Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
10 octobre 2018
Belle journée annoncée, c’est le moment de réussir à aller de Rouen à Fécamp. Il faut prendre un premier train qui va au Havre puis un second qui vient du Havre. Le battement entre les deux est de dix minutes en gare de Bréauté Beuzeville. Le premier (venant de Paris) doit donc être à l’heure. C’est le cas ce vendredi.
Jamais encore je n’ai pris un train si court, me dis-je en voyant arriver le deuxième. Il ne se compose que d’une voiture, n’est pas plus long qu’un bus. Surprise, il est quasiment plein. Un cleube du troisième âge est en vadrouille, désirant visiter la Bénédictine et y goûter. Les quelques personnes montées en même temps que moi à Bréauté doivent se caser sur des strapontins. Je m’assois sur le seul siège vacant au risque d’être pris pour l’un des retraités réjouis voyageant en troupeau. Ils ne cessent de blablater. Madame Michu est dans la bande, qui déclare : « Comme on dit, des fois faut mettre un peu plus cher pour que ce soit bien. ».
A l’arrivée je prends la direction du port, faisant une photo de mon ombre avec des jambes que le soleil bas rend démesurées. Puis je longe les bateaux sur le souple tapis rouge que la municipalité a fait poser sur les gros pavés.
Me voici sur le front de mer. Ne s’y trouvent que des vieilles et des vieux qui le parcourent en solitaire. La plupart des volets sont clos pour de nombreux mois. Les brasseries n’ouvrent qu’à onze heures. Je fais demi-tour. Quel est donc cet homme à casquette marchant sur les galets en compagnie d’une jeune femme brune et qui me salue d’un geste de la main ? Je ne sais le reconnaître.
Dans le port ce n’est guère plus vivant. Quand même, la bien nommée Cave du Salut est ouverte. Je m’installe à sa terrasse couverte pour un café qui ne coûte qu’un euro vingt. Seul un bon moment, je lis Les Morts à leur place de Gregor von Rezzori. Quand arrivent deux touristes anglaises pour un petit-déjeuner et deux locaux pour un canon et des propos populistes (« Quand même la place elle doit être bonne puisqu’ils la veulent tous »), je quitte le lieu.
Fécamp est mal orientée, elle tourne le dos au soleil. A midi, l’ombre est partout sauf sur une petite place triangulaire où se serrent des gargotes à terrasse. J’opte pour celle du Forban, la plus ensoleillée. On y propose un menu ouvrier, mais ce jour n’y mange aucun travailleur. J’ai vue sur la falaise d’en face, derrière laquelle tournent un peu les éoliennes, et sur les Pêcheries de Fécamp devenues Musée. La municipalité a fait peindre la bordure des trottoirs en rouge. Cela n’empêche pas une touriste allemande de chuter lourdement. Elle se relève vivement, un peu honteuse. Son mari l’est davantage, qui file, elle à sa suite. Filet de hareng pommes à huile salade (avec peu de hareng), pâtes carbonara au saumon (avec peu de saumon) et crêpe au caramel (avec suffisamment de caramel), un quart de sauvignon, cela fait vingt euro cinquante.
Peu désireux de m’attarder, je rentre en début d’après-midi par un duo de trains ramenant chez leurs parents des élèves mâles d’un quelconque lycée professionnel où ils doivent être internes à en juger par leurs énormes valises.
A quinze heures quinze, je suis à la terrasse du Sacre et y poursuis la lecture de Gregor von Rezzori jusqu’à ce que le soleil décline. A peine ai-je poussé la porte chez moi que dans le jardin se fait entendre un aboiement reconnaissable point entendu depuis longtemps.
*
J’aimais bien quand tu parlais des chiens de tes voisines, me disait l’une il y a quelques mois, pourquoi tu ne le fais plus ?
C’est qu’Aboyus et Abrutus ont pris le large. Les voilà de retour temporairement, semblables à eux-mêmes, surtout le bruyant, après lequel court toujours l’une de ses propriétaires afin de lui coller une tape sur le cul quand il se précipite sur qui entre ou sort.
Jamais encore je n’ai pris un train si court, me dis-je en voyant arriver le deuxième. Il ne se compose que d’une voiture, n’est pas plus long qu’un bus. Surprise, il est quasiment plein. Un cleube du troisième âge est en vadrouille, désirant visiter la Bénédictine et y goûter. Les quelques personnes montées en même temps que moi à Bréauté doivent se caser sur des strapontins. Je m’assois sur le seul siège vacant au risque d’être pris pour l’un des retraités réjouis voyageant en troupeau. Ils ne cessent de blablater. Madame Michu est dans la bande, qui déclare : « Comme on dit, des fois faut mettre un peu plus cher pour que ce soit bien. ».
A l’arrivée je prends la direction du port, faisant une photo de mon ombre avec des jambes que le soleil bas rend démesurées. Puis je longe les bateaux sur le souple tapis rouge que la municipalité a fait poser sur les gros pavés.
Me voici sur le front de mer. Ne s’y trouvent que des vieilles et des vieux qui le parcourent en solitaire. La plupart des volets sont clos pour de nombreux mois. Les brasseries n’ouvrent qu’à onze heures. Je fais demi-tour. Quel est donc cet homme à casquette marchant sur les galets en compagnie d’une jeune femme brune et qui me salue d’un geste de la main ? Je ne sais le reconnaître.
Dans le port ce n’est guère plus vivant. Quand même, la bien nommée Cave du Salut est ouverte. Je m’installe à sa terrasse couverte pour un café qui ne coûte qu’un euro vingt. Seul un bon moment, je lis Les Morts à leur place de Gregor von Rezzori. Quand arrivent deux touristes anglaises pour un petit-déjeuner et deux locaux pour un canon et des propos populistes (« Quand même la place elle doit être bonne puisqu’ils la veulent tous »), je quitte le lieu.
Fécamp est mal orientée, elle tourne le dos au soleil. A midi, l’ombre est partout sauf sur une petite place triangulaire où se serrent des gargotes à terrasse. J’opte pour celle du Forban, la plus ensoleillée. On y propose un menu ouvrier, mais ce jour n’y mange aucun travailleur. J’ai vue sur la falaise d’en face, derrière laquelle tournent un peu les éoliennes, et sur les Pêcheries de Fécamp devenues Musée. La municipalité a fait peindre la bordure des trottoirs en rouge. Cela n’empêche pas une touriste allemande de chuter lourdement. Elle se relève vivement, un peu honteuse. Son mari l’est davantage, qui file, elle à sa suite. Filet de hareng pommes à huile salade (avec peu de hareng), pâtes carbonara au saumon (avec peu de saumon) et crêpe au caramel (avec suffisamment de caramel), un quart de sauvignon, cela fait vingt euro cinquante.
Peu désireux de m’attarder, je rentre en début d’après-midi par un duo de trains ramenant chez leurs parents des élèves mâles d’un quelconque lycée professionnel où ils doivent être internes à en juger par leurs énormes valises.
A quinze heures quinze, je suis à la terrasse du Sacre et y poursuis la lecture de Gregor von Rezzori jusqu’à ce que le soleil décline. A peine ai-je poussé la porte chez moi que dans le jardin se fait entendre un aboiement reconnaissable point entendu depuis longtemps.
*
J’aimais bien quand tu parlais des chiens de tes voisines, me disait l’une il y a quelques mois, pourquoi tu ne le fais plus ?
C’est qu’Aboyus et Abrutus ont pris le large. Les voilà de retour temporairement, semblables à eux-mêmes, surtout le bruyant, après lequel court toujours l’une de ses propriétaires afin de lui coller une tape sur le cul quand il se précipite sur qui entre ou sort.
5 octobre 2018
Pour déjeuner je choisis de retourner Chez Gladines, rue de Charonne, où j’évite le menu du jour, optant pour une douzaine d’escargots persillade puis des patates au cantal et au jambon avec un quart de vin de Saint-Chinian.
Je le regrette dès l’arrivée des gastéropodes que m’apporte une gérante à la gaîté toute commerciale. Ils sont bouillants et réduits à peu de chose. Pas de quoi oublier ceux de La Petite Auberge à Rouen. Le pire vient ensuite. Les patates, calcinées, desséchées, ont l’apparence de chips. Si peu mangeables que je dois en laisser. Ce dont j’ai horreur. ne supportant pas davantage que l’un(e) avec qui je partage un repas puisse sans raison valable ne pas manger ce qu’elle ou lui a commandé, et donc le fasse envoyer à la poubelle. Au point d’avoir refusé une nouvelle invitation pour ce vendredi de l’une qui lors de notre dernier repas au restaurant a laissé son assiette à peine entamée.
Il n’est pas non plus dans mes mœurs (comme dirait Thomas Clerc) de critiquer la cuisine à l’issue, mais cette fois, les vingt-cinq euros cinquante débités de ma carte bancaire, je dis ma déconvenue au jeune homme employé lorsqu’il me demande si ça a été. Il refuse d’admettre que ses patates ont des têtes de chips cramées. Je clos le débat en lui signifiant mon intention de ne plus mettre le pied dans son auberge.
Marcher vers la Bastille me désénerve. Je fais une halte en chemin à la Maison de la Presse qui propose sur le trottoir des cartons de livres à un euro et y achète Une passion excentrique (Visites anglaises) de Christine Jordis (Seuil) puis je monte dans un bus Vingt-Neuf qui m’emmène jusqu’à l’Opéra Garnier.
Après un café aux Ducs, je furète une bonne heure dans les rayonnages du second Book-Off. J’en ressors avec plusieurs livres à un euro, dont Michel de Montaigne, la biographie de Madeleine Lazard (Fayard) et l’édition grand format d’Hymnes à la Haine de Dorothy Parker (Phébus) avec en couverture une photo d’elle jeune et jolie, ainsi qu’un livre à cinq euros : Correspondance (1927-1938) de Stefan Zweig et Joseph Roth (Rivages).
La bétaillère de dix-sept heures quarante-huit est à quai lorsque j’arrive à Saint-Lazare. Pendant le voyage de retour à Rouen, je termine les Fables de La Fontaine.
J’aurai lu quelques-unes des plus longues en diagonale. Aucun doute, les meilleures sont les courtes.
*
Boulevard Beaumarchais, là où se trouvait un restaurant de fruits de mer avec bourriches d’huîtres sur le trottoir, après travaux c’est The Brooklyn Pizzeria.
*
Dans le métro, une publicité pour Calme et attentif « le livre qui change la vie des enfants … et des parents ». Traduit en des tas de langues et déjà vendu par dizaines de milliers.
*
Il y a peu deux professeurs belges provoquaient une petite polémique en suggérant que le participe passé employé avec avoir devienne invariable. Pas question, a dit l’Académie Française.
La Fontaine accordait le participe présent, les gens portants bâtons, et mendiants. C’était l’usage. Avant que l’Académie le rende invariable en mil six cent soixante-dix neuf.
Je le regrette dès l’arrivée des gastéropodes que m’apporte une gérante à la gaîté toute commerciale. Ils sont bouillants et réduits à peu de chose. Pas de quoi oublier ceux de La Petite Auberge à Rouen. Le pire vient ensuite. Les patates, calcinées, desséchées, ont l’apparence de chips. Si peu mangeables que je dois en laisser. Ce dont j’ai horreur. ne supportant pas davantage que l’un(e) avec qui je partage un repas puisse sans raison valable ne pas manger ce qu’elle ou lui a commandé, et donc le fasse envoyer à la poubelle. Au point d’avoir refusé une nouvelle invitation pour ce vendredi de l’une qui lors de notre dernier repas au restaurant a laissé son assiette à peine entamée.
Il n’est pas non plus dans mes mœurs (comme dirait Thomas Clerc) de critiquer la cuisine à l’issue, mais cette fois, les vingt-cinq euros cinquante débités de ma carte bancaire, je dis ma déconvenue au jeune homme employé lorsqu’il me demande si ça a été. Il refuse d’admettre que ses patates ont des têtes de chips cramées. Je clos le débat en lui signifiant mon intention de ne plus mettre le pied dans son auberge.
Marcher vers la Bastille me désénerve. Je fais une halte en chemin à la Maison de la Presse qui propose sur le trottoir des cartons de livres à un euro et y achète Une passion excentrique (Visites anglaises) de Christine Jordis (Seuil) puis je monte dans un bus Vingt-Neuf qui m’emmène jusqu’à l’Opéra Garnier.
Après un café aux Ducs, je furète une bonne heure dans les rayonnages du second Book-Off. J’en ressors avec plusieurs livres à un euro, dont Michel de Montaigne, la biographie de Madeleine Lazard (Fayard) et l’édition grand format d’Hymnes à la Haine de Dorothy Parker (Phébus) avec en couverture une photo d’elle jeune et jolie, ainsi qu’un livre à cinq euros : Correspondance (1927-1938) de Stefan Zweig et Joseph Roth (Rivages).
La bétaillère de dix-sept heures quarante-huit est à quai lorsque j’arrive à Saint-Lazare. Pendant le voyage de retour à Rouen, je termine les Fables de La Fontaine.
J’aurai lu quelques-unes des plus longues en diagonale. Aucun doute, les meilleures sont les courtes.
*
Boulevard Beaumarchais, là où se trouvait un restaurant de fruits de mer avec bourriches d’huîtres sur le trottoir, après travaux c’est The Brooklyn Pizzeria.
*
Dans le métro, une publicité pour Calme et attentif « le livre qui change la vie des enfants … et des parents ». Traduit en des tas de langues et déjà vendu par dizaines de milliers.
*
Il y a peu deux professeurs belges provoquaient une petite polémique en suggérant que le participe passé employé avec avoir devienne invariable. Pas question, a dit l’Académie Française.
La Fontaine accordait le participe présent, les gens portants bâtons, et mendiants. C’était l’usage. Avant que l’Académie le rende invariable en mil six cent soixante-dix neuf.
4 octobre 2018
« Mesdames et messieurs, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Nous allons devoir nous arrêter en gare de Gaillon Aubevoye pour une durée indéterminée suite à divers problèmes en région parisienne : une panne d’aiguillage, un colis abandonné et deux ou trois autres choses », annonce le chef de bord du sept heures cinquante-neuf pour Paris ce mercredi.
Tout avait pourtant bien commencé. Le train venu du Havre était à l’heure et il y avait place assise pour tout le monde. Il est à peine stoppé à Gaillon que se fait entendre un nouveau message : « Nous allons repartir jusqu’à Mantes-la-Jolie et là-bas surprise ! C’est là que l’on saura si on peut continuer notre voyage ou rester en gare ». Personne ne moufte. Je me réjouis d’avoir encore un certain nombre de Fables de La Fontaine à lire. De l’autre côté du couloir, ma voisine s’allonge sur la banquette pour lire Ma retraite une nouvelle vie.
A l’approche de Mantes un ultime message nous soulage. Nous allons utiliser l’itinéraire bis qui passe par Conflans-Sainte-Honorine. C’est l’occasion de bénéficier d’un paysage inusité. Une dernière inquiétude, le train s’arrête à Thun-le-Paradis mais repart presque aussitôt. Ce n’est qu’avec dix minutes de retard que je pousse la porte du Café du Faubourg.
Le ciel est menaçant quand j’en ressors pour entrer à deux pas chez Book-Off où je dois encore me faire aider d’une employée pour me repérer dans la nouvelle organisation de la boutique. C’est fructueux. Je trouve notamment, dans les livres à un euro et dans le domaine de l’érotisme ou de la pornographie (c’est comme on veut), La Ruche de Clarisse Nicoïdski (Spengler) bellement illustré par Claire Roberts, L’Animal de compagnie de Léo Barthe (La Musardine) avec une couverture signée Mirka Lugosi et Un mâle de Camille Lemonnier (Labor) auteur belge mort en mil neuf cent treize après avoir été poursuivi plusieurs fois en justice.
Il a un peu plu pendant ce temps. Place d’Aligre, le seul vendeur de livres présent n’a pas jugé bon de les protéger. J’en sauve Les aventures d’Antoine Doinel de François Truffaut qui réunit les scénarios et notes de travail des films dont il est le héros.
-Deux euros, me dit celui qui surveille la marchandise.
-Deux euros pour un livre de poche un peu mouillé, c’est beaucoup, lui dis-je.
-C’est un livre de poche, ça ?
-Oui c’est écrit là : Ramsay Poche Cinéma
-Ok vas-y, donne-moi un euro.
*
A un euro aussi chez Book-Off : Journal en ruines de Noël Herpe (L’Arbalète Gallimard) dont j’ai vendu un autre exemplaire à son auteur. Ce n’est pas le seul. J’ai également vendu l’un de leurs livres à Julien Cendres et, récemment, à François Zumbiehl.
*
Un des deux Gendarmes à fusil mitrailleur qui en suivent deux autres leur montrant le trajet :
-Pourquoi prend-on cette rue, il n’y a personne.
-Il y a une synagogue.
*
Est-ce que la vie est belle à Thun-le-Paradis ?
Tout avait pourtant bien commencé. Le train venu du Havre était à l’heure et il y avait place assise pour tout le monde. Il est à peine stoppé à Gaillon que se fait entendre un nouveau message : « Nous allons repartir jusqu’à Mantes-la-Jolie et là-bas surprise ! C’est là que l’on saura si on peut continuer notre voyage ou rester en gare ». Personne ne moufte. Je me réjouis d’avoir encore un certain nombre de Fables de La Fontaine à lire. De l’autre côté du couloir, ma voisine s’allonge sur la banquette pour lire Ma retraite une nouvelle vie.
A l’approche de Mantes un ultime message nous soulage. Nous allons utiliser l’itinéraire bis qui passe par Conflans-Sainte-Honorine. C’est l’occasion de bénéficier d’un paysage inusité. Une dernière inquiétude, le train s’arrête à Thun-le-Paradis mais repart presque aussitôt. Ce n’est qu’avec dix minutes de retard que je pousse la porte du Café du Faubourg.
Le ciel est menaçant quand j’en ressors pour entrer à deux pas chez Book-Off où je dois encore me faire aider d’une employée pour me repérer dans la nouvelle organisation de la boutique. C’est fructueux. Je trouve notamment, dans les livres à un euro et dans le domaine de l’érotisme ou de la pornographie (c’est comme on veut), La Ruche de Clarisse Nicoïdski (Spengler) bellement illustré par Claire Roberts, L’Animal de compagnie de Léo Barthe (La Musardine) avec une couverture signée Mirka Lugosi et Un mâle de Camille Lemonnier (Labor) auteur belge mort en mil neuf cent treize après avoir été poursuivi plusieurs fois en justice.
Il a un peu plu pendant ce temps. Place d’Aligre, le seul vendeur de livres présent n’a pas jugé bon de les protéger. J’en sauve Les aventures d’Antoine Doinel de François Truffaut qui réunit les scénarios et notes de travail des films dont il est le héros.
-Deux euros, me dit celui qui surveille la marchandise.
-Deux euros pour un livre de poche un peu mouillé, c’est beaucoup, lui dis-je.
-C’est un livre de poche, ça ?
-Oui c’est écrit là : Ramsay Poche Cinéma
-Ok vas-y, donne-moi un euro.
*
A un euro aussi chez Book-Off : Journal en ruines de Noël Herpe (L’Arbalète Gallimard) dont j’ai vendu un autre exemplaire à son auteur. Ce n’est pas le seul. J’ai également vendu l’un de leurs livres à Julien Cendres et, récemment, à François Zumbiehl.
*
Un des deux Gendarmes à fusil mitrailleur qui en suivent deux autres leur montrant le trajet :
-Pourquoi prend-on cette rue, il n’y a personne.
-Il y a une synagogue.
*
Est-ce que la vie est belle à Thun-le-Paradis ?
3 octobre 2018
Au lever du soleil, j’arrive ce dimanche dans le quartier de la Madeleine pour le vide grenier organisé par ses habitants. Il s’avère vite décevant, pas moyen d’y trouver un livre pouvant m’intéresser. De plus, il est déjà envahi par une masse de chalands qui en rendent la fréquentation déplaisante. Enfin et pas le moindre, en plusieurs endroits, du côté de la Fac de Droit, une affreuse odeur de vomi force à accélérer le pas. Je renonce à faire un deuxième passage.
Courageusement, je m’enquille les boulevards en travaux dans le but de rejoindre l’autre vide grenier rouennais du jour dans le quartier rupin Jouvenet. Arrivé devant la gare, j’hésite sur le chemin. Dans le doute, je passe devant l’église Saint Romain où jeudi dernier plus d’un millier de fidèles ont assisté aux obsèques du prêtre qui s’y est suicidé. Une banderole est tendue sur le fronton. « Envie de donner un sens à sa vie… et prendre la bonne direction ! » y est-il écrit, de l’humour noir catholique.
La bonne direction, j’aimerais la trouver. Je redescends sur le boulevard et y trouve un jeune homme qui à l’aide de son mobile me renseigne. J’avais oublié à quel point ça grimpe pour rejoindre Jouvenet. Le déballage, organisé par les habitants du quartier, est toujours chic et paisible. Malheureusement, ce qu’on y vend cette année en matière de livres ne vaut pas mieux qu’à la Madeleine. Je redescends bredouille.
Arrivé au métro Beauvoisine j’ai l’œil arrêté par les pommes de Normandie que propose l’Arabe du coin, de plusieurs variétés et à un euro le kilo. J’en prends pour un peu plus de deux, un mélange. Au moins n’aurai-je pas complètement perdu la matinée. D’autant que des pommes à petit prix, je ne peux plus en avoir au marché du Clos Saint-Marc. La vendeuse de Jumièges à qui j’ai pendant des années acheté des sacs de deux kilos à un euro soixante a disparu. Parfois, j’en prenais deux. L’autre était pour celle qui me tenait la main et les emportait dans la capitale. Peu à peu, tout s’efface.
*
L’après-midi, dernier passage au Salon des Livres d’Occasion du Secours Populaire. J’y trouve Des voix sous les pierres (Les Epitaphes de Spoon River) d’Edgar Lee Masters, un livre bilingue publié chez Librairie Elisabeth Brunet/ Phébus. Que vient faire ici le nom de la bouquiniste rouennaise avec qui je suis fâché depuis des lustres ? Rien ne l’explique dans les préfaces. Sans doute a-t-elle mis des sous dans l’affaire. Peut-être y a-t-elle été associée par l’intermédiaire de Philippe Dumas qui a fait de petits portraits des défunts pour illustrer chaque poème nécrologique. Je me souviens de l’avoir vu autrefois dans la bouquinerie derrière une sélection de ses livres pour enfants, attendant le client qui se faisait rare.
*
Lundi après-midi, je suis au Grand Saint Marc en train d’écrire ce qui précède quand l’un annonce « Charles Aznavour est mort ».
« Ça s’arrose », dit un deuxième. « Il avait l’âge d’y aller », dit un troisième. « Il a pris un taxi pour Tobrouk », dit un quatrième. L’endroit ne pêche pas par excès de sentimentalité.
Mon principal souvenir d’Aznavour remonte à loin. La Mamma, dont les paroles sont du père de France Gall, passait toutes les demi-heures sur Europe Numéro Un ou Radio Luxembourg et la radio était en marche toute la journée à la maison. J’avais douze ans. Cette ode à la famille, dégoulinant de pathos, m’horripilait.
*
Autres morts : celles de Pascale Casanova et de René Pétillon, d’un cancer l’un et l’autre, cinquante-neuf ans, soixante-douze ans. La première dont j’ai aimé les émissions littéraires sur France Culture, le second dont j’ai aimé les dessins dans les années soixante-dix.
Courageusement, je m’enquille les boulevards en travaux dans le but de rejoindre l’autre vide grenier rouennais du jour dans le quartier rupin Jouvenet. Arrivé devant la gare, j’hésite sur le chemin. Dans le doute, je passe devant l’église Saint Romain où jeudi dernier plus d’un millier de fidèles ont assisté aux obsèques du prêtre qui s’y est suicidé. Une banderole est tendue sur le fronton. « Envie de donner un sens à sa vie… et prendre la bonne direction ! » y est-il écrit, de l’humour noir catholique.
La bonne direction, j’aimerais la trouver. Je redescends sur le boulevard et y trouve un jeune homme qui à l’aide de son mobile me renseigne. J’avais oublié à quel point ça grimpe pour rejoindre Jouvenet. Le déballage, organisé par les habitants du quartier, est toujours chic et paisible. Malheureusement, ce qu’on y vend cette année en matière de livres ne vaut pas mieux qu’à la Madeleine. Je redescends bredouille.
Arrivé au métro Beauvoisine j’ai l’œil arrêté par les pommes de Normandie que propose l’Arabe du coin, de plusieurs variétés et à un euro le kilo. J’en prends pour un peu plus de deux, un mélange. Au moins n’aurai-je pas complètement perdu la matinée. D’autant que des pommes à petit prix, je ne peux plus en avoir au marché du Clos Saint-Marc. La vendeuse de Jumièges à qui j’ai pendant des années acheté des sacs de deux kilos à un euro soixante a disparu. Parfois, j’en prenais deux. L’autre était pour celle qui me tenait la main et les emportait dans la capitale. Peu à peu, tout s’efface.
*
L’après-midi, dernier passage au Salon des Livres d’Occasion du Secours Populaire. J’y trouve Des voix sous les pierres (Les Epitaphes de Spoon River) d’Edgar Lee Masters, un livre bilingue publié chez Librairie Elisabeth Brunet/ Phébus. Que vient faire ici le nom de la bouquiniste rouennaise avec qui je suis fâché depuis des lustres ? Rien ne l’explique dans les préfaces. Sans doute a-t-elle mis des sous dans l’affaire. Peut-être y a-t-elle été associée par l’intermédiaire de Philippe Dumas qui a fait de petits portraits des défunts pour illustrer chaque poème nécrologique. Je me souviens de l’avoir vu autrefois dans la bouquinerie derrière une sélection de ses livres pour enfants, attendant le client qui se faisait rare.
*
Lundi après-midi, je suis au Grand Saint Marc en train d’écrire ce qui précède quand l’un annonce « Charles Aznavour est mort ».
« Ça s’arrose », dit un deuxième. « Il avait l’âge d’y aller », dit un troisième. « Il a pris un taxi pour Tobrouk », dit un quatrième. L’endroit ne pêche pas par excès de sentimentalité.
Mon principal souvenir d’Aznavour remonte à loin. La Mamma, dont les paroles sont du père de France Gall, passait toutes les demi-heures sur Europe Numéro Un ou Radio Luxembourg et la radio était en marche toute la journée à la maison. J’avais douze ans. Cette ode à la famille, dégoulinant de pathos, m’horripilait.
*
Autres morts : celles de Pascale Casanova et de René Pétillon, d’un cancer l’un et l’autre, cinquante-neuf ans, soixante-douze ans. La première dont j’ai aimé les émissions littéraires sur France Culture, le second dont j’ai aimé les dessins dans les années soixante-dix.
2 octobre 2018
Je n’ai pourtant qu’un quart d’heure d’avance ce vendredi après-midi quand j’arrive au Cent Six, scène de musiques zactuelles, mais il n’est pas question d’y entrer tout de suite m’apprennent les deux employé(e)s du bar qui fument devant la porte. Je dois donc faire le tour de toutes les barrières censées protéger le lieu d’un attentat puis, planté dans le vent froid derrière le ruban noir, attendre des vigiles le bon vouloir. Il faut vraiment avoir envie de revoir David Snug pour supporter ça, lequel est en dédicace, exposition et concert (avec son groupe Trotski Nautique).
Un homme me rejoint, accompagné d’un moutard. Au bout de trois minutes à se peler de concert, il dit à sa descendance de passer sous le ruban pour aller demander à Nathalie s’ils peuvent entrer. Celle-ci sort et lui fait signe de venir. Me voici de nouveau seul dans le vent coulis, pestant contre ces mauvaises manières. Quand même cinq minutes avant l’heure réglementaire, l’un des vigiles me fait signe d’avancer.
David Snug est assis derrière une table sur laquelle sont disposés quelques-uns de ses ouvrages vendus par celui qui est à sa droite, le libraire d’Au Grand Nulle Part. Ni l’un ni l’autre ne me disent qu’on s’est déjà vu. L’artiste est en train de dédicacer deux exemplaires de son livre 50 classiques de la pop pour un homme qui doit lui aussi connaître Nathalie, à moins que ses béquilles lui aient donné droit à une entrée spéciale pour handicapé. J’achète ça c’est mon Jean-Pion, la dernière bédé signée David Snug, publiée chez Même Pas Mal, dans laquelle il narre son passé de surveillant dans un collège.
C’est à mon tour. « Ah, c’est pas les classiques de la pop », me dit-il. « Non, la musique c’est chiant. », lui réponds-je. Sur la page de garde, il dessine son autoportrait dont une jambe est empêchée par les mentions obligatoires et donc décalée en haut de la page. Dans le phylactère avec son orthographe personnelle « la musique c’est chiant, vos mieux faire des livre pour dire de la merde sur l’education national », à quoi il ajoute « Pour Michel. Amitié profonde ».
Je le remercie puis fais le tour de son exposition venue de Nantes qui reprend en grand format certaines des planches où il dézingue les chanteurs et groupes musicaux du dernier quart du vingtième siècle (« Y avait une fille dans Téléphone ? Je me souviens plus. », déclare son Jean-Louis Aubert) puis je me hisse sur un tabouret d’où j’observe la Seine en attendant le concert gratuit de Trotski Nautique prévu à dix-neuf heures, lequel n’aura pas lieu dans la petite salle mais dans un coin pas loin du bar où est installée une scène d’occasion. S’y trouve le petit matériel du duo (guitare classique, boîte à rythmes, flûte à bec, clavier Casiotone) et, accroché au pied d’un des micros, un grand sac en plastique pendouillant, qui a dû servir au transport.
Davis Snug est assis à la guitare et au chant secondaire. Aude Lamy est debout au pipeau et au chant principal. La première chanson est de circonstance Elle a pour titre Les concerts: J’aime pas trop aller dans les concerts/ Ça pue la sueur et ça pue la bière/ Il fait trop chaud/ Et je sais jamais quoi faire de mon manteau, exactement ce que je ressentais quand je fréquentais encore la grande salle du Cent Six Pendant des heures faut rester debout/ Comme dans les trains qui t’emmènent à Dachau.
C’est une succession de chansonnettes courtes et réjouissantes entrecoupées des propos sarcastiques de David Snug, parfois un peu lourds comme le redondant « Je remercie l’organisation » ou les gentilles vacheries à destination du groupe qui donnera concert payant à vingt heures dans la grande salle. C’est parfois plus réussi :
-On est content d'être à Rouen , la ville qui brûle les femmes.
-La prochaine chanson, comme on est en province, c’est Picole.
-C’est quoi la province ? demande un moutard à son père. Il a pourtant au moins dix ans. En revanche, picoler, il sait ce que ça veut dire.
J’ai un faible pour Aude, sa tenue sage et l’air innocent avec lequel elle chante les horreurs écrites par son comparse. Je me demande ce qu’elle fait en semaine. Je la verrais bien conseillère chez Pôle Emploi.
A presque vingt heures c’est terminé sans rappel. Je suis l’un des rares à acheter le cédé Trotski Music à un euro. Et le seul à ressortir illico. D’autres doivent rester pour Tahiti 80, ce groupe local surtout connu au Japon. Derrière le cordon noir, une vingtaine de jeunes gens attendent dans le froid qu’on leur permette d’entrer dans la partie du hangar où l’on est en stabulation libre. Un vigile m’explique comment bouger les barrières pour ne pas avoir à refaire le grand tour.
*
Samedi matin, retour au Salon des Livres d’Occasion du Secours Pop. J’y trouve The Beat Generation, ouvrage de mille cent pages publié chez Flammarion, regroupant Havre des Saints de Burroughs, Œuvre croisée de Burroughs et Gysin, La Chute de l’Amérique de Ginsberg, Désert dévorant de Gysin, Le Livre des rêves de Kerouac et des annexes fort intéressantes. Ce livre a fait l’objet d’un désherbage de la Médiathèque François Truffaut du Petit-Quevilly. J’y repasse l’après-midi entre deux terrasses de café, ayant encore deux sacs de livres à donner.
Un homme me rejoint, accompagné d’un moutard. Au bout de trois minutes à se peler de concert, il dit à sa descendance de passer sous le ruban pour aller demander à Nathalie s’ils peuvent entrer. Celle-ci sort et lui fait signe de venir. Me voici de nouveau seul dans le vent coulis, pestant contre ces mauvaises manières. Quand même cinq minutes avant l’heure réglementaire, l’un des vigiles me fait signe d’avancer.
David Snug est assis derrière une table sur laquelle sont disposés quelques-uns de ses ouvrages vendus par celui qui est à sa droite, le libraire d’Au Grand Nulle Part. Ni l’un ni l’autre ne me disent qu’on s’est déjà vu. L’artiste est en train de dédicacer deux exemplaires de son livre 50 classiques de la pop pour un homme qui doit lui aussi connaître Nathalie, à moins que ses béquilles lui aient donné droit à une entrée spéciale pour handicapé. J’achète ça c’est mon Jean-Pion, la dernière bédé signée David Snug, publiée chez Même Pas Mal, dans laquelle il narre son passé de surveillant dans un collège.
C’est à mon tour. « Ah, c’est pas les classiques de la pop », me dit-il. « Non, la musique c’est chiant. », lui réponds-je. Sur la page de garde, il dessine son autoportrait dont une jambe est empêchée par les mentions obligatoires et donc décalée en haut de la page. Dans le phylactère avec son orthographe personnelle « la musique c’est chiant, vos mieux faire des livre pour dire de la merde sur l’education national », à quoi il ajoute « Pour Michel. Amitié profonde ».
Je le remercie puis fais le tour de son exposition venue de Nantes qui reprend en grand format certaines des planches où il dézingue les chanteurs et groupes musicaux du dernier quart du vingtième siècle (« Y avait une fille dans Téléphone ? Je me souviens plus. », déclare son Jean-Louis Aubert) puis je me hisse sur un tabouret d’où j’observe la Seine en attendant le concert gratuit de Trotski Nautique prévu à dix-neuf heures, lequel n’aura pas lieu dans la petite salle mais dans un coin pas loin du bar où est installée une scène d’occasion. S’y trouve le petit matériel du duo (guitare classique, boîte à rythmes, flûte à bec, clavier Casiotone) et, accroché au pied d’un des micros, un grand sac en plastique pendouillant, qui a dû servir au transport.
Davis Snug est assis à la guitare et au chant secondaire. Aude Lamy est debout au pipeau et au chant principal. La première chanson est de circonstance Elle a pour titre Les concerts: J’aime pas trop aller dans les concerts/ Ça pue la sueur et ça pue la bière/ Il fait trop chaud/ Et je sais jamais quoi faire de mon manteau, exactement ce que je ressentais quand je fréquentais encore la grande salle du Cent Six Pendant des heures faut rester debout/ Comme dans les trains qui t’emmènent à Dachau.
C’est une succession de chansonnettes courtes et réjouissantes entrecoupées des propos sarcastiques de David Snug, parfois un peu lourds comme le redondant « Je remercie l’organisation » ou les gentilles vacheries à destination du groupe qui donnera concert payant à vingt heures dans la grande salle. C’est parfois plus réussi :
-On est content d'être à Rouen , la ville qui brûle les femmes.
-La prochaine chanson, comme on est en province, c’est Picole.
-C’est quoi la province ? demande un moutard à son père. Il a pourtant au moins dix ans. En revanche, picoler, il sait ce que ça veut dire.
J’ai un faible pour Aude, sa tenue sage et l’air innocent avec lequel elle chante les horreurs écrites par son comparse. Je me demande ce qu’elle fait en semaine. Je la verrais bien conseillère chez Pôle Emploi.
A presque vingt heures c’est terminé sans rappel. Je suis l’un des rares à acheter le cédé Trotski Music à un euro. Et le seul à ressortir illico. D’autres doivent rester pour Tahiti 80, ce groupe local surtout connu au Japon. Derrière le cordon noir, une vingtaine de jeunes gens attendent dans le froid qu’on leur permette d’entrer dans la partie du hangar où l’on est en stabulation libre. Un vigile m’explique comment bouger les barrières pour ne pas avoir à refaire le grand tour.
*
Samedi matin, retour au Salon des Livres d’Occasion du Secours Pop. J’y trouve The Beat Generation, ouvrage de mille cent pages publié chez Flammarion, regroupant Havre des Saints de Burroughs, Œuvre croisée de Burroughs et Gysin, La Chute de l’Amérique de Ginsberg, Désert dévorant de Gysin, Le Livre des rêves de Kerouac et des annexes fort intéressantes. Ce livre a fait l’objet d’un désherbage de la Médiathèque François Truffaut du Petit-Quevilly. J’y repasse l’après-midi entre deux terrasses de café, ayant encore deux sacs de livres à donner.
1er octobre 2018
Voici le temps revenu de la vente de livres d’occasion du Secours Populaire à la Halle aux Toiles (et de vinyles, cédés et dévédés), désormais qualifiée de salon, je suis devant la porte avant l’heure ce vendredi matin, mais pas le premier bien sûr. Il y a déjà là trois concurrents qui causent entre eux, un sympathique, un antipathique et un neutre. Je dis bonjour de loin au premier puis discute avec un amateur de vinyles jusqu’à ce qu’il soit dix heures exactement et que le feu vert soit donné.
Un gros effort de classement permet de circuler avec efficacité de table en table. Je trouve d’abord Lettres à André Bosmans (1958-1967) de René Magritte (Seghers/Isy Brachot), un exemplaire ayant appartenu à la Bibliothèque Municipale de Saint-Etienne-du-Rouvray et « mis au pilon », puis Histoire de l’affranchie de Léo Barthe (Climats), le troisième tome du roman érotique De la vie d’une chienne que je cherchais depuis longtemps, L’Erotique des lunettes de Franck Evrard (Imago), lui aussi « mis au pilon » à Saint-Etienne-du-Rouvray, Primo Levi (le passage d’un témoin) de Philippe Mesnard (Fayard) et le mince et curieux recueil de poésie Ne touchez pas à Fabre de Jean-Daniel Fabre (L’Herne).
-Il est à deux euros comme les autres ? demandé-je à l’un des responsables du Secours Pop.
-Vous êtes un client fidèle, alors ce sera un euro, me répond-il
Je le remercie et lui indique que je repasserai dans l’après-midi avec deux sacs de livres à donner.
*
Un autre livre m’attend dans la boîte à lettres, que je me suis offert avec mes super points Rakuten : Petit Paul, bande dessinée de Bastien Vivès, le premier livre de la collection Pop & Porn des Editions Glénat, dénoncé comme ouvrage pédo-pornographique par quelques milliers d’adeptes de la pétition en ligne. Illico le réseau des librairies Cultura l’a retiré de ses rayonnages (ce qui n’est pas étonnant), de même que les librairies Gibert (ce qui est désolant).
Il y eut l’époque des éditeurs debout contre la censure, Jean-Jacques Pauvert, Régine Desforges, Eric Losfeld, allant de condamnation judiciaire en condamnation judiciaire puis réussissant à soulever la chape de plomb. Elle est retombée. C’est désormais l’époque des libraires couchés.
Un gros effort de classement permet de circuler avec efficacité de table en table. Je trouve d’abord Lettres à André Bosmans (1958-1967) de René Magritte (Seghers/Isy Brachot), un exemplaire ayant appartenu à la Bibliothèque Municipale de Saint-Etienne-du-Rouvray et « mis au pilon », puis Histoire de l’affranchie de Léo Barthe (Climats), le troisième tome du roman érotique De la vie d’une chienne que je cherchais depuis longtemps, L’Erotique des lunettes de Franck Evrard (Imago), lui aussi « mis au pilon » à Saint-Etienne-du-Rouvray, Primo Levi (le passage d’un témoin) de Philippe Mesnard (Fayard) et le mince et curieux recueil de poésie Ne touchez pas à Fabre de Jean-Daniel Fabre (L’Herne).
-Il est à deux euros comme les autres ? demandé-je à l’un des responsables du Secours Pop.
-Vous êtes un client fidèle, alors ce sera un euro, me répond-il
Je le remercie et lui indique que je repasserai dans l’après-midi avec deux sacs de livres à donner.
*
Un autre livre m’attend dans la boîte à lettres, que je me suis offert avec mes super points Rakuten : Petit Paul, bande dessinée de Bastien Vivès, le premier livre de la collection Pop & Porn des Editions Glénat, dénoncé comme ouvrage pédo-pornographique par quelques milliers d’adeptes de la pétition en ligne. Illico le réseau des librairies Cultura l’a retiré de ses rayonnages (ce qui n’est pas étonnant), de même que les librairies Gibert (ce qui est désolant).
Il y eut l’époque des éditeurs debout contre la censure, Jean-Jacques Pauvert, Régine Desforges, Eric Losfeld, allant de condamnation judiciaire en condamnation judiciaire puis réussissant à soulever la chape de plomb. Elle est retombée. C’est désormais l’époque des libraires couchés.
28 septembre 2018
Lu à diverses terrasses de café et avec grand plaisir, mon exemplaire des Carnets (Paris, 1985-1987) de Kazimierz Brandys publié chez Gallimard en mil neuf cent quatre-vingt-dix, que j’ai payé un euro à La Petite Rockette, a appartenu à quelqu’un qui a collé à l’intérieur de la couverture un court article de journal en allemand relatant la biographie de l’auteur, écrivain juif polonais exilé, né le vingt-sept octobre mil neuf cent seize à Łódź et mort à Nanterre le onze mars deux mille.
J’en ai tiré ceci :
Des jeunes gens en short sortaient du magasin, portant des sacs de provisions qu’ils rangeaient dans les coffres de leurs voitures. C’étaient principalement des physiciens et des mathématiciens des centres de recherche et des laboratoires de Bures, de Gif et d’Orsay. En les regardant, je les enviais parce qu’ils n’étaient ni écrivains ni polonais.
-
Dans les journaux intimes, une sincérité trop poussée n’est pas recommandée. Autobiographie, journal, correspondance m’intéressent non parce que j’apprends quel homme fut leur auteur, mais quel homme il avait décidé d’être.
-
Après la mort de Witold W., j’ai écrit dans une lettre à son fils : « Notre petit monde rétrécit, il s’appauvrit. L’idée que vous autres allez le continuer est une consolation. »
Ce n’est pas vrai, ce n’est pas du tout une consolation.
-
Vers la fin des années cinquante, une jeune débutante littéraire écrivit une nouvelle intitulée Le Diable. L’histoire était un souvenir de son enfance. Elle avait neuf ans quand les détachements de l’Armée rouge entrent dans sa petite ville de province. Les soldats l’aimaient bien et elle aimait observer leurs occupations. L’un d’eux, un grand Russe robuste, coupait le bois de chauffage dans un coin de la cour et l’amusait en lui racontant des histoires dans lesquelles apparaissait toujours le diable. –Et qu’est-ce que c’est que le diable ? –lui demande-t-elle un jour. Le soldat ouvrit sa braguette et en sortit l’important attribut de sa virilité. –Voilà le diable –dit-il.
-
A la question posée par un journaliste : qui j’aurais voulu être si je n’étais pas écrivain, j’avais répondu jadis sans hésiter : une chanteuse de variétés, et mourir à l’âge de quarante ans d’une crise cardiaque. A présent, je me demande si une vie de chauffeur de car sur le trajet Gisors-Giverny ne m’aurait pas mieux convenu, une existence de pendule, silencieuse et pourtant pas solitaire.
-
La semaine dernière I. est venue à Paris, jadis si merveilleuse, aujourd’hui desséchée comme un arbre malade, septuagénaire, il m’a fallu une heure pour retrouver en elle son contour ancien de jeune animal superbe.
-
Il ne faut pas oublier la Régence et le règne de Louis XV. Dans les villes, les agents de la police royale enlevaient dans la rue des enfants fournis à Versailles comme une marchandise (le roi séquestrait dans une pièce contiguë à sa chambre une fillette de neuf ans complètement isolée du monde ; à l’âge de treize ans, elle s’est trouvée enceinte).
-
Nous nous imaginons que la vieillesse est notre secret personnel et nous restons bouche bée en apprenant que c’est un secret de polichinelle.
*
Cité par Kazimierz Brandys, Marc Aurèle dans une lettre à un ami :
Je souffre d’un refroidissement. Mais je ne sais si c’est parce que, malgré la fraîcheur, je suis sorti en sandales, ou parce que j’ai écrit une mauvaise page.
J’en ai tiré ceci :
Des jeunes gens en short sortaient du magasin, portant des sacs de provisions qu’ils rangeaient dans les coffres de leurs voitures. C’étaient principalement des physiciens et des mathématiciens des centres de recherche et des laboratoires de Bures, de Gif et d’Orsay. En les regardant, je les enviais parce qu’ils n’étaient ni écrivains ni polonais.
-
Dans les journaux intimes, une sincérité trop poussée n’est pas recommandée. Autobiographie, journal, correspondance m’intéressent non parce que j’apprends quel homme fut leur auteur, mais quel homme il avait décidé d’être.
-
Après la mort de Witold W., j’ai écrit dans une lettre à son fils : « Notre petit monde rétrécit, il s’appauvrit. L’idée que vous autres allez le continuer est une consolation. »
Ce n’est pas vrai, ce n’est pas du tout une consolation.
-
Vers la fin des années cinquante, une jeune débutante littéraire écrivit une nouvelle intitulée Le Diable. L’histoire était un souvenir de son enfance. Elle avait neuf ans quand les détachements de l’Armée rouge entrent dans sa petite ville de province. Les soldats l’aimaient bien et elle aimait observer leurs occupations. L’un d’eux, un grand Russe robuste, coupait le bois de chauffage dans un coin de la cour et l’amusait en lui racontant des histoires dans lesquelles apparaissait toujours le diable. –Et qu’est-ce que c’est que le diable ? –lui demande-t-elle un jour. Le soldat ouvrit sa braguette et en sortit l’important attribut de sa virilité. –Voilà le diable –dit-il.
-
A la question posée par un journaliste : qui j’aurais voulu être si je n’étais pas écrivain, j’avais répondu jadis sans hésiter : une chanteuse de variétés, et mourir à l’âge de quarante ans d’une crise cardiaque. A présent, je me demande si une vie de chauffeur de car sur le trajet Gisors-Giverny ne m’aurait pas mieux convenu, une existence de pendule, silencieuse et pourtant pas solitaire.
-
La semaine dernière I. est venue à Paris, jadis si merveilleuse, aujourd’hui desséchée comme un arbre malade, septuagénaire, il m’a fallu une heure pour retrouver en elle son contour ancien de jeune animal superbe.
-
Il ne faut pas oublier la Régence et le règne de Louis XV. Dans les villes, les agents de la police royale enlevaient dans la rue des enfants fournis à Versailles comme une marchandise (le roi séquestrait dans une pièce contiguë à sa chambre une fillette de neuf ans complètement isolée du monde ; à l’âge de treize ans, elle s’est trouvée enceinte).
-
Nous nous imaginons que la vieillesse est notre secret personnel et nous restons bouche bée en apprenant que c’est un secret de polichinelle.
*
Cité par Kazimierz Brandys, Marc Aurèle dans une lettre à un ami :
Je souffre d’un refroidissement. Mais je ne sais si c’est parce que, malgré la fraîcheur, je suis sorti en sandales, ou parce que j’ai écrit une mauvaise page.
27 septembre 2018
Ce mercredi, le sept heures cinquante-neuf fonce dans le brouillard avant de ralentir sous le soleil à l’approche de la capitale. A mon arrivée chez Book-Off, rue du Faubourg Saint Antoine, je suis désorienté, la boutique a été réaménagée,
-Vous avez dû en baver, dit l’une des employées n’ayant pas participé à l’opération à l’une de ses collègues.
-Oui, avec les bibliothèques pas toutes de la même taille, ça a été chaud.
-Et quel est le but de la manœuvre ? lui demandé-je.
-Si vous pouvez nous le dire, me répond cette insolente avant de m’expliquer qu’il s’agit de rapprocher la littérature grand format de la littérature en poche, et même chose pour les autres catégories.
J’en ressors avec Pluie rouge, l’autobiographie de Cees Nooteboom (Actes Sud), payée un euro.
A midi, je déjeune au Rallye, le Péhemmu chinois voisin, de mon habituel menu. A ma droite, un déjà vu trio de femmes collègues qui débinent un supérieur hiérarchique. A ma gauche, père et fils, dont le second ressemble tant au premier que je suspecte un clonage.
-Y a le maire qui est venu inaugurer la place en bas de chez moi, la place Jean-Moulin.
-Tu y es allé ? demande le géniteur.
-Oh bah non, j’y ai pensé et puis je suis resté à la fenêtre. Y avait du monde hein. Et pas que des vieux.
A treize heures, je suis assis sur l’un des bancs jouxtant la statue de Beaumarchais, rue Saint-Antoine, et vois arriver celle qui travaille à proximité. Nous remontons la rue jusqu’à trouver une terrasse au soleil. Tout en évoquant les derniers épisodes de nos vies respectives, nous y buvons des cafés à trois euros en mangeant quelques pâtes d’amande.
Quand elle doit retourner au labeur, je rejoins en métro le jardin du Palais Royal afin de jouir de la belle après-midi d’automne. J’y ai une paix royale pour lire quelques Fables de La Fontaine sur l’une des chaises vertes près du bassin à sec.
Dans le second Book-Off, tout est resté à la même place. J’en ressors avec La traversée des fleuves l’autobiographie de Georges-Arthur Goldschmidt (Seuil), payée un euro.
La bétaillère de dix-sept heures quarante-huit est là mais il est interdit d’y monter. La Senecefe craint un problème de freinage. Des employés l’inspectent. Enfin le feu vert est donné. « Mesdames et messieurs, notre train circulera », annonce triomphalement la cheffe de bord. Il part avec vingt-quatre minutes de retard environ. Dans le ciel bleu, entre Mantes et Vernon, une montgolfière à rayures rouges et blanches va tranquillement son chemin.
*
Autre message de la cheffe de bord du train de retour à Rouen : « Mesdames et messieurs, des pickpockets agissent actuellement à bord de nos trains, vous êtes invités à prendre garde à vos effets personnels. »
*
Cette fois c’est sûr, vu le retour au pays natal, la rue Manuel-Valls est définitivement redevenue la rue Keller.
*
La veille, cafés au Son du Cor avec la plus rohmerienne des Rouennaises. Elle me raconte son mariage puis nous évoquons nos familles respectives.
Son défaut : tirer sa carte bancaire plus vite que son ombre.
-Vous avez dû en baver, dit l’une des employées n’ayant pas participé à l’opération à l’une de ses collègues.
-Oui, avec les bibliothèques pas toutes de la même taille, ça a été chaud.
-Et quel est le but de la manœuvre ? lui demandé-je.
-Si vous pouvez nous le dire, me répond cette insolente avant de m’expliquer qu’il s’agit de rapprocher la littérature grand format de la littérature en poche, et même chose pour les autres catégories.
J’en ressors avec Pluie rouge, l’autobiographie de Cees Nooteboom (Actes Sud), payée un euro.
A midi, je déjeune au Rallye, le Péhemmu chinois voisin, de mon habituel menu. A ma droite, un déjà vu trio de femmes collègues qui débinent un supérieur hiérarchique. A ma gauche, père et fils, dont le second ressemble tant au premier que je suspecte un clonage.
-Y a le maire qui est venu inaugurer la place en bas de chez moi, la place Jean-Moulin.
-Tu y es allé ? demande le géniteur.
-Oh bah non, j’y ai pensé et puis je suis resté à la fenêtre. Y avait du monde hein. Et pas que des vieux.
A treize heures, je suis assis sur l’un des bancs jouxtant la statue de Beaumarchais, rue Saint-Antoine, et vois arriver celle qui travaille à proximité. Nous remontons la rue jusqu’à trouver une terrasse au soleil. Tout en évoquant les derniers épisodes de nos vies respectives, nous y buvons des cafés à trois euros en mangeant quelques pâtes d’amande.
Quand elle doit retourner au labeur, je rejoins en métro le jardin du Palais Royal afin de jouir de la belle après-midi d’automne. J’y ai une paix royale pour lire quelques Fables de La Fontaine sur l’une des chaises vertes près du bassin à sec.
Dans le second Book-Off, tout est resté à la même place. J’en ressors avec La traversée des fleuves l’autobiographie de Georges-Arthur Goldschmidt (Seuil), payée un euro.
La bétaillère de dix-sept heures quarante-huit est là mais il est interdit d’y monter. La Senecefe craint un problème de freinage. Des employés l’inspectent. Enfin le feu vert est donné. « Mesdames et messieurs, notre train circulera », annonce triomphalement la cheffe de bord. Il part avec vingt-quatre minutes de retard environ. Dans le ciel bleu, entre Mantes et Vernon, une montgolfière à rayures rouges et blanches va tranquillement son chemin.
*
Autre message de la cheffe de bord du train de retour à Rouen : « Mesdames et messieurs, des pickpockets agissent actuellement à bord de nos trains, vous êtes invités à prendre garde à vos effets personnels. »
*
Cette fois c’est sûr, vu le retour au pays natal, la rue Manuel-Valls est définitivement redevenue la rue Keller.
*
La veille, cafés au Son du Cor avec la plus rohmerienne des Rouennaises. Elle me raconte son mariage puis nous évoquons nos familles respectives.
Son défaut : tirer sa carte bancaire plus vite que son ombre.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante