Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 avril 2017


Erik Satie m’est presque aussi agréable à lire qu’à ouïr. De ma lecture de l’ensemble de ce qu’il a publié sous son nom dans l’édition qu’en a faite Raoul Coquereau pour la Petite Bibliothèque Ombres sous le titre Mémoires d’un amnésique suivi de Cahiers d’un mammifère et autres textes, je tire ceci (du connu et du moins connu) :
Toutes les heures, un domestique prend ma température et m’en donne une autre.
Mon médecin m’a toujours dit de fumer. Il ajoute à ses conseils :
-Fumez, mon ami : sans cela, un autre fumera à votre place.
Si je suis Français ?.....
Bien sûr….. Pourquoi voulez-vous qu’un homme de mon âge ne soit pas Français ?....
Se mettre à plat ventre est bien… Toutefois, cette position est incommode pour lécher la main de celui qui vous donne des coups de pied dans le derrière.
Ne respirez pas sans avoir, au préalable, fait bouillir votre air….
Si vous voulez vivre longtemps, vivez vieux…
Mon parapluie doit être très inquiet de m’avoir perdu.
Toute ma jeunesse on me disait : Vous verrez quand vous aurez 50 ans. J’ai 50 ans. Je n’ai rien vu.
Ravel refuse la Légion d’Honneur mais toute sa musique l’accepte.
Remercions Cocteau de nous aider à sortir des habitudes d’ennui provincial et professoral des dernières musiques impressionnistes.
J’aimerais jouer avec un piano qui aurait une grosse queue.
Ce n’est pas beau de parler du nœud de la question.
                                                           *
Ravel et Saint-Saëns sont les bêtes noires de Satie. Il est plus amène avec Debussy mais ne le loupe pas sur ses idées politiques :
Debussy était loin d’avoir politiquement, socialement, les mêmes aspérités de goûts que musicalement. Ce révolutionnaire en Art était très bourgeois dans l’usage de la vie. Il n’aimait pas les « journées de huit heures » ni autres modifications sociales. Je puis vous l’affirmer. L’augmentation des salaires – sauf pour lui, bien entendu – ne lui était pas très agréable.
Un extrait de lettre, dans une note de fin de volume, montre qu’il n’est pas plus heureux avec ses amis politiques, pour la raison inverse :
Mes chers amis communistes (je fais partie du « Soviet » d’Arcueil) sont – en Art – des Bourgeois déconcertants… Il m’a été impossible de continuer une chronique à « L’Humanité » (…) « Le Gaulois » – oui – est plus avancé qu’eux. Soupir : ce bon Debussy était tout de même un autre homme que tous ces messieurs réunis !!!
                                                           *
De quoi lui donner envie de se réfugier auprès des livres, ainsi qu’il l’explique dans un texte titré Bouquinerie.
Extrait :
Étrange séduction ! Ne flâne-t-on pas devant les étalages des bouquinistes par les plus mauvais temps, debout, pieds dans l’eau, vent dans l’œil ?
Qu’importe ! des livres sont devant nous ; ils nous invitent à nous reposer en les caressant du doigt et du regard – à nous oublier en eux, béatement – à mépriser les bas liens qui nous retiennent à la si vieille Misère humaine.
 

18 avril 2017


Pas de car pour Duclair avant dix heures le dimanche, cela ne suffit pas à me décourager. Nous sommes une dizaine à y monter. Il va son chemin en respectant les limitations de vitesse et est arrêté deux fois par des mises en sens alterné de la route qui longe la Seine pour cause d’éboulis de falaise.
Je descends là où va et vient le bac, monte la première rue à droite sur le conseil d’une habitante et arrive à la Mairie devant laquelle sont installés moins de déballeurs qu’annoncé. Comme il était à craindre, je n’y trouve pas grand-chose. Au moins, le voyage ne m’aura pas coûté davantage que le prix d’un billet de bus rouennais, la Matmutropole s’étendant jusque-là et même plus loin (il fallait atteindre les quatre cent mille habitants réglementaires).
Comme le car de retour n’est pas prêt de passer, je vais d’un bout à l’autre de la promenade de bord de fleuve. Quoi faire d’autre à Duclair ? J’y croise des familles venues nourrir les canards. Le bac ne cesse jamais son mouvement pendulaire. Il est complet à chaque départ et sert de spectacle à quelques solitaires.
Puis, assis sur un banc, sous un ciel devenu gris, près de l’arrêt du car, j’observe qui ouvre la boîte à livres et repart déçu de n’y voir que des ouvrages abîmés, vieux et sans intérêt. Une famille, ignorant qu’on en trouve partout, se réjouit de cette initiative originale. En ce jour pascal, Duclair me semble faire partie de la France des oubliés.
Au retour à Rouen, un petit concert de carillon me fait du bien.
                                                             *
Les boîtes à livres, un marqueur de province. L’une des rouennaises, place du Vieux-Marché, a bénéficié récemment d’une inauguration officielle. Il s’en passe des choses dans la capitale de la Normandie.
                                                            *
Façon dont celles et ceux qui en manquent en parlent : ça va vite, ça monte vite.
                                                            *
Il semblerait que cette année, le chien se porte sous le bras.
 

17 avril 2017


Nous ne sommes pas plus de cinq ce samedi dans le train parti à sept heures pile de Rouen et qui va au Havre. Avant même d’être à Maromme, je suis contrôlé. J’ai une voiture pour moi seul. J’en descends à Yvetot.
Le car pour Saint-Valéry-en-Caux arrive à l’heure indiquée. Sa conductrice tamponne mon billet de train. Quand elle démarre, je suis le seul passager. Une fille pas bien réveillée monte à Doudeville. Le Pays de Caux sous les nuages fait triste, malgré la présence par-ci par-là d’éoliennes et le jaune du colza. Alors que nous sommes près du but, le car fait un détour par Cany-Barville. Y monte une habituée qui discute avec la chauffeuse. « Plage Port Casino » est-il indiqué à l’entrée de Saint-Valéry (ne pensons pas à la centrale nucléaire voisine).
Tout le monde descend au port près du local de l’association Reste à bord (remise en état de vieux gréements avec et pour les handicapés) qui, en ce ouiquennede pascal, organise une vente de livres d’occasion, raison de mon escapade.
Saint-Valéry-en-Caux a été détruite à soixante-dix pour cent en mil neuf cent quarante. La reconstruction en a fait une ville sans charme. Je prends un café à l’Hôtel de la Poste avec vue sur la fête foraine endormie. Il faut y supporter France Bleu Normandie avec Annabelle qui téléphone pour parler de son pommier qui a une branche qui meurt, Nelly qui veut savoir pour les glaïeuls et Corinne qui n’est pas d’accord avec son mari sur quand tailler sa haie de houx : « Je suis pas trop pour tailler les arbres, mais là c’est plus possible ». Pour moi, pareil, c’est plus possible, je me tire et vais zoner au bord de la plage. Je n’y croise que des autochtones promenés par leur chien.
Un peu avant dix heures, les rideaux métalliques de Reste à bord se lèvent. Je n’ai qu’un vieux couple venu de Rouen pour concurrent. Ma pêche est correcte. Au moment de payer, il me faut convaincre l’un des deux aimables organisateurs que certains de mes choix sont des livres de poche. Cela fait, grâce à une affichette oubliée et qui va être enlevée, je bénéficie du « trois pour un euro ». Mon sac reste à bord.
Le soleil s’étant pointé, je prends quelques photos du phare et des falaises depuis la jetée, puis à midi j’entre au Surf, une brasserie dont la déco date et qui parfois fait cleube privé. Je suis le seul à y manger : saumon fumé, bouquets et bulots prélevés au buffet d’entrées, tartare de bœuf avec frites maison, part de camembert, fraises et gâteau indéterminé prélevés au buffet des desserts, cela pour treize euros quatre-vingt-dix. Le café est offert et le quart de côtes-du-rhône à trois euros cinquante.
Il fait meilleur que prévu. Je grimpe sur la falaise aval, marche jusqu’au hameau Saint-Léger puis au retour me pose à mi-chemin pour lire au soleil sur un banc d’où l’on domine la sortie du port. Quand je redescends, la fête foraine bat son plein (comme on dit). Je me demande comment font les habitants de la place centrale pour supporter ce boucan qui s’entend jusqu’au local de Reste à bord. Avant d’y récupérer mon sac, je furète à nouveau et trouve le meilleur : Sur les routes avec le peuple de France (12 juin-29 juin 1940), un récit d’exode de Marguerite Bloch, née Herzog, descendante des drapiers d’Elbeuf et sœur d’André Maurois, joli livre rouge publié chez Claire Paulhan en deux mille dix, un euro au lieu des vingt-quatre qu’il valait neuf.
A seize heures dix-neuf, nous sommes une dizaine dans le car quittant Saint-Valéry-en-Caux, Saint-Val pour les intimes : « Y’a une nouvelle boutique à Saint-Val. » (une branlotine au téléphone).
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Au Surf, l’un des piliers de comptoir : « Pour qui qu’on va voter ? ». Personne ne répond, c’est inutile.
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Dans l’un des livres de poche de Saint-Valéry-en-Caux, un autocollant à la gloire de l’ours. Il est édité par le Fonds d’Intervention Eco-Pastoral, sis à Pau : « Pour que l’ours, les bergers et les forêts puissent vivre ».
Une incitation à voter Jean Lassalle ? Je sais qu’il défend les bergers mais je ne suis pas sûr qu’il aime l’ours.
 

14 avril 2017


Ne voilà-t-il pas que celui à qui les horoscopes (comme il dit) sont devenus favorables se rêve au second tour de la Présidentielle face à celle qui y est promise depuis longtemps par ces mêmes horoscopes.
Elle qui veut quitter la zone euro (et l’Europe) par référendum, lui qui veut quitter la zone euro (et l’Europe) par plan bé après l’échec de la renégociation des traités, de quoi plonger le pays dans une nouvelle crise économique avant même le résultat de ce deuxième tour.
Il n’en sera rien. Il ne sera pas qualifié. Elle le sera sans doute. Comme l’un des deux autres du quatuor de tête. N’étant toutefois pas exclu que ces deux autres se retrouvent face à face.
L’élu(e) du deuxième tour aura obtenu au premier dans les vingt-cinq à trente pour cent des voix, c’est-à-dire aura contre lui ou elle entre soixante-dix et soixante-quinze pour cent des Français(e)s en âge de voter, davantage même si on inclut les abstentionnistes. Bon courage pour faire quoi que ce soit (de plus aux législatives, il lui faudra obtenir une majorité favorable à son programme).
Celui dont je mettrai le nom dans l’urne le vingt-trois avril poursuit sa descente tranquille.
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A Rouen, pour certain(e)s, abstentionnistes ou non, la contestation, cela commence le dimanche vingt-trois avril à vingt heures une : « Face à l’impasse électorale, prenons la rue ».
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Le dessin qui m’a fait sourire cette semaine est signé Joann Sfar. Sur fond de Méditerranée, celui qui se voit déjà en haut de l’affiche déclare à la foule : « Ne scandez pas mon nom, pratiquez le culte de la personnalité discrètement. »
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Daniel Cohn-Bendit sur Jean-Luc Mélenchon dans Libération :
« En disant «je renégocie les traités européens et en cas d’échec, je sors la France de l’euro», Mélenchon joue à la roulette russe sur l’Europe. Il dit «moi, le grand Jean-Luc Mélenchon, grand par le grand peuple français, je vais arriver à Bruxelles et mettre sur la table mon plan et dire "Madame Merkel, à genoux, tous à genoux". Je vais imposer que la Banque centrale européenne rachète les dettes des Etats». Mais comment ? Vous croyez que M. Draghi ou son successeur lui dira : «Evidemment Monsieur Mélenchon, nous n’attendions que vous !»
Comme cela ne se fera pas, ce sera alors le plan B. C’est-à-dire que, pour lui, sortir de l’euro et sortir de l’Europe, c’est une perspective réelle. Ce sera sur mon cadavre, parce qu’on peut avoir des tas de critiques sur l’Europe, notre seule chance, la chance des Français et des Allemands dans le monde d’aujourd’hui, c’est de la transformer. On ne sacrifie pas l’Europe, on se bat pour qu’elle bouge. »
 

13 avril 2017


Entrer à dix heures moins dix au Café du Faubourg à la sortie Ledru-Rollin du métro, c’est ce que je fais encore une fois ce mercredi où la température est plus élevée à Paris qu’à Rouen, mais cette année, que se passe-t-il, les filles ne portent guère de jolies tenues sexy. Le café bu, Le Parisien lu, je fouine avec profit chez Book-Off puis pour rien au marché d’Aligre.
Je déjeune ensuite au Rempart, rue Saint-Antoine, servi par deux sympathiques jeunes hommes au louque différencié. Pour douze euros cinquante, j’ai droit à une excellente part d’épaule d’agneau confite à la provençale avec son nid de tagliatelles suivie d’une allitération de bon goût : tarte tatin tiédie. Le vin étant chérot, j’accompagne cela d’un peu d’eau de Paris.
Je n’ai qu’à traverser la rue pour être au pied de la statue de Pierre Caron de Beaumarchais où j’ai rendez-vous à treize heures avec celle qui travaille à proximité.
A l’heure dite, elle surgit. Le Rivolux nous donne la terrasse ensoleillée dont nous avons envie. Elle m’y offre deux cafés. Je lui offre Roman avec cocaïne d’Aguéev. Nous parlons de nos vies et de cette foutue élection présidentielle.
Quand le travail la requiert, un bus Vingt me rapproche du jardin du Palais Royal où j’espère lire au soleil sur l’une des chaises encerclant le bassin. Elles sont toutes prises. Je dois me contenter d’une place à l’ombre, sur un banc, sous les arbres.
Quand je reviens à Rouen, nuages et vent m’obligent à remettre le manteau qui m’encombrait à Paris.
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Parmi les livres dans mon sac : Journal (Leningrad, 1941-1942) de Léna Moukhina (Robert Laffont), Anaïs Nin genèse et jeunesse de Sophie Taam (Chèvre – feuille étoilée) et L’Interlocutrice de Geneviève Peigné (Le Nouvel Attila), celle-ci évoquant les dernières années de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, par le biais des annotations incohérentes que la défunte inscrivait sur les romans policiers qu’elle lisait, jusqu’à s’immiscer dans les dialogues.
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Trouve-t-on à Pâques des œufs en chocolat dans les nids de tagliatelles ?
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Rue Saint-Antoine : une madeleinerie artisanale. Ça, c’est du néologisme.
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C’est à Houilles que commencent à remonter le train du matin celles et ceux à qui ça ferait mal de ne pas être le plus tôt possible au travail.
 

12 avril 2017


Ce lundi, à dix-neuf heures, est présentée dans l’ancienne école Victor-Hugo, qui fut aussi l’annexe de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen, la dernière étape de travail d’Une nuit chez Buzzati, «une forme théâtrale, musicale et plastique à partir de deux nouvelles de l’écrivain italien Dino Buzzati». Ce spectacle sera donné en juillet prochain dans l’une des serres du Jardin des Plantes. Il est estampillé Nos Années Sauvages, l’association qu’animent Thomas Cartron et Sylvain Wavrant. C’est ce dernier qui m’a invité.
J’y arrive un peu avant et trouve à m’employer en aidant à un emménagement consécutif à la fermeture de l’Ubi. Le moment venu, j’entre avec une vingtaine d’autres dans ce qui fut une salle de classe. Chacun(e) s’assoit à l’une des petites tables où sont posés verres et bouteilles.
Les trois artistes sont en place. Ils interprètent en les enchaînant Quand descend l’ombre, qui narre la rencontre d’un homme ayant réussi avec l’enfant qu’il fut (une étude de la trahison), et Douce nuit, dans laquelle une femme cauchemarde, que son mari rassure en lui vantant le jardin tranquille où pourtant se passent des horreurs (une étude de la cruauté du monde). Buzzati est l’un des maîtres de la littérature fantastique. L’inquiétude est ici favorisée par la pénombre.
A la lecture, au piano et au chant sont Charles et Charline Porrone (père et fille) et au violoncelle Charlotte Patel. Sylvain Wavrant est l’auteur des costumes et Laurent Martin de la scénographie et du décor en bois et meubles récupérés. Les musiques et les chansons écrites par les interprètes mettent en valeur le texte de Dino Buzzati. Le passage de la première nouvelle à la deuxième crée dans mon esprit un moment de flottement que j’aime bien. Ce court spectacle est une réussite.
Après les applaudissements, nous buvons un verre de prosecco. Il est question de placer ce moment de détente entre les deux nouvelles au Jardin des Plantes. Nous sommes deux à juger que ce ne serait pas une bonne idée et à plaider pour l’enchaînement des deux textes.
                                                             *
Lisant, ce lundi après-midi, le Traité de la ponctuation française de Jacques Drillon (Tel/Gallimard) dans un semi soleil à la terrasse du Sacre, je suis abordé par une qui m’avait déjà envoyé un mail pour me reprocher d’avoir ironisé sur l’activité qu’elle propose sans même l’avoir pratiquée. La discussion commence aimablement mais ça ne dure pas : ce que j’écris est sans intérêt et je devrais reconnaître mes torts.
Après cette parenthèse, je suis heureux de retrouver les points, les virgules et les tirets.
Enfin, cet ouvrage n’est pas un lieu pour une telle querelle, écrit Jacques Drillon à la page cinquante-six.
 

11 avril 2017


C’est avec le premier bus Té Trois que ce dimanche je vais en banlieue, à Darnétal. Descendu à la Mairie, devant laquelle une banderole conteste une fermeture de classe à Clemenceau, je rejoins pédestrement la rue de Waddington où se tient le vide grenier qui m’amène. Les déballeurs y sont plus matinaux qu’à Rouen la veille. Ce qu’ils proposent n’est pas davantage pour m’intéresser. J’y repère les deux seuls livres achetables, des récits de voyage en Mongolie et en Sibérie de Ferdynand Ossendowski publiés chez Phébus.
-Vous donnez ce que vous voulez, c’est pour s’en débarrasser, me dit leur propriétaire quand je demande un prix.
-Un euro les deux, cela vous irait?
Il acquiesce.
Je ne m’attarde pas dans ce déballage. Un peu avant huit heures, j’attends le bus de retour tandis que descendent de celui venu de Rouen une habituée des vide greniers à  déambulateur dont j’admire le courage et de jeunes musulmanes que je mets sur le droit chemin.
                                                         *
A la peinture, sur un mur de Darnétal : « Sarkosi est un fronason ». Je suppose que c’est la nouvelle orthographe pour franc-maçon.
                                                         *
Rouen, dans un café de la place Saint-Marc, un client au serveur :
-Avec le soleil, ça doit marcher les affaires.
-Surtout les affaires du patron, oui ! lui répond l’interpellé.
-Communiste, va ! commente un autre.
                                                         *
« La bonne clientèle, on ne la voit plus » (une marchande de chaussures au marché du Clos Saint-Marc).
                                                         *
Moi-même à la boulangerie :
-Une tradition s’il vous plaît, pas trop cuite.
La cliente suivante :
-Deux traditions bien cuites. Cramées, ce serait parfait
Pfff…
                                                        *
Les gens qui s’adressent aux gens en les appelant « les gens » c’est affligeant : « Guérissez-vous, les gens » (Mélenchon à Marseille)
                                                        *
Quelle poisse pour une fille de s’appeler Marine (en plus ce n’est pas son vrai prénom à la Gueularde). Cela dit, les parents qui ont prénommé leur fille Marine après janvier deux mille onze (quand elle est devenue la cheffe du F-Haine) ne l’ont pas fait par hasard.
 

10 avril 2017


Ubi or not Ubi ? Je ne me poserai plus la question. Plus personne ne se la posera. C’en est fini de l’Ubi. Le lieu artistique mutualisé, ouvert il y a exactement trois ans, doit fermer définitivement sa porte ce dimanche neuf avril deux mille dix-sept. Ainsi l’exige la commission de sécurité passée à la demande d’un des copropriétaires de l’immeuble bourgeois de la rue Alsace-Lorraine. Les travaux réclamés pour se mettre en conformité, dont la création d’une deuxième sortie, ne pouvaient être envisagés que si le propriétaire y participait. Il n’a pas voulu. De plus, les autres propriétaires ne voyaient pas d’un bon œil une sortie qui aurait été commune avec la leur. Cela est bien triste. Les équipes artistiques qui y avaient leurs locaux ont dû trouver des solutions d’urgence provisoires. Les évènements et les spectacles qui se déroulaient dans la salle de café ou dans la galerie n’auront plus lieu.
J’y passe une dernière fois ce samedi après-midi où le ciel est bleu et ai la chance d’y trouver les deux que j’avais envie d’y voir : Jonathan, de Jabran Productions, et Sylvain, l’artiste taxidermiste. Assis sur le rebord de la vitrine de ce qui fut la Mam Galerie, ils prennent une bière qui ne suffira pas à leur redonner le moral (comme on dit).
-Bonjour les garçons, leur dis-je avant de les embrasser comme ça se fait maintenant. Je peux entrer ?
-Oui, tu vas voir, il n’y a plus rien.
En effet, le lieu est presque vide. Ne restent que des radiateurs électriques et des extincteurs à vendre, de la vaisselle à donner et un tas de rebut pour lequel la déchetterie demande trois cents euros. Ce que je trouve le plus désolant, ce sont les lettres arrivées pour chacune des structures, triées sur une table.
Je ressors. Sylvain et Jonathan m’expliquent les circonstances de la fermeture. Et comment depuis le début les copropriétaires, parmi lesquels un ancien procureur de la république, leur ont fait des difficultés, notamment à cause des concerts. Il avait été tenu compte de leur tranquillité troublée, ceux-ci avaient lieu plus tôt et se terminaient avant vingt-deux heures. Cela ne leur a pas suffi. Un repreneur est déjà sur le coup. L’entreprise de décervelage festif qui occupe déjà l’autre partie du rez-de-chaussée veut s’agrandir. Elle pourra relier ses deux moitiés en passant derrière l’entrée des habitants des étages et ça fera la deuxième sortie.
Arrive une des copropriétaires. Elle verse des larmes de crocodile.
-Je vous faisais un petit coucou quand je passais, rappelle-t-elle aux deux garçons.
Elle dit qu’elle aimait bien entendre le piano et que le bruit, elle pouvait ne pas le subir en allant dans une pièce donnant sur la rue. Elle prétend n’être pas informée des soucis créés par les copropriétaires.
Cette femme sait qui je suis et je sais, pour le malheur de ma tranquillité, qui elle est. C’est la guide touristique trilingue à la voix insupportable qui passe trop souvent dans ma ruelle avec son troupeau.
-Parfois, on est celle qui doit supporter le bruit près de chez soi et parfois on est celle qui génère ce bruit et dérange les autres, lui dis-je avant de clairement lui expliquer ce que je pense de ses prestations. Je l’invite à innover en visitant d’autres rues de la ville plutôt que revenir d’année en année dans cette fausse rue du Moyen Age avec laquelle elle mystifie les touristes.
Elle prétend ne pas savoir où j’habite exactement. Se dit prête à claironner un peu plus loin.
-Vous en gênerez d’autres, lui dis-je, et il n’y pas que le bruit, il y a aussi l’obstruction, on ne peut plus passer quand vous et vos collègues êtes là.
Peut-être me fera-t-elle un petit coucou la prochaine fois qu’elle passera.
Elle monte chez elle avec ses courses. Passe Olive avec une pile de vaisselle. Jonathan s’en va. Je rentre encore une fois à l’intérieur de l’Ubi avec Sylvain. Nous sommes consternés par toute l’énergie gâchée.
En face au bout de la rue Molière les pompiers sont à l’ouvrage sur la plateforme télescopique de leur camion. Une cheminée menace de s’écrouler, des morceaux sont tombés sur le vide grenier.
                                                               *
Un lieu culturel remplacé par un lieu de divertissement, ce serait dans l’ordre des choses du vingt et unième siècle.
                                                               *
Peut-être devrais-je demander le passage de la commission de sécurité dans la venelle quand elle est bloquée par plusieurs groupes de touristes du quatrième âge auxquels s’ajoutent ceux des scolaires de divers âges.
 

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