Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En lisant Lettres à Sartre (volume deux) de Simone de Beauvoir (cinq)

3 juin 2015


Mille neuf cent quarante-sept est l’année du premier voyage de Simone de Beauvoir aux Etats-Unis où elle est invitée à faire une tournée de conférences. A Chicago, elle croise l’écrivain Nelson Algren, Il devient son amant américain, pour qui elle fera d’autres séjours en Amérique et qui viendra la retrouver en France. Un jour, Algren choisira de retourner avec sa femme.
Ce premier séjour en Amérique donne lieu à des épisodes réjouissants dont profite Jean-Paul Sartre par correspondance :
En la quittant, dîner chez Lévi-Strauss. Vous le connaissez. Mais quelle belle vue de sa fenêtre sur New York illuminé ! et la femme quoique terriblement enceinte est un peu gentille, un peu vivante. (jeudi trente janvier mil neuf cent quarante-sept)
… on est venu me chercher pour me donner en pâture aux vieilles femmes de l’Institut français, j’ai vu là un type sinistre qui s’appelle Bidard et que Camus avec son esprit habituel avait surnommé Bidasse et qui s’est plaint à moi que vous ayez été grossièrement incorrect avec lui. (vendredi trente et un janvier mil neuf cent quarante-sept)
… et une petite gouine très mignonne qui fait des réclames pour Vogue et qui m’est tombée presque sur la bouche, sur la joue en tout cas. (lundi soir trois février mil neuf cent quarante-sept)
Je viens de finir ma conférence devant un parterre de jeunes filles à rendre Camus fou… (vendredi sept février mil neuf cent quarante-sept)
Après ça j’ai été dîner chez la petite Mary Guggenheim qui m’avait invitée avec une fille du Harper Bazaar beaucoup plus gentille qu’elle. Elle est très antipathique, une vieille fille pourrie de complexes. (mardi onze février mil neuf cent quarante-sept)
Ah ! faites circuler qu’il n’y a jamais eu en Amérique de livre appelé J’irai cracher sur vos tombes, ni d’auteur nommé Sullivan. C’est Vian qui a tout fait tout seul. (lundi matin dix-sept février mil neuf cent quarante-sept)
Quand je me suis retrouvée dans la Main Street pour regagner mon hôtel j’ai pensé avec force qu’il valait mieux mourir tout de suite que de passer un an à Buffalo. (vingt-trois février mil neuf cent quarante-sept)
Puis j’ai téléphoné à un nommé Nelson Algren, ami de Wright et bien-aimé de la triste Mary Guggenheim. Il a répondu que j’avais fait un faux numéro, parce que je prononçais mal son nom… (vendredi vingt-huit mil neuf cent quarante-sept)
Il a tout de suite compris où il devait m’emmener : d’abord sur la Bowery de Chicago, à un dancing genre Sammy’s mais plus crapuleux encore et moins commercial, à une petite boîte où des femmes se mettaient nues et dansaient obscènement sous des regards parfaitement indifférents, dans une boite nègre et dans un petit bar polonais. (même date)
Nous nous entendons merveilleusement bien, je m’amuse beaucoup avec lui et lui avec moi. Nous avons été dans une boîte de tapettes déguisées en femmes, et dans une boîte hongroise très gentille. (dimanche neuf mars mil neuf cent quarante-sept)
Nous nous sommes promenées dans la ville noire et les femmes crachaient sur notre passage et les enfants criaient : « Les ennemis ! les ennemis ! » Il y avait partout un poids de haine qui serrait le cœur. (lundi trente mars mil neuf cent quarante-sept à La Nouvelle-Orléans)
… il y avait aussi Cartier-Bresson, sa femme hindoue, sa sœur prêtresse, tout ce monde assommant –elle reçoit Wright, mais plutôt avec des Hindous qu’avec des Américains. (mercredi seize avril mil neuf cent quarante-sept, Richard Wright est l’écrivain noir)
Je dors 4h. par nuit et je ne mange pas et je bois comme un trou. Je vais quand même essayer de vous faire un journal tout sec puisque je sais que ça s’anime pour vous. (jeudi huit mai mil neuf cent quarante-sept)
Le soir, Bernie Wolfe m’a emmenée fumer de la marijuana chez un merveilleux danseur noir en compagnie de pédérastes et de lesbiennes –ils étaient tous « hight » comme ils disent  et on m’a dit qu’avec une cigarette je le serais aussi ; j’en ai fumé six en avalant la fumée sans arriver à rien –de fureur j’ai bu plus d’une demi-bouteille de whisky ce qui ne m’a pas saoulée mais j’étais quand même égayée. Je dois dire qu’ils en avaient les yeux ronds.  (même date)
Simone fera un livre de sa découverte des Etats-Unis : L’Amérique au jour le jour, très ennuyeux.