                                                             *
Les Gilets Jaunes : on naît là, et on hait là.
                                                             *
Et pourquoi qu’on est là ?
Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur.
(De quoi pouffer).
 

17 janvier 2020


Point de blocage de grévistes pour aller à Paris ce mercredi avec le sept heures cinquante-six, ce plaisir est réservé à qui veut aller à Caen, nécessité de prendre un train jusqu’à Elbeuf puis des cars assureront le relais.
Pendant le trajet, le jour a largement le temps de se lever sur un joli ciel rose, une coproduction des polluants et de la poussière du Sahara. Arrivé au but, voulant assurer, je descends sous terre par l’hélicoïdal qui mène au métro Quatorze. Je quitte celui-ci à Gare de Lyon.
Reste à trouver la sortie de cet établissement ferroviaire compliqué puis à marcher rues de Lyon et Ledru-Rollin pour arriver chez Book-Off cinq minutes après l’ouverture.
Les métros Huit et Trois circulent à nouveau et je ne manque pas de les prendre. Ils sont peu fréquentés et l’on peut s’y asseoir. Le reste sans changement : après le premier Book-Off, le marché d’Aligre, Emmaüs, le Péhemmu chinois pour déjeuner, le second Book-Off.
Dans ce dernier, je trouve le vieux bouquiniste, pas vu depuis longtemps, pas au mieux de sa forme, muni d’une canne et assis pour consulter les livres. Il m’explique qu’à cause des métros absents et des bus bondés, il ne pouvait pas se déplacer. Nous nous bonnannons.
-Je vais essayer de poursuivre le livre de ma vie, me dit-il, bientôt soixante et onze ans, j’aimerais que ça continue encore un peu.
Je le croyais plus vieux, suis surpris qu’il n’ait que deux ans de plus que moi. Il me parle de la difficulté qu’il a à vendre ses livres.
-Vous n’avez pas quelques petits Matzneff dont tirer profit ? le plaisanté-je.
Il me raconte que lorsqu’il avait vingt ans, il lui est arrivé de le voir, Gabriel Matzneff, au Select où il était en compagnie de Philippe Sollers et de Jean-Edern Hallier.
-Je buvais un café dans un coin et eux buvaient du whisky ou du champagne. Sollers toujours entouré de jolies filles.
-J’ai aussi vu Sollers et Hallier s’engueuler à la Closerie des Lilas, ajoute-il.
                                                              *
Au Péhemmu chinois, un ouvrier ayant cédé aux sirènes de l’accession à la propriété : « Ça fait sept ou huit ans que toutes mes vacances, je les passe à travailler à la baraque. »
                                                              *
Chez Book-Off, un employé enrhumé on ne peut plus français muni d’un masque de protection à la japonaise.
                                                              *
Parmi les livres à un euro prélevés dans les deux Book-Off : Traité des excitants modernes d’Honoré de Balzac (Arléa), De l’essentielle hétérogénéité de l’être d’Antonio Machado (Rivages poche), Ornement et crime d’Adolf Loos (Rivages poche) et Berezina de Sylvain Tesson (éditions Guérin).
                                                              *
Lecture de train : Le reste sans changement, dernier volume des carnets d’André Blanchard (Le Dilettante), ultimes notes prises avant la mort en septembre deux mille quatorze, dans lesquelles, toujours enfermé dans son « nous » de majesté, l’écrivain se montre bien déprimé et un brin climatosceptique. Rien noté, si ce n’est ceci, lié à l’actualité : Bref, un écrivain a tous les droits, à condition d’ajouter que c’est à ses risques, et qu’il ne saurait s’en plaindre.
 

16 janvier 2020


Ecouter France Culture ces derniers temps, c’est comme faire un exercice à trous à l’école, sauf que les trous sont bouchés par les titres de la plaie liste, parfois pour seulement deux minutes. Cette grève contre la diminution du budget et du personnel hoquette. Cela a pour effet de me rendre distrait. Quand se fait à nouveau entendre la voix d’un présentateur, j’ai du mal à l’écouter. Qui était l’invité de Guillaume Erner ce mardi matin ? De quoi ont-ils parlé ? A midi, je ne le sais plus.
La grève contre la réforme des retraites ne va pas mieux. Je ne lui en donne plus pour longtemps. L’opération âge pivot a eu pour effet de tuer tout espoir de retrait, lequel, dès la deuxième semaine du mouvement, quand le nombre de manifestants a commencé à décroître, était déjà mince.
Ce mardi, entendant le bruit des pétards des manifestants passant rue de la République, je les suppose peu nombreux. Demain mercredi il est prévu un rassemblement à la gare de Sotteville dès cinq heures du matin. Cela sent le blocage et m’inquiète pour mon aller à Paris. Lequel, pour la première fois depuis le début du mouvement, se fera avec le train que j’ai choisi il y a un mois, tout comme le retour.
                                                               *
« Sans blocages, la grève n’est rien », est-il écrit en rouge sur le mur de la Poste rue de la Jeanne. Si je suis bien renseigné, c’est un professeur des écoles qui est l’auteur de cet aveu de faiblesse. Après un passage en garde à vue, il est retourné écrire sur son tableau noir.
 

14 janvier 2020


L’autre semaine, au Café des Chiens, tandis que je tapote sur mon ordinateur, une mère et sa fille, installées à la table voisine, n’ont qu’un sujet de conversation : les menus des restaurants de la ville qu’elles étudient sur leurs mobiles. La fille énonce avec un mélange d’envie et d’appréhension (les calories) la liste des plats proposés. J’ai reconnu en elle, à la maigreur de ses poignets, une anorexique.
Après un long périple qui les fait même passer par La Vieille Gabelle d’Evreux, où j’ai des souvenirs de normalien, la fille trouve que le plus simple ce serait de manger une salade ici dimanche midi. Elle téléphone à son père pour l’en avertir puis elle demande à réserver une table et apprend ainsi que dans cette brasserie on ne fait pas à manger ce jour-là.
En la regardant s’éloigner, je songe à celle qui habitait il y a une quinzaine d’années dans le sous-sol du bâtiment faisant face à ma maison, une jolie petite anorexique de qui j’avais fait la connaissance. Pendant quelques mois, je suis parfois allé chez elle et parfois elle a frappé à ma porte. Une grosse copine à elle la ravitaillait, lui apportant de gros sacs de supermarché. Cette âme charitable ne m’aimait pas et ne cessait de la mettre en garde contre moi.
Anorexique et boulimique, cette jeune voisine s’était fait vomir si souvent que ses dents avaient été rongées par l’acide. Son père, qui était du métier, avait dû lui refaire entièrement la dentition.
Egalement atteinte de tocs, il lui en fallait des retours à sa serrure avant de pouvoir s’éloigner de chez elle.
-Tu ne l’as pas su, me dit-elle un jour, mais la première fois que tu m’as parlé devant le passage piéton de la rue de la République, tu es venu à mon secours, je n’arrivais pas à traverser.
Quand j’allais chez elle, dans cette cave où elle s’était enterrée, c’est toujours moi qui faisais le thé, ce qui évitait une succession d’allumages et d’éteignages de la plaque électrique. Parfois, elle le prenait assise sur mes genoux. Rien n’était plus éloigné d’elle que le désir sexuel.
Une fois où elle avait fait sauter l’électricité chez elle, elle vînt se doucher chez moi. Une douche interminable avec une telle succession d’ouvertures et de fermetures de la douchette que je dus la menacer de couper l’eau pour qu’elle cesse.
De plus en plus maigre, elle restait parfois trois jours sans ouvrir le rideau de sa minuscule fenêtre, ce qui me laissait le temps de l’imaginer morte. Une nuit, ayant laissé sa porte ouverte, elle vit débouler dans sa chambre un clochard qui cherchait un endroit où dormir et réussit à le convaincre de ressortir.
Je suis allé la voir quand elle fit un séjour au Céhachu à un étage où il y avait surtout  des filles de son âge qui étaient là pour des téhesses. On la pesait toute nue chaque jour pour voir si elle prenait de poids. Puis son père la fit hospitaliser en psychiatrie à Saint-Etienne-du-Rouvray et là pas question de la voir, visites interdites même pour la famille.
Au retour, elle déménagea dans un appartement du côté de la Croix-de-Pierre où je suis allé une fois. Ensuite je ne l’ai plus revue. Je me demande si elle est encore en vie.
Il me reste des photos d’elle, que j’ai faites une après-midi dans son sous-sol.
                                                                              *
Après son départ, le sous-sol a été acheté par un jeune couple qui y a fait d’énormes travaux. Ceux-ci terminés, le garçon a couché avec une autre fille. Je me souviens d’elle pleurant assise sur les marches quand elle l’a su.
Cet appartement souterrain est ensuite resté inoccupé de nombreuses années. Depuis environ deux ans, il est loué à des touristes via Air Bibi. Ce dimanche matin, ce n’est pas la première fois, je viens au secours d’un couple qui n’arrive pas à le quitter. Le bouton pour ouvrir la grille est sur le côté.
                                                                              *
Longtemps j’ai été attiré par les anorexiques. Depuis le jour où je vis à Apostrophes Valérie Valère, qui se suicida à vingt et un ans. J’ai des photos d’elle sur une étagère de ma bibliothèque consacrée aux ouvrages érotiques.
 

11 janvier 2020


Le cinéma Pathé des Docks n’en veut plus mais le Secours Populaire a plus d’un tour dans son sac de livres. Il en propose donc d’occasion dans un autre endroit de ce lointain centre commercial où je mets rarement le pied mais qui pour beaucoup est l’éden du samedi après-midi.
Je m’y rends pédestrement ce vendredi matin sous une brouillasse qui ne m’oblige pas à ouvrir le parapluie. La promenade de bord de Seine n’est à cette heure fréquentée que par quelques coureuses et coureurs. Sur l’autre rive, derrière le Palais de la Métropole, nulle fumée ne signale d’incendie Seveso. Lubrizol a repris une activité partielle depuis plusieurs semaines. La marchandise est désormais stockée ailleurs.
Il est dix heures moins le quart quand les portes automatiques s’ouvrent devant moi. Des tables dans l’espace central du rez-de-chaussée indiquent que c’est là que ça se passe. La vente doit débuter à dix heures. Certains m’ont précédé. Les dames du Secours les rappellent à l’ordre quand ils s’emparent d’un livre. Je suis tenté d’imiter ces pressés et résiste jusqu’à moins cinq.
Finalement, je n’ai que trois livres dont j’aurais pu me dispenser dans mon sac. Considérons que j’ai fait une bonne action, me dis-je en donnant mes cinq euros à l’une des caissières.
N’ayant point envie de faire le retour à pied, je rejoins l’arrêt Mont-Riboudet des bus Teor et monte dans le premier qui se présente. A l’arrêt Fac de Droit un flot d’étudiant(e)s s’y engouffre. On se croirait dans un bus parisien par temps de grève. Toute cette jeunesse descend à Théâtre des Arts et file vers le métro afin de rejoindre les quartiers populaires.
                                                                      *
Parmi les conséquences dommageables de l’incendie de Lubrizol, Rouen sera ville étape du Tour de France en deux mille vingt-deux, annonce fier de lui Hervé Morin (ce n’est pas lui qui aurait dû le faire mais Monsieur le Duc n’a pas pu s’empêcher).
                                                                      *
« Retraites : la cérémonie des voeux annulée à la mairie du Havre pour cause de grabuge », titre France Trois Normandie. J’adore ce mot : grabuge.
 

10 janvier 2020


Dans le confortable Corail qui m’emmène à Paris ce mercredi, ma jolie voisine à trottinette lit Le charme discret de l’intestin, ce qui nuit à l’atmosphère poétique générée par ma lecture de Promenades et souvenirs, l’un des derniers textes écrits par Gérard de Nerval avant qu’il ne se suicide. Quand elle descend à Val-de-Reuil, je n’ose lui souhaiter une bonne digestion.
Ce jour n’est pas comme prévu. Celle qui me tenait la main et travaille à Bastille, avec qui je devais déjeuner pour fêter le début de la nouvelle année, a préféré reporter à une date ultérieure pour cause de trop de travail et de grève du métro qui complique ses rendez-vous professionnels. Je sais combien elle en bave depuis un mois. Comme beaucoup d’autres. En passant à Asnières, j’ai une pensée pour celle qui me tenait la main avant elle et qui souffre des mêmes difficultés de transport.
A l’arrivée dans la capitale, en allant pédibus jusqu’à Quatre Septembre, je vois pour la première fois, maintenant que les vacances de Noël sont terminées, l’ampleur du problème. Du monde du monde du monde plein les rues. Que de piéton(ne)s, que de bicyclistes, que de trottineuses et trottineurs, que de dangers encourus.
Au Bistrot d’Edmond, j’évite le sujet qui fâche, me contentant de bonnaner celle qui me sert un café. On ne solde pas chez Book-Off et rien ne semble avoir été mis en rayon pour moi. Après avoir dépensé un euro, je rejoins à pied l‘église Saint-Eustache puis la rue Saint-Martin avec l’intention d’explorer la librairie Le Gai Rossignol. Las, je la trouve fermée, sans explication. Le sandouichier d’en face ne sait me dire si c’était ouvert les jours passés.
Pour traverser la Seine, je passe devant un Théâtre de la Ville en grands travaux. C’est là que se trouvait la rue de la Vieille Lanterne où Gérard de Nerval fut découvert pendu à l’aube du vingt-six janvier mil huit cent cinquante-cinq. Place Saint-Michel, j’entre à l’annexe de Gibert Jaune où sont regroupés les livres bradés. C’est pour apprendre sa prochaine fermeture. Les ouvrages pour la jeunesse seront donnés à des associations, les autres bennés, se désole la vendeuse qui juge que les livres, ça n’intéresse plus personne.
Fermé, un restaurant au bout de la rue de la Harpe l’est déjà, devant lequel des employés désolés discutent avec le comptable.
-Il va déposer le bilan, commente le cuisinier de La Cochonnaille où j’entre pour déjeuner, et eux ils ne seront pas payés avant trois ans.
-Toujours en trottinette, dis-je à la charmante patronne quand elle arrive.
-Oui, pour l’instant, je garde ça.
Nous nous bonnannons puis dans le menu à douze euros, je choisis les œufs mayonnaise maison, le filet mignon de porc (spécialité) et la mousse au chocolat.
Sorti de là, j’entre successivement chez Gibert Bleu et Gibert Jaune à la recherche des volumes qui me manquent du journal honni. Tout a disparu, vendu ou mis au rebut.
Dépité, je rentre sous les arcades de la rue de Rivoli encombrée de toutes les cochonneries que le petit commerce propose aux touristes. Deuxième fois que je rejoins, depuis le Quarter Latin, Saint-Lazare pédestrement. Il n’y aura pas de troisième.
                                                           *
Il est véritablement difficile de trouver à se loger dans Paris. (…)
J’ai parcouru les quartiers de Paris qui correspondent à mes relations, et n’ai rien trouvé qu’à des prix impossibles, augmentés par les conditions que formulent les concierges. écrivait Gérard de Nerval au milieu du dix-neuvième siècle.
                                                           *
Verrons-nous maintenant les médiathèques et les bibliothèques se débarrasser des volumes du journal de Gabriel Matzneff par elles achetés? Les bibliothèques de Rouen n’en possèdent que deux. Celles de Paris davantage, dont certains marqués indisponibles.
 

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