Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

4 juin 2025


Des averses annoncées, puis des orages possibles, ce mardi, je m’en tiens à un programme restreint : la visite d’Ingersheim, entre Wintzenheim et Turckheim.
La tactique pour avoir une place assise dans le bus F, c’est de le prendre dans l’autre sens à l’arrêt Saint-Joseph. Ce que je fais après avoir petit-déjeuner assis sur un muret près de la boulangerie Eric Colle. Le bus fait une petite boucle et ensuite seulement se remplit de ses scolaires.
Je descends à l’arrêt Théâtre et cherche à retrouver le Crédit à Bricoles. J’ai besoin d’un certain temps et de l’aide d’un balayeur municipal alors qu’il est derrière la Collégiale. Cette errance me permet de revoir les belles rues de Colmar à une heure où elles sont désertes.
De retour au Théâtre, j’attends le bus A, pas celui qui va à Turckheim, son jumeau qui va à Ingersheim. Un simplet s’adresse aux chauffeurs de tous les bus qui s’arrêtent pour leur dire qu’il ne veut pas s’en aller. Deux contrôleurs arrivent. Je leur demande si on peut aller à Eguisheim à pied depuis le terminus de la ligne F comme je l’ai lu sur Internet. Ils ne me le conseillent pas, c’est loin, ça monte, on se perd, on peut facilement se retrouver sur la nationale.
Je descends à Ingersheim Centre. Ce bourg possède un édifice vraiment remarquable : l'église Saint-Barthélémy, de style baroque, dont le clocher roman est à bulbe allongé. C’est unique en Europe.  
En dehors de ça, de fort belles maisons colorées comme partout en Alsace. Je demande à une autochtone s’il y a un restaurant dans le pays. Il y en a deux, un avant le pont et un après le pont. Je vais voir. Le premier est fermé. Le second est invisible.
Un bus retour se présente. J’y monte et descends à Champ-de-Mars, passe réserver chez Meistermann et m’installe à la terrasse du Café Rapp sous un soleil voilé, un café, un verre d’eau et Balzac. Près de moi, deux vieux qui ne se rendent pas compte à quel point ils yoyotent. « Alors quoi de neuf ? » « Rien, la routine, on ne peut pas inventer quelque chose tous les jours. » Ils en viennent à nourrir les moineaux. La fin de leur vie active n’a pas été paisible. L’un qui travaillait en collège ne supportait plus les cris des filles dans les couloirs, il a terminé en burne-août. L’autre n’a pas pu répondre au téléphone pendant un an. La bande-son du jour est constituée de succès des années soixante remixés, de La Belle Vie de Sacha Distel à Le Temps de l’Amour de Françoise Hardy.
Chez Meistermann, au menu du jour c’est salade de cervelas, ribs de poulet et un petit cœur dont je ne me souviens plus du nom. Des restaurants dans lesquels j’ai mangé depuis le début de mon séjour, c’est le seul où l’on cuisine.
Je reprends un bus F et en descends à l’arrêt Manufacture qui dessert un Intermarché. C’est là que je fais mes courses. Il est un peu trop grand à mon goût mais on n’attend jamais à la caisse. Quand j’en ai terminé, j’attends le bus F suivant et arrive avant l’orage. Le ciel est noir, ça va finir par tomber, peut-être.
                                                                  *
A Ingersheim comme ailleurs, des domaines viticoles invitent à la dégustation. Ce n’est pas l’envie qui m’en manque  mais ce n’est pas un endroit où entrer seul quand on n’a pas l’intention d’acheter. Et puis, si j’osais, écouter les explications du vigneron sur chacun de ses vins, c’est au-dessus de mes forces.

3 juin 2025


Un orage dans la nuit, suivi d’averses, d’autres sont annoncées pour ce lundi. Je maintiens mon envie de (re)visiter Turckheim (tout aussi intéressante que Riquewihr et nettement moins touristique, dit Le Routard qui a toujours raison).
Pour ce faire, je prends, en bas de mon logis temporaire, le bus F jusqu’à l’arrêt Théâtre, puis le bus A, dont je descends à République. Deux bus emplis de scolaires de différents âges, dont quelques jolies lycéennes. Ce trajet en bus jusqu’à Turckheim est peu agréable, qui passe par la périphérie moche de Colmar, et bien plus long qu’avec le petit train Fluo de Metzeral.
L’arrêt République est en face de la Porte de France au grand sourire. Celle-ci franchie, je trouve la boulangerie Husser où je me procure auprès de l’aimable boulangère un pain au chocolat et un grand café (trois euros soixante-cinq). Je les consomme sur un banc face à l’ancien Corps de Garde que se partagent l’Office de Tourisme et la Police Municipale. De ce bâtiment sort toujours le veilleur de nuit, devenu attraction touristique.
Je vais voir l’Hôtel-de-Ville et l’église Sainte-Anne puis entreprends le tour de Turckheim par l’ancien chemin de ronde qui passe par la Porte du Brand et par la Porte de Munster. Alors que je m’apprête à photographier cette dernière surgit quelqu’un. C’est souvent ce qui arrive. « Là, il va falloir attendre », me dit celle qui s’approche. « A moins que vous me vouliez sur la photo », ajoute-t-elle. « Je ne le souhaite pas », lui dis-je. « Une vigneronne pourtant ! », réplique-t-elle.
Je reviens par la Grand’Rue qui est dotée de plusieurs maisons à oriel. Elle aboutit au Corps de Garde et à sa fontaine. J’entre à l’Office du Tourisme. Une gentille dame me donne un plan des balades à faire autour du bourg puis je m’assois sur le banc en pierre pour écrire le début de ma journée. Il est bientôt dix heures. Deux classes maternelles sont en sortie. Elles me rappellent mon passé.
Le Restaurant de la Tour est maintenant ouvert. Je m’installe en terrasse et commande un café verre d’eau (deux euros vingt). C’est le moment de sortir Balzac de mon sac Ma chère petite fille, tu n’auras pas grand-chose du Noré aujourd’hui, il est deux heures, j’ai corrigé 2 chapitres et fais 11 feuillets, je suis bien fatigué.
A onze heures, c’est l’averse, que m’évite l’auvent. Une drache phénoménale qui fait rappliquer tous les alentours. Je reste donc lire à l’abri, ayant réservé une table à l’intérieur pour le déjeuner. Passe une autre classe maternelle, des enfants encordés et trempés. « Le Syndicat d’Initiative, il est où ? » demande une touriste.  « Aucune idée », répond la jeune serveuse. J’étais enfant quand les Offices de Tourisme s’appelaient des Syndicats d’Initiative (je me souviens de celui de Louviers).  « Ades et Fils depuis 1936, choucroute navets salés », est-il écrit sur une camionnette venue de Krautergersheim livrer les restaurateurs.
Un peu avant midi se produit une éclaircie. Le vaste établissement est tout en bois à l’intérieur. Je m’assois à la table qui m’est impartie. Pour quatorze euros, la formule du jour impose une tranche de pâté avec carottes râpées et un stèque avec des pommes dauphine et une salade. C’est minimal mais j’aime cet endroit où le personnel fourmille, s’occupant de la même façon des touristes, des ouvriers et des vieux habitués. J’améliore mon repas avec un quart d’edelzwicker à six euros. A la table voisine sont deux frères avec leur mère, à moins que ce soit un couple d’homos avec la mère de l’un d’eux, car j’entends l’un la vouvoyer. L’autre me jette des regards haineux, je dois lui rappeler son père.
                                                                 *
Turckheim n’a pas changé. C’est un plaisir d’être pratiquement le seul à en parcourir les rues à neuf heures du matin. Elle serait parfaite si on y interdisait les voitures.
Pour la visiter, j’ai un joli plan « en relief » dû à Eugène Noack où est dessinée chacune de ses constructions (maisons ou autres).

2 juin 2025


A mon arrivée dans le centre de Colmar avec mon pain au chocolat de chez Schwartz à la main, une Japonaise m’appelle à l’aide rue des Boulangers (où il n’y en a pas). Sa clé est coincée dans sa porte. Elle ne peut pas l’ouvrir. Après plusieurs essais, je réussis à ouvrir mais je dois l’abandonner avec la clé coincée dans la serrure.
Le ciel est redevenu bleu ce dimanche après l’orage d’hier en fin d’après-midi, de l’eau et quelques coups de tonnerre. Moins de bruit qu’en ont fait dans la nuit les feux d’artifice et les claque-sons des fanatisés fêtant la victoire à Munich de l’équipe parisienne du Qatar. A mon lever, à la télé, c’était un défilé de mâles excités par ce qu’ils disent être leur victoire. Je me réjouis de ne pas être à Paris.
J’attends sur un banc de la place de la Cathédrale qu’il soit huit heures. Quand la cloche sonne, je m’installe à la terrasse du Jupiter Café pour un rallongé verre d’eau. Deux Japonaises s’y assoient aussi, simplement pour se faire photographier par leurs maris. Le cafetier d’en face finit d’installer la sienne. A Colmar, on ne peut pas se permettre de laisser les terrasses dehors la nuit, comme à Saint-Raphaël
C’est le premier jour de juin, celui où commence mon abonnement d’un mois aux bus Trace. Je prends le premier B pour Wintzenheim, commune limitrophe de Colmar, à huit heures trente-neuf, près du Théâtre, au quai Deux. Ce bus emporte des évangélistes vers leur lieu de culte. J’y suis seul quand je descends à l’arrêt Mairie.
L’église Saint-Laurent est là aussi, que je photographie. Je remonte ensuite la rue principale quasi déserte. Elle est bordée de temps à autre de bâtiments remarquables. D’autres sont étranges, un Bar Américain (fermé), l’Hôtel Restaurant Cristal doté d’une pancarte « Ouvert par décision du Tribunal », dans lequel j’entre. Une affichette annonce « Restaurant fermé faute de personnel ». Une vieille femme portant un masque anti-Covid bien qu’elle soit seule m’indique son concurrent, Le Bon Coin, près de l’église.
Je continue à monter jusqu’à atteindre la Chapelle Notre-Dame-du-Bon-Secours puis je redescends. Aucun Bon Coin n’est visible près de l’église. Je vais plus bas où est un Péhemmu avec terrasse ombragée nommé Dart’s Café (va savoir pourquoi). J’y bois un café verre d’eau à un euro soixante. Il fait chaud, lourd. Les nuages montent. Un autochtone m’indique comment trouver Le Bon Coin qui est dans un coin un peu caché. Ce n’est pas loin, il faut prendre la route indiquant Logelbach à trois kilomètres.
« C’est déjà complet », m’apprend la dame dont la tête m’apparaît par une sorte de passe-plat donnant sur la rue. Avec un menu du dimanche à dix-sept euros cinquante, ce n’est guère étonnant. En plus, cette winstub est toute petite.
J’attends donc, sur le banc face à la Mairie, le bus retour d’onze heures vingt et une, regardant passer les bicyclistes du dimanche et une anorexique avec un sac Palais de Tokyo. « Je trace en mode sans contact », est-il écrit dans les bus Trace. Les chauffeurs et les passagers sont émoustillés par le passage du ticket en carton à la carte à biper. Je descends à l’arrêt Champ-de-Mars et, faute de force pour aller plus loin, déjeune au Café Rapp d’un bœuf gros sel à dix-neuf euros que je dois payer en liquide car l’orage hier a fait sauter le Tépéheu.
Le bus F qui dessert mon logis Air Bibi ne circule pas le dimanche. Un nouvel orage menace. La chaleur m’épuise. J’ai les pieds gonflés. Il faut pourtant que je rentre.
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Logelbach est un quartier excentré de Wintzenheim. C’est là que Tomi Ungerer a vécu quand il était enfant. Une salle communale porte aujourd'hui son nom, laquelle peut être louée pour les fêtes de famille.
Avant de partir, j’ai trouvé au Clos Saint-Marc, acheté dix euros au bouquiniste fils de bouquiniste, Mon Alsace, texte de Paul Boeglin, dessins de Tomi Ungerer, paru à La Nuée Bleue, où il est bien sûr question de son enfance à Wintzenheim.

1er juin 2025


Sur le banc de la halte ferroviaire Saint-Joseph, je petit-déjeune ce samedi d’un pain au chocolat et d’un café long de chez Eric Colle (trois euros quatre-vingts le tout) en attendant le petit train Fluo de sept heures trente et une, terminus Metzeral. La journée est annoncé chaude, trente-trois degrés en Alsace. Pour l’instant, c’est la fraîcheur matinale. Une fille en tenue de coureuse et une fille à trottinette électrique montent également dans le train. Tout au long du trajet, dans les prés, par-ci par-là, des cigognes.
Je descends à Muhlbach-sur-Munster devant le Musée de la Schlitte qui fête ses cinquante  ans et n’ouvre qu’en été au moment où une montgolfière se pose dans un champ près de la Gare. Je monte voir les deux églises reconstruites après les destructions de la Première Guerre Mondiale, la catholique à clocher à bulbe et la protestante de style néo roman.
Après cette dernière se trouve Au Petit Schlitteur, une boulangerie pâtisserie salon de thé qui ouvre chaque jour à quatre heures trente (six heures le dimanche), un horaire fait pour moi. J’y prends un second petit-déjeuner à trois euros quatre-vingts en terrasse face à la montagne dans laquelle sont des ferme-auberges. Je demande à deux naturels du pays qui fument à côté si elles sont vraiment loin. « Deux heures et demie, trois heures à pied, et ça grimpe ! » Un panneau prévient les bicyclistes que la pente est de cinq virgule vingt pour cent. C’est le meilleur pain au chocolat que j’ai mangé depuis le début de mon séjour.
Je ne sais pas si j’en ai le droit, mais je décide de fractionner mon retour. Il fait déjà chaud quand je redescends jusqu’à la Gare de Muhlbach. J’attends le petit train Fluo de neuf heures vingt et une à une table de pique-nique près d’une basse-cour où un dindon fait la roue. Sur cette table traîne un livre de Musso Que serais-je sans toi ?, titre volé à Aragon, des mots entendus au moins deux fois en ce qui me concerne, et puis …
Le petit train Fluo passe d’abord dans l’autre sens, puis revient. Y monte aussi une femme à panier d’osier. Je suppose qu’elle va au marché à Saint-Joseph. En quoi je me trompe car elle descend comme moi à Munster où c’est aussi jour de marché sur la place devant l’église. J’achète des bananes à deux euros quatre-vingt-dix le kilo puis suis découragé par la file devant le fromager. Ce n’est pas à regretter car un fromage se serait transformé dans mon sac en cervelle de Sancho Pança.
A la terrasse de l’Hôtel Restaurant de la Cigogne, heureusement à l’ombre, je demande un expresso (deux euros dix). Il m’est servi par une dame aimable. Je lis là Balzac Aussitôt La Cousine Bette finie, je vous irai voir, et je reviendrai faire Les Paysans. Beaucoup trop de voitures traversent la ville vers « Toutes directions », parmi lesquelles des Mercedes de collection sérigraphiées « Tour d’Elsass », une giclée de décapotées garnies de passagères à chapeaux.
A onze heures, je me transfère au Parc Hartmann, où je pelais l’autre jour, où j’ai trop chaud aujourd’hui. Je poursuis ma lecture sur un banc à l’ombre. Le surnom que donnent à Balzac Madame Hanska, sa fille Anna et son futur gendre : Bilboquet. Lui-même, quand il parle de lui à la troisième personne se nomme le Noré.
« L’artiste ! », c’est par ce nom que m’accueille l’une des serveuses à l’entrée de Côté Gare. « C’est ce que je vous ai déjà dit l’autre jour. » « Je n’avais pas entendu. » Je déjeune d’une pizza montagnarde à seulement onze euros, vraiment bonne, la meilleure que j’ai mangée depuis longtemps. La serveuse qui me prend pour un artiste me gratifie de son plus beau sourire lorsque je m’en vais. Elle ne manque pas de charme malgré son visage un peu ridé. Elle a du être jolie quand elle était plus jeune.
J’ai une heure pour lire au Parc avant mon petit Fluo de retour. Tous ne s’arrêtent pas à Saint-Joseph. Il ne faut pas se louper, sous peine d’avoir à rentrer à pied de la Gare de Colmar sous le soleil ardent. Je me suis fait raser la tête (…) La chaleur me rendait mes cheveux longs insupportables. raconte le Noré. Je ne suivrai quand même pas cet exemple.
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Comme partout, la nuisance sonore des groupes de motards du ouiquennede. Leurs regards méprisants lorsque vrombissent les moteurs d’une autre tribu. Même dans leur groupe, ils ne s’aiment pas : « Faut toujours que t’attendes le dernier moment pour aller pisser ! ».
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Aucun personnel de bord dans le train Colmar Metzeral. Je ne sais, parmi celles et ceux qui l’empruntent, qui a un billet, qui n’en a pas. Ça n’incite pas à payer.

31 mai 2025


Un plaisir de pouvoir dormir la fenêtre ouverte grâce à la chaleur nocturne, de découvrir que la cloche de Saint-Joseph (ou bien une autre) sonne les heures toute la nuit, d’être réveillé à cinq heures moins le quart par le chant du merlou.
Je rejoins ce vendredi le quai Sept de la Gare Routière sise devant la Gare Ferroviaire pour prendre le car Fluo numéro Cent Six jusqu’à son terminus Ribeauvillé, deux euros avec ma carte Fluo, payables en liquide. Le ticket est rempli à la main par le conducteur. Avec moi dans ce car au départ, une habituée, un couple de touristes étrangers et une femme à qui le chauffeur apprend que le ticket est valable quatre heures. « Je vais travailler », lui dit-elle. « Eh bien, si le travail ne vous plaît pas, vous démissionnez et vous pourrez rentrer avec le même ticket. »
A un rond-point en sortie de ville, nous tournons autour de la copie de la Statue de la Liberté. La même qu’à Barentin, mais ici ça se justifie, Bartholdi est né à Colmar et y a son Musée. Ensuite, c’est la jolie Route des Vins de coteau en coteau. Se succèdent Bennwhir, Mittelwihr, Beblenheim, Riquewhir, Zellenberg, Hunawhir et c’est Ribeauvillé avec ses trois châteaux : Ribeaupierre, Girsberg et Saint-Ulrich.
A l’entrée du pays, on trouve une tour avec cigognes. Ensuite, pour visiter c’est simple, on monte la Grand’Rue bordée de bâtiments remarquables avec passage sous la Tour du Boucher. Parvenu en haut du bourg, avec mes yeux de lynx, je vois bien les trois châteaux. Celui de Saint-Ulrich m’est cher, que j’ai atteint deux fois par un chemin escarpé et épuisant avec l’une et l’autre qui me tenaient la main. Je me souviens en être redescendu une fois poursuivi par l’orage.
Aucune envie d’un tel effort en solitaire, d’autant qu’il fait déjà chaud. Je redescends jusqu’à trouver un bar ouvert. S’Garver Stub, dont la terrasse à l’ombre, est entouré de belles demeures. J’y mange mon pain au chocolat de chez Eric Colle avec un café. Si le personnel néo barbu est froid, le prix de ce rallongé est chaud : trois euros.
Ribeauvillé n’en a pas gagné. C’est devenu un vol-touristes. Fini le temps où le Caveau de l’Ami Fritz proposait un menu du jour (dix euros en deux mille six). Note de ma passagère : « Super bon menu. Délicieux et fort honnête ». Partout des plats hors de prix. Pour un peu, je mettrais les bouts (comme on ne dit plus) et déjeunerais à Colmar mais le prochain car Fluo n’est qu’à treize heures une.
Un banc à l’ombre près de la fontaine de l’Office du Tourisme en bas de la Grand’Rue accueille mes réflexions désappointées. J’y lis quelques lettres de Balzac à sa future femme Voici ce qui me semble certain, c’est qu’il est bien difficile que l’on trouve un maire assez ignare pour marier un naturel du pays avec une étrangère qui n’aura qu’un passeport en russe pour toute pièce.
D’où je suis, je peux observer l’incessant défilé des arrivants : marcheurs à sac à dos, marcheurs à côté d’une bicyclette, familles et groupes en goguette, motards ventripotents, camionnettes de livraison. Un livret est proposé aux enfants par l’Office du Tourisme, ce qui les conduit avec leurs mères (où sont les pères ?) à la fontaine où ils ont à additionner les chiffres d’une date y figurant. C’est l’école qui continue pendant les congés.
Une naturelle du pays est assise sur le banc voisin du mien. Je lui demande où manger sans se faire estamper. Elle me dit que c’est cher partout, que le restaurant à droite est très bien, le restaurant en face pas du tout. Son conseil, c’est d’acheter un sandouiche. Ce que je fais à une boutiquette nommée Au Bretzel auprès d’un employée à l’accueil mécanique, une mauricette alsacienne et un pain au raisin pour cinq euros. Je mange ça sur le banc ombragé en face puis j’y retourne afin de me procurer un rallongé à emporter. Il ne coûte qu’un euro.
Je vais attendre le car Fluo du retour dans le Jardin Public. En face est la Caserne des Pompiers dont les sirènes jouxtent un nid de cigognes. Pauvres petites bêtes ! A peine nées, déjà sourdes.

30 mai 2025


Je l’entends avant de la voir, par le bruit du brûleur, la montgolfière qui est au-dessus de ma tête tandis que je marche vers la Gare de Colmar, un vol ascensionnel le jour de l’Ascension.
A sept heures vingt-sept se présente le train Fluo pour Strasbourg. J’en descends au premier arrêt, Sélestat, après onze minutes de voyage pour trois euros dix, vue sur les villages qui se succèdent dans les vignes au pied des Vosges, et cette fois, je l’ai reconnu, le Château du Haut-Koenigsbourg
De la Gare de Sélestat, il y a huit cents mètres à faire pour arriver au centre ville. Il suffit de suivre la piste cyclable qui passe au pied du plus beau château d’eau que je connaisse, inspiré de l’Art Nouveau.
Je trouve dès l’entrée ce que j’espérais : une boulangerie. Elle se nomme Matthieu Boulanger. Boulanger, c’est le nom du boulanger (un parfait aptonyme). Le gros pain au chocolat est à un euro cinquante. Il est à peine huit heures et à Sélestat en ce jour férié plusieurs cafés sont ouverts, me disent les clients du boulanger Boulanger. Je choisis le Bar à Café, un bar tabac jeux dont la terrasse est au soleil. Le rallongé servi dans un verre en carton coûte quand même deux euros quarante.
J’entre ensuite dans le centre historique par la Tour Neuve, dite aussi Tour de l’Horloge. Je me laisse guider par les flèches au sol pour ne rien louper, l’église Saint-Georges « une des plus belles églises gothiques d’Alsace » selon mon vieux Guide du Routard (hélas, elle est en travaux, échafaudée et fermée), l’église Sainte-Foy « une des plus séduisantes églises romanes d’Alsace » selon le Routard, la Bibliothèque Humaniste dans l’ancienne Halle au Blé « une des bibliothèques les plus riches du monde » toujours selon le Routard, la Tour des Sorcières, l’Arsenal Sainte-Barbe, la Commanderie Saint-Jean avec devant un buste d’Albert Schweitzer, des quantités de belles demeures. Autre curiosité de Sélestat : une rue Paul-Déroulède.
Mon périple achevé, je m’offre un café en terrasse au Grizzl’y, face à Matthieu Boulanger. La  clientèle est locale « On se croit dimanche, comme c’est férié ». Je lis ensuite sur un banc près duquel une jeune femme s’assoit, remontant sa jupe pour offrir ses jambes au soleil. J’en fais une photo sans bouger de mon banc, intitulée The Girl from Sélestat.
A midi, je déjeune en terrasse à la brasserie L’Alsace devant l’Arsenal Sainte-Barbe en haut duquel claquent du bec des cigognes. Les cigognes, c’est comme les montgolfières, on les entend souvent avant de les voir. A côté est la pâtisserie Gross « maison fondée en 1873 » (à vendre). J’opte pour une tarte flambée au munster avec un bol de salade (dix euros quatre-vingt-dix) et une mousse au chocolat (cinq euros cinquante). Cette flamme ne m’enflamme pas, ni la mousse au chocolat, mais l’endroit est idéal.
Au bout de la rue est le Grizzl’y où je prends le café et lis Balzac Enfin, il faut que je fasse le voyage à Metz pour causer avec le préfet, il faut qu’il m’indique lui-même la commune où nous trouverions un maire assez ignorant pour nous marier sans remplir les formalités.
Ensuite tout droit à la Gare pour quitter le Bas-Rhin et retourner dans le Haut-Rhin avec le quatorze heures seize pour Mulhouse. Sur le quai voisin stationne le petit train Fluo pour Salerne. Il part à vide, puis la voix de la Senecefe annonce son prochain départ. Le mien est chargé de randonneurs à sac à dos muni d’un tuyau pour boire en marchant. A l’arrivée à Colmar, je passe par le guichet de la Gare acheter les billets de mon escapade de samedi puis je rentre pédestrement à mon logis Air Bibi, un trajet qui n’est pas pénible mais qui ne présente aucun intérêt.
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« On s’y sent bien. C’est joli. » a écrit sur la page Sélestat de mon vieux Guide du Routard une avec qui je suis passé par là autrefois. 
Ça n’a pas changé.

29 mai 2025


Bien content de trouver Dussourd ouvert à sept heures et quart ce mercredi, n’ayant pas traîné en chemin pour arriver en ville avant la pluie. Le mauvais temps étant promis pour la journée, elle devient idéale pour la visite du Musée Unterlinden, lequel ouvre à neuf heures, ce qui me laisse un moment pour lire Balzac : Cet homme est pis que Normand. Parmi les premiers clients, la patronne qui, installée à une table, lit les Dernières Nouvelles d’Alsace.
Je suis évidemment devant la porte du Musée Unterlinden à neuf heures moins cinq, précédé d’une poignée d’Allemands. Je montre l’intérieur de mon sac, paie quatorze euros, trouve un casier libre pour ledit sac.
Le Musée Unterlinden réunit trois bâtiments, un couvent du treizième siècle, les anciens bains municipaux et l’Ackerhof, du nom de l’ancien corps de ferme du couvent, nouveau bâtiment réalisé par les architectes Herzog et de Meuron relié au couvent par une galerie souterraine qui passe sous la place Unterlinden et le canal. Je débute la visite en tournant autour du cloître par les salles d’art religieux, où sont de très belles pièces, sculptures et peintures, et un retable, celui du maître-autel de la Collégiale Saint-Martin de Colmar de Caspar Issermann, moins connu que l’autre qui est fléché de partout.
Pratiquement personne dans l’ancienne église du couvent devant ce fameux retable d’Issenheim dû à Matthias Grünewald, et à Nicolas de Haguenau pour la partie sculptée, que je vis autrefois bien accompagné et que je revois seul. Entretemps, il a été restauré et semble donc presque neuf.
Quand j’ai bien observé tous ses panneaux, je poursuis ma tournée dans les salles de l’étage et du sous-sol, m’intéressant peu au mobilier local et aucunement à l’archéologie. J’avance ensuite de siècle en siècle. Je note un Cranach l’Ancien. La salle « Art Moderne 1930 1960 » est fermée ce jour « Nous vous remercions de votre compréhension ». La suite est heureusement visible, où j’apprécie, entre autres, deux Picasso, un Soulages et un lot de Dubuffet. J’arrive enfin à La Piscine, fort belle salle munie d’un parquet pour danser. Là est le seul gardien croisé, occupé à régler des problèmes personnels de téléphonie mobile. Il m’offre une minute pour m’expliquer que cette salle, La Piscine, sert pour l’évènementiel. On peut la louer pour son mariage.
Je refais le circuit, à rebrousse-poil. Devant le retable d’Issenheim, c’est maintenant la foule des groupes cornaqués par des guides heureusement munis d’un micro auxquels s’ajoutent des individuels. Une bicycliste a gardé son casque pour la visite.
Il pleut à peine quand je retrouve l’air libre et rejoins le Café Rapp pour un café à l’intérieur près d’une famille emballée dans le plastique translucide d’imperméables de fortune.
A midi, je déjeune au Restaurant Meistermann, « le restaurant des Colmariens depuis 1880, véritable institution tenue par Monsieur Di Foggio et sa fille Selina » : melon au jambon, pot-au-feu et tarte aux pommes pour vingt et un euros. Je n’ai pas moins de sept couverts sur ma table : deux pour l’entrée, trois pour le plat, deux pour le dessert que j’attends longtemps mais cette part de tarte en valait la peine, après un pot-au-feu à la viande tendre. Une moitié de la salle aux beaux lustres est occupée par des Japonais en famille, calmes et discrets, l’autre moitié par des habitués de tous les jours, anciens notaires ou anciens juges peut-être, qui se saluent les uns les autres.
De là, je remonte la rue jusqu’à la Gare afin d’acheter des billets pour demain, jour de l’Ascension, que je préfère passer hors de Colmar qui sera envahie. Pour revenir, je chope la navette gratuite dans laquelle on peut monter quand on veut, il suffit de faire signe au conducteur, mais, je le découvre, qu’on ne peut quitter quand on veut, seulement à des arrêts programmés.
Me voici donc descendant devant le Théâtre et rebroussant jusqu’au Café Rapp. Il fait suffisamment doux pour que je m’installe en terrasse, abrité d’une éventuelle pluie. « Un expresso, monsieur ? » me dit ma serveuse préférée. Je reprends Lettres à Madame Hanska jusqu’à quinze heures trente.
Je rentre sans être mouillé, passant par le souterrain de la voie ferrée près du bâtiment rose en ruine. Un de ma connaissance, plus adroit que moi pour enquêter, ayant le temps de le faire, puisqu’il travaille, m’a appris que c’était autrefois la Brasserie Mutzig.
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Une chose que ne m’avait pas dite la guichetière de la Gare de Colmar quand elle m’a vendu une carte Fluo donnant droit à un an de trains régionaux à demi-tarif, c’est que cette carte est valable aussi pour les cars régionaux du Grand Est. Et voilà donc le billet de car Fluo passant de quatre à deux euros, d’un prix exagéré à un prix raisonnable, et moi certain de la rentabiliser.

28 mai 2025


Direction Metzeral, ce mardi matin, au bout de la Grande Vallée, dite aussi vallée de la Fecht, ou encore vallée de Munster, six euros soixante aller retour. Le petit train Fluo est déjà à quai. On peut monter, même s’il ne part que dans vingt minutes. Les lycéens présents sont externes. « Ça dit quoi ? » « Tranquille ». Une bicycliste ôte sa veste mais garde son casque pour se maquiller. A Turckheim, de l’usine en destruction ne reste que la haute cheminée de briques au sommet de laquelle est un nid de cigognes. Peu à peu, le train se vide de ses passagers. Un certain nombre descendent à Munster. Je suis le seul à aller jusqu’à Metzeral. Il y fait un temps gris et doux.
Le village se trouve sur la droite. Je demande à une autochtone où est le centre. « Bah, le centre… » L’église alors. « Laquelle ? La catholique ou la protestante ? » L’une est près de l’école, l’autre là-haut à la sortie.
Divine surprise, une lumière jaune annonce un bar ouvert à neuf heures moins le quart. C’est celui de l’Hôtel Restaurant Le Soleil d’Or où je commande un allongé pour accompagner mon pain au chocolat de chez Eric Colle. Sitôt terminé, je paie mes deux euros cinquante à l’aubergiste qui est plus sympathique qu’il n’en avait l’air de prime abord. Sans que je le lui demande, il me dit quoi faire ici quand on ne veut pas s’épuiser.
A son conseil, je passe le pont à droite, suis la petite route de la Wormsa vers Mittlach, laquelle longe la Fecht et est bordée de maisons montagnardes. S’y trouvent aussi trois hôtels (tous à vendre). Quand j’atteins le pont suivant, je traverse et reviens par le sentier du Lièvre, un chemin forestier qui domine la rivière jusqu’au cimetière communal, puis c’est l’église protestante au centre du bourg. Tout cela en un peu plus d’une heure, comme m’avait dit l’aubergiste.
Je me dirige ensuite par la route pentue vers l’église catholique de l’Emm. A la fin, c’est un vrai chemin de croix. Tu penses y être, qu’il y en a encore à monter. L’imposante bâtisse en pierre rouge est fermée. Devant est un banc au soleil avec vue sur l’ensemble du bourg de Metzeral, sur le village voisin de Muhlbach-sur-Munster et sur la montagne (le Petit Hohneck notamment). Les cloches sonnent dix heures et quart. Je récupère un moment avant de redescendre. Heureusement que mes pieds ont quasiment dompté mes nouvelles Docs. Pas vu le moindre promeneur pendant mon circuit et personne au pied de l’église de l’Emm. Metzeral est pourtant le point de départ de nombreux sentiers de randonnées balisés par le Club Vosgien. Quelques chiens gueulards dans le pays, et deux chats qui sont venus se frotter à mon bas de pantalon.
De retour au Soleil d’Or, malgré le vent qui s’est levé et alors que le soleil dort à nouveau, je me risque à la terrasse pour un expresso verre d’eau à deux euros. « Alors c’était comment ? » me demande l’aubergiste. Le midi, il a une formule à quinze euros : charcuterie alsacienne et gratin de spätzle au munster. Il m’assure que je peux manger en moins d’une heure. C’est que je veux rentrer avec le petit train Fluo de treize heures sept car le suivant est à quinze heures cinquante-six.
En attendant midi, un peu gelé, je lis Lettres à Madame Hanska De même que j’aime de plus en plus, je hais de plus en plus et ma situation vis-à-vis de moi-même est intolérable. Je suis évidemment le seul en terrasse, et personne n’est à l’intérieur, alors que c’est le seul bar du bourg. A midi moins cinq, c’est la sortie de l’école avec beaucoup d’enfants excités. Je prends place dans la salle de restaurant, rejoint par six ouvriers et quatre locaux. Cette nourriture est assez peu de chose. Pour moi, ça ira. En revanche, pas de quoi nourrir des ouvriers. La pinte qu’ils boivent remédiera à leur éventuelle faiblesse.
Alors que le vent est de plus en plus froid, passant près d’un pré à chevaux, je rejoins la Gare de Metzeral. Le petit train Fluo venant de Colmar s’arrête devant la butée. Quatre personnes en descendent. La conductrice aussi, pour aller s’installer à l’autre extrémité. Nous sommes trois à y monter.
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A Metzeral, j’aurais aussi pu marcher jusqu’au cimetière militaire dit du chêne Millet, appelé ainsi parce que l’auteur de L’Angélus y a dessiné un chêne. Là aussi, j’ai suivi le conseil de l’aubergiste et me suis évité un surplus de fatigue : « C’est un cimetière, rien de plus ».
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Sur le mur d’une habitation de la Wormsa : « Dans cette maison a vécu Anne-Marie Besey Braesch, dernière femme à avoir porté quotidiennement le costume de la vallée de Munster. »
Elle est morte en mil neuf cent quarante-cinq. Ça valait bien une plaque.

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