Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

11 octobre 2020


Paul Léautaud doit sa connaissance de la Bretagne à son amante, Anne Cayssac, qui possédait à Pornic une maison appelée Ker Miaou. De ma (re)lecture, en cet automne breton, de sa Correspondance établie par Marie Dormoy (son amante ultérieure), ce choix d’extraits des lettres écrites par Léautaud à celle qu’il surnommait le Fléau, un condensé d’histoire d’amour :
Quand tu seras à Pornic, tu te rappelleras combien je te trouvais jolie, nue, dans mes bras, devant la glace. « Champagne inutile, disais-tu. Nous bandons fort bien tous les deux. » Nous bandions en effet fort bien. Tu suçais la pine avec la même gourmandise que tu gobais un éclair (toi-même tu faisais le rapprochement) et quant à moi, tu sais bien ce que je te faisais. Rappelle-toi tes paroles : « J’ai un amant que je dégoûte, vraiment. Il me met sa langue dans le nez, dans la bouche, dans le cou, dans le cul. Vraiment, je le dégoûte. » Le jeudi vingt-six février mil neuf cent vingt-cinq
On ne me reprendra pas à aller à Pornic à cette époque. Les mioches qui braillent, les locataires qui font du bruit, le pullulement des gens de passage, grotesques dans leurs costumes de circonstance, les voisins avec leurs phonos, c’est hideux. Comme tourment, la propriétaire de Ker Miaou suffit. Le jeudi deux août mil neuf cent vingt-huit
Mais non, ma chère amie, il n’y a en ce moment à Pornic, qu’une plèbe commune. Les hommes sont vulgaires, avec ces visages d’imbéciles – je les ai vus ! – et les femmes, pour la plupart, mastoques. (…) Pornic deviendra hideux, infréquentable, si cela continue. Il va devenir une plage pour basse classe. Il n’y a qu’à voir déjà la vulgarité des gens qui s’y prélassent en ce moment. Paris le quatorze août mil neuf cent vingt-huit
Moi qui vous ai connue obtenant le sirop dans la bouche en trois minutes de travail, toute fière de l’avoir bien sucé – ou vous trémoussant à califourchon sur moi. Le visage ravissant à voir d’expression cochonne ! J’ai eu le meilleur. L’amateur peut venir : il n’aura plus tout ce que j’ai eu. Fontenay le vingt-cinq juin mil neuf cent trente-deux
Vous êtes une sotte. Vous aviez une occasion de vous faire bouffer le cul et sucer votre pine pendant quelques jours tranquillement et vous n’avez pas su la mettre à profit. Le quatre octobre mil neuf cent trente-deux
Et si vous croyez que c’est agréable de vous bouffer le con, avec les pointes de votre ceinture qui vous blessent le visage, et qui vous blessent encore le bas-ventre quand on fourre sa pine entre vos cuisses. Paris le cinq octobre mil neuf cent trente-deux
Près de 200 francs dépensés dans ce dernier voyage, si complètement inutile – et pourtant utile, d’un certain côté. Mon Dieu, je ne pleure pas, bien que vous avoir bouffé le con une seule fois, et avoir tiré un seul coup, tout habillé, et debout, et seulement entre vos cuisses, ce soit un peu cher. Paris le six octobre mil neuf cent trente-deux
Alors que rien que de vous écrire, je suis obligé de me déboutonner tant je bande. Vous me faites suer. Jamais je n’ai bouffé le con à une femme comme je bouffe le vôtre ni mis ma langue dans un trou du cul comme je la mets dans le vôtre. Et je m’empresse de dire que j’ai la contrepartie, car jamais femme ne m’a sucé la queue comme vous me la sucez, ni fait tirer de bons coups comme ceux que nous tirons ensemble, même après dix-huit ans de liaison, espèce de folle. Le huit octobre mil neuf cent trente-deux
                                                                   *
Deux fois, à Pornic, je suis allé jusqu’à Ker Miaou, bien accompagné.
 

11 octobre 2020


Je n’ai pas encore tout vu de Saint-Quay, aussi, ce samedi, vers huit heures et demie, parti de la place d’Armes, je monte la rue de la Jeanne qui mène, et ce n’est pas tout près, au lieu-dit Kertugal, quartier ancien de la commune.
J’y trouve d’abord, construite grâce à la générosité de quelques particuliers en mil huit cent vingt-huit, la chapelle Notre-Dame de la Garde, que je n’attendais pas d’une telle taille, de forme ronde, unique en Bretagne, pratique pour tourner autour mais malheureusement fermée, puis, rue des Dolmens, le Parc des Druides, où s’amoncellent des pierres monumentales dans le plus grand désordre, enfin, au bout d’un court chemin de terre, le lavoir de Porcuro dont l’eau est totalement croupie.
Sous le nom des rues, une petite pancarte indique que le quartier est protégé par « Participation Citoyenne, en liaison directe avec la gendarmerie et la police municipale ». Je ne vois personne mais il ne serait pas étonnant que le jour et l’heure de mon passage figurent dans un cahier suivies de cette description : « Homme assez âgé, cheveux longs grisonnants, vêtu de noir, avec un sac à dos, regarde un peu partout comme s’il était en repérage ».
En allant tout droit je rejoins le Géherre Trente-Quatre par le chemin de Guerbineu. Cela  me permet de revenir vers le Kasino en bénéficiant de la plus belle vue qui soit. Après la pointe de l’Isnain, je descends sur la plage où je vais à la rencontre des vagues pour la première fois depuis que je suis en Bretagne. De là, je fais une photo de la demeure rose saumon où a du résider une princesse de conte pour enfants. C’était il y a longtemps à en juger par la rouille de la chaîne qui ferme le portail.
De la plage du Casino, je passe à celle du Châtelet où je m’approche au plus près de la piscine d’eau de mer, n’osant toutefois pas en faire le tour sur son mur d’enceinte. Il y a deux ou trois jours, j’ai été pris d’un vertige dans la rue. Il ne faudrait pas que cela se reproduise dans des circonstances qui me mettraient en danger.
Je retrouve le chemin côtier près d’une construction étrange de forme phallique (il n'y a pas qu'à Binic). Peut-être l’été sert-elle de poste de gué à un surveillant de baignade. Quand j’arrive au Poisson Rouge, il est dix heures et demie. Cela fait deux heures que je marche.
Le temps semble vouloir se maintenir au plutôt beau. Aussi je réserve une table d’extérieur aux Plaisanciers. Et à midi, je n’y côtoie, à bonne distance, qu’un couple d’âge aussi certain que le mien. Elle et lui sont plus intéressés par leur smartphone que par ce qu’il y a dans leur assiette. Après le buffet d’entrées, je choisis les paupiettes de veau et la pomme fondante mascarpone caramel (la présence de la pomme y est symbolique).
Au retour, je tente un café à la terrasse du Café de la Plage, sans pouvoir y tenir longtemps. Bien qu’ensoleillée, avec vue sur la plage du Casino, sur la maison de la princesse, sur le laid Kasino et sur l’angle de mon logis provisoire, elle a un gros défaut, le vent y est chez lui.
                                                                              *
Coureur à pied s’arrêtant devant deux connaissances féminines qui boivent un café au Poisson Rouge :
-Hey les filles, je fais rien de spécial ce soir, on boit l’apéro ensemble ?
-Ouais bah, on s’appelle, répond l’une.
Toujours plus facile de dire non au téléphone (et ça leur laisse le temps de trouver un alibi de refus).
                                                                               *
Hors saison, j’ai l’impression que la confiserie Ker Suçons n’ouvre que les jours de tempête.
             
 

10 octobre 2020


Une belle journée est annoncée par toutes les météos, ce vendredi, de quoi prendre à nouveau le car BreizhGo pour Binic. A l’arrivée, je mets un peu de temps avant de trouver la boulangerie où le duo croissant pain au chocolat est dix centimes moins cher qu’à Saint-Quay. Je les mange face au soleil levant accompagnés d’un allongé à la terrasse du bar tabac Le Narval.
Cela fait, je contourne l’extrémité du port, passant ainsi côté sud, afin de pratiquer le Géherre Trente-Quatre en direction de Saint-Brieuc. Il commence pépère en longeant la belle plage de la Banche au bout de laquelle se trouve l’Hôtel de la Plage. Il faut le contourner, ainsi que les propriétés qui suivent, par une route montante, avant de retrouver un sentier prometteur un peu boueux (il a plu toute la nuit). En me retournant, je vois au loin Binic son église et son port.
J’approche de la pointe de Bréhin, m’apprend une pancarte. Elle n’est qu’à quinze minutes. Je progresse à bon pas jusqu’à ce que je trouve en travers un embrouillamini d’arbres chus lors de la tempête Alex. Impossible de contourner ce barrage, du moins quand on a mon âge.
Je rebrousse et trouve une large allée qui j’espère me ramènera vers la côte. Je suis détrompé par une autochtone à chien de poche. Cette allée va à Quéré, un hameau, d’où peut-être, me dit-elle, en allant sur ma gauche, je pourrai retrouver le chemin de Grande Randonnée.
De Quéré, une petite route me conduit à un sous hameau nommé Courtel d’où part un chemin agricole allant vers la mer, mais je me rends compte qu’elle n’est pas tout près et il me faudra revenir, aussi fais-je demi-tour sans attendre.
De retour à Binic, je réserve une des quatre tables de terrasse de L’Adresse puis prends un café au Chaland Qui Passe. On y écoute de la bonne musique des années soixante-dix. L’un s’y réjouit du généreux soleil : « On dirait la chaleur du corps d’une femme ». Le patron s’amuse avec son assistant Gougueule :
-Comment je m’appelle ?
-Vous vous appelez Ducon.
 A midi pile, j’ai le choix de la table à L’Adresse. Le menu du jour lui est sans choix possible mais que m’importe, je suis à l’extérieur, au soleil, loin des autres, près du port, à la hauteur de la passerelle qui permet de le traverser. Une sono discrète fait chanter Black trombone à Serge Gainsbourg.
Bien que brasserie, on propose ici une cuisine élaborée. L’entrée, des raviolis ricotta aux épinards, est délicieuse. Le bourguignon pommes vapeur qui suit aussi, présenté dans une assiette qui a l’air d’avoir été moulée sur une vague. Le dessert, une marquise au chocolat crème anglaise, ne me déçoit pas. Avec le quart de vin rouge du moment, j’en ai pour vingt et un euros. Cette Adresse en est une bonne.
Sorti de table, je traverse la passerelle afin d’explorer le côté sud du port par le quai de Pordic et l’esplanade de l’Aber Vrac’h. On arrive ensuite à l’avant-port par le quai des Corsaires. La vue à bâbord est sur la ville et à tribord sur la plage à piscine d’eau de mer. Une grosse balise à bout rouge érigée sur l’esplanade montre que Binic est toujours à la pointe, s’agissant de l’érotisme.
C’est à la terrasse du Narval que j’attends le car BreizhGo du retour. Un homme en raconte une bien bonne à ses amis : « Il me demande des nouvelles de ma femme. Je lui donne et après je lui demande : Et la tienne ? Et il me répond : Oh ma chienne je ne l’ai pas amenée avec moi ce matin. »
                                                                          *
Le jeune François Truffaut a passé plusieurs étés à Binic, dans la villa Ty Rosen, rue de l'Ic, que louait sa grand-mère, Geneviève de Monferrand. Il y a même séjourné pendant toute l'année scolaire Trente-Neuf Quarante.
 

9 octobre 2020


Le temps annoncé incertain me conduit à rester à Saint-Quay ce jeudi. Dès le jour levé, je prends le sentier côtier, direction les ports. Ce chemin offre des beautés dont je ne suis pas rassasié. Malheureusement, l’éboulement à hauteur du sémaphore semble sérieux. Plus question de passer devant celui-ci. Le contourner par la route est désagréable.
Cela me permet néanmoins de voir le derrière de la turquerie. J’entre même dans ce qui est le parquigne de l’hôtel Ker Moor et fais des photos de cette bâtisse fantasmatique auquel est adjointe la partie contemporaine de l’hôtel, tristement fonctionnelle. Un homme à valise en sort à qui je demande si des chambres sont proposées dans le bâtiment d’inspiration mauresque. Il ne sait pas, me conseille d’aller demander à l’accueil où ils sont très gentils.
Encouragé par ce propos je m’y risque et pose la question à la femme qui trône derrière une vitre comme une employée de la Sécurité Sociale.
-Oh non non non, c’est privé ça, ça n’a rien à voir avec l’hôtel, me répond-elle d’un ton que je ne qualifierais pas d’aimable.
Comment le propriétaire de la turquerie a-t-il pu accepter la construction de ce moche hôtel qui lui est accolé ? Mon hypothèse est qu’il a des intérêts dans l’hôtellerie. Quoi qu’il en soit, je ne confondrai plus l’hôtel Ker Moor et la villa Kermor.
Rejoignant le sentier par la venelle de la Comtesse, je poursuis jusqu’à Port d’Armor. De l’un de ses bâtiments s’échappe un panache de vapeur d’eau. Ici fonctionnent des usines à poisson. Elles sont inapprochables.
Je longe ensuite le port d’échouage du Portrieux jusqu’au Poisson Rouge. Je suis le seul client en terrasse. Il y fait doux, suffisamment pour lire la Correspondance de Paul Léautaud, dont j’approche de la fin.
Quand je commence à avoir frais, je reprends la marche, décidé à aller voir le bout du bout de Saint-Quay, là où se trouve le chantier naval, à la frontière avec Etables. J’en traverse une partie, sans être sûr d’en avoir le droit, afin de rejoindre la digue qui, à son extrémité, fait face au phare situé sur la mâchoire inférieure du Port d’Armor. On ne peut pas aller plus loin. En me retournant, je distingue, au loin, dans la brume, la croix de la pointe de la Rognouse.
C’est dans ce Port d’Armor qu’à midi je déjeune une nouvelle fois au restaurant Les Plaisanciers qui devrait plutôt s’appeler Les Ouvriers tant ils constituent l’essentiel de sa clientèle. Le vent empêchant l’extérieur, je mange dans la terrasse fermée, pas rassuré par le nombre d’individus démasqués autour de moi. Après le buffet d’entrées, je choisis l’aile de raie aux câpres, la mousse au chocolat, un café, et je suis content quand je suis de nouveau dehors.
Le temps se maintenant, je prends un second café à la terrasse du Poisson Rouge, toujours épargnée par le vent. A ma droite est un couple de retraités mangeant des crêpes. Quand ils se lèvent pour partir, l’homme se tourne vers moi :
-Pardon monsieur, je peux pas résister : qu’est-ce que vous lisez avec autant de passion ?
-La Correspondance de Léautaud.
-Ah bah, ça m’étonne pas. Merci de m’avoir répondu.
Peut-être effectivement connaît-il, peut-être pas. Quoi qu’il en soit, un peu plus tard j’arrive à la fin, page mille deux cent vingt-sept. La dernière lettre de Léautaud est datée du onze janvier mil neuf cent cinquante-six, il meurt le vingt-six février.
                                                                              *.
Il y a presque trois ans, en conclusion de mon texte intitulé « Pomme en concert à l’Hôtel de Région », j’écrivais Pomme serait l’invitée idéale de Remède à la mélancolie, l’émission d’Eva Bester sur France Inter, la seule émission de cette chaîne qui soit écoutable, le dimanche à dix heures, au moment où c’est la messe sur France Culture.
« merci! et j'adorerais aller à l'émission remède à la mélancolie sur france inter;) », me répondait-elle.
Ce sera chose faite ce dimanche.
 

8 octobre 2020


Point de collégienne pour s’asseoir à côté de moi ce mercredi à l’arrêt Casino du BreizhGo, mais un lycéen tout aussi poli. Et point de destination Saint-Brieuc, je descends à Binic, « le grain de beauté des Côtes-d'Armor ». Le jour n’a pas fini de se lever. Je lui laisse un peu de temps en buvant un allongé à la terrasse du bar tabac Le Narval, vue sur le port, un euro vingt.
Celui-ci bu, je parcours le côté nord du port de plaisance puis de l’avant-port, jusqu’au bout de la digue de Penthièvre où se trouvent le phare et un pêcheur. Je tente ensuite d’accéder à la plage par un tunnel un peu flippant mais l’inondation qui a touché Binic lors du passage d’Alex y a laissé une mare d’eau.
Le temps ayant l’air de se tenir, je décide de rejoindre le Géherre Trente-Quatre et d’y marcher en direction de Saint-Quay. On y accède par une succession de plans inclinés de la plus belle esthétique. Je longe d’abord la plage de l’Avant-Port puis me heurte à une barrière. Un éboulement oblige à un court détour par l’intérieur, ce qui me met en présence de beaux chevaux que leur propriétaire est en train de nourrir. Le sentier retrouvé, j’aperçois la pointe de la Rognouse où, tel un avertissement, est plantée une croix. Je l’ai bientôt atteinte.
De là est visible au loin le bout du port de Saint-Quay. Mon objectif n’est pas de rentrer à pied. Je fais demi-tour et alors qu’à aller je marchais seul, je dois maintenant compter avec des locaux munis ou non de chiens. Arrivé à l’avant-port, je réserve une table d’extérieur, sous la pergola, à la Cabane à Crabes, puis vais prendre un café Léautaud au Chaland Qui Passe (un euro quarante).
Les gens d’ici ont l’air plus stressés par le Covid que ceux de Saint-Quay et de Saint-Brieuc. On trouve même des sens uniques sur les trottoirs. Ce doit être une conséquence de la fréquentation d’été. Quant à moi, je ne suis pas tranquille, mais depuis que j’ai quitté Paimpol, je me passe du masque dans les rues, faisant toujours en sorte d’être à au moins deux mètres de quiconque.
A midi, je prends possession de ma table de bord de port à la Cabane à Crabes. Le menu Cabane propose six huîtres suivies soit d’un demi-crabe soit d’un crabe entier et du dessert du jour, première possibilité à dix-neuf euros, seconde à vingt-cinq. Pourquoi économiser six euros ?
Avant que l’animal me soit présenté, le serveur apporte l’outillage nécessaire et un seau en plastique noir qu’il pose au sol pour les déchets, puis il revient avec un gros maillet. Oh my God, qu’est-ce que je vais faire de ça ? C’est pour casser les pinces, me dit-il, mais vous pouvez aussi utiliser le casse-noix. Ouf.
Tout arrive ensemble, les six belles huîtres, le crabe dont il n’y a qu’à soulever le couvercle et les pommes de terre en robe des champs. Je me débrouille mieux que je ne pensais pour ces travaux manuels. A la table voisine est un couple ayant choisi une moitié pour lui et un entier pour elle. Cette dernière ne craint pas d’utiliser le maillet à grand bruit. A croire que toute sa vie, elle a assommé des taureaux. Le dessert est une profiterole à deux boules. Avec mon demi de chardonnay, cela fait un peu plus de trente-six euros.
Sorti de cette cabane, je prends le soleil sur l’un des bancs du promontoire qui domine l’avant-port d’où je vois une jeune femme qui nage dans l’eau calme. Quand elle se rhabille près des cabanes colorées de la plage, je constate malgré la distance qu’elle a de jolis petits seins.
Le café, je le bois au Narval où je tente ensuite de lire Léautaud malgré la présence d’une institutrice de maternelle qui raconte à son amie comment depuis trois semaines elle prépare son inspection. Cette intellectuelle rêve d’une chose : aller voir le concert des Enfoirés et répond à tout ce que lui dit sa copine par un assommant « Ouais ouais ouais ouais ouais ».
Alors que j’attends le BreizhGo du retour devant le Crédit Agricole, je me dis que cette fois, la Météo Agricole a vu juste : zéro millimètre de pluie ce mercredi à Binic, « le grain de beauté des Côtes-d'Armor ».
                                                                            *
Nous sommes en mil neuf cent quatre-vingt-onze. Des publicitaires cherchent comment faire connaître Binic. Ils posent une carte des Côtes-d'Armor sur la table, et mettent un point à l'emplacement de la station. L'un d'eux a une illumination, il voit dans le département la robe de Bécassine avec un décolleté sur la baie de Saint-Brieuc. L'agence sollicite une jeune femme pour faire une photo. On lui peint la poitrine en bleu, on lui met une robe verte à liseré blanc et on lui place un morceau de buvard mâché sur le sein gauche, là où se situe Binic, en guise de grain de beauté, et voilà une affiche faite avec pour légende : « Binic, le grain de beauté des Côtes-d'Armor ».
Patrick Poivre (d’Arvor) qui présente le journal télévisé en parle et la montre, et bingo !
Il va de soi qu’une telle chose ne serait plus possible dans notre vertueux vingt et unième siècle.
 

7 octobre 2020


Ce mardi matin, le jour pas levé, j’attends le BreizhGo Paimpol Saint-Brieuc sur le banc de l’arrêt du Casino. La même collégienne que l’autre jour vient s’asseoir à côté de moi et cette fois me dit bonjour.
En route, le chauffeur doit faire fonctionner ses essuie-glaces plusieurs fois mais quand je descends à l’arrêt Les Champs, ce sont les dernières gouttes. J’achète un croissant et un pain au chocolat à la boulangerie conseillée et vais les manger avec un café au bar La Cigogne, cette fois à l’intérieur, tout au fond, le plus loin possible d’autrui.
Je descends ensuite par une route qui n’est pas la plus courte vers la vallée du Gouët et finis par arriver au port du Légué où ont eu lieu de sévères inondations pendant l’épisode Alex. Il n’en reste aucune trace. Ce port de plaisance stocke des voiliers dont la plupart ne bougent jamais. Il n’est remarquable que par le viaduc qui le surplombe, sur lequel le BreizhGo est passé tout à l’heure.
Pour remonter, après avoir longé le Carré Rosengart, réhabilitation (restaurant, salles de conférence, de co-travail, etc.) du plus grand espace industriel de Saint-Brieuc (furent ici l’usine Rosengart, où l’on mit au point le moteur de hors-bord, et la bien connue Chaffoteaux et Maury), je traverse le parc pentu de Rohannec’h qui entoure la villa du même nom, d’inspiration italienne, sur les fenêtres de laquelle en capitales est écrit « Maison Atelier ». A la sortie de ce parc, j’enjambe les quatre voies de la Nationale Douze puis prends le boulevard en face qui mène tout droit au quartier Saint-Michel. Au carrefour avec la rue Lavoisier, je prends à gauche afin d’aller voir, au numéro treize, la maison de Louis Guilloux.
Devant une bâtisse classique est un bâtiment parallélépipédique blanc avec toit terrasse où est apposé une plaque sur laquelle il est écrit que Guilloux fit construire cette maison en mil neuf cent trente-deux. Son bureau était dans la soupente d’où il avait vue d’un côté sur la ville et de l’autre sur la baie. Cette maison était visitable mais ne l’est plus. Le corps de l’écrivain est enterré au cimetière Saint-Michel où je n’ai pas envie d’aller.
Je reprends mon chemin vers le centre et fais un détour par l’église Saint-Michel où le Maréchal Foch (qui a une rue dans le quartier) épousa sa Briochine. L’architecture de cette église étant aussi lourde que celle d’une caserne, il n’a pas dû être dépaysé.
Revenu dans le centre historique, je m’installe au soleil près de la Cathédrale et de la Halle Georges Brassens à la terrasse de La Grange pour un café d’abord puis pour un déjeuner entrée (tarte merguez ratatouille) plat (rôti de bœuf sauce au vin échalotes écrasé de pommes de terre) sans le mauvais vin. Ce repas raccourci me permet de rentrer à Saint-Quay par le BreizhGo de treize heures dix-sept.
                                                                          *
Sous la Halle, pendant mon café, une interviou filmée de je ne sais qui par je ne sais qui. « Soyez naturel » « Vous avez peut-être trop préparé » « Ne bloquez pas sur votre texte » « « Par contre faut pas bouger » « On respire » « On arrête de bouger ».
                                                                          *
Je ne crois pas être arrivé au bout du Sang noir de Louis Guilloux et n’ai jamais eu envie de lire autre chose de lui.
 

6 octobre 2020


Je me garde d’envisager d’aller ailleurs avec le car Paimpol Saint-Brieuc ce lundi matin, le craignant empli d’internes à valise. Par ailleurs, comme je le découvre en allant à la boulangerie, il pleut davantage qu’annoncé.
Après avoir acheté trois crêpes au Fournil du Casino, je rentre petit-déjeuner puis, ressors, armé de mon parapluie, décidé à marcher droit, tel un Don Quichotte, sur un moulin à vent que j’ai aperçu hier sur les hauteurs de la ville.
Quand j’y arrive, je le découvre en majesté, grand, restauré, et même en état de marche, mais pas en activité ce jour. Il a pour nom le moulin Saint Michel car sur la butte où il est érigé se tenait autrefois une chapelle consacrée à l’archange.
Je réussis à en faire une photo sous le parapluie puis en redescendant vers le centre je trouve une flèche indiquant le lavoir du Merle. Je me mets à sa recherche. Il se trouve logiquement rue du Merle et est des plus discrets, quelques marches au bord d’un ruisselet. Oui mais les jours d’Alex, ce ruisselet a fait des siennes, il s’est répandu. Un employé municipal est là qui enlève des boudins placés devant les portes d’entrée des habitations les plus proches, deux maisons contigües occupées par une vieille femme pour l’une et un vieil homme pour l’autre.
-On n’est pas les plus malheureux, déclare ce dernier à l’employé, quand on voit ce qui se passe dans le sud, les maisons écroulées et les morts.
J’ai quelques scrupules à sortir mon appareil dans ces conditions mais je fais quand même une photo de ce petit lavoir, puis, consultant mon plan, trouve le chemin le plus court vers le port. A l’arrivée, je suis bien content de découvrir Le Poisson Rouge ouvert.
Installé à sa terrasse, je peux lire un peu des lettres de Léautaud. J’ai pour voisines des femmes qui sortent de la bâtisse d’à côté où est installée une ressourcerie par échanges (tu apportes quelque chose et tu repars avec autre chose). Il y a aussi un groupe composé de pratiquant(e)s de la gymnastique et de leur moniteur. Ils ont renoncé au cours du jour sur la plage. « A la place de lever la jambe, on lève le coude », constate l’une.
Quand la mer commence à descendre, il pleut toujours autant. Ce n’est pas aujourd’hui que ça va se lever à la renverse.
Il est onze heures quand je quitte les lieux pour aller boire un autre café aux Plaisanciers, à l’intérieur cette fois. J’y réserve une table pour le déjeuner. Dès midi moins le quart, la patronne me dit que je peux y aller.
Je suis cette fois dans une salle où déjeunent surtout des ouvriers. Je profite une nouvelle fois de l’imposant buffet d’entrées puis choisis la poitrine de porc et son écrasé de pommes de terre et un gâteau au chocolat.
La pluie, une sorte de mouillasse, perdure, ne me laissant pas d’autre choix que de rentrer par les rues intérieures, là où mon parapluie ne risque pas d’être retourné par une bourrasque.
                                                                        *
Ces ouvriers qui arrivent masqués, comme ils sont, je suppose, sur leur lieu de travail, les voici qui passent une heure démasqués à la même table de restaurant, à vingt centimètres l’un de l’autre. Logiquement, chacun devrait manger seul à une table. Evidemment, ce ne serait pas une affaire pour les restaurateurs.
                                                                        *
Ni Météo France, ni La Chaîne Météo, ni La Météo Agricole, ne savent prévoir le temps des Côtes d’Armor. Le Télégramme, parcouru aux Plaisanciers, annonce du mieux jusqu’à samedi. Je vais voir s’il est plus fiable.
                                                                        *
Voici Paris en rouge écarlate et ses bars fermés. Donc plus moyen pour les touristes et les gens de passage d’aller aux toilettes ailleurs que dans les publiques, le plus souvent répugnantes.
                                                                         *
De quelle couleur sera Rouen quand j’y rentrerai ? Rouge tomate ? Rouge pivoine ?
 

5 octobre 2020


Ce dimanche matin un arc-en-ciel enserre Saint-Quay. Il est la preuve qu’il pleut encore quelque part mais qu’il y a aussi du soleil. Celui-ci gagne du terrain et comme il n’y a plus de vent, je m’engage sur le chemin côtier en direction des ports. La marée est bien haute et la mer encore agitée. La piscine de mer est totalement sous les eaux. N’est visible que son plongeoir. En arrivant à proximité du sémaphore, je trouve une barrière en travers du sentier. Une affichette indique qu’un éboulement a eu lieu suite aux pluies abondantes. Je dois contourner le bâtiment militaire par la rue. Un peu plus loin, le chemin retrouvé, une énorme masse de terre brune menace de choir sur celui-ci. Elle n’est retenue que par un grillage abimé. Je passe vite devant, conscient de faire une imprudence.
Mauvaise surprise en arrivant au port d’échouage : Le Poisson Rouge qui était ouvert l’autre dimanche, est fermé. Je me rabats sur L’Ecume pour boire un café, surtout pas à l’intérieur, à sa terrasse entourée de panneaux vitrés.
Comme il y fait doux, je m’attarde à lire les lettres de Léautaud, puis je me mets à la recherche de la chapelle Sainte Anne. Je la découvre blanche. Je photographie également des demeures du quartier pour mon dossier « Maisons de Saint-Quay ».
Ne pouvant réitérer mon déjeuner dominical huîtres et crêpes au Poisson Rouge, je me rabats sur Les Terrasses du Port, restaurant situé au-dessus des Plaisanciers, dont la salle est en forme de proue. A bâbord, port d’Armor. A tribord, le port du Portrieux. Devant, le grand large. A peine y suis-je assis que s’abat une drache.
J’opte pour de la crêperie : galette chèvre jambon miel et crêpe pommes caramélisées. Si la première est décevante, au moins la seconde est-elle bonne. La salle étant petite et le nombre d’arrivants augmentant, je ne m’attarde pas dans cette auberge où je paie quinze euros tout rond. Peu de nourriture, peu de cuisine, la crêperie est quand même une bonne grosse arnaque.
Je rentre par les rues intérieures désertes sous une moitié de ciel bleu et m’arrête cette fois devant le cinéma Arletty, à l’architecture balnéaire, puis devant la plus étrange habitation de la ville, plate à tourelle rose. Saint-Quay n’en finit pas de me révéler ses curiosités. Ultime étape, je bois un café à la terrasse sous auvent du Café de la Plage. Je lis là encore un peu de Léautaud puis suis chassé par une recrudescence du vent.
                                                          *
Au bar L’Ecume un trio de femmes quinquagénaires. Chacune des trois s’adresse aux deux autres par « Les filles ». Cela me surprendra toujours.
                                                          *
Comment s’étonner que les oiseaux d’ici soient dégénérés, avec tous ces nigauds qui leur donnent à manger quand ils sont en terrasse (façon d’exercer son pouvoir même sur la faune non domestiquée).
Souvent en se cachant des patrons de bars ou restaurants, qui eux les chassent.
                                                          *
« Ce ne sont pas encore des coquilles Saint-Jacques de l’année, ce sont des décongelées de l’année dernière », explique une serveuse des Terrasses du Port à des clients qui en souhaitent. « La pêche devait commencer samedi mais avec la tempête… », ajoute-t-elle. « De toute façon, il faut qu’elles passent par Rungis pour être étiquetées avant de revenir ici », conclut-elle.
Saint-Quay est le premier port de pêche français de cet animal marin.
 

1 ... « 120 121 122 123 124 125 126 » ... 345