Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En lisant Autoportrait d’Edouard Levé

14 février 2018


Attachant personnage qu’Edouard Levé dont les séries de photos Angoisse, Pornographie, Amérique et autres sont bien pour me plaire.
Il en est de même de son Autoportrait, écrit dans sa trente-neuvième année, publié en deux mille cinq chez P.O.L., que j’ai lu dans sa réédition posthume de deux mille treize au format poche, un bloc de texte autobiographique que pour les besoins de la prise de notes je suis obligé de scinder afin d’en tirer ce qui résonne le plus en moi  :
Je n’ai pas honte de ma famille, mais je ne l’invite pas à mes vernissages.
Mon père m’a surpris en train de faire l’amour avec une femme, lorsqu’il a toqué à la porte, j’ai dit mécaniquement : « Entrez », son visage s’est illuminé, il a aussitôt fermé la porte, lorsque l’amie a tenté de repartir discrètement, il s’est précipité vers elle et lui a dit : « Revenez quand vous voudrez, mademoiselle. »
Je fais des photographies parce que je n’ai pas vraiment envie de changer les choses.
J’écris peut-être ce livre pour ne plus avoir à parler.
A un dîner, une amie m’a embrassé, s’est déshabillée, et tout a basculé pour la moitié des convives, parmi lesquelles figuraient trois de mes anciennes amantes.
J’ai couché avec une quinzaine de prostituées de diverses origines : française, indienne, africaine, roumaine, arabe, italienne, albanaise.
Adolescent, le nazisme me paraissait appartenir à un autre temps, mais plus je vieillis, plus ce temps me semble proche.
Je crois que les touristes ne regardent pas leurs photos de voyage, et s’ils les regardent, je crois qu’ils n’en pensent rien.
J’écris moins bien assis à une table ronde, où mes coudes reposent dans le vide, qu’à une table rectangulaire, sur laquelle ils prennent appui. (Je me souviens que Marguerite Duras a écrit la même chose et que je l’ai noté en son temps)
Mon frère et moi, nous sommes comme le jour et la nuit, je suis peut-être la nuit.
Je crois plus en la littérature, même mineure, que dans le cinéma, même majeur.
Lorsque nous jouions au voyou et à la bourgeoise, ma cousine passait devant la balançoire sur laquelle j’étais assis, à l’écart de la maison familiale, je l’interpellais d’un air mauvais, elle ne répondait pas mais faisait semblant d’être affolée, elle commençait à courir, je la rattrapais et la conduisais de force dans la petite cabane, je fermais le verrou, je tirais les rideaux, elle essayait vaguement de s’enfuir, je la déshabillais, et simulais l’acte sexuel pendant qu’elle poussait des cris dont je n’ai jamais compris s’ils mimaient l’horreur ou le plaisir, j’ai oublié comment nous finissions.
Bien que j’aie publié chez lui deux livres, mon éditeur continue de me présenter comme un artiste, si j’étais comptable, en plus d’être écrivain, je me demande s’il me présenterait comme un comptable.
Dans mes périodes de dépression, je visualise l’enterrement consécutif à mon suicide, il y a beaucoup d’amis, de tristesse et de beauté, l’évènement est si émouvant que j’ai envie de le vivre, donc de vivre.
J’ai perdu tout contact avec des amis qui m’étaient chers, sans savoir pourquoi, je crois qu’eux non plus ne savent pas pourquoi.
J’ai un fantasme avec les étudiantes en école d’art.
Je n’aime pas qu’on me rende visite à l’improviste.
Lorsque quelqu'un me parle de ses « énergies », je pressens un arrêt prochain de la conversation.
J’ai appris à dessiner en copiant des photos pornographiques.
Mes souvenirs, bons ou mauvais, sont tristes comme des choses mortes.
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Autoportrait débute par Adolescent, je croyais que La Vie mode d’emploi m’aiderait à vivre, et Suicide mode d’emploi à mourir. et s’achève par Je ne pourrai dire qu’une fois sans mentir : « Je meurs. » Le plus beau jour de ma vie est peut-être passé.
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Lorsque Paul Otchakovsky-Laurens est mort à Marie-Galante le deux janvier dernier dans un accident de voiture, France Culture a rediffusé son A voix nue.
Il y racontait comment après avoir reçu le manuscrit de Suicide, le texte dans lequel Edouard Levé raconte celui d’un ami à lui, il avait voulu le joindre au téléphone et qu’il était trop tard.
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Edouard Levé s’est suicidé le quinze octobre deux mille sept à Paris. Il avait quarante-deux ans.
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Le passage le plus rude d’Autoportrait :
Enfant, ma mère me surnommait parfois Edouard le bâton, parce que je passais mes journées à la campagne avec un morceau de bois, plus tard, lorsque je suis devenu turbulent, elle m’a appelé le Bâton merdeux, puis, plus simplement, la Merde.