Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

6 octobre 2025


Après la tempête, voici le triathlon. Des interdictions de stationner et des barrières. Pas de cars BreizhGo. Heureusement, je n’ai plus besoin d’aller à Binic le dimanche, Saint-Quay vivant tous les jours. Malgré le grand nombre de maisons inoccupées, tout est ouvert côté boulangeries, cafés et restaurants. A huit heures, en ce qui concerne le Quay des Brunes où sont attablés des pêcheurs et l’huîtrier du dimanche.
Deux kilomètres, c’est la distance entre la plage du Casino et Port d’Armor par le Géherre Trente-Quatre, que je parcours toujours avec le même plaisir. La mer est chaque jour renouvelée. Ce matin plus agitée qu’hier durant le gros vent. Pendant que le soleil se lève à l’est, une portion d’arc-en-ciel se fait voir à l’ouest.
Le dernier escalier descendu, je vois que le Poisson Rouge est fermé. Il est fluctuant dans sa sortie du bocal. Je m’assois face au Port du Portrieux, le port d’échouage. C’est marée haute, ça flotte. Parmi tous les bateaux blancs, un vert, un rose, un jaune, un bleu.
Comme je me refroidis, je décide d’aller au bout de la pince inférieure de Port d’Armor (l’autre est réservée aux professionnels de la pêche), une digue à circulation automobile, mais le dimanche matin, peu de mouvement. Sur ma droite, le port d’échouage. Sur ma gauche, le port de plaisance et le port de pêche.
Au retour, L’Ecume m’accueille à sa terrasse ensoleillée. Le dommage est la vue sur les voitures garées. « Les gens heureux lisent et boivent du café », lis-je sur le mur de la véranda avant de quitter le lieu. Le titre du premier roman d'Agnès Martin-Lugand, qui habitait Rouen à cette époque, a fait florès (comme on dit).
Par l’intérieur du bourg, je rejoins la boulangerie d’en bas de chez moi et achète un suédois au thon et un gâteau à la rhubarbe pour six euros quatre-vingt-dix. Je continue jusqu’au Quay des Brunes qui, sans l’afficher, maintient l’entente avec l’huîtrier du dimanche pour une formule six huîtres et un verre de muscadet à dix euros. A peine ai-je terminé qu’une drache me chasse de la terrasse.
Une sono épouvantable rend les abords de la plage du Casino insupportables. Ça nage, ça court, ça pédale, ça tient à le faire savoir. Je fuis par l’intérieur et rejoins le bord de mer par la rue de la Comtesse. Un banc jaune que j’essuie me permet de manger mon suédois en pensant aux amis de Stockholm puis mon petit gâteau. Des promeneurs du dimanche me demandent des conseils pour rejoindre le Kasino et ne les suivent pas. Passent une putain de famille « On saute pas ! On saute pas ! » « On avait dit de pas sauter ! » et quelques triathlètes à l’entraînement.
Avant une nouvelle averse, je rejoins L’Ecume afin d’y jouer le rôle qui est le mien à la petite table du coin. Celui d’un gens heureux. Le soleil est revenu. Je termine Ravel, l’évocation des dix dernières années de la vie du compositeur par Jean Echenoz. Dommage qu’il n’ait pas appris en lisant Paul Léautaud qu’on ne commence pas une phrase par Mais. Un unique extrait : Reste la possibilité d’aller faire un tour dans le jardin qui est un espace à trois côtés, herbu, pentu, bombé comme un triangle de fille.
                                                                    *
Port d’Armor, la grosse pince comme je l’appelle, a été construit en mil neuf cent quatre-vingt-dix et inauguré par le Tabarly. C’est énorme, démesuré par rapport à l’environnement. J’aurais été contre un tel projet. J’aurais eu tort car, d’une part, il fait maintenant partie du charme de Saint-Quay, d’autre part, il a permis la poursuite de la pêche professionnelle et l’installation de grosses brasseries à prix raisonnable.

5 octobre 2025


On l’entend bien souffler le vent en haut de la Villa Les Marronniers. C’est la tempête anglaise Amy qui nous frôle, accompagnée de pluie. Cela ne m’empêche pas de dormir.
Une très jolie vendeuse à la natte bien faite me vend un pain au chocolat à la boulangerie d’en-dessous, sans doute une étudiante engagée pour les ouiquennedes. Je le mange au Quay des Brunes où l’exubérante Lisa est absente. Quatre gars d’ici animent l’endroit avec leur accent pittoresque. En arrivant l’un me sert la main. « J’ai dit bonjour à l’un, je dis bonjour à l’autre. » « Demain, on va au cochon, on a les caméras, on les voit, ils sont douze. » (Comprendre : à la chasse au sanglier).
Le temps est bien meilleur qu’attendu quand je sors. Amy a tracé sa route et un magnifique ciel bleu m’invite à ma coutumière marche du sentier du littoral dont le terme est la terrasse du Poisson Rouge. Par crainte de la pluie, j’ai laissé Paul-Jean Toulet à la maison et emporté Ravel de Jean Echenoz, trouvé dans la boîte à livres de Binic, qui entre dans ma poche. Avec Echenoz, au moins on est sûr que c’est bien écrit.
Evidemment, le beau temps ne dure pas. Un gros nuage noir venu du côté terre se vide soudain. Et puis ça passe de nouveau au ciel bleu, ce qui me permet d’aller faire un tour au bout du Port du Portrieux.
Je déjeune dans le Port d’Armor, cette fois au Victoria, qui a un menu du jour le samedi : croque raclette, travers de porc breton au curry et tarte aux pommes (vingt et un euro quatre-vingt-dix). Je suis à une table en hauteur avec vue sur le port de pêche. A ma gauche, le seul jeune couple de toute la salle, qui n’aime pas la petite verrine de bienvenue thon avocat et commande des pizzas. Lui en mange la moitié, elle à peine un quart, le restant sera pour des boîtes à emporter. A un moment, elle pique la petite lampe de la table d’à côté pour l’allumer sur la leur. C’est romantique.
Il souffle à nouveau un fort vent quand je vais à L’Ecume pour boire le café. Un vieux couple qui était déjà là hier fait de même. Le serveur ne cache pas qu’il s’ennuie.
Amy n’a pas dit son dernier mot. C’est face aux bourrasques que je rejoins la Villa des Marronniers. Avec tout ça (comme on dit), n’arrivant pas à me connecter à Effe Bé avec mon téléphone, je ne sais pas où en est Marie-Jo dans ses 10 000 km à pied. Elle était à Lannion quand je suis arrivé à Saint-Quay. Elle doit être loin maintenant. Nos chemins ne se seront pas croisés.

4 octobre 2025


J’habite une ville fantôme. Non seulement je suis seul dans l’immense Villa Les Marronniers mais, à la nuit tombée, aucune fenêtre ne s’éclaire dans les rues que je peux observer, côté terre comme côté mer, c’est un appartement traversant. Quasiment personne ne passe dans les rues, que ce soit à pied ou en voiture.
Ce vendredi trois octobre est à la pluie et il fait doux. J’achète deux crêpes (un euro quarante) chez mon voisin le boulanger, puis descends au Quay des Brunes où de nouveaux habitués ont remplacé les habitués d’il y a deux ans. « On est surveillé de partout. » C’est la plainte de celui qui s’est fait contrôler sur son bateau par les Gendarmes hier au Port pour voir s’il n’avait pas pêché. « Les connards », ajoute-t-il. La patronne est brune comme il convient, comme l’est aussi Lisa, la serveuse.
Parcourir le sentier du littoral sous le parapluie, c’est un autre charme que j’apprécie. Il me mène au Poisson Rouge dont la terrasse au-dessus du Port du Portrieux est protégée par un auvent. Le patron, qui vers la fin de mon précédent séjour me tutoyait, ne semble pas me reconnaître. Un expresso et Toulet dans un nouveau fauteuil très confortable tandis qu’il pleut vraiment fort. … le diplomate austro-hongrois si incapable d’aucune conception qu’on dirait qu’il a le cerveau dans une capote anglaise.
Pour déjeuner, j’entre, dans le Port d’Armor, au restaurant Atypic où je ne suis jamais venu. Une serveuse timide, qui oublie ce qu’il y a au menu, s’occupe de moi. C’est terrine de campagne maison aux cèpes et foie gras, pièce de bœuf grillée sauce au confit d’oignons et tarte citron meringuée (dix-huit euros quatre-vingt-dix). La clientèle est populaire « Fais-toi plaisir, on reviendra pas » « T’as pris ton cachet ? ». C’est bon et le personnel est agréable. Cet endroit fait aussi dans la brochette spectaculaire présentée verticalement.
Je bois le café pas loin, à L’Ecume, dont la salle me semble avoir été refaite. On y écoute du reggae et je lis Toulet :
Sur l’étroit escalier de pierre que votre cœur l’écoutait gravir vers vous, cet amas de soie et de lin, de broderie, de dentelle, enveloppait son pas d’enfant d’un murmure écumeux et nourri.
Elle entra, et sur le seuil suspendit un instant le délicieux grimoire de son visage, où vice, candeur, souffrance, se laissaient deviner tour à tour.
La lecture des journaux de voyage de Paul-Jean Toulet achevée, je rentre en affrontant le vent.
                                                                       *
Qu’elle était belle ce matin où elle remontait la rue d’Isly, sous une ombrelle rose que le soleil traversait pour faire jouer sur ses joues une gloire délicate. Ah ! niais que vous êtes ! Vous ne l’avez pas eue, et à quoi bon vous mordre les poings : elle est vieille maintenant. (Paul-Jean Toulet)

3 octobre 2025


Chaque matin, j’espère que le miracle de l’après Colmar va se reproduire et l’écran noir de mon ordinateur disparaître. Il n’a toujours pas lieu ce jeudi matin. Je décide d’emporter l’appareil à Saint-Brieuc afin de le montrer à un spécialiste.
J’achète un pain au chocolat en bas de mon logis provisoire. Il est sept heures trente, le Kreisker, hôtel bar tabac, ouvre ses portes à côté de l’ébouriffante construction triangulaire rose. J’y bois l’allongé (un euro cinquante) et feuillette Le Télégramme. Puis j’attends le BreizhGo de huit heures vingt-huit à l’arrêt Casino.
J’en descends à l’arrêt Les Champs. Je rejoins le Bistrot de la Poste, de nouveau ouvert, un peu repeint, pour un café, en attendant dix heures. Le serveur m’indique une boutique de téléphonie où l’on m’indique le seul réparateur d’ordinateurs de la ville près du Parc des Promenades. L’homme qui me reçoit refuse de me donner un avis. Il faut que son collègue garde l’appareil deux ou trois jours et évidemment ce n’est pas gratuit. Je refuse et me voilà sans solution. J’achète une carte Esse Dé à la Fnaque, ne pouvant plus transférer mes photos de la mémoire interne. Saint-Quay-Portrieux est si photogénique.
Je fais aussi des courses chez U, le magasin Coccinelle de Saint-Quay étant horriblement cher, puis je vais attendre le Deux Cent Un du retour d’onze heures cinquante-deux à La Taverne où Hortense m’apporte un nouveau café. « Lecornu annonce qu’il va augmenter la retraite des femmes, c’est bien ça ! » s’exclame une vieille bourgeoise. Des syndiqués à chasuble passent sur la place. Je découvre que l’arrêt Les Champs et sur le parcours de la manif. Un employé des Tub invite tous les usagers des bus à aller les prendre à la Gare. Heureusement, je suis en avance et arrive là-haut avant le départ de mon BreizhGo. J’apprends le problème à son chauffeur qui téléphone pour avoir confirmation et nous voici partis avec un long détour en périphérie.
Je descends à l’arrêt La Poste à cinquante mètres de mon logis. Je sors de mon sac l’ordinateur moribond et redescends me procurer un bagnat au thon et une part de tarte à la mirabelle (sept euros) à la boulangerie d’en bas. Je pique-nique sur mon banc bleu d’hier soir. Excellente, la tarte.
Par le Géherre je rejoins le Café de la Plage et le trouve à nouveau fermé. « C’est normal », me dit-on à côté aux Valseuses où je prends le café sur un tonneau métallique à siège haut (deux euros). Il fait trop de vent pour lire mais j’y reste jusqu’à ce que ça ferme à quinze heures.
Je trouve un banc abrité entre l’Ile de la Comtesse et Port d’Armor pour me livrer au vice impuni. C’était une des dernières journées d’automne qui inquiètent et charment à la fois, qui sont comme la tristesse après l’amour, quand une femme de trente ans vous embrasse avec désespoir pour retenir plus longtemps ces voluptés qui l’abandonnent. écrit Paul-Jean Toulet.
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Echange de mails, via mon smartphone, avec le fameux Cercle Informatique Quinocéen dont les permanences ne sont pas assurées. On y promet, en cas de panne d’un ordinateur, le prêt d’un remplaçant pour un mois contre vingt-cinq euros pour les non adhérents. C’est affiché sur la porte de l’ancienne Mairie. Les ordinateurs sont indisponibles, me répond-on, sans cacher qu’on n’a pas du tout envie de m’aider.
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Dès qu’il s’agit d’informatique, on n’a affaire qu’à des hommes, et pas aux plus sympathiques.

2 octobre 2025


Une grande maison bourgeoise nommée Villa Les Marronniers, divisée en huit appartements. Mon studio Air Bibi est en haut à droite, au second sous les toits, numéro six. « Vous ne serez pas dérangé par les voisins, m’a dit mon logeur. Ce ne sont que des résidences secondaires et personne n’est là en ce moment. » Effectivement pas un bruit, d’autant que cette villa est en retrait de la rue, dans une cour, derrière la boulangerie.
Celle-ci est fermée le mercredi mais on n’y travaille quand même car c’est l’atelier des deux autres. C’est au Fournil du Casino que j’achète mon pain au chocolat (un euro vingt). Je traverse la place. Disparu Le Mustang, remplacé par Le Quay des Brunes. Refait mais toujours bar à jeux. « Ça fait un an, me dit la volubile serveuse, que ma patronne a repris. Y’a que des femmes ici. » Je lui demande ce qu’est devenu le patron du Mustang. Il travaille dans un garage de motos. Et sa fille ? Dans un café à Saint-Brieuc ou à Guingamp. Je me souviens de cette fille superbe dans sa combinaison de motarde. « A Rouen, m’avait-elle dit, c’est pas loin, vous reviendrez. » Je suis revenu. Elle n’est plus là. Autres absents, les habitués, notamment le super habitué autour duquel les autres s’attablaient, l’habitué en chef.
Une belle journée ensoleillée commence. C’est aujourd’hui l’ouverture de la pêche à la coquille Saint-Jacques. Ça émoustille la serveuse. Lisa qu’elle s’appelle. Vingt-cinq ans. Je sais ça sans avoir posé de questions.
Sorti de là, je vais par l’intérieur au Port du Portrieux. Je passe devant Le Poisson Rouge fermé le mercredi et reviens par le Géherre. Jamais je n’avais vu le large aussi bien. Je distingue parfaitement la maison phare de l’Ile Harbour, premier phare de la baie de Saint-Brieuc automatisé depuis mil huit cent cinquante. A l’arrivée plage du Casino, je découvre le Café de la Plage fermé aussi le mercredi.
Je m’assois sur un banc au-dessus de la plage sur laquelle un engin remonte le sable. Les dégâts du gros orage sont importants et nécessiteront une grosse réparation. Je rejoins par l’intérieur le Port du Portrieux et me dirige vers la guirlande lumineuse de La Marine « bar à vin mangerie ». Je réserve une table pour midi et y bois un café en terrasse. Le dommage, ce sont les voitures garées qui empêchent de voir la mer. C’est là que j’ouvre Toulet. … une Cambodgienne passa, petite, la tête renversée, l’air d’un page, et qui, sous un caleçon bouffant vert, et un corsage jaune d’or, donnait presque immédiate la sensation de sa nudité.
Au menu du jour à La Marine : feuilleté aux crevettes, carbonnade flamande, gâteau aux noix pour dix-neuf euros cinquante. Je quitte cette mangerie content. Au début de la jetée, je m’installe sur le premier banc jaune (des jaunes alternent avec des bleus, les couleurs de l’Ukraine) pour me dorer au soleil face au Port du Portrieux, port d’échouage en bord de plage, et un peu de Toulet : 25 juillet 1903, de Paris. Ah ! quand elle nous reçut seule, qu’elle fut touchante ! Un rouge vif avait soudain envahi ses joues laiteuses tandis qu’avec cette volubilité dont les grandes filles pensent cacher leur embarras, elle expliquait que sa mère allait rentrer tout de suite.
J’y ai, au bout d’un moment, trop chaud et vais prendre un café à La Marine où il y a un poil d’air. Derrière moi, un couple termine de déjeuner, dont l’homme est flatté d’être invité à la réunion de rentrée de Xavier Bertrand à Saint-Quentin.
L’Office de Tourisme m’ayant dirigé vers le Cercle Informatique Quinocéen pour ma panne d’ordinateur, je me charge de celui-ci et me présente à la permanence de seize heures trente du mercredi dans l’ancienne Mairie. Personne.
Mon logis Air Bibi, très bien situé, me permet vers dix-neuf heures par la rue des Marronniers puis l’allée de la Barbe Brûlée d’aller m’asseoir sur un banc bleu au pied de la turquerie dont j’aperçois le dôme par ma fenêtre. A ma droite, l’Ile de la Comtesse éclairée par le soleil. A ma gauche, un peu caché par les arbres, le Sémaphore. Quand l’ombre recouvre l’île, je rentre.
                                                                   *
Ce que je n’avais pas raconté sur le patron du Mustang lors de mon précédent séjour ici, c’est que sa jolie femme, vue une fois, venait de se barrer avec un client. « Ce qui nous a tué, c’est de travailler ensemble. » « J’entends tout quand je suis à l’appart au-dessus, tu crois que je savais pas. » « Il était jamais là quand elle était pas là. » Leur jolie fille restait neutre et discrète quand des habitués lui posaient des questions du genre « On voit plus ta mère ? ».

1er octobre 2025


Un bon moment autour d’un verre d’alcool et du saucisson avec le couple de mes hôtes et leurs deux remuants garçons, lundi soir, dans leur loft ébouriffant, dont on ne devine pas l’étendue de l’extérieur. Une ancienne blanchisserie, apprends-je, d’où la vitrine de mon petit logis qui était la boutique.
Ce mardi matin, je quitte Saint-Brieuc pour aller non loin, à Saint-Quay-Portrieux, endroit où je me plais bien. Pour ce faire, je prends le car BreizhGo Deux Cent Un de neuf heures trente, après avoir une dernière fois petit-déjeuné à La Passerelle et laissé la clé Air Bibi dans la boîte aux lettres.
Le soûlant quand on voyage en car avec une valise, c’est qu’il faut la fourrer dans un coffre latéral, puis direction Paimpol. Il fait un magnifique soleil. Je revois le Port du Légué de haut, Pordic, Binic, ensuite c’est Etables-sur-Mer et enfin je touche le but.
Je descends à l’arrêt Casino avec la trouille que le chauffeur redémarre avec ma valise. Heureusement non. J’ai rendez-vous avec mon logeur à douze heures quinze, alors direction le Café de la Plage, inchangé, avec sa terrasse de bord de mer au soleil. De là, je fais ma première photo de la superbe piscine d’eau de mer dont le plongeoir se reflète dans le bassin. Je réserve une table pour le déjeuner à une heure indéterminée puis bois mon premier café de Saint-Quay en terrasse près de la belle barrière blanche.
La mer descend doucement dans laquelle trois femmes en combinaison longent la côte. Trois autres en maillot se baignent. Un homme déploie le trépied de son appareil photo au-dessus de la piscine. A la table voisine, un couple. L’homme envoie un message vocal : « On t’a déjà dit de ne pas diffuser ta vie sur les réseaux sociaux, sois un peu prudente. Tu es toujours en procédure, je te rappelle. » Quelques petits bateaux se laissent porter par l’eau. Mon voisin reçoit la réponse puis commente : « J’aime profondément ma fille mais qu’est-ce qu’elle est débile. Elle se croit adulte avec sa psychologie à deux balles. »
Il faut entrer dans la cour du portail en fer forgé vert à gauche de la boulangerie, m’a écrit mon logeur. La boulangerie est celle du milieu du bourg. J’y suis avant l’heure dite évidemment. Comme je le craignais, je reçois un message de sa part m’annonçant un retard de quinze minutes à cause d’un rendez-vous prolongé. Je lui écris de faire fissa. Le Café de la Plage ferme sa cuisine à treize heures trente. Tous ces gens ont des obligations et celui qui n’en a pas les subit.
Un jeune homme très sympathique. Il me présente rapidement le logement, me montre comment utiliser la télé, déplie le canapé-lit à ma demande puis me conduit au Café de la Plage. Au menu du jour à vingt et un euros : rillettes de cochon maison, merlu tagliatelles à l’encre de sèche sauce beurre de cidre et trio de mochi. Je sors de table à quatorze heures, c’est une expérience pour moi.
En sortant, je m’installe en terrasse à la table haute près du lampadaire à goéland qui fut la mienne lors de mon précédent séjour. C’est un lieu qui conduit à observer. Je vois dans le lointain grâce au temps clair et à mes yeux neufs. Pour la première fois, j’aperçois le champ d’éoliennes marines au large de Saint-Brieuc. C’est vraiment loin, il n’y a aucune raison de s’en plaindre. Le goéland est toujours à l’œuvre. Celle qui mange tardivement en fait les frais. Après qu’il l’a ensorcelée, il fonce sur sa table. « Attention, Madame », lui crie le serveur. Trop tard. Je ne sais ce qu’il a chipé, mais il a renversé le verre de vin sur le pantalon de la dame. Le serveur lui en apporte un autre.
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Ouf, je peux à nouveau publier mon journal. L’ami d’Orléans a fait le nécessaire. Las, une mauvaise surprise m’attend. Quand je veux remettre en marche mon ordinateur, comme au retour de Colmar, il ne veut pas redémarrer.

30 septembre 2025


Il fait froid ce lundi, jour de ma fête, lorsque je prends le bus D de huit heures trente-deux, terminus La Ville Hervy. Je descends au même endroit qu’en début de séjour : Place Bellevue. Il ne s’agit pas cette fois de faire le tour de la Pointe du Roselier mais de longer l’embouchure du Gouët, côté Plérin donc, du Phare au Port du Légué.
Le Géherre est là, que je prends sur la droite. Il est durant peu de temps un chemin de terre. Il faut ensuite suivre le bord de route. Un embranchement permet de faire la promenade au Phare. Lequel a pour nom : Feu de la Pointe de l’Aigle. Remonté sur la voie qui mène au port, j’arrive à la hauteur de la Tour de Cesson qui se dresse sur l’autre rive en haut de la butte. Il s’agissait de protéger l'embouchure du Gouët et la ville de Saint-Brieuc des attaques de pirates et autres agresseurs. Une ruine aujourd’hui, que je n’aurai entrevue que de loin et c’est bien ainsi. Je longe ensuite l’Ile aux Lapins où l’on ne doit pas voir la queue d’un car on y travaille industriellement. C’est ensuite l’avant-port. Quelques voiliers, plus ou moins abandonnés, gisent sur le flanc car c’est marée basse. J’aperçois, toujours dans le quartier de Cesson, la flèche de la Chapelle Saint Yves et j’arrive au Port de Pêche dont beaucoup des bateaux sont sortis en mer.
Il est dix heures quand j’aborde le Bar Les Mouettes. Le froid me conduit à m’installer à l’intérieur. Une table surélevée qui me permet un œil sur l’extérieur tandis que j’ai l’autre sur Paul-Jean Toulet toujours en voyage. Nous arrivons à Canton. L’hôtel est plein. On nous loge dans une ambulance.
Le ciel bleu gagne du terrain mais les nuages font de la résistance. Ils sont impressionnants dans cette Baie, bourgeonnants et noirs, le plus souvent inoffensifs. Je passe côté Saint-Brieuc, en faisant le tour du Port par le Pont de Pierre et attends sur un banc que Le Quai Gourmand veuille bien ouvrir, c’est-à-dire midi pile.
Mon choix se porte sur le poulet noir breton rôtissoire et ses frites. Auparavant, je me sers dans le buffet d’entrées qui vaut le prix, des produits de la mer frais, variés, bien présentés et renouvelés chaque jour. En dessert, je choisis la tarte coco ananas.
Je traverse ensuite le Port par la passerelle qui a été installée pendant mon repas et rentre avec le premier bus D. Il faut songer à faire mon bagage et si possible régler mon souci du jour : impossible de me connecter au site qui permet de propulser mes écritures dans le monde entier.
                                                                        *
J’aurais pu tricher, ne pas payer le bus grâce à mon ticket visé à la main dans les cars BreizhGo mais cela aurait été bête de prendre une amende le dernier jour de mon séjour à Saint-Brieuc. Évidemment, pas de contrôle ni à l’aller ni au retour.

29 septembre 2025


« Nous pouvons vous proposer de venir déjeuner avec nous demain midi ou de prendre un café vers 14h. Nous sommes également disponibles lundi à 18h30 pour vous offrir un verre. », m’écrit ma logeuse hier après-midi. Je lui réponds que le dimanche pour moi c’est Binic mais que je serai ravi de prendre un verre avec elle et son mari lundi soir.
En ce dernier dimanche de septembre, avant de prendre le car BreizhGo de neuf heures trente, je fais une série de photos de la Gare de Saint-Brieuc et de sa passerelle.
Que des solitaires à bord de ce car au départ. Ils ne portent pas la joie de vivre sur le visage. Pas des touristes, assurément. Je n’en vois quasiment pas dans la Baie de Saint-Brieuc. Quand même, aux Champs montent un duo de filles à sac à dos et une femme avec son enfant. Après Pordic, une brouillasse se met à tomber.
J’ai la chance de trouver ma petite table ronde libre au Narval.. Derrière moi une tablée de huit bicyclistes en maillot jaune de Guingamp, moule bite et chaussures qui donnent une démarche de pingouin. Dès qu’il pleut, on préfère le bistrot au vélo.
Mon petit-déjeuner terminé, je fais une bonne balade au-dessus de la plage puis au long de celle-ci, un peu sous le parapluie, davantage sans.
A midi moins trois, j’entre à La Sentinelle où, je l’espère, m’attend la table réservée. On veut me donner la mauvaise table dans l’entrée. Une personne seule, pas d’ici, quand c’est complet, on essaie de la coller au mauvais endroit. Je proteste, indique la table que j’avais choisie et qui devait être notée. J’obtiens satisfaction. Dix minutes plus tard, madame Labrousse hérite de la table dont je n’ai pas voulu et me jette un regard noir.
C’est le dernier jour d’ouverture avant trois semaines de vacances. Le rubicond Dédé est au comptoir avec son verre de blanc. Il en demande un autre car trois semaines, ça va être long. Il ira ailleurs, j’en suis sûr. La très jolie serveuse n’est pas là mais il en est une autre qui me plaît à cause de son air espiègle. Au menu à dix-huit euros : gratiné de poireaux au chèvre, jambon braisé sauce porto champignons et sabayon aux agrumes.
Il y a un poil de ciel bleu quand je sors de La Sentinelle. Je prends le risque d’une table en terrasse au Narval pour le café. Celui-ci bu, j’ouvre Par les routes et lis ceci : De la branlette j’ai pensé, comme il m’arrivait souvent de penser de beaucoup de livres qui font du faux style. Exactement ce que je pense de son livre à Sylvain Prudhomme. Les épisodes sont de plus en plus invraisemblables. Dans le dernier, l’autostoppeur réunit dans une fête improvisée à Camarade, ceux et celles qui l’ont pris en stop. Une chose inimaginable. Qui irait rejoindre un autostoppeur en traversant la moitié de la France sur une simple invitation envoyée par mail. Ensuite il disparaît pour de bon. Pas de l’autofiction donc, comme je le croyais au début, mais de la fiction sans le moindre intérêt. Je me demande ce que font les livres de cet auteur dans la collection L’Arbalète de Gallimard, où l’on trouve de bons livres, que j’ai lus, signés Michèle Audin, Thomas Clerc, Jean Genet, Noël Herpe, Frédéric Pajak, Hervé Guibert. Allez, hop, retour à la boîte à livres de Binic pour ce roman. Je remets aussi Un été avec Colette d’Antoine Compagnon après avoir noté ceci, tiré de Mes Apprentissages :
Elles sont nombreuses, les filles à peine nubiles qui rêvent d’être le spectacle, le jouet, le chef-d’œuvre libertin d’un homme mûr. C’est une laide envie qu’elles expient en la contentant, une envie qui va de pair avec les névroses de la puberté, l’habitude de grignoter la craie et le charbon, de boire l’eau dentifrice, de lire des livres sales et de s’enfoncer des épingles dans la paume des mains.
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A Binic, au-dessus de la plage, une bite turgescente sert de point de repère aux gens de la mer. L’autre jour dans le car, un trio de branlotins :
On va à Binic
La ville où on nique
(les Alfred Jarry d’aujourd’hui)

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