Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
24 octobre 2017
Ce lundi est la journée où je fais la démonstration que je peux être sociable une fois par an. L’ami de Stockholm est le premier à me rejoindre au Bovary, rue du Bec, vers dix heures moins le quart, puis arrive l’homme au chapeau. Nous prenons un café croissant tout en évoquant divers sujets qui nous tiennent à cœur (comme on dit). Il doit être plus d’onze heures quand arrive la compagne du premier car le serveur, qui a déjà dressé toutes les autres tables en vue du déjeuner, commence à montrer des signes d’impatience. Il ne cache plus du tout son envie de nous voir partir quand nous rejoint un autre couple qu’il serait plus juste de qualifier de duo. Cela tombe bien, il est midi. Nous allons déjeuner ailleurs, à la Coccina, dans l’Espace du Palais. Nous y jouons le rôle de la tablée la plus bruyante. Parler à six, cela relève de la performance. Il est des moments où je m’évade mentalement, notamment pendant un tunnel consacré au cinéma. Un cinéaste dont je ne retiens pas le nom suscite des échanges passionnés. Pour le voir, l’ami de Stockholm serait prêt à aller aux obsèques de Danielle Darrieux à Bois-le-Roi (Eure) ce mardi matin ; car il y sera, assure-t-il. Nul n’est prêt à l’accompagner. A l’issue du repas, le duo va de son côté et, véritable bande des quatre, nous débarquons à la bouquinerie Les Mondes Magiques, rue Beauvoisine. Sortis de là sans achat, nous prenons une boisson chaude au Citizen, rue de l’Ecureuil, dont la clientèle est uniquement lycéenne et où le serveur sitôt le café bu ôte la tasse de la table. Il est seize heures trente quand nous nous séparons. Jamais nous ne sommes restés aussi longtemps ensemble.
*
« On décide d'écrire parce qu'il y a quelque chose qui cloche, sinon on se contenterait de vivre. » Patrick Modiano dans Le Temps des écrivains ce samedi après-midi sur France Culture.
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« On décide d'écrire parce qu'il y a quelque chose qui cloche, sinon on se contenterait de vivre. » Patrick Modiano dans Le Temps des écrivains ce samedi après-midi sur France Culture.
23 octobre 2017
Pas moins de six fois dans les semaines précédentes, je suis passé à la billetterie pour tenter d’échapper à la place qui m’est promise pour le concert d’Alexandre Tharaud à l’Opéra de Rouen, un strapontin décentré dans la partie supérieure du premier balcon.
Ce jeudi, ultime tentative, j’arrive juste avant dix-neuf heures, stupéfait de voir autant de monde agglutiné devant la grille baissée de la maison. On croirait des banlieusards attendant l’affichage de leur train à Saint-Lazare. La plupart ont pourtant leur billet en poche mais veulent être les premiers au bar afin de se restaurer assis.
« Je pense avoir mieux », me dit le jeune homme qui a un peu de mal avec l’informatique. Ce mieux est un vrai siège, le Bé Six, au premier balcon, dans la partie inférieure mais du mauvais côté pour le piano.
Lorsque je m’y assois, je constate que ce Bé Six me permet de voir quand même le clavier. C’est évidemment complet quand la lumière décroît. Alexandre Tharaud entre en scène, petit jeune homme de quarante-huit ans. « Je mène une vie de sportif de haut niveau qui doit garder sa bonne forme physique. C’est assez éreintant pour un gabarit de moineau tel que le mien ! », explique-t-il dans son entretien du livret programme avec Vinciane Laumonier.
Il se dirige droit sur l’instrument, suivi d’une superbe tourneuse de pages, et interrompt les applaudissements en se lançant à peine assis dans l’Ouverture de Cadmus (d’après Lully) du claveciniste Jean-Henry D’Anglebert. Suivent, du même, la Sarabande (d’après Lully), la Fugue grave (extrait des Pièces d’orgue) et la Chaconne de Phaéton (d’après Lully).
A l’issue, Alexandre Tharaud salue sobrement, sort puis revient pour la Sonate numéro trente de Ludwig van Beethoven qui mêle gravité et légèreté, passages tourmentés et moments apaisés. Elle lui vaut à nouveau moult applaudissements.
Après l’entracte, il revient seul pour trois Gnossiennes, les quatrième, cinquième et première. Cela me rappelle ses concerts d’autrefois consacrés à Erik Satie, auxquels j’ai assisté bien accompagné.
Enfin, avec l’aide technique de son efficace tourneuse de pages, Alexandre Tharaud donne la Sonate numéro trente-deux de Ludwig van Beethoven aux deux mouvements contrastés.
C’est un triomphe. Il revient avec son cahier de partitions et nous offre deux premiers bonus bien différents l’un de l’autre, puis il le referme d’un geste déterminé et se lance dans un ultime morceau.
Chacun reconnaît la musique de Barbara à qui il vient de rendre hommage par disque, en compagnie de chanteuses et chanteurs, pour le vingtième anniversaire de sa mort. Quelques enthousiastes applaudissent dès les premières notes, sommés de se calmer par d’autres.
*
Assis devant moi, au premier rang du premier balcon, deux couples de sexagénaires. L’une des femmes, à peine installée, sort son journal de Sudoku et s’y met, n’écoutant pas ce que lui dit son mari :
-Je suis en train de te parler là.
-Je t’ai entendu.
-Oui je sais que tu n’en as rien à foutre.
-Mais pas du tout !
A l’entracte, cette femme fait connaissance avec celle de l’autre couple. Elles redoutent que le nouveau Directeur, qui est jeune, ne soit trop favorable à la musique contemporaine.
-On n’est pas prête, dit la première.
-On ne sera jamais prête, lui répond la seconde.
*
Les tousseurs et tousseuses, la plaie de ce concert. Le pire étant celui qui tousse sur le silence qui suit Beethoven et est encore du Beethoven.
Qu’on installe une fontaine de sirop antitussif à l’entrée de l’Opéra ou que celui-ci soit distribué par gobelets entiers au bar (une ordonnance collective sera signée par les médecins présents pour donner un semblant de légalité à la chose).
Ce jeudi, ultime tentative, j’arrive juste avant dix-neuf heures, stupéfait de voir autant de monde agglutiné devant la grille baissée de la maison. On croirait des banlieusards attendant l’affichage de leur train à Saint-Lazare. La plupart ont pourtant leur billet en poche mais veulent être les premiers au bar afin de se restaurer assis.
« Je pense avoir mieux », me dit le jeune homme qui a un peu de mal avec l’informatique. Ce mieux est un vrai siège, le Bé Six, au premier balcon, dans la partie inférieure mais du mauvais côté pour le piano.
Lorsque je m’y assois, je constate que ce Bé Six me permet de voir quand même le clavier. C’est évidemment complet quand la lumière décroît. Alexandre Tharaud entre en scène, petit jeune homme de quarante-huit ans. « Je mène une vie de sportif de haut niveau qui doit garder sa bonne forme physique. C’est assez éreintant pour un gabarit de moineau tel que le mien ! », explique-t-il dans son entretien du livret programme avec Vinciane Laumonier.
Il se dirige droit sur l’instrument, suivi d’une superbe tourneuse de pages, et interrompt les applaudissements en se lançant à peine assis dans l’Ouverture de Cadmus (d’après Lully) du claveciniste Jean-Henry D’Anglebert. Suivent, du même, la Sarabande (d’après Lully), la Fugue grave (extrait des Pièces d’orgue) et la Chaconne de Phaéton (d’après Lully).
A l’issue, Alexandre Tharaud salue sobrement, sort puis revient pour la Sonate numéro trente de Ludwig van Beethoven qui mêle gravité et légèreté, passages tourmentés et moments apaisés. Elle lui vaut à nouveau moult applaudissements.
Après l’entracte, il revient seul pour trois Gnossiennes, les quatrième, cinquième et première. Cela me rappelle ses concerts d’autrefois consacrés à Erik Satie, auxquels j’ai assisté bien accompagné.
Enfin, avec l’aide technique de son efficace tourneuse de pages, Alexandre Tharaud donne la Sonate numéro trente-deux de Ludwig van Beethoven aux deux mouvements contrastés.
C’est un triomphe. Il revient avec son cahier de partitions et nous offre deux premiers bonus bien différents l’un de l’autre, puis il le referme d’un geste déterminé et se lance dans un ultime morceau.
Chacun reconnaît la musique de Barbara à qui il vient de rendre hommage par disque, en compagnie de chanteuses et chanteurs, pour le vingtième anniversaire de sa mort. Quelques enthousiastes applaudissent dès les premières notes, sommés de se calmer par d’autres.
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Assis devant moi, au premier rang du premier balcon, deux couples de sexagénaires. L’une des femmes, à peine installée, sort son journal de Sudoku et s’y met, n’écoutant pas ce que lui dit son mari :
-Je suis en train de te parler là.
-Je t’ai entendu.
-Oui je sais que tu n’en as rien à foutre.
-Mais pas du tout !
A l’entracte, cette femme fait connaissance avec celle de l’autre couple. Elles redoutent que le nouveau Directeur, qui est jeune, ne soit trop favorable à la musique contemporaine.
-On n’est pas prête, dit la première.
-On ne sera jamais prête, lui répond la seconde.
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Les tousseurs et tousseuses, la plaie de ce concert. Le pire étant celui qui tousse sur le silence qui suit Beethoven et est encore du Beethoven.
Qu’on installe une fontaine de sirop antitussif à l’entrée de l’Opéra ou que celui-ci soit distribué par gobelets entiers au bar (une ordonnance collective sera signée par les médecins présents pour donner un semblant de légalité à la chose).
21 octobre 2017
Ce mercredi midi, je déjeune au Rallye, mon Péhemmu chinois préféré, rue du Faubourg Saint-Antoine, d’un jamais décevant confit de canard pommes sautées salade. Les convives alentour sont des employé(e)s qui tout en mangeant se livrent à une occupation courante : dire du mal des collègues absent(e)s :
-Elle n’a même pas posé son manteau qu’elle commence à parler.
-Il n’est pas fermé, il est rustre.
Se trouvent là aussi un père et un fils que je vois à chacun de mes passages. Peut-être mangent-ils ensemble tous les jours. Avoir quotidiennement en miroir son image dans trente ans pour l’un et son image d’il y a trente ans pour l’autre, il faut être solide pour supporter ça. Ils n’ont rien à se dire, personne sur qui déblatérer, à moins qu’ils attendent mon départ pour me dénigrer.
Après le café, je vais lire sur les marches ensoleillées du port de l’Arsenal, face aux bateaux toujours immobiles. Cinq filles et garçons s’installent derrière moi avec leurs sandouiches, bien qu’il y ait de la place ailleurs. Peut-être veulent-ils me faire profiter de leur conversation.
Quatre sont en stage aux Inrocks, journal temporairement maudit pour sa couverture consacrée à Bertrand Cantat. Le cinquième y est journaliste débutant et provient de l’école où sont les autres. Ils n’évoquent la polémique qu’à travers l’édito d’explication intitulé « A nos lecteurs », fantasmant pour celui de la semaine prochaine sur un « A nos stagiaires ». Il est ensuite question d’un journaliste prénommé François-Luc.
-Moi, je n’ose pas l’appeler Fluc devant lui, dit l’une des filles
Ils évoquent alors les profs de leur école de journalisme, spécialement l’un d’eux qui leur demande de faire des articles sur la vie parisienne et les note super bien.
-Vous pouvez lui raconter ce que vous voulez, leur explique l’ancien, le concert où tu vas, ton repas au restau, n’importe quelle sortie, du moment que c’est à Paris.
-En fait, il a envie qu’on lui raconte notre vie, commente l’une des filles, il doit s’emmerder dans la sienne.
*
La jeune serveuse chinoise qui explique à un quinquagénaire bien français que la carbonade, ça n’a rien à voir avec les pâtes carbonara.
*
Boulevard Beaumarchais, le Bistrot des Vosges « spécialités de l’Aveyron ». De quoi revoir sa géographie.
*
Gare Saint-Lazare, disparition du grand panneau central annonçant le départ des trains. Ne restent que les petits écrans pour lesquels une bonne vue est indispensable. Supprimer la présence massive à un endroit déterminé des voyageurs attendant leur train en retard, ce doit être l’objectif.
-Elle n’a même pas posé son manteau qu’elle commence à parler.
-Il n’est pas fermé, il est rustre.
Se trouvent là aussi un père et un fils que je vois à chacun de mes passages. Peut-être mangent-ils ensemble tous les jours. Avoir quotidiennement en miroir son image dans trente ans pour l’un et son image d’il y a trente ans pour l’autre, il faut être solide pour supporter ça. Ils n’ont rien à se dire, personne sur qui déblatérer, à moins qu’ils attendent mon départ pour me dénigrer.
Après le café, je vais lire sur les marches ensoleillées du port de l’Arsenal, face aux bateaux toujours immobiles. Cinq filles et garçons s’installent derrière moi avec leurs sandouiches, bien qu’il y ait de la place ailleurs. Peut-être veulent-ils me faire profiter de leur conversation.
Quatre sont en stage aux Inrocks, journal temporairement maudit pour sa couverture consacrée à Bertrand Cantat. Le cinquième y est journaliste débutant et provient de l’école où sont les autres. Ils n’évoquent la polémique qu’à travers l’édito d’explication intitulé « A nos lecteurs », fantasmant pour celui de la semaine prochaine sur un « A nos stagiaires ». Il est ensuite question d’un journaliste prénommé François-Luc.
-Moi, je n’ose pas l’appeler Fluc devant lui, dit l’une des filles
Ils évoquent alors les profs de leur école de journalisme, spécialement l’un d’eux qui leur demande de faire des articles sur la vie parisienne et les note super bien.
-Vous pouvez lui raconter ce que vous voulez, leur explique l’ancien, le concert où tu vas, ton repas au restau, n’importe quelle sortie, du moment que c’est à Paris.
-En fait, il a envie qu’on lui raconte notre vie, commente l’une des filles, il doit s’emmerder dans la sienne.
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La jeune serveuse chinoise qui explique à un quinquagénaire bien français que la carbonade, ça n’a rien à voir avec les pâtes carbonara.
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Boulevard Beaumarchais, le Bistrot des Vosges « spécialités de l’Aveyron ». De quoi revoir sa géographie.
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Gare Saint-Lazare, disparition du grand panneau central annonçant le départ des trains. Ne restent que les petits écrans pour lesquels une bonne vue est indispensable. Supprimer la présence massive à un endroit déterminé des voyageurs attendant leur train en retard, ce doit être l’objectif.
20 octobre 2017
Attendant le sept heures cinquante-neuf, ce mercredi, à la gare de Rouen, j’ai face à moi les publicités lumineuses pour le nouveau roman de Michel Bussi et peut ainsi constater que c’est son tour de céder à la facilité du titre tiré d’une chanson bien connue On la trouvait plutôt jolie. Vu ses succès de vente, il aurait pu se passer de ce genre de manipulation mentale.
Pendant le trajet je poursuis la lecture d'Entretiens avec Jean-Paul Sartre de Simone de Beauvoir puis pousse la porte du Café du Faubourg à dix heures moins dix. Cela me donne le temps de lire au comptoir le dossier que consacre Le Parisien à ce qu’une ancienne Ministre de l’Intérieur a nommé l’ultragauche. J’y apprends que selon la Police Julien Coupat rejoint désormais les manifestations en taxi afin de la semer et parce que c’est plus confortable et qu’à Rouen soixante-dix personnes sont dans son fichier (dont peut-être celui qui écrit sur les murs de ma rue et alentour).
Chez Book-Off j’ai la chance que ce soit le moment du réassort des livres au format de poche à un euro et qu’aucun concurrent ne soit présent. Aussi c’est une pile de quinze ouvrages que je pose devant la caisse,
-C’est pour la journée ou pour la semaine ? me demande celui qui me précède.
Bien chargé, je rejoins le marché d’Aligre. Là aussi il y a du nouveau chez les bouquinistes. Parmi ces livres de toutes les provenances et sur tous les sujets, je repère les trois tomes des Chemins de la liberté de Jean-Paul Sartre, ce roman à thèse que je n’ai pas lu jusqu’au bout quand j’étais lycéen.
Ces trois livres sont dépenaillés. Me disant qu’on ne sait jamais, j’ouvre le premier tome L’âge de raison et bingo ! j’y trouve ceci écrit de biais en page de garde : « A Suzanne et Raymond Aron avec la fidèle amitié de leur petit camarade ». C’est signé JP Sartre. Dans le deuxième, Le sursis : signé du même et toujours en biais : « A Suzanne et Raymond Aron leur ami ». Dans le troisième : rien. Les deux premiers tomes sont de mil neuf cent quarante-cinq, le troisième de quarante-neuf. On peut voir là l’expression puis le refroidissement puis la fin d’une amitié.
Que ces trois livres soient restés ensemble jusqu’au bazar d’Aligre, c’est assez miraculeux. Avant d’y arriver, ils ont dû parcourir un chemin sinueux. Songeant que si je ne les achète pas ils risquent d’être séparés et peut-être même envoyés à la déchetterie ou à la broyeuse, je me fais sauveur de patrimoine et me rapproche du vendeur pour un échange commercial désormais ritualisé :
Lui : Deux euros le livre, trois fois deux : six.
Moi me contentant de froncer le sourcil.
Lui : Trois fois deux : cinq.
Moi lui donnant le billet en le remerciant.
Que vais-je faire de cette petite partie de l’héritage littéraire de Jean-Paul Sartre ?
*
Quelque part dans ses conversations avec S de B, J.-P. S évoquant sa jeunesse parle d’Aron en l’appelant son petit camarade, mais je ne retrouve pas l’endroit.
*
Mon petit camarade est le titre de l’article publié par Raymond Aron après la mort de Jean-Paul Sartre : Il y a une cinquantaine d’années, en plaisantant, nous avions pris un engagement l’un à l’égard de l’autre. Celui de nous deux qui survivrait à l’autre rédigerait la notice nécrologique que publierait le bulletin des anciens élèves de l’École normale consacré au premier de nous deux à disparaître.
*
«Mon petit camarade, pourquoi as-tu si peur de déconner?» Cette question, que posait Sartre à Aron, résume peut-être le lien qui unit les deux philosophes: suffisamment différents pour devenir amis dans les années 1920, mais trop pour le rester dans un monde bipolaire où chacun, après 1947, fut sommé de choisir entre l'Est et l'Ouest. (Raphaël Enthoven dans L’Express le premier avril deux mille cinq)
*
Parmi les quinze livres achetés chez B-O : La comtesse Tolstoï de Bertrand Meyer-Stabley (Petite Bibliothèque Payot), Nous, fils d’Eichmann de Günther Anders (Rivages poche), Ce que l’on peut voir en six jours de Théophile Gautier (Nicolas Chaudun), Tour du monde d’un sceptique d’Aldous Huxley (Petite Bibliothèque Payot), Dissimulons de Noël Herpe (Plein Jour), Souvenirs et solitude de Jean Zay (Belin), Ce que signifie la vie pour moi de Jack London (Les Editions du Sonneur).
Pendant le trajet je poursuis la lecture d'Entretiens avec Jean-Paul Sartre de Simone de Beauvoir puis pousse la porte du Café du Faubourg à dix heures moins dix. Cela me donne le temps de lire au comptoir le dossier que consacre Le Parisien à ce qu’une ancienne Ministre de l’Intérieur a nommé l’ultragauche. J’y apprends que selon la Police Julien Coupat rejoint désormais les manifestations en taxi afin de la semer et parce que c’est plus confortable et qu’à Rouen soixante-dix personnes sont dans son fichier (dont peut-être celui qui écrit sur les murs de ma rue et alentour).
Chez Book-Off j’ai la chance que ce soit le moment du réassort des livres au format de poche à un euro et qu’aucun concurrent ne soit présent. Aussi c’est une pile de quinze ouvrages que je pose devant la caisse,
-C’est pour la journée ou pour la semaine ? me demande celui qui me précède.
Bien chargé, je rejoins le marché d’Aligre. Là aussi il y a du nouveau chez les bouquinistes. Parmi ces livres de toutes les provenances et sur tous les sujets, je repère les trois tomes des Chemins de la liberté de Jean-Paul Sartre, ce roman à thèse que je n’ai pas lu jusqu’au bout quand j’étais lycéen.
Ces trois livres sont dépenaillés. Me disant qu’on ne sait jamais, j’ouvre le premier tome L’âge de raison et bingo ! j’y trouve ceci écrit de biais en page de garde : « A Suzanne et Raymond Aron avec la fidèle amitié de leur petit camarade ». C’est signé JP Sartre. Dans le deuxième, Le sursis : signé du même et toujours en biais : « A Suzanne et Raymond Aron leur ami ». Dans le troisième : rien. Les deux premiers tomes sont de mil neuf cent quarante-cinq, le troisième de quarante-neuf. On peut voir là l’expression puis le refroidissement puis la fin d’une amitié.
Que ces trois livres soient restés ensemble jusqu’au bazar d’Aligre, c’est assez miraculeux. Avant d’y arriver, ils ont dû parcourir un chemin sinueux. Songeant que si je ne les achète pas ils risquent d’être séparés et peut-être même envoyés à la déchetterie ou à la broyeuse, je me fais sauveur de patrimoine et me rapproche du vendeur pour un échange commercial désormais ritualisé :
Lui : Deux euros le livre, trois fois deux : six.
Moi me contentant de froncer le sourcil.
Lui : Trois fois deux : cinq.
Moi lui donnant le billet en le remerciant.
Que vais-je faire de cette petite partie de l’héritage littéraire de Jean-Paul Sartre ?
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Quelque part dans ses conversations avec S de B, J.-P. S évoquant sa jeunesse parle d’Aron en l’appelant son petit camarade, mais je ne retrouve pas l’endroit.
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Mon petit camarade est le titre de l’article publié par Raymond Aron après la mort de Jean-Paul Sartre : Il y a une cinquantaine d’années, en plaisantant, nous avions pris un engagement l’un à l’égard de l’autre. Celui de nous deux qui survivrait à l’autre rédigerait la notice nécrologique que publierait le bulletin des anciens élèves de l’École normale consacré au premier de nous deux à disparaître.
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«Mon petit camarade, pourquoi as-tu si peur de déconner?» Cette question, que posait Sartre à Aron, résume peut-être le lien qui unit les deux philosophes: suffisamment différents pour devenir amis dans les années 1920, mais trop pour le rester dans un monde bipolaire où chacun, après 1947, fut sommé de choisir entre l'Est et l'Ouest. (Raphaël Enthoven dans L’Express le premier avril deux mille cinq)
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Parmi les quinze livres achetés chez B-O : La comtesse Tolstoï de Bertrand Meyer-Stabley (Petite Bibliothèque Payot), Nous, fils d’Eichmann de Günther Anders (Rivages poche), Ce que l’on peut voir en six jours de Théophile Gautier (Nicolas Chaudun), Tour du monde d’un sceptique d’Aldous Huxley (Petite Bibliothèque Payot), Dissimulons de Noël Herpe (Plein Jour), Souvenirs et solitude de Jean Zay (Belin), Ce que signifie la vie pour moi de Jack London (Les Editions du Sonneur).
19 octobre 2017
Quand j’arrive à l’Opéra de Rouen mardi soir, l’homme au chapeau (qui n’en porte pas par beau temps) s’y sustente à une table du foyer. Je m’installe avec lui et nous parlons entre autres choses de la prochaine rencontre avec les ami(e)s de Stockholm. Bientôt arrive un porteur de plateau repas, l’une de ses connaissances, que je n’ai pas envie de connaître davantage. Après avoir demandé si il peut, il s’assoit. La conversation cesse de m’intéresser. Je dis toutes les âneries qui me passent par la tête, puis prétextant la nécessité de choisir ma chaise en loge, je fuis. Maudit soit ce communisme de cantine.
Logé, je tente de retrouver une humeur égale. C’est difficile car pour clore son concert américain, le chœur accentus a mis à son programme une création participative. Cette perspective me désole.
Pour couronner le tout (comme on dit), cela commence par une bondieuserie : la Missa Brevis de Leonard Bernstein. Suivent divers airs de Samuel Barber puis trois chansons québécoises améliorées par Philip Glass (a a a a a a a en flux sinueux) et deux pièces d’Eric Whitacre.
-Voici maintenant le moment que vous attendez tous, déclare au micro le chef Pieter-Jelle de Boer.
Pli de Violeta Cruz, ici présente, n’est pas seulement chanté par le chœur accentus et le public, il l’est aussi par une quarantaine d’élèves de cours élémentaire d’une école de Bernay. C’est un beau moment de communion, dont je m’exempte.
*
Le dimanche précédent en fin d’après-midi, au même endroit, c’était concert de jazz avec le Roy Hargrove Quintet. Un concert que j’oublierai vite : je n’ai pas le goût de ce jazz de tradition.
*
Nouveaux graffitis dans le quartier, sur le mur de l’Archevêché cette fois, de la même écriture : « Nietzsche est mort » (c’est signé Dieu, ah ah ah) et « Rouen dans la rue » (la Police voit ainsi ses soupçons se confirmer).
*
Plus de beurre en certains endroits suite à pénurie de lait et plus de cul de la crémière suite à divers scandales sexuels. Reste l’argent du beurre dont la rareté fait le prix.
Logé, je tente de retrouver une humeur égale. C’est difficile car pour clore son concert américain, le chœur accentus a mis à son programme une création participative. Cette perspective me désole.
Pour couronner le tout (comme on dit), cela commence par une bondieuserie : la Missa Brevis de Leonard Bernstein. Suivent divers airs de Samuel Barber puis trois chansons québécoises améliorées par Philip Glass (a a a a a a a en flux sinueux) et deux pièces d’Eric Whitacre.
-Voici maintenant le moment que vous attendez tous, déclare au micro le chef Pieter-Jelle de Boer.
Pli de Violeta Cruz, ici présente, n’est pas seulement chanté par le chœur accentus et le public, il l’est aussi par une quarantaine d’élèves de cours élémentaire d’une école de Bernay. C’est un beau moment de communion, dont je m’exempte.
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Le dimanche précédent en fin d’après-midi, au même endroit, c’était concert de jazz avec le Roy Hargrove Quintet. Un concert que j’oublierai vite : je n’ai pas le goût de ce jazz de tradition.
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Nouveaux graffitis dans le quartier, sur le mur de l’Archevêché cette fois, de la même écriture : « Nietzsche est mort » (c’est signé Dieu, ah ah ah) et « Rouen dans la rue » (la Police voit ainsi ses soupçons se confirmer).
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Plus de beurre en certains endroits suite à pénurie de lait et plus de cul de la crémière suite à divers scandales sexuels. Reste l’argent du beurre dont la rareté fait le prix.
18 octobre 2017
Ce samedi, la Société Protectrice des Animaux innove en organisant un vide grenier au bout de l’île Lacroix. Le soleil étant assuré et le lever du jour fixé à huit heures quinze, je m’y pointe à ce moment. Il est vaste, installé sur un parquigne, un terrain herbeux et un bout de bord de Seine. Comme je le craignais, les exposants sont des professionnels et des particuliers pauvres venus ailleurs. Cela explique qu’au lieu de livres, j’y achète à une dame auto entrepreneuse trois pots de confiture pour cinq euros (abricot, fraise, rhubarbe). Il y a du monde côté acheteuses et acheteurs mais les affaires ne vont pas trop bien, comme le constate une vendeuse amie des bêtes:
-Je ne sais pas si je vais gagner de l’argent mais au moins c’est pour une bonne cause.
Le lendemain dimanche, vers la même heure et de nouveau par beau temps grâce au passage du cyclone Ophelia pas très loin, c’est à un énième vide grenier situé sur les quais hauts de la rive droite de la Seine que je me rends. Une foule l’envahit déjà. Les exposants sont pour l’essentiel du même genre que la veille. Quand même, quelques stands tenus par des particuliers plus aisés me retiennent. J’y trouve des livres et des cédés. Penché sur un beau livre pour enfant que je feuillette pour savoir s’il peut convenir à ma descendance, je m’entends interpeller par la vendeuse:
-Bonjour Michel.
C’est Sophie que je n’avais pas croisée depuis plusieurs années. Je lui ai appris à lire il y a longtemps Elle fut élève dans ma classe unique du Bec-Hellouin pendant cinq ans et est devenue architecte (comme deux autres). Ses deux enfants ont l’âge de revendre leurs premiers livres. Nous échangeons quelques nouvelles et elle me fait un prix d’ami.
*
Impossible de circuler dans le quartier du Vieux-Marché ce samedi après-midi. La foule de la Fête du Ventre bouche toutes les artères. Cette festivité commerciale s’étend d’année en année. Ce n’est plus la Fête du Ventre, c’est la Fête de la Panse.
On voit à quel endroit la majorité des Rouennais (et des Cauchois et Eurois venus pour l’occasion) ont leur centre d’intérêt. Inutile de leur proposer une Fête de la Pensée.
*
Des graffitis sur les murs de la venelle, peints dans la nuit de samedi à dimanche. A l’entrée « Touristes Go Home ». Plus loin, l’acronyme bien connu « Acab », puis « Pas de paix », enfin « A cause de Macron ». Ce dernier est signé Yells, mais vu mes relations tendues avec les guides touristiques, je crains de faire partie des suspects.
*
Quoi de mieux pour profiter du soleil dominical que de boire un verre de vin blanc au Son du Cor avec la plus rohmérienne des Rouennaises. « Ça va ? », m’a-t-elle dit de loin, depuis la table où elle était assise, lorsque ceux qui nous cachaient l’un à l’autre sont partis. D’un geste, je l’ai invitée à me rejoindre.
-Je ne sais pas si je vais gagner de l’argent mais au moins c’est pour une bonne cause.
Le lendemain dimanche, vers la même heure et de nouveau par beau temps grâce au passage du cyclone Ophelia pas très loin, c’est à un énième vide grenier situé sur les quais hauts de la rive droite de la Seine que je me rends. Une foule l’envahit déjà. Les exposants sont pour l’essentiel du même genre que la veille. Quand même, quelques stands tenus par des particuliers plus aisés me retiennent. J’y trouve des livres et des cédés. Penché sur un beau livre pour enfant que je feuillette pour savoir s’il peut convenir à ma descendance, je m’entends interpeller par la vendeuse:
-Bonjour Michel.
C’est Sophie que je n’avais pas croisée depuis plusieurs années. Je lui ai appris à lire il y a longtemps Elle fut élève dans ma classe unique du Bec-Hellouin pendant cinq ans et est devenue architecte (comme deux autres). Ses deux enfants ont l’âge de revendre leurs premiers livres. Nous échangeons quelques nouvelles et elle me fait un prix d’ami.
*
Impossible de circuler dans le quartier du Vieux-Marché ce samedi après-midi. La foule de la Fête du Ventre bouche toutes les artères. Cette festivité commerciale s’étend d’année en année. Ce n’est plus la Fête du Ventre, c’est la Fête de la Panse.
On voit à quel endroit la majorité des Rouennais (et des Cauchois et Eurois venus pour l’occasion) ont leur centre d’intérêt. Inutile de leur proposer une Fête de la Pensée.
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Des graffitis sur les murs de la venelle, peints dans la nuit de samedi à dimanche. A l’entrée « Touristes Go Home ». Plus loin, l’acronyme bien connu « Acab », puis « Pas de paix », enfin « A cause de Macron ». Ce dernier est signé Yells, mais vu mes relations tendues avec les guides touristiques, je crains de faire partie des suspects.
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Quoi de mieux pour profiter du soleil dominical que de boire un verre de vin blanc au Son du Cor avec la plus rohmérienne des Rouennaises. « Ça va ? », m’a-t-elle dit de loin, depuis la table où elle était assise, lorsque ceux qui nous cachaient l’un à l’autre sont partis. D’un geste, je l’ai invitée à me rejoindre.
17 octobre 2017
Bien qu’il ne soit pas encore dix-huit heures ce vendredi et que l’artiste invitée, Dana Lixenberg, soit encore en interviou, je peux, grâce à l’obligeance de Raphaëlle Stopin, sa Directrice Artistique, entrer dès mon arrivée au Centre Photographique Rouen-Normandie, rue de la Chaîne, et à loisir regarder les photographies en noir et blanc de l’exposition Imperial Courts.
Imperial Courts est un lotissement situé dans le quartier de Watts à Los Angeles. Il est essentiellement habité par des afro-américains pauvres. La photographe néerlandaise s’y est rendue pour la première fois en mil neuf cent quatre-vingt-treize, un an après les émeutes consécutives à l’acquittement des quatre policiers responsables de la mort par tabassage du chauffeur de taxi Rodney King, puis y est revenue à plusieurs reprises.
Ses photos sont essentiellement des portraits pris en extérieur, d’où sourd la violence sociale subie. Quoi de plus triste que le regard fatigué de Solé, la jeune femme photographiée en deux mille treize dont le portrait est reproduit sur le carton d’invitation, si ce n’est celui du jeune homme qui la côtoie sur le mur blanc. Quoi de plus désespérant que de voir une petite fille dans les bras de sa mère, vingt ans plus tard portant sa propre fille dans ses bras, sans que la situation se soit le moins du monde améliorée. Très peu de photos montrent les lieux. L’une est celle d’une avant-fête ou après-fête triste d’extérieur: tables et sièges en plastique blanc auxquels sont accrochés des ballons. J’en vois un peu plus en feuilletant le grand et beau livre Imperial Courts édité par Roma.
Bientôt le monde emplit l’endroit, dont quelques porteurs et porteuses de chapeau recherché et un sosie de Michel Polnareff. Un peu avant dix-neuf heures, celui qui se présente comme le Directeur du Pôle Image annonce la dissolution de cette structure dans une nouvelle née de la réunification normande qui ne s’intéressera plus à la photo, se consacrant au film. Néanmoins, le Centre Photographique Rouen-Normandie restera, mais subventionné par d’autres instances et toujours sous la responsabilité de Raphaëlle Stopin. Il est tout fier d’annoncer qu’il sera le Directeur de la nouvelle institution bien que ce ne soit pas encore voté par le Conseil d’Administration. Je me garde bien de l’applaudir.
Ensuite Dana Lixenberg explique sa démarche dans un anglais que je comprends à peu près, à mon étonnement. Raphaëlle Stopin traduit. Dans ses bras, sa fille toujours aussi sage, dont on peut suivre la croissance de vernissage en vernissage.
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Je n’ai jamais douté de la supériorité de l’image arrêtée sur l’image animée. De même que de celle de la radio sur la télévision.
*
Ce vendredi après-midi je lis tranquillement au soleil Tchékhov par Bounine à la terrasse du Sacre, profitant du soleil et de l’arrêt momentané des travaux de voirie. En raison de la prochaine Fête du Ventre, les trous ont été rebouchés temporairement et seront recreusés après l’évènement.
Sauf un, situé derrière moi. Soudain déboulent deux ouvriers venus le combler avec une machine à tasser la terre.
-Vous ne pouviez pas reboucher tous les trous le même jour ? leur demandé-je.
Eh bien non, les autres trous sont ceux de Gaz de France, celui-ci est au Service des Eaux. Chacun son trou, c’est la devise des travaux publics.
Imperial Courts est un lotissement situé dans le quartier de Watts à Los Angeles. Il est essentiellement habité par des afro-américains pauvres. La photographe néerlandaise s’y est rendue pour la première fois en mil neuf cent quatre-vingt-treize, un an après les émeutes consécutives à l’acquittement des quatre policiers responsables de la mort par tabassage du chauffeur de taxi Rodney King, puis y est revenue à plusieurs reprises.
Ses photos sont essentiellement des portraits pris en extérieur, d’où sourd la violence sociale subie. Quoi de plus triste que le regard fatigué de Solé, la jeune femme photographiée en deux mille treize dont le portrait est reproduit sur le carton d’invitation, si ce n’est celui du jeune homme qui la côtoie sur le mur blanc. Quoi de plus désespérant que de voir une petite fille dans les bras de sa mère, vingt ans plus tard portant sa propre fille dans ses bras, sans que la situation se soit le moins du monde améliorée. Très peu de photos montrent les lieux. L’une est celle d’une avant-fête ou après-fête triste d’extérieur: tables et sièges en plastique blanc auxquels sont accrochés des ballons. J’en vois un peu plus en feuilletant le grand et beau livre Imperial Courts édité par Roma.
Bientôt le monde emplit l’endroit, dont quelques porteurs et porteuses de chapeau recherché et un sosie de Michel Polnareff. Un peu avant dix-neuf heures, celui qui se présente comme le Directeur du Pôle Image annonce la dissolution de cette structure dans une nouvelle née de la réunification normande qui ne s’intéressera plus à la photo, se consacrant au film. Néanmoins, le Centre Photographique Rouen-Normandie restera, mais subventionné par d’autres instances et toujours sous la responsabilité de Raphaëlle Stopin. Il est tout fier d’annoncer qu’il sera le Directeur de la nouvelle institution bien que ce ne soit pas encore voté par le Conseil d’Administration. Je me garde bien de l’applaudir.
Ensuite Dana Lixenberg explique sa démarche dans un anglais que je comprends à peu près, à mon étonnement. Raphaëlle Stopin traduit. Dans ses bras, sa fille toujours aussi sage, dont on peut suivre la croissance de vernissage en vernissage.
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Je n’ai jamais douté de la supériorité de l’image arrêtée sur l’image animée. De même que de celle de la radio sur la télévision.
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Ce vendredi après-midi je lis tranquillement au soleil Tchékhov par Bounine à la terrasse du Sacre, profitant du soleil et de l’arrêt momentané des travaux de voirie. En raison de la prochaine Fête du Ventre, les trous ont été rebouchés temporairement et seront recreusés après l’évènement.
Sauf un, situé derrière moi. Soudain déboulent deux ouvriers venus le combler avec une machine à tasser la terre.
-Vous ne pouviez pas reboucher tous les trous le même jour ? leur demandé-je.
Eh bien non, les autres trous sont ceux de Gaz de France, celui-ci est au Service des Eaux. Chacun son trou, c’est la devise des travaux publics.
16 octobre 2017
Retour à l’Opéra de Rouen ce jeudi un peu après dix-neuf heures où les vigiles négligent de me demander d’ouvrir ma veste façon exhibitionniste et où la jolie blonde sexy n’est pas au contrôle des billets. Je vais saluer celui qui est peut-être le plus vieux de mes lecteurs, après qu’il a vaillamment monté les marches, aidé de sa canne.
-Ce soir, c’est un chef formidable, me dit-il.
Il s’agit d’Andreas Spering déjà venu ici pour diriger des opéras dans la fosse. Aujourd’hui, il sera sur la scène pour un concert symphonique consacré à des œuvres de Schumann, Mozart et Mendelssohn, au cours duquel Jane Peters, violon solo de l’Orchestre, passera son examen annuel. Loïc Lachenal, nouveau maître des lieux, est absent. Presque toute la demi-rangée de corbeille réservée aux invité(e)s est occupée par des dirigeants de la Caisse d’Epargne qui est mécène de la soirée. Je suis devant eux en fond d’orchestre, à l’une de ces places non prévues pour les genoux.
J’entends l’un des pontes bancaires avouer à son voisin qu’il n’a jamais assisté à un concert de musique classique. Cela va le changer du comptage de noisettes.
C’est d’abord l’ouverture, le scherzo et le finale de l’opus cinquante-deux de Robert Schumann que mène rondement le maestro, puis Jane Peters entre en scène en longue robe rouge. Il me semble qu’à sa place je n’en mènerais pas large (comme on dit), d’autant qu’un discret micro la surplombe car le concert est diffusé en direct sur Radio Classique, mais elle a l’air d’être décontractée. Elle se sort avec brio du Concerto pour violon numéro cinq dit Turc de Wolfgang Amadeus Mozart et est fort applaudie. En bonus, elle et l’Orchestre nous offrent « une petite surprise un peu préparée », la deuxième version de l’adagio de ce concerto.
Après l’entracte, la très belle Symphonie numéro quatre en la majeur dite Italienne de Felix Mendelssohn Bartholdy est très bien jouée par les musicien(ne)s de l’Orchestre sous la baguette d’Andreas Spering, formidable mais pas spectaculaire (il dirige avec un minimum de gestes). Je récupère mes genoux, rangés de biais, et rentre à la maison sans trop de douleur tandis que la Caisse d’Epargne se dirige vers les petits fours.
-Ce soir, c’est un chef formidable, me dit-il.
Il s’agit d’Andreas Spering déjà venu ici pour diriger des opéras dans la fosse. Aujourd’hui, il sera sur la scène pour un concert symphonique consacré à des œuvres de Schumann, Mozart et Mendelssohn, au cours duquel Jane Peters, violon solo de l’Orchestre, passera son examen annuel. Loïc Lachenal, nouveau maître des lieux, est absent. Presque toute la demi-rangée de corbeille réservée aux invité(e)s est occupée par des dirigeants de la Caisse d’Epargne qui est mécène de la soirée. Je suis devant eux en fond d’orchestre, à l’une de ces places non prévues pour les genoux.
J’entends l’un des pontes bancaires avouer à son voisin qu’il n’a jamais assisté à un concert de musique classique. Cela va le changer du comptage de noisettes.
C’est d’abord l’ouverture, le scherzo et le finale de l’opus cinquante-deux de Robert Schumann que mène rondement le maestro, puis Jane Peters entre en scène en longue robe rouge. Il me semble qu’à sa place je n’en mènerais pas large (comme on dit), d’autant qu’un discret micro la surplombe car le concert est diffusé en direct sur Radio Classique, mais elle a l’air d’être décontractée. Elle se sort avec brio du Concerto pour violon numéro cinq dit Turc de Wolfgang Amadeus Mozart et est fort applaudie. En bonus, elle et l’Orchestre nous offrent « une petite surprise un peu préparée », la deuxième version de l’adagio de ce concerto.
Après l’entracte, la très belle Symphonie numéro quatre en la majeur dite Italienne de Felix Mendelssohn Bartholdy est très bien jouée par les musicien(ne)s de l’Orchestre sous la baguette d’Andreas Spering, formidable mais pas spectaculaire (il dirige avec un minimum de gestes). Je récupère mes genoux, rangés de biais, et rentre à la maison sans trop de douleur tandis que la Caisse d’Epargne se dirige vers les petits fours.
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