Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 mai 2017


Les ouvriers sont de retour dans les chambres du quatrième étage de l’Hôtel de Bretagne, ce lundi soir, mais ce n’est pas avec eux que je petit-déjeune ce mardi matin car ils se lèvent à cinq heures trente. L’homme qui me tient compagnie dans le semi sous-sol, à sept heures, porte un joli polo bleu ciel. Dans son dos est écrit Gendarmerie Maritime.
J’ai le temps, avant mon départ, d’aller saluer la mer. Elle m’offre un ultime spectacle, celui du croisement de deux cargos l’un entrant, l’autre sortant, derrière le monument commémorant le débarquement américain de mil neuf cent dix-sept. Depuis hier, Saint-Nazaire est pavoisée en prévision de The Bridge, la célébration du centenaire de l’évènement, pour laquelle on espère ici le Président Macron.
Vous avez passé un bon séjour ?, me demande l’hôtelière lorsque je lui remets ma clé. Elle semble avoir oublié que par sa négligence j’ai failli me retrouver sans chambre la première nuit.
Je remonte l’avenue de la République jusqu’à la gare à l’horloge sans anguilles et m’offre un café à un euro au Péhemmu Couleur Café où l’une des serveuses après avoir terminé son travail prend un verre de blanc de l’autre côté du bar. Il est dix heures.
Un moderne Téheuherre m’emmène à Nantes où, voie cinquante-deux, le Tégévé pour Montparnasse est en place. Arrivé dans la capitale, comme j’ai du temps avant mon train pour Rouen, je fais le détour par le Book-Off de Quatre-Septembre. Les six livres à un euro que j’y achète ont pour avantage de n’être pas pesants.
                                                                 *
Mon compagnon de voyage, François Truffaut, à propos de ses vacances dans la région :
Ces premiers jours de vacances furent assez lamentables ; départ sans enthousiasme mercredi après-midi, coucher à Nogent-le-Rotrou ; flotte et grisaille. Le lendemain, étape Nogent-le-Rotrou – Rennes, avec grisaille et flotte ; mauvaises nuits, mauvais hôtels, regrets de Paris, etc. Troisième étape : Rennes – La Baule, celle-ci tellement déprimante que nous n’y avons fait que passer ; coucher à Carnac sous la grisaille flottante.
« Bigre, bigre » murmurions-nous déjà, à deux doigts de rentrer aussi sec à Paris. Puis, à l’écart de Concarneau, nous avons dégoté « La Belle Etoile », paradis bourgeois, mais paradis quand même, lieu de repos et de méditation où l’on vous soulage bien vite de tout le fric qui vous alourdit la démarche, moyennant toute sortes de douceurs et d’attentions. Comme Madeleine s’obstine cependant à « faire la Bretagne », nous quitterons cette retraite quasi hawaïenne mardi main pour nous enfoncer plus avant dans le Finistère et au-delà. (Lettre à Marcel Moussy, dimanche onze août mil neuf cent cinquante-huit)
                                                                 *
Recevoir la flotte, rentrer aussi sec.
 

30 mai 2017


Après une bonne nuit dans un Hôtel de Bretagne devenu quasiment vide, ma dernière journée en Loire-Atlantique commence sous la pluie qui heureusement cesse avant l’arrivée du bus U Trois à Saint-Marc-sur-Mer où je reviens voir Monsieur Hulot.
En ce lundi d’après le pont, il est complètement seul sur la Côte d’Amour. Je lui suis une sorte de double, en moins lunaire. Je prends un café verre d’eau au Phil’Good, bar musical (changement de propriétaire), et y termine ma lecture de la Correspondance de François Truffaut dans l’édition du Livre de Poche, sept cent cinquante pages et la mort à cinquante-deux ans.
Je vais ensuite marcher de chaque côté de Saint-Marc-sur-Mer par des portions de sentier que j’avais manquées précédemment. La côte est superbe et sauvage, l’horizon brumeux à souhait. On voit les rouleaux de la mer foncer la tête la première et fracasser leur crinière devant les restaurants déserts. La fin de la chanson de Léo Ferré est au fond de ma pensée.
Sur l’un des panneaux explicatifs, je lis que Jacques Tati avait fait dresser un phare au bout de la jetée. C’est exactement là où j’ai fait pipi dans l’océan l’autre jour. Il faudra que je revoie son film.
Revenu au-dessus de la plage dite de Monsieur Hulot, je fais une pause sur un banc à peine sec. Des retraités descendent de voiture pour considérer le paysage :
-Tonton Dédé, y venait souvent par-là, y trouvait ce petit coin mignon et il avait raison.
A midi, c’est retour au France et à une table « en bordure » comme dit le personnel, parmi lequel cette fois un moustachu qui porte le ticheurte « Captain ». La jolie petite serveuse est présente. C’est elle qui m’apporte la demi-bouteille de muscadet que j’ai commandée. Elle la débouche avec dextérité et me fait goûter. Elle m’apprend qu’elle n’est pas espagnole comme je le supposais mais brésilienne. « Le Brésil, le pays du soleil », me dit-elle en regardant d’un air navré le paysage brumeux. « Parfois, c’est bien aussi comme ça », lui dis-je. Elle en convient (toujours donner raison au client).
Je choisis le hareng pommes à l’huile, puis pour me réhabituer, la pintade rôtie à la normande, enfin le fraisier. La salle se remplit d’habitués dont certains venus pour la Fête des Mères avec un jour de retard (je n’ose penser que la cause en est le menu plus cher le dimanche). Près de moi mange un homme seul, du type inspecteur des impôts. Il ne prend son café que lorsqu’il a fini la lecture de son Ouest France, commencée par le supplément sportif. La pintade est délicieuse.
Je prends le café au Phil’Good dont le patron nettoie les vitres.
-Hey chouchou, ça t’embête pas de faire les carreaux ?, lui dit sa serveuse qui auparavant travaillait à Pornichet.
-Non, ça me détend.
-Moi, je connais d’autres choses qui détendent.
Voilà une affaire qui commence bien.
Je rentre par un U Trois, passant pour la dernière fois au pied de la tour de dix étages au sommet de laquelle j’ai dormi pendant dix nuits. J’en descends à la plage de Villès Martin afin de parcourir encore une fois pédestrement la promenade de « Saint-Nazaire, une ville à la mer ».
                                                          *
Le « Captain » du France à un trio vieillissant composé de deux femmes et d’un homme : «  C’est bien deux chèvres et un hareng ? » Traduire : «  C’est bien deux salades de chèvre et un hareng pommes à l’huile que vous avez commandés ? ».
Pourtant, l’homme ressemble assez à un hareng et elles deux à des chèvres.
                                                          *
-Dans la famille, on en a eu des surdoués, des neveux, et tu sais où ils se sont retrouvés ? Au Lycée Expérimental de Saint-Nazaire, là où y a tous les rebuts. » (un prétentieux qui se fait offrir son repas par celui avec qui il a déjeuné, lequel demande une fiche)
                                                          *
-Non ça ira, c’est gentil.
Façon pour l’un de refuser un café proposé par la serveuse à la fin du repas. Comme si celui-ci était offert.
                                                          *
A la Maison de la Presse, sur un mur, encadrée, la une de Libération annonçant la mort de Jacques Tati : « Les vacances définitives de Monsieur Hulot ».
 

Cette fois, je suis dans la chambre qui aurait dû être la mienne dès la veille, l’une des plus négligées de l’Hôtel de Bretagne, deux panneaux de douche sur trois, plus de rideau à la porte-fenêtre, pas de sèche-cheveux, et dont les toilettes sont à l’autre bout du couloir, mais elle n’est qu’à quarante-quatre euros (soixante en saison) et dispose d’un balcon comme ses voisines moins démunies et moins déglinguées du quatrième étage.
Je ne peux mettre le pied sur ce balcon au réveil car ce dimanche il pleut dru. Au point que j’attends onze heures pour sortir. Je fais un dernier tour du côté du port où, à la faveur d’une éclaircie, je grimpe jusqu’au belvédère installé sur le toit de la base de sous-marins. On y a vue sur l’ensemble du bassin portuaire et sur le fameux pont de Saint-Nazaire, l’occasion d’une dernière série de photos.
Pour déjeuner, je retourne au Dolmen, après être passé devant celui, authentique et entouré d’immeubles, qui donne son nom au restaurant de Marie-Jo. Elle y est seule quand j’arrive mais à peine suis-je installé que se présentent des habitués de l’autre jour. Je choisis la salade tiède de fruits de mer, la tranche de gigot grillée avec purée, fromages, salade, tarte aux pommes de la maison et vin merlot. Chez mes voisins et voisines, on se demande si Alfred viendra. D’autres viennent, également connus ici. Sur un mur, entre deux portraits de Johnny Halliday, est inscrite la devise du Dolmen : « On y mange bien/On s’en souvient/On y revient ». Nous sommes huit à avoir de la mémoire. C’est beaucoup pour l’hôtesse. Handicapée par sa lourde boiterie, elle fait seule la cuisine et le service en salle. Je fais preuve de patience entre deux plats. Grâce à la conversation de mon voisinage, je m’instruis, apprenant par exemple que la patate nouvelle vient de Noirmoutier.
Finalement Alfred débarque mais, contrairement aux autres, il ne salue pas l’ensemble de la salle. Ça m’aurait plu d’avoir le bonjour d’Alfred.
Cette arrivée ranime celui en face de qui il s’assoit :
-Vous le connaissiez, celui qu’est mort dans not’coin ? demande-t-il à cet Alfred qui lui répond qu’il ne connaît que les gens de sa rue.
-On ne devrait pas mélanger les touristes et les gens comme nous, les retraités, déclare hors de propos la femme du couple déjà là jeudi.
Elle et lui ont à se plaindre de résidents secondaires. Une fille qui fêtait ses dix-huit ans en faisant autant de bruit que pour un mariage. Il y a un laisser-aller généralisé.
Bien que Marie-Jo coure partout (si je puis dire), le repas s’éternise. Il est presque quatorze heures à la pendule Johnny Hallyday quand je termine mon café.
Dès que j’ai passé la porte, ces messieurs-dames et la courageuse restauratrice doivent en dire long sur mon compte.
La pluie a cessé mais il fait gris et lourd, de quoi donner envie d’aller passer un bon moment au bord de la mer à lire les lettres de François Truffaut. Ce que je fais après être repassé par ma chambre et y avoir trouvé celle qui les remet en ordre. Personne d’autre à cette heure, clients dehors, hôteliers en pause.
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Les balcons du quatrième étage de l’Hôtel de Bretagne sont séparés les uns des autres par des murets facilement franchissables, de quoi permettre une visite nocturne sans passer par le couloir.
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Au petit-déjeuner, des motards habillés façon Hells Angels. Ils ne peuvent boire le café sans sucre.
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Il y a des filles, rien que leur façon de se moucher, ce serait tout de suite non (la question ne se pose pas mais…).
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Femmes du bord de mer en pantalon blanc. Est-ce ce vêtement qui leur donne l’air vulgaire ou bien est-ce parce qu’elles sont vulgaires qu’elles l’ont choisi ? Quelques-unes le portent bien.
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Marie-Jo à ses habitués de sexe masculin quand elle dépose un plat sur leur table : « Tiens, mignon ! »

 

28 mai 2017


La chambre qui m’a été attribuée au détriment d’un autre est au quatrième étage de l’Hôtel de Bretagne. Elle bénéficie d’un balcon qui donne sur l’avenue de la République, laquelle aboutit logiquement à l’Hôtel de Ville de Saint-Nazaire. Celui-ci est visible en tournant la tête à droite. Dans la même direction, au loin, je vois un petit bout de mer. Ce balcon dispose d’une table ronde métallique et de deux chaises en plastique. C’est l’endroit parfait pour écrire le soir à la fraiche.
La nuit de vendredi à samedi est calme mais vers sa fin tombe la pluie. Elle cesse heureusement au lever. Sous un ciel très gris, je rejoins la gare pour y prendre à neuf heures le Téheuherre qui va au Croisic. J’en descends au Pouliguen, juste après La Baule, et suis les flèches qui indiquent le port.
S’il est un port niché, c’est bien celui du Pouliguen. Il s’enfonce loin dans la côte. On y trouve surtout des bateaux de plaisance mais aussi quelques-uns appartenant à des pêcheurs. Le long des quais, ce sont surtout des restaurants.
Je fais le tour de ce vaste port et arrive à la plage de Nau d’où l’on voit celle de La Baule. On peut alors, par un sentier côtier, rejoindre Batz-sur-Mer mais dès l’attaque il faudrait rejoindre la route pour contourner une propriété privée et cela me décourage.
Je rebrousse et entre à l’intérieur du Pouliguen. J’en photographie l’église dont l’orgue est derrière l’autel. Entre celle-ci et la halle qui abrite le marché du matin vers lequel converge une population à cabas, se trouve un hôtel charmant : Le Mondès. J’y bois un café en terrasse et y lit Truffaut, cependant que les nuages noircissent et que la température chute. La crêpière d’en face, qui sort ses tables, en est démoralisée :
-J’ai même pas voulu regarder la météo.
Les arrivés du jour à qui on avait promis un ouiquennede estival sont dépités. « Je t’assure qu’hier, il faisait trente degrés », leur disent ceux qui y étaient.
Vers onze heures trente, je réserve une table donnant sur le port au Café Jules « popote de la mer », quai Jules-Sandeau. L’endroit, moderne, me plaît, sa proposition de menu à dix-sept euros quatre-vingt-dix aussi, les serveurs ont l’air sympathiques. Je refais un tour sur le port, tandis que le soleil essaie de poindre.
Il est à peu près là quand je m’installe et commande d’emblée un pot de chardonnay qui m’est livré avec des toasts et un petit pot de terrine de poisson. La terrasse et l’intérieur sont bientôt emplis d’affamés, dont une grande famille malgache. La question qui refroidit certains arrivants est : « Vous avez réservé ? ».
Après de bonnes rillettes de poisson en profiteroles, je déguste une excellente tranche de rôti de port confit accompagnée de pommes de terre grenaille. Le dessert est à mon goût aussi : un carpaccio d’ananas.
Le café, je le prends à la terrasse du Mondès dont je suis le seul client, y lisant tranquillement Truffaut qui dans une longue lettre règle son compte à Godard.
A Saint-Nazaire, au retour, il fait lourd. L’avenue de la République est quasiment déserte, pourtant officiellement la plus commerçante de la ville. Elle périclite au point que la municipalité rachète certaines boutiques dans l’espoir d’y installer de nouvelles activités : « Ici prochainement, un nouveau commerce ».
                                                           *
Au Pouliguen, sur la page de Nau, le resto bar Be Beach. Un peu plus loin, sur le port, un intrus parmi les restaurants : une librairie, qui ne dit même pas son nom.
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Il n’y a plus guère qu’au Pouliguen que l’on prononce le nom de Jules Sandeau (à qui George Sand doit le sien). Il y vécut un peu et y situa l’action de son roman La Roche aux mouettes.

 

27 mai 2017


Rien qu’à voir la tête de la patronne de l’Hôtel de Bretagne quand je débarque avec ma valise ce vendredi matin, je sais qu’il y a un problème. Effectivement, elle ne m’attendait que demain. Elle prétend que je me suis trompé dans ma date d’arrivée lors de la réservation. Toutes les chambres sont prises et en plus l’ordinateur est bloqué. Je suis certain de moi, l’erreur vient d’elle. Je la lui reproche. Vous vous rendez compte que je ne vais rien pouvoir trouver d’autre à Saint-Nazaire et que je vais devoir rentrer chez moi dès aujourd’hui alors que j’ai déjà un billet de train non modifiable pour mardi prochain. Les clients en salle de petit-déjeuner tendent l’oreille. Elle m’accuse de l’agresser. Je lui dis que je vais rester jusqu’à ce qu’elle ait trouvé une solution. Elle va chercher son mari, qui d’un clic débloque l’ordinateur. Il constate que ma réservation n’est pas seulement décalée d’un jour pour l’arrivée mais aussi pour le départ. C’est évidemment sa femme qui s’est trompée en saisissant les dates. Il ne le dit pas, mais je vois bien qu’il le pense. Il trouve la solution : me mettre pour cette nuit dans une chambre réservée par quelqu’un d’autre.
Cette chambre est à cinquante-neuf euros. Je lui demande s’il peut faire un geste (comme on dit dans le métier). Il refuse, car il n’a fait que déplacer le problème. Il va devoir annoncer ce soir à un autre qui aurait payé ce prix que la chambre n’est pas libre. Je demande à régler tout de suite et à avoir la facture afin de partir l’esprit tranquille.
A dix heures, je monte dans le minibus pour Paimboeuf, commune du bord de la Loire qui eut son heure de prospérité comme avant-port de Nantes jusqu’à ce que la Loire soit désenvasée. Je descends devant la Mairie, sise au milieu de petites maisons colorées construites parallèlement au fleuve. Celui-ci est large et paisible. J’en remonte le cours par le chemin qui le longe jusqu’au Jardin étoilé de l’artiste japonais Kinya Maruyama, une évocation, par de grandes structures en bois dans lesquelles on peut grimper, de la Fête de Tanabata (histoire d’amour entre deux étoiles), des quatre divinités du taoïsme et du conte Train de nuit dans la voie lactée de Kenji Miyazawa. Ce jardin est lamentablement contigu à un parquigne de campigne-cars.
Pour déjeuner, il faut aller à l’autre bout de Paimbœuf. Je reviens sur mes pas à l’ombre, par la rue intérieure. L’Estuaire est un restaurant-bibliothèque situé à l’entrée du parc de la ville. On peut y emprunter des livres et surtout y manger sous des pins aussi odorants que ceux du sud. Dans le menu à dix-sept euros, je choisis les poivrons marinés, la zarzuela et la « tuerie au chocolat », avec un demi-pichet de sauvignon. Des cyclistes en maillot et à lunettes de soleil occupent une table de sept. Pour le reste, ce sont des duos, couples ou non. Près de moi sont deux collègues de travail (Elle : « La Pologne, c’est en Europe ? » Lui : « Oui, mais y a un bout de Russie dedans »).
Après le café, je poursuis ma lecture des lettres de Truffaut au bord de la Loire sous un pin. Il y fait bon grâce à un petit vent coulis. En face, c’est la raffinerie de Donge, je ne serais pas contre une petite explosion pour pimenter mon après-midi, mais on ne peut pas tout avoir.
                                                                *
Je suis le seul des convives du restaurant L’Estuaire à savoir ce qu’est une zarzuela. Souvenir d’un repas en terrasse au bord de la mer à Collioure avec l’une qui me tenait la main. Souvenir aussi de la nymphette aux seins nus sur la plage.
 

26 mai 2017


Ce Jeudi de l’Ascension avant-dernier petit-déjeuner, toujours le même mais bon et copieux, sur le balcon, tout en haut de la tour de dix étages d’où l’on voit la pointe Saint-Gildas et parfois, selon la lumière, l’île de Noirmoutier. Mon hôte m’explique pourquoi il a été méfiant quand je l’ai contacté. C’est parce que je l’ai fait directement, sans passer par un site de réservation. Il a trouvé ça louche.
En ce jour férié, je ne me risque pas à attendre longuement un transport en commun, c’est à pied, par le bord de mer, que je rejoins le port de Saint-Nazaire et précisément l’endroit appelé le Petit Maroc où se tient un vide grenier, moitié sous la halle, moitié à côté. Grâce au ciel (bleu), je n’y trouve aucun livre susceptible d’alourdir ma valise au retour.
J’entreprends ensuite de voir du port ce que je n’ai pas encore vu. Il est quasiment désert en ce jour chômé. Pas par tous car certaines usines sont bruyantes. Beaucoup de grilles qui devraient être fermées ne le sont pas, ce qui me permet d’entrer pour faire des photos là où c’est interdit à toute personne étrangère au service, et même dans un endroit sous régime Vigipirate avec surveillance vidéo. Nul vigile ne me tombe dessus et j’y trouve, arrivés là avec leur voiture, des pêcheurs à la ligne. Que de beaux portiques, de grues élégantes (l’une est originaire du Havre) et de bateaux qui font rêver (l’un nommé Michel). Une sorte de plateforme sur roues dont j’ignore l’usage est siglée Chacqueneau mais hélas Elli n’est pas dans les parages. Je vois passer quelques cyclistes. Un homme fait le chemin dans l’autre sens. Il me confirme que je peux revenir par l’autre côté, où je le croise à nouveau, longtemps après, quand j’en ai presque fini. Une femme touriste accompagnée de son mari me demande avec un accent belge si on peut « aller chez les gros bateaux ». Je lui réponds par l’affirmative. Un panneau m’indiquant la gare, je tourne à droite et arrive à un restaurant miraculeusement ouvert : Le Dolmen, boulevard de la Libération. Combien ai-je fait de kilomètres ? Beaucoup, et je suis encore loin de tout.
Je commande à la patronne du Dolmen un diabolo menthe à boire à l’une des deux tables de trottoir. Un grand ou un petit ? me demande celle que les habitués au bar appellent Marie-Jo. Un grand. Il ne me coûte qu’un euro soixante. En semaine, cette gentille dame qui boîte bas propose un menu à dix euros. Ce jour, il est à quatorze. Je trouve place en salle, laquelle est décorée de portraits de Johnny. Malgré la chaleur, je choisis la douzaine d’escargots et le magret de canard sauce poivre avec frites maison car j’ai besoin de reprendre des forces. Une chopine de merlot, une carafe d’eau, et me voilà paré. Le magret est bon et vraiment copieux. Quatre habitués du repas du dimanche et des jours fériés sont arrivés : un couple, une femme seule, un homme seul.
-Merci maman, dit ce dernier à Marie-Jo lorsqu’elle le sert.
-Le gars est plus vieux que sa mère, commente la femme en couple.
-C’est le progrès, conclut son mari.
Le menu inclut le plateau de fromage avec salade. Pour finir, je commande une pêche melba suivie d’un café. La conversation des habitué(e)s semble avoir été écrite par Madame Michu :
-On est six frères et sœurs et on se voit jamais, qu’aux enterrements.
-C’est souvent comme ça, malheureusement.
Je remercie la gentille et courageuse dame qui va être opérée de la hanche et lui paie vingt euros quatre-vingts. Elle m’indique comment rejoindre le front de mer au plus court. Cela fait quand même un kilomètre.
Là, je me mets à l’ombre sur un banc pour longtemps, à lire la Correspondance de Truffaut.
                                                                          *
Au vide grenier de Saint Nazaire, plusieurs stands ne vendent que le « hand spinner », une sorte de toupie à trois hélices. Ce jeu est à la mode (comme on disait autrefois).
-Pendant qu’il joue à ça, il est pas devant la console, se réjouit une mère.
                                                                          *
Rien à reprocher à mon hôte qui comme je restais longtemps m’a fait un prix, cinquante euros la nuit au lieu de cinquante-cinq (petit-déjeuner inclus), hormis ses ronflements, qu’il ignore, et sa propension à écouter la télé plus fort que nécessaire. Il a fait des efforts, parfois. Allant même, un soir, jusqu’à mettre des écouteurs. Oui, mais il regardait un film comique et s’esclaffait régulièrement.
                                                                         *
Du temps que je regardais des films à la télévision, jamais je ne riais ainsi. Il faut sans doute être extraverti.
 

25 mai 2017


Holidays, oh holidays, chante Michel Polnareff dans le minibus de neuf heures quinze que je prends encore ce mercredi, cette fois pour atteindre son terminus : Préfailles, l’endroit le plus à l’ouest du Pays de Retz. Avec les détours, cela fait une trotte d’une bonne quarantaine de kilomètres. Un jeune couple en tenue de plage l’occupe à lire le Recueil des Prières Miraculeuses dont des passages sont surlignés en jaune fluo. C’est elle qui tourne les pages, lui suit.
Après avoir passé Pornic, je suis seul avec le chauffeur. Je descends à l’ancienne gare de Préfailles, transformée en garderie pour enfançons.
Une autochtone à clavicule cassée m’indique de quel côté trouver la mer. Je passe devant les commerces du bourg et prends le chemin de la corniche qui mène à la pointe Saint-Gildas. Cette marche facile de deux kilomètres me donne à voir au loin l’île de Noirmoutier.
Il fait chaud et pas un poil d’ombre, j’arrive un peu cuit au bout de cette pointe pas bien pointue. On y trouve un sémaphore, une table d’orientation, un port de plaisance et une jetée dont l’extrémité est accaparée par des pêcheurs qui ne se foulent pas. Ils lancent un petit filet rond attaché à une corde et le remontent avec rien dedans. Comme il est presque midi, je vois arriver les glacières. Cette réunion masculine est l’occasion de boire un petit coup. En face, au loin, de l’autre côté de l’estuaire, c’est Saint-Nazaire. Je devine l’immeuble de dix étages où je vais encore passer deux nuits.
Les quelques restaurants du bout de la pointe ne sont pas sensationnels. Je choisis le Saint Gildas. La patronne m’explique que c’est le premier jour de travail du petit jeune homme qui l’accompagne et qu’elle va lui montrer comment prendre une commande en se servant de moi comme cobaye. Je souhaite bon courage à ce néophyte. Cela ralentit un service déjà peu nerveux car le patron patronne au bar et une petite jeune fille n’est là, semble-t-il, que pour plier des serviettes en papier. Vue sur le port certes, mais longue attente de plats sans attrait : une marinette de sardines sur salade verte et une brochette de volaille frites maison. Avec le demi-pichet de cidre sec, cela me coûte dix-huit euros.
Je ne traîne pas sur la pointe car des nuages peuvent faire penser à un futur orage. Longeant la mer dans l’autre sens et dans un air lourd, je n’y croise pas grand-monde. A l’arrivée dans le bourg, je m’assois en terrasse pour un café verre d’eau au restaurant L’Entre-Potes. A Préfailles on cultive le jeu de mots navrant, un autre restaurant se nomme Le Cata Marrant et le salon de coiffure Vent Contr’Hair.
Mon minibus de retour est celui de quinze heures vingt-cinq. Il file sur la deux fois deux voies puis perd son temps dans un détour et recommence l’opération autant de fois qu’il est nécessaire avant d’atteindre le pont de Saint-Nazaire où la circulation est dense. Bientôt commence celui de l’Ascension. L’affluence est attendue sur toute la Côte de Jade et ailleurs. C’est un avant-goût de ce que les commerçants appellent la saison. Je me demande comment va s’en sortir le petit jeune homme du Saint Gildas qui ne sait même pas ouvrir une bouteille de cidre.
Ce ralentissement à l’entrée de Saint-Nazaire met dans tous ses états une jeune baroudeuse trop vêtue qui veut assister au départ d’un bateau à énormes sphères jaunes qui doivent contenir du gaz, lequel est déjà entouré des remorqueurs, comme elle le fait remarquer à son compagnon du même style en plus discret. Sitôt le pont passé, elle saute du minibus pour attraper une correspondance pour le phare, lui suit.
                                                                *
Éric Tabarly vécut à Préfailles, une avenue qui va vers la mer porte son nom. Irène Jacob vient s’y reposer dans une maison de famille. On y a vu aussi Paul Ricœur (je ne sais si Emmanuel Macron l’accompagnait).
                                                               *
Sur la promenade vers la pointe Saint-Gildas, une jeune nounou (comme on dit) à l’un de ses amis à propos de la moutarde dont elle a la garde, présentement assise en poussette : « Elle a le caractère de merde de sa mère et le côté je veux tout faire quand j’en ai envie de son père. »
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Une branlotine au téléphone ce mercredi matin dans le bus U Trois qui me mène à la gare : « T’as pas le résultat de l’exercice numéro deux ? Anna l’a mis sur Snap mais je comprends rien. Tu l’as pas fait ? Bon tant pis, je le ferai pendant le cours de maths et je finirai à la récré. Ma mère, elle m’a dit qu’elle me changerait de collège si je me ressaisissais pas. » Elle descend à Saint-Louis.
« En référence au Projet Mennaisien et à notre projet d’établissement, le Lycée Collège Saint-Louis est donc pour les élèves « un lieu où ils peuvent s’instruire et développer le meilleur d’eux-mêmes ». (Le Directeur)
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Vivre à Sainte-Marie-la-Mer, impasse de la Douterie.
 

24 mai 2017


Il est neuf heures et quart, ce mardi quand je monte dans le minibus pour Pornic par Saint-Brévin-les-Pins et Saint-Michel-Chef-Chef en compagnie de quelques autres. Le trajet suit le bord de mer à Saint-Michel-Chef-Chef qui pourrait aussi bien s’appeler Longue-Longue-Plage. «Femme conducteur d'autobus/Forte des halles, vendeuse aux puces/Qu'on a envie d'appeler Georges/Mais qu'on aime bien sans soutien-gorge.», chante Michel Sardou dans notre autobus conduit par une femme qui aime Radio Nostalgie.
Arrivé à dix heures à Pornic, je descends devant la Gare. A côté, c’est l’Office du Tourisme où j’entre illico pour me procurer un plan de la ville et surtout que l’on me rappelle l’adresse de Ker Miaou, la maison où Paul Léautaud venait en vacances chez son amante Madame Cayssac (qu’il surnommait le Fléau) et son mari défaillant (qu’il surnommait le Bailli).
Suivant les instructions, je grimpe la très pentue rue de la Source imaginant Léautaud faisant le même trajet encombré de ses bagages et des paniers de chats de sa maîtresse. La rue redescend ensuite vers la mer. Je tourne à droite, rue Jean-Courot. Au numéro quarante et un, à l’angle de la rue Rapine, Ker Miaou est écrit sur la barrière blanche. Je suis déjà venu ici avec celle qui me tenait la main, ne songeant pas alors que j’y reviendrais seul. Je fais une série de photos de la maison aux volets fermés et du jardin où rode un chat blanc un peu hirsute, très léautesque
La rue de la Source aboutit à la mer. A son extrémité se trouve l’Alliance Pornic qui fait hôtel, restaurant bio, thalasso et spa (Léautaud en thalasso, on n’y pense même pas). C’est là que débute le chemin qui permet de revenir vers le centre de Pornic par la corniche. Je ne m’en prive pas, admirant les côtes rocheuses parsemées de pêcheries, ces cabanes sur pilotis à filet carré suspendu, que je ne vois jamais être utilisées.
Lénine a passé un mois par ici avec femme et belle-mère en mil neuf cent dix, villa Les Roses, rue Mondésir, je n’ai pas la moindre envie de voir ça.
La ville est belle dans le soleil déjà chaud. Arrivé au vieux port, je passe de l’autre côté, où sont la plupart des restaurants et des commerces à touristes. A l’ombre d’un parasol chez Cœur et Crème, je commande un café.
-Voici, monsieur, deux euros, s’il vous plaît.
Le Guide du Routard deux mille douze, dans sa rubrique « Où manger », recommande le restaurant L’Estaminet, rue du Maréchal-Foch. Sur la porte, une affichette m’apprend que j’arrive trop tard : « Suite aux problèmes de santé de François, nous sommes contraints de cesser nos activités. »
Je me rabats sur le Café Restaurant du Port situé à l’extrémité de celui-ci avec vue jusqu’au château. L’endroit est plus classe que ne le donne à supposer son nom. Le verre de sauvignon que l’on m’y apporte ne fait pas forcément les douze centilitres annoncés. Les Saint-Jacques en salade n’ont rien à voir avec celles de Dieppe. Le filet de merlu baigne dans une sauce blanche. Il est accompagné d’une boule de riz toute sèche. Le pain est médiocre. Le serveur pourtant sous-employé (nous sommes deux dans la salle et deux autres mangent au soleil dehors) m’oblige à lui rappeler que j’attends une carafe d’eau. Le dessert est un sabayon aux fraises. J’évite le café. Ma carte bancaire est débitée de dix-huit euros quatre-vingt.
Je vais voir les rues et les maisons de la ville haute où se tient l’église Saint-Gilles et trouve, place du Marchix, la terrasse pour me plaire, celle du Balto dont le café est à un quarante. J’y lis les missives de Truffaut, refais un tour sur le port, puis reviens au Balto pour un diabolo menthe à deux cinquante avant de faire la route dans l’autre sens.
                                                               *
Pornic qui offrait jusqu’à la fin de la guerre, et deux ou trois ans encore ensuite, un endroit à peu près tranquille, est envahi maintenant et de plus en plus par plein de maisons nouvelles. Ker Miaou est entouré maintenant de toutes parts de voisins, une raison de plus pour ne pas m’attirer. Où aller, pour fuir tout ce bruit, tout est envahissement, tous ces baragoins, toute cette montée de vulgarité. (Paul Léautaud, Journal littéraire, vendredi sept juin mil neuf cent vingt-neuf)
 

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