Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

6 juin 2016


Initiative que je découvre mais dont c’est la troisième édition, rive gauche un certain nombre d’habitant(e)s de trois rues parallèles et de leur perpendiculaire se regroupent ce samedi à l’initiative de l’association de quartier la Cauvillaise pour un « vide maison collectif ». Ce pourquoi, à pied, je traverse la Seine qui ne semble pas prête à beaucoup déborder et suis le chemin qui me menait autrefois à l’école maternelle Marcel Cartier. Celle-ci est désormais écrasée par un nouveau bâtiment que fait construire la Matmut qui possède déjà presque toute la rue. Les silhouettes fixées sur sa façade (dont l’une peinte par mes élèves) sont complètement décolorées. Je contourne ensuite la clinique de l’Europe, elle aussi en extension, et j’y suis.
Il est un peu plus de huit heures trente. Les maisons participantes sont signalées par des poignées de ballons colorés. S’il y a pour moi l’espoir ténu de trouver livre à mon goût, je suis tout aussi intéressé par l’opportunité d’entrer chez des inconnus. Certains déballent dans leur jardin, d’autres dans leur garage et quelques-uns dans leur salon. En réalité, il ne s’agit pas de vider la maison mais de se débarrasser d’objets inutiles ou obsolètes. C’est l’équivalent d’un vide grenier sans avoir à payer son déballage au mètre linéaire.
Quelques vendeurs sont encore loin d’être prêts, moins matinaux que d’autres. L’un se plaint d’avoir été tiré du lit par un coup de sonnette à huit heures trente précises. Je croise plus d’acheteurs de ma connaissance que je l’aurais cru. Beaucoup chassent les vinyles. Un homme passe de maison en maison avec le désir d’acheter autre chose que ce qui est en vente : « Montrez-moi vos horloges, vos miroirs, vos instruments de musique, je vous fais une proposition, si elle ne vous intéresse pas, vous me dites non, c’est tout. »
Je découvre également des têtes connues chez les habitants des maisons ouvertes, l’une de mes anciennes collègues (comme on dit) à l’école Marcel Cartier et un couple de brocanteurs du Clos Saint-Marc. Ce quartier résidentiel est doté d’une boulangerie nommée Le Pétrin. Sa population est diverse, des pauvres et des riches. Dans un jardin poussent des plants de tomates ayant pour pots des bottes à fleurs.
Je repars avec bien peu dans mon sac, mais l’après-midi c’est la brocante et vente de livres de l’association Entraide de l’Eglise Protestante, rue de Buffon, et j’ai espoir de m’y consoler.
Entrant à quatorze heures dans la salle réservée aux livres et disques, je me doute que mon sac ne sera pas vide quand je repartirai. Il n’y a là qu’un autre acheteur, sympathique jeune homme que je croise à chaque occasion, et le responsable de la vente tout disposé à faire un prix d’ami.
Au moment où je paie sept euros cinquante mes onze livres, parmi lesquels la lourde biographie de James Joyce et la non moins pesante autobiographie de Mark Twain, arrive l’un avec qui il y a encore deux mois j’avais des relations cordiales, un homme à lectures élevées que deux mails m’ont fait découvrir homme à pensées obtuses. Il jette un regard en coin à mon sac. Au plaisir d’avoir trouvé quelques bons livres s’ajoute celui de le savoir jaloux.
 

4 juin 2016


Il semble que je sois rentré de mes vacances au Pays Basque sans ramener avec moi d’œufs des punaises de lit de l’Hôtel Ibis Budget de Saint-Jean-de-Luz. Sans doute les précautions que j’ai prises étaient-elles exagérées mais il faut avoir vécu cette abomination pour comprendre.
Certain(e)s en feront l’expérience un jour ou l’autre car ce qui est réputé être courant aux États-Unis et au Canada doit être plus présent en France qu’on ne le dit. Cette discrétion a deux raisons. Ceux qui se sont fait dévorer par des puces de lit (rebaptisées punaises de lit) le cachent. Les hôteliers et autres responsables de structures d’hébergement ont intérêt à étouffer ce genre d’évènement.
Je ne connais qu’un autre cas avoué, celui d’une jeune femme parisienne chez qui un invité avait ramené ces bestioles lors d’une soirée. Pour elle, cela a signifié trois mois d’intervention d’une entreprise de désinsectisation pour un coût de huit cents euros (une lectrice que je ne connais pas m’a envoyé un lien vers l’article d’un naturopathe prétendant qu’il suffit d’avoir des draps de couleur jaune ou verte et d’utiliser des huiles essentielles pour faire fuir ces sales bêtes).
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Désormais, je ne pourrai plus arriver tranquille dans un hôtel ou dans une maison d’hôtes.

3 juin 2016


Ce jeudi, je suis en corbeille à l’Opéra de Rouen pour la présentation de la Saison Seize/Dix-Sept me doutant que, comme chaque année, la soirée sera peu palpitante et que, comme d’habitude, le programme de l'an prochain sera assez semblable à celui de l'année précédente, La lecture de la brochure confirme ce dernier point.
Frédéric Roels, Directeur, entre en scène en compagnie de la nouvelle Présidente, Catherine Morin-Desailly, Sénatrice, Conseillère Régionale, Centriste de Droite. Symbolisant ce changement politique, la sellette et les deux sièges habituellement côté cour sont passés côté jardin. Comme son prédécesseur, Nicolas Mayer-Rossignol, Socialiste, elle appelle le Directeur par son prénom. L’appelle-t-il Catherine, ou même Cathie, on ne le saura pas car il ne s’adresse pas directement à elle. En vieille routière de la profession, elle fait applaudir d’emblée tous ceux qui concourent à la réussite de la maison puis elle dévide un propos convenu sur la Culture et la Normandie désormais réunie. J’entends que Rouen est la seule ville entre Lille et Rennes à avoir un Opéra et qu’il faut s’en féliciter. Au bout d’un temps certain, elle dit qu’elle ne sera pas plus longue mais en rajoute quand même une couche avant de disparaître. On ne la reverra plus.
Le thème de la saison prochaine est le libertinage mais, précise immédiatement Frédéric Roels, uniquement dans son fondement philosophique. Néanmoins, quand il cite des noms pour illustrer son propos, il donne ceux de Casanova, Da Ponte et Sade. Il s’agit, dit-il, d’œuvrer contre les deux grands dangers qui nous menacent : le politiquement correct et la montée de l’extrémisme religieux (qui concerne toutes les religions, ajoute-t-il politiquement correct).
J’applaudis pour la première fois lors de l’entrée de l’Orchestre. Il est dirigé ce soir par une jeune femme : Debora Waldman. Au moins intervient-il souvent lors de l’énumération de spectacles à venir, mais sans forcer son talent. C’est la troisième fois en trois jours que les musicien(ne)s sont de service (la première ayant été réservée aux importants : mécènes, journalistes, etc.). Pour occuper la cheffe entre deux coups de baguette, on l’a munie d’une tablette qu’elle met parfois en marche. L’écran de cette tablette s’affiche alors, où l’on peut lire des blagounettes pas drôles. La salle ne se manifeste que lorsque le taulier (comme l’appelle  irrespectueusement l’un qui n’est pas là) annonce que dorénavant pour les concerts ayant lieu à la chapelle Corneille, les places seront numérotées.
A l’issue, dans une ambiance heure de pointe du métro parisien, c’est champagne et amuse-bouches, comme les années précédentes, mais en quantité diminuée. Viendra le jour où les petits fours seront eux-mêmes sur réservation et numérotés. « Buvons, puisqu’il n’y a plus rien à manger. », dis-je à une dame de ma connaissance venue comme moi se faire resservir au bar.
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Catherine Morin-Desailly, spectatrice très épisodique à l’Opéra de Rouen mais s’en rêvant programmatrice hardie : « La maison ne doit pas se cantonner à un répertoire convenu ; au contraire, elle doit regarder droit devant et participer pleinement à l’émergence de la création lyrique contemporaine, audacieuse, lumineuse et puissante… » (normandie actu)
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Sujet de conversation de la soirée : le fils de Valérie Fourneyron, Députée, ancienne Ministre des Sports, Socialiste, en garde à vue pour avoir brûlé un feu rouge et blessé deux policiers avec deux grammes d’alcool dans le sang. Le fils de Fabius, c’est pire. On n’en dira pas plus.
 

2 juin 2016


Mon train d’aller à Paris étant supprimé par la grève ce mercredi matin, cela me permet d’en prendre un qui me convient mieux, celui de sept heures vingt-huit. Normalement direct, il est ce jour transformé en omnibus. J’y lis Les Choses de Georges Perec (déjà lu il y a des décennies) qu’Annie Ernaux a cité l’autre jour à Yvetot comme un livre l’ayant influencé à ses débuts et dont j’ai acheté trois euros au Rêve de l’Escalier une belle édition de chez Pocket à couverture rigide et jaquette verte illustrée par le graphiste Franck Sérac. Ma jolie voisine lit Jack Barron et l’éternité de Norman Sprinrad. Elle descend à Gaillon et est remplacée par une autre qui lit Pour en finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis. Tous les voyageurs qui montent à Vernon sont debout dans les couloirs jusqu’à la capitale.
La pluie vient de cesser quand je vais avec le bus Vingt jusqu’à la Bastille. Un homme au téléphone parle d’un parquigne souterrain envahi par les eaux. C’est qu’à tous les soucis du moment s’ajoute celui de la crue.
Il n’y a pas que la Seine qui déborde à Paris, les poubelles aussi rue du Faubourg-Saint-Antoine, non vidées pour raison de grève. Après Book-Off, Aligre et Emmaüs, je déjeune au Péhemmu chinois d’un toujours bon confit de canard pommes sautées côtes-du-rhône puis en métro aérien traverse le fleuve. J’y aperçois une voiture noyée. Je descends à Edgar-Quinet, remonte la rue de la Gaîté et à l’aide de deux commerçants trouve la Fondation Henri Cartier-Bresson, laquelle est bien cachée impasse Lebouis.
Lundi dernier, prenant un café au Vascœuil, j’y ai eu l’œil attiré par le nom de Francesca Woodman sur le dépliant que lisait ma voisine, aubergiste espagnole. C’est ainsi que j’ai appris l’existence d’une nouvelle exposition parisienne consacrée à cette étonnante photographe américaine. La précédente en mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit à la Fondation Cartier m’avait fait grosse impression au point de l’évoquer longuement dans un de mes romans/récits non édités.
A la caisse me précède une femme à imperméable rose qui ne paie pas car elle est journaliste à Télérama. Pour moi, c’est quatre euros seulement, privilège de la vieillesse. L’exposition, moins importante que la précédente, est sur deux étages. Je retrouve avec bonheur les autoportraits fuyants que fit Francesca Woodman entre treize et vingt-deux ans mais n’en suis plus aussi remué. Est-ce parce que les tirages ici montrés sont de petit format ? Je me souvenais de photos plus grandes. Quand même, ça me plaît beaucoup. La journaliste de Télérama noircit plusieurs pages de son cahier. Un couple de grands Chinois est là aussi et deux filles qui font des photos.
« Serais-je un ange ? », se demandait régulièrement la jeune photographe photographiée. Elle y ressemble sur certaines de ses photos floues où elle apparaît avec une force « furieuse, insolente, ludique, sensible, rêveuse, mélancolique, rebelle, humoristique, douloureuse, investigatrice et vivante », comme l’écrit dans le catalogue l’écrivaine suédoise Anna-Karin Palm.
Je ne me souvenais plus de la série où elle est nue en compagnie d’un homme mûr bedonnant également nu. Dans un coin, une vidéo la montre se lavant avec une éponge trempée dans un seau dans le coin d’une pièce délabrée puis s’allongeant nue sur le sol et se réjouissant de l’empreinte laissée par son corps. En sortant, je me rends compte que je suis toujours vaguement amoureux de Francesca Woodman qui sauta par la fenêtre en mil neuf cent quatre-vingt-un à New York.
Mon train de retour étant supprimé, je choisis de rentrer plus tôt par celui de seize heures vingt. Comme beaucoup, je m’y installe avant qu’il soit affiché mais soudain nous sommes délogés par des employés de la Senecefe très énervés qui nous crient dans les oreilles qu’il ne va pas à Rouen mais au garage.
C’est un mensonge. Il s’agissait de nous faire descendre pour que la rame soit vide avant qu’une seconde s’y arrime. La manœuvre achevée, tout le monde remonte. Ayant changé de voiture, je m’aperçois, alors que nous sommes déjà en chemin, que j’ai oublié un sac de livres sur le porte-bagages. Pas moyen d’aller le récupérer, les plateformes et les escaliers sont emplis de gens assis ou debout. Après Vernon, eux descendus, je peux bouger et le retrouve là où je l'avais laissé.
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« J’ai des idées sur le feu… le tout c’est de me mettre au travail avant qu’elles n’attachent au fond de la casserole » (Francesca Woodman)
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Quelques bonnes trouvailles ce mercredi : Renée Pélagie marquise de Sade de Gérard Badou (Payot), Marie Laure de Noailles la vicomtesse du bizarre de Laurence Benaïm (Grasset), Journal de guerre suivi de Journal du métèque de Jean Malaquais (Phébus) et Acadie de Tomi Ungerer (Le Cherche Midi), dans lequel il raconte sa fuite de New York et son arrivée dans une rude Nouvelle-Ecosse en mil neuf cent soixante et onze.
 

1er juin 2016


Le matin de ce dimanche, levé tôt et en chemin pour l’île Lacroix où se tient le vide grenier annuel, je passe devant le local du Péhesse que ses locataires n’essaient même plus de remettre en état. Un panneau de contreplaqué remplace la vitrine jusqu’à la fin des perturbations. Sur celui-ci, à la peinture rouge : « Hommage aux familles des vitrines ».
Encore un vide grenier décevant, j’y trouve quand même un double cédé de Serge Reggiani en public édité par Jacques Canetti à un euro cinquante, un prix inusuel que je ne discute pas.
En début d’après-midi, je suis à nouveau dans la presqu’île Rollet dont le sol herbeux est devenu boueux. Il y fait froid. Un vent frisquet souffle mais n’arrive pas à chasser une brume automnale. J’aurais mieux fait de me vêtir autrement, me dis-je, assis sur un muret en béton au bord de la Seine. J’entends au loin la voix du poète performeur Damien Schultz. Il évoque sa mère, ça a l’air d’être sa fête.
Quand Jim Yamouridis, ancien du groupe australien The Stream, arrive sur la Grande Scène avec ses trois musiciens français (bassiste, percussionniste, saxophoniste), je peux facilement trouver place au premier rang, les pieds au sec sur un chemin métallique, car nous ne sommes que quelques dizaines de spectateurs. L’homme a une bonne tête et est vêtu de noir, petites lunettes sur le nez, cheveux grisonnants passés derrière les oreilles. Il s’assoit avec sa guitare rouge.
-Merci les amis d’avoir le courage d’être ici dans cette brume.
J’aime bien cette folkeuse musique mais ne peux savoir ce qu’il raconte avec sa voix qui rappelle un peu trop celle de Leonard Cohen. L’une de ses chansons est un hommage à Federico Garcia Lorca, « un poète très fort ». Ce bon moment s’achève sans que ce sympathique personnage puisse comme le demande mon voisin en chanter une autre. « Pas le temps, Bertrand Belin », lui répond-il avant de nous remercier à nouveau d’avoir été là pour lui :
-A nous aussi, il en a fallu du courage.
Ne voulant pas entrer dans l’une de ces cabanes en bois où se cachent les toilettes, je ressors de l’enclos gardé par les vigiles et vais arroser un buisson un peu plus loin puis, revenu, m’approche du bar avec l’espoir d’y trouver du café.
-On ne fait pas de boissons chaudes, me répond-on en me proposant un Coca que je refuse.
-Ailleurs non plus ?
-Non plus.
J’en trouve un néanmoins à l’une de ces camionnettes à manger rebaptisées trucks, la berlinoise, où l’on propose une saucisse industrielle coupée en rondelles et couverte de ketcheupe pour cinq euros. Ce café est petit mais chaud et bon et à un euro.
Il y a davantage de monde pour Bertrand Belin. « Radinons, radinons-nous », intime celui-ci et aussitôt la majeure partie du public obéit et vient se coller à la scène au péril de ses oreilles (le nombre de décibels lui étant nécessaires pour se faire entendre est effrayant). Appuyé sur une barrière devant la technique, je reste à bonne distance.
C’est la première fois que je vois Bertrand Belin. Il a un physique avantageux. Sa photo pourrait figurer dans la vitrine du coiffeur. Il est sûr de lui, beaucoup trop à mon goût. Ses textes m’évoquent le Manset le plus fumeux. Au début du quatrième morceau, je fuis ce magma tonitruant.
Pour la dernière fois, je fais pédestrement les trois kilomètres qui séparent ce bout de Rouen du centre de la ville, espérant que l’an prochain Rush y reviendra. Quoi de mieux que la place Saint-Marc pour un bon gros concert en plein air après d’autres, plus modestes, dans les coins et recoins du quartier Martainville.
                                                             *
Dix mille spectateurs sont revendiqués ce lundi par les organisateurs du Rush de la presqu’île Rollet. En trois jours, avec beaucoup qui comme moi ont été comptés trois ou quatre fois. Ce même ouiquennede, en deux jours, le cylindre Azizi, gratuit pour l’apparition de la Jeanne sur ses parois, a attiré quatorze mille personnes venues une seule fois.
Un bide, comme on disait autrefois, dû au mauvais temps mais aussi au lieu excentré peu accessible et à un manque de publicité.
Quand  je suis allé, jeudi dernier, à l’Office de Tourisme pour avoir le programme de ce Rush, l’un des employés m’a répondu : « Le programme de la ruche ? »
-Mais non, Rush c’est un magazine. », lui a dit son collègue.
A l’accueil de la Mairie de Rouen, on n’était pas davantage au courant. J’ai finalement trouvé ce programme à la Fnaque.
 

31 mai 2016


Bus Teor jusqu’au Mont Riboudet, traversée de la Seine par le pont Flaubert frôlé par les voitures à grande vitesse, descente d’escalier métallique et chemin à pied jusqu’au « Prochainement ici » de Marc Hamandjian, sa barrière et ses vigiles, nous sommes encore moins que la veille à être là pour le début du deuxième jour de Rush. Cette fois, ça ouvre à quatorze heures précises comme indiqué. En revanche, j’ai droit à une palpation en règle par l’un des hommes en noir. Il détecte le parapluie dans la poche intérieur de mon blouson et ne prend pas mon porte-monnaie pour une couille.
En attendant que commence le concert d’Eddy Crampes au Dancing, chanteur dont on m’a dit beaucoup de bien depuis Stockholm et Paris, je me pose au bord de la Seine. Il fait chaud, le ciel est orageux. « Bonjour, je suis Eddy Crampes et je viens de Toulouse », entends-je soudain alors qu’il n’est pas encore l’heure officielle du début de sa prestation (deux heures et demie). J’entre dans le chapeau surchauffé gardé par un autre vigile et me cale au fond contre un pilier devant les pompes à bière.
Eddy Crampes, jeune homme barbu, chante dans une semi obscurité sur une musique enregistrée et devant des images pilotées par ordinateur. Son deuxième morceau est le seul de lui que j’aie entendu plusieurs fois, une reprise réussie du Portbail d’Alain Souchon. D’autres chansons suivent, aux textes malheureusement superficiels, puis des reprises de François Béranger (Evidence, une chanson de sa mauvaise époque, quand il était devenu frère prêcheur) et de Nancy Holloway (T’en va pas comme ça, et là je suis content d’avoir à nouveau douze ans).
Parfois, Eddy Crampes descend dans la salle et tente de faire danser ou chanter le peu de présents debout, d’autres sont vautrés dans les canapés sur les côtés. Nous ne sommes pas plus de quinze en tout. Ses tentatives n’ont pas grand succès. Je crains que dans son souvenir ce concert reste comme l’un des pires. Dans le mien, ce sera celui d’une découverte agréable et décevante, il chante bien mais il n’a pas grand-chose à dire.
Il faut ensuite attendre seize heures pour le concert de Nord sur la Grande Scène. Je refais un tour de presqu’île mais ce « jardin naturel » ressemble trop à la campagne. Je m’y ennuie très vite malgré la présence des véhicules d’exploration lunaire de Marc Hamandjian. Certains qui tournent aussi en rond se consolent à la bière mais ce n’est pas dans mes mœurs, comme dirait Thomas Clerc.
Bientôt, le ciel devenu noir m’indique que ça va mal tourner. Je décide de déguerpir, tant pis pour le concert de Nord, je reviendrai à vingt et une heures pour celui de Philippe Katerine.
Au premier pont, celui du Guillaume, je traverse la Seine puis longe les maisons du quai haut de la rive droite. Passant devant la vitrine d’Europe Ecologie Les Verts (en bien meilleur état que celle du Péhesse), j’y ai l’œil attiré par un slogan comme les Ecologistes ont le secret, aussi ridicule que drôle : « Je bois du vin naturel, je sauve le climat ».
Les premières gouttes tombent alors que je ne suis plus qu’à cent mètres de chez moi. Un quidam croisé m’interpelle en me montrant du doigt à la troisième personne du singulier : « Putain, on va se prendre une de ces saucées. Lui, il le savait, il a pris son petit parapluie. Il connaît sa Normandie. »
Suivent deux heures et demie de déluge et de tonnerre. Quand cela décroît, je rebranche mon ordinateur et m’informe. Plusieurs quartiers de la ville sont inondés et sur la presqu’île Pollet le concert de Nord a été annulé.
Vers dix-neuf heures cela se calme tout à fait mais je n’ai plus le courage de ressortir et d’aller si loin, même pour Katerine. Je me console en me répétant que sa meilleure époque est derrière lui, ses deux derniers cédés étant bien moins bons que les précédents.
                                                                   *
Que les employé(e)s des lieux culturels fassent la bise aux vigiles ne manque pas de m’étonner.
 

30 mai 2016


Cette année, l’évènement Rush, série de concerts gratuits organisés par le Cent Six, salle de musique zactuelles, n’a pas lieu dans le quartier Martainville, c’est-à-dire à deux pas de chez moi, mais au bout de Rouen dans la presqu’île Rollet autrefois dévolue au déchargement du charbon, transformée par la Matmutropole en un « jardin naturel » qu’ignorent une grande partie des habitants, c’est tellement loin, juste à côté d’un silo à grains du même modèle que celui qui a explosé à Blaye en quatre-vingt-dix-sept en faisant onze morts.
Grâce à cet évènement, peut-être que ce lieu sera davantage fréquenté à l’avenir, a décidé Frédéric Sanchez, chef de la Matmutropole, dont dépend le Cent Six ; les artistes c’est bien, quand ça sert à quelque chose c’est mieux. Tope-là, lui ont répondu les membres du staff de la Smac, tous adeptes de la bicyclette, ce sera aussi l’occasion d’obliger le plus grand nombre à pédaler. Ce qui m’incite à y aller quand même, c’est le programme, confié à Bertrand Belin dont je découvrirai les chansons dimanche.
Ce vendredi après-midi, je prends donc un bus Teor jusqu’au Mont Riboudet puis traverse à pied le pont Flaubert et arrive avant l’ouverture officielle des portes, dix-sept heures, devant une barrière qui empêche d’aller plus loin. N’ayant rien de mieux à faire, je titille le vigile : « Pourquoi, alors que nous sommes si peu nombreux à attendre, ne peut-on pas entrer dans ce jardin public ? ».
-Il faut toujours qu’il y ait des gens qui râlent, me répond-il.
-Je ne râle pas, je fais usage de mon esprit critique.
L’attente se prolonge au-delà du raisonnable sous le chaud soleil. On ne sait pourquoi. Finalement, à dix-sept heures trente, un message arrive aux hommes en noir. La barrière s’ouvre pour la dizaine de présent(e)s.
-Je croyais qu’on serait beaucoup plus nombreux, dit l’une, ils en ont parlé sur France Inter.
-C’est sûr que ce n’est pas Woodstock, lui répond un autre.
Trois lieux de spectacle sont en place sur la verte presqu’île, le Haut-Parleur pour les poètes performeurs, le Dancing pour les musiciens et chanteurs peu connus et la Grande Scène pour les vedettes (comme on disait il y a fort longtemps). La scénographie a été confiée à Marc Hamandjian qui me fait la tête bien que je n’aie jamais dit du mal de ses installations, « ou alors y a longtemps ou bien j’ai oublié ».
Aujourd’hui, je suis venu pour Charles Pennequin, entendu moult fois sur France Culture, mais le premier à s’exprimer sur la scène du Haut Parleur devant laquelle sont disposés quelques bancs en bois est un autre poète performeur : Damien Schultz. Le début de son texte me rappelle beaucoup trop Ghérasim Luca et la suite tourne au délire sans fond. Quand il en a fini, je vais au bout de la presqu’île puis fais demi-tour. Il se met alors à pleuvoir fort. J’ouvre mon parapluie. D’autres sont vite douchés, ainsi Rover que je croise trempé comme une soupe (je n’irai point à son concert du soir l’ayant déjà vu à Paris en plein air et pas aimé). L’averse redoublant, j’entre dans le dancing, un chapiteau bas de plafond et sombre avec une marche descendante qui manque d’en faire tomber plus d’un jusqu’à ce qu’un des organisateurs vienne y mettre un adhésif blanc, où joue Mocke Trio. L’endroit est oppressant, la musique décorative et déjà entendue il y a longtemps, mais on y est à l’abri.
Cette averse orageuse cesse peu avant l’heure de la performance poétique de Charles Pennequin. Nous sommes peu nombreux assis sur les bancs essuyés quand celui-ci s’installe derrière le micro. Il me fait penser à l’Homme nu de Ron Mueck qui terminait l’exposition Mélancolie de Jean Clair au Grand Palais, sauf qu’il est habillé, à la va comme je te vêts. Son sac à dos rouge est posé derrière une enceinte. Il fouille dans ses papiers et commence à dire ses textes décapants, faisant parfois intervenir son téléphone pour dialoguer avec une voix enregistrée. Le meilleur moment est celui où il se lance parmi les spectateurs muni d’un mégaphone d’enfant. « Allez on y va c’est l’heure de se révolter », lance-t-il d’une voix lasse en arpentant les allées entre les bancs, « Dépêche-toi, ta révolte va être froide ».
Il ne m’en faut pas plus pour être content. L’homme au chapeau qui ne connaissait pas cet individu est aussi réjoui que moi.
Boudant la suite, je rentre par le quai bas de la rive gauche, passant devant le chantier du futur Palais de la Matmutropole, plus de trois kilomètres à pied.
                                                                  *
Dans une vie précédente, Charles Pennequin était gendarme. Aujourd’hui, c’est l’un des poètes français vivants les plus importants. Il sera dit que pour sa venue à Rouen, un vendredi soir à dix-neuf heures, seuls une trentaine de spectateurs étaient là, dont un tiers faisant partie des organisateurs de Rush.
 

29 mai 2016


Ce jeudi soir à l’Opéra de Rouen en avant programme se font entendre dans le foyer des élèves du Conservatoire lauréat(e)s d’un concours à Vire, une musique bien appliquée que je choisis d’entendre de loin, par la porte ouverte, depuis mon fauteuil de corbeille en lisant le livret du concert pour orchestre à cordes que va diriger Nicolas Simon.
Celui-ci fait ça sans baguette, d’abord pour la Sérénade pour cordes en mi mineur d’Edward Elgar. Je la trouve ennuyeuse au point de presque m’endormir. Tout s’explique quand Nicolas Simon, qui fait aussi pédagogue, dit quelques mots avant la suite : Elgar a composé cette sérénade pour les trois ans de son mariage.
La suite, c’est la Symphonie hambourgeoise numéro deux en si bémol majeur composée par Carl Philipp Emanuel Bach après que son mécène lui eut dit de n’en faire qu’à sa tête, de quoi bien me réveiller. Puis est donnée la Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis de Ralph Vaughan Wiliams.
Comme souvent le meilleur est pour après l’entracte, premièrement la Symphonie numéro dix de jeunesse en si mineur de Felix Mendelssohn (l’une des douze composée par le musicien à l’âge de treize quatorze ans) et deuxièmement les Variations sur un thème de Frank Bridge de Benjamin Britten qui mettent les cordes dans tous leurs états.
D’amples applaudissements saluent la performance des musicien(ne)s et de leur chaleureux chef pédagogue. Ils nous valent un petit bis de Britten.
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Emmanuel Macron («Le meilleur moyen de se payer un costard, c'est de travailler») ayant déjà été utilisé par le Maire d’Orléans pour présider ses Fêtes Jeanne d’Arc, le Maire de Rouen doit faire pour les siennes ce ouiquennede avec ce qu’il a en magasin : Laurent Fabius. Ça tombe bien, c’est un spécialiste des contes et légendes.
                                                                       *
Au Son du Cor, trois filles et un garçon qui aiment les garçons.
L’une :
-Ah, ma mère, tu sais ce qu’elle a fait cette grosse tarée, elle avait jamais vu Solène et on l’a croisée, elle l’a serrée dans ses bras, lui a tapé deux bises et lui a dit : Solène, j’ai tellement entendu parler de toi.
Suite aux exclamations outrées des autres, elle ajoute :
-Ma mère, c’est le genre qui au restaurant dit tout fort : Clémence, t’as pas pris un tampon dans mon sac ?
 

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