Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

13 octobre 2019


Après une nuit de peu de sommeil, la conséquence d’une soirée organisée dans un bar proche de mon studio de location, la musique d’abord, puis les alcoolisés répandus à l’extérieur ne se décidant pas à rentrer chez eux, je monte ce samedi matin dans l’autocar à un euro de huit heures cinq pour Argelès-sur-Mer.
Les sommets des Albères sont dans les nuages quand je descends à Port-Argelès. Je fais partiellement le tour de ce port occupé surtout par des bateaux de plaisance puis prends le sentier du littoral jusqu’à la plage du Racou d’où l’on voit bien le Fort Saint-Elme. Après avoir fait demi-tour, je longe les constructions sans âme aux rez-de-chaussée occupés essentiellement par des bars et des restaurants dont les prix ne sont pas moins élevés qu’à Collioure puis j’atteins la plage, la longue plage au passé sombre qui ce matin est déserte. L’été, mais sans doute plus tard dans la journée, s’y presse la foule. Argelès-sur-Mer accueille en juillet août cinquante mille campeurs répartis en soixante lieux (la plus grosse offre d’Europe).
Bien que j’en aie eu initialement l’intention, je ne me vois pas rester là jusqu’à l’heure du déjeuner. Il est neuf heures dix. C’est exactement l’heure d’un car de retour. En espérant qu’il soit en retard, je marche jusqu’à son arrêt. Il l’est.
A neuf heures et demie, je suis de retour à Collioure. Je prends un café à un euro soixante-dix au Café Sola, près de la place où se tient le marché le mercredi et le dimanche et d’où démarre le petit train touristique qui emmène les retraités descendus de leurs cars faire un tour dans les vignes jusqu’au Fort Saint-Elme, puis je continue ma relecture du Journal de Gouverneur Morris au soleil revenu, assis sur le muret en pierres de la promenade du château royal, pas loin du duo guitare saxophone de plastique blanc (le porteur de ce dernier jouant parfois les pieds dans l’eau).
A midi, je déjeune une nouvelle fois en terrasse au restaurant L’Arcade, du menu à dix-sept euros quatre-vingt-dix : assiette ibérique, saucisse catalane frites (ces dernières décevantes et trop nombreuses), crème catalane, avec un demi pichet de vin rouge à huit euros.
Demain dimanche, ce sera ma dernière journée à Collioure, le trajet du retour s’effectuant par train de nuit jusqu’à Paris.
                                                                     *
C’est quand même pratique une mer sans marée, on la retrouve toujours là où on l’avait laissée.
 

12 octobre 2019


Ce vendredi, je retourne à Port-Vendres avec l’autocar à un euro de huit heures vingt. J’ai dans l’idée de marcher sur le sentier littoral jusqu’au cap Béar. Pour ce faire, je contourne l’immense zone de stockage de conteneurs du Port Fruitier International puis trouve les marques jaunes qui indiquent par où passer et suis enfin en bordure de mer. J’aperçois mon but. Il me semble loin mais accessible. Jusqu’à ce que, après un restaurant abandonné, le chemin se mette sérieusement à monter, bien trop pour moi. Aussi, comme je suis au niveau du phare de la Jetée, j’avance jusqu’à lui sur la digue où des pêcheurs pratiquent leur loisir près des panneaux l’interdisant. Une randonnée pyrénéenne qui se transforme en promenade au phare, c’est déjà pas mal. Certains, dans un livre, n’en ont pas fait autant.
De retour dans le port de pêche et de plaisance, je m’assois à la terrasse du restaurant Le Quai. Miraculeusement, le café n’y est qu’à un euro trente, mais le serveur au bout d’un quart d’heure me demande si je veux autre chose. Eh bien non, j’écris mes cartes postales.
Autrefois, j’en envoyais une dizaine. Depuis quelques années leur nombre est descendu à quatre, pour destinataires : mon frère, ma sœur et mes anciennes amoureuses. J’aurais pu en ajouter une cinquième pour l’ami de Stockholm qui m’en envoie de ses voyages, mais je n’ai pas son adresse avec moi.
Cela fait, je vais les affranchir à l’automate de la Poste pendant que la guichetière embobine une autochtone avec un nouveau service : la protection juridique. « Vous payez sept euros par mois et quand vous aurez un litige, d’héritage, de voisinage, etc. nos conseillers vous aideront gratuitement ». L’usagère n’est pas loin de se laisser avoir. Un réflexe de prudence la sauve. « Je vais réfléchir », dit-elle à la postière nouveau style.
Pour déjeuner, j’hésite entre plusieurs établissements voisins et choisis Le Chalut pour ses tables au soleil. Le menu est à seize euros : trio de marinade (anchois sardine hareng), cabillaud à la catalane, tarte aux figues maison, et le demi de vin blanc à six euros et quatre-vingts centimes. Ce restaurant est surtout fréquenté par des personnes qui veulent manger à l’intérieur ou à l’ombre. Un couple de quinquagénaires poussant un énorme fauteuil roulant, dans lequel se trouve une octogénaire en chaussons, s’installe pas loin de moi faute de pouvoir glisser l’engin ailleurs.
« Ces maisons de retraite, quel bizness de merde, fulmine la femme, deux mille trois cents euros pour te retrouver au bout de deux mois dans un fauteuil. Moi j’aimerais mieux crever avant. Tu t’es laissé aller, t’as pas fait ta gymnastique et maintenant tu peux plus marcher. Nous, on veut rien. Tout ce qui est dans la maison, c’est pour toi, c’est pour payer l’enterrement. Alors la prochaine fois, il faudra que tu nous signes un papier. »
La serveuse apporte le monaco que fils et belle-fille ont commandé pour elle. « C’est une sacrée fête aujourd’hui », dit-elle.
                                                                  *
Je rentre à Collioure par le car de quatorze heures et me livre à mon activité habituelle en bord de plage pendant que sous mes yeux d’autres bronzent ou nagent. C’est une fin d’été sur le « pourtour méditerranéen » (comme disent les météorologistes).
                                                                  *
Le pigeon parisien se jette sur les miettes à grands coups d’ailes et se fait chasser à coups de pied. Le pigeon catalan marche sous les tables sans se faire remarquer.
                                                                  *
Les dépressifs du bord de mer, quand ils se croisent pendant leur errance journalière :
-Ça va ?
-Oui super, et toi ?
-Ça va.
 

11 octobre 2019


Je suis le seul ce jeudi à huit heures six à monter en gare de Collioure dans le train venu de Perpignan. J’en descends avec tous les voyageurs seize minutes plus tard à son terminus, la Gare Internationale de Cerbère, dernier village côtier avant l’Espagne. Le comité d’accueil est constitué d’une équipe de la Police Nationale qui ne trouve personne suspect.
Cette gare est perchée. Un passage souterrain entièrement graffé est le raccourci pour rejoindre port et plage. Je m’y risque en compagnie d’un couple et de leur fille adolescente. Il est si long que l’on n’en voit pas la fin. La jeune fille pense que l’on va arriver dans les égouts. A la sortie, c’est la Méditerranée.
Cerbère est bien lotie, comme l’écrit narquoisement Le Routard, et située dans une anse de petite taille. A première vue, on peut la trouver presque laide, surtout si on la compare à ses voisines françaises. En la regardant mieux, je lui trouve beaucoup de charme. J’aime ses hôtels en activité ou faillis, son école Jean Jaurès vieillie, sa banale église contemporaine, ses maisons entassées et surtout, encore un hôtel, ce paquebot de béton posé au-dessus des voies ferrée, datant du début des années trente, dont le tribord qui surplombe les trains est muni d’un horrible filet vert destiné à enrayer les chutes d’éléments de façade. Cet Hôtel du Belvédère du Rayon Vert est une réalisation de l’architecte Léon Baille. Ce fut la première construction en béton armé moulé au monde. Il est doté d’une salle de spectacle de cent cinquante places. On peut le louer pour se marier.
Aujourd’hui, à Cerbère, chez les écoliers, c’est éducation civique sur le terrain. Une classe assiste à la récupération par des plongeurs de poubelles tombées dans la mer. Une autre parcourt les rues en ramassant les déchets qui traînent, ce qui n’est pas du goût d’une femme qui le dit à une autre : « Les gens jettent leurs ordures n’importe où, c’est pas à nos enfants de les ramasser. »
En bord de mer, sous les voies ferrées, devant un antique wagon de marchandises, est érigée une statue de femme à panier d’oranges. C’est un hommage aux transbordeuses, ces femmes qui, à cause de la différence d’écartement des voies entre la France et l’Espagne, étaient employées à la manutention des marchandises qu’elles faisaient passer du wagon en provenance d’Espagne à un wagon français disposé en vis-à-vis. En mil neuf cent six, ce sont elles qui firent la première grève de femmes en France.
Une autre statue est installée sur la placette des Transbordeuses, un endroit sous la protection de Voisins Vigilants « en liaison immédiate avec la gendarmerie ». Mon appareil photo me permet de montrer patte blanche (si je puis dire).
Après avoir fait tout le tour de Cerbère, je prends un café verre d’eau à un euro cinquante à la terrasse du Restaurant de la Plage. Bien que le ciel hésite entre se voiler et se dévoiler, il y fait bon commencer ma relecture du Journal de Gouverneur Morris. Je la poursuis sur un banc du port en assistant au repêchage d’une dernière poubelle.
C’est également au Restaurant de la Plage, qui n’a guère de concurrence, que je déjeune pour seize euros de sardines grillées pommes frites suivies d’une crème catalane, en buvant deux verres de vin blanc de Collioure à trois euros cinquante. On y est pingre en pain. Je n’ose en redemander une deuxième fois.
Afin de prendre le train de quinze heures trente-sept, je monte à la gare par la route sous un ciel devenu bleu. En chemin, je m’engage le long de la voie ferrée pour prendre une dernière photo de l’Hôtel du Belvédère du Rayon Vert quand une voix féminine m’interpelle.
-Vous n’avez pas le droit d’aller par-là, monsieur.
Cette voisine vigilante travaille au poste de contrôle.  
-Je fais une photo, lui dis-je.
-Une photo et vous revenez, m’ordonne-t-elle.
Je n’irai pas jusqu’à la qualifier de cerbère.
Je monte dans mon train en compagnie de quelques Espagnols arrivés de Port-Bou par la compagnie Rodalies de Catalunya. L’une me demande s’il va bien à Perpignan en me tutoyant comme font souvent les étrangers quand ils parlent en français et j’aime ça.
Descendu à Collioure, c’est par un temps que l’on peut qualifier d’estival que je poursuis ma lecture après avoir bu mon habituel café au Petit Café. Il doit son nom au local en forme de trou dans lequel il est installé. Sa terrasse est immense.
                                                                 *
Une arrivante à Collioure : « C’est où, l’église ? C’est quand même pas ça ! »
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Une autre : « C’est plus joli que Saint-Tropez. Et puis surtout, pas encombré d’énormes bateaux pouraves. »
 

10 octobre 2019


« Les hauts de Collioure », c’est le nom d’une des douze randonnées « mar i munt » proposées par le département des Pyrénées-Orientales. Je m’en suis procuré un topoguide succinct à l’Office de Tourisme : trois heures, neuf kilomètres six, facile, en boucle. Comme l’itinéraire passe par le Fort Saint-Elme que j’ai déjà atteint par un autre chemin, je décide ce mercredi matin de n’en faire qu’une partie puis de redescendre sur mes pas.
Le départ est près du temple à la façade ocre jaune. Un panneau invite à songer aux réfugiés qui sont passés par ici lors de la Deuxième Guerre Mondiale. Après un passage sous la voie ferrée, me voici rue de la Galère. Il faudrait ensuite aller, par le chemin de la Consolation, vers une fourche puis monter à gauche afin de faire un aller-retour jusqu’à Notre-Dame de la Consolation, mais je ne trouve pas.
Peu importe, je continue entre les vignes par une attirante petite route goudronnée, puis par un chemin de terre caillouteux, bénéficiant au fur de la montée d’une belle vue sur Collioure, Argelès-sur-Mer et Port-Vendres. La Galère est le nom d’un champ de vignes, lis-je sur une barrière. Je fais des photos mais ça donne peu. Les montagnes ont l’air d’être moins hautes qu’elles ne sont. Quand même, je suis au-dessus du Fort Saint-Elme. J’aperçois des fortifications sur les sommets voisins. J’entends siffler les trains quand ils entrent dans le tunnel tout en bas. Au bord du chemin, je trouve un petit monument blanc à la mémoire d’un pompier mort à cet endroit en mil neuf cent soixante-quinze, puis j’atteins un sommet. Poursuivre voudrait dire descendre donc monter au retour et je mesure ma fatigue. Je fais demi-tour, apercevant dans la descente le Fort Dugommier qui était mon objectif et que j’avais raté en montant.
A midi, L’Amphitryon affichant toujours le même premier menu, je tente L’Arcade dont la terrasse est entourée de maisons colorées. Une jeune serveuse m’installe à une table sous les arbres. La formule du jour à quatorze euros cinquante propose une salade Serrano Manchego puis un sauté de bœuf sauce banyuls. Ce dernier est aussi bon que copieux. Le demi de vin blanc à huit euros est correct et le pain rustique excellent. Pendant ce temps, le ciel passe du bleu au gris.
C’est la première fois que je vois Collioure sous les nuages. Cela ne m’empêche pas de boire un café verre d’eau à la terrasse du Petit Café. J’y termine la lecture des Carnets de Montherlant devant une plage désertée, tandis que les membres du commando de choc s’entraînent en mer. Lorsque leur bateau revient vers le port, ils sautent un à un dans l’eau, ce qui fait s’esclaffer une touriste allemande. «  Das ist un spectacle », s’exclame-t-elle en langue mixte.
Cinq minutes plus tard, après avoir nagé jusqu’à la petite plage cachée par l’église, ces soldats aux visages grimés et lourdement armés passent en courant sur la promenade pour rejoindre leur commandement rentré à la base sans se mouiller. Quelques applaudissements se font entendre, certains un brin moqueurs.
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Vêtements et chaussures de ville, c’est ma tenue de randonneur depuis le début des années soixante-dix, et point de bouteille d’eau dans mon sac. Un modèle à ne pas suivre.
 

9 octobre 2019


A huit heures cinq, ce mardi, je paie un euro au conducteur de l’autocar côtier et, après une série de virages de montagne puis de détours dans Argelès-sur-Mer (aux deux parties bien distinctes : Argelès Village et Argelès Plage), j’en descends dans la partie ancienne devant l’Hôtel de Ville. Près de celui-ci se trouve une école vers laquelle se dirigent des élèves, dont une petite fille seule à chaperon rouge que je croise sur le pont enjambant la rivière à sec. « Il y a des traces de chien », me dit-elle, montrant des empreintes mouillées sur les planches. On ne lui a pas dit qu’il ne fallait pas parler à un inconnu.
Un bassin surmonté d’une statue de femme aux seins nus marque l’entrée de la rue Longue qui traverse ce village posé sur une butte. Cette rue et ses adjacentes sont bordées des typiques maisons aux tons ocres que j’ai toutes envie de photographier. Au sommet s’élève la massive église Notre-Dame-del-Prats dans laquelle j’entre pour en ressortir aussitôt car une messe y est dite pour une dizaine de fidèles.
Mon tour de village sous un ciel tout bleu achevé, j’entre à nouveau dans l’église où se trouve un fort beau maître-autel ainsi que les reliques de saint Côme et saint Damien, martyrs de Cyr en Syrie, saints patrons d’Argelès. Plusieurs femmes sont restées après la messe. Elles demandent en chœur à Marie de prendre pitié de nous, tandis que le curé encore en tenue s’affaire, allumant ici et là un cierge, puis ouvrant les deux battants de la grande porte. Est-ce une invitation subliminale à ce qu’elles s’en aillent ?
Je m’installe en face, à la terrasse du café restaurant La Noisette, où le noir breuvage est à un euro cinquante et, vidéo surveillé, j’y lis Montherlant jusqu’à ce que la tenancière mette en marche une vulgaire radio commerciale diffusée jusque dans les toilettes.
Un autre café nommé Le Glacier me recueille, qui pratique le même prix et où se masse la clientèle locale. Ici, point de fâcheuse radio mais le bruit d’une tronçonneuse en activité chez une riveraine qui fait raccourcir ses arbres. Je dois m’en accommoder.
De l’autre côté de la rue se trouve le Mémorial du Camp d’Argelès-sur-Mer qui rappelle une page sombre de l’Histoire, lorsqu’à l’initiative du gouvernement français et en particulier de Marx Dormoy, Ministre de l'Intérieur, fut établit, dès février mil neuf cent trente-neuf, un camp de concentration sur les plages de la commune, dans lequel se succédèrent cent mille réfugiés républicains espagnols, puis soixante mille autres hommes, femmes et enfants : nomades, réfugiés des pays de l’Est, juifs étrangers, etc.
Je n’y entre pas et à midi, faute d’autre choix, je retourne au Noisette pour déjeuner à une table ensoleillée. L’endroit propose une formule plat dessert à douze euros quatre-vingt-cinq : lasagnes aux fruits de mer avec salade et tiramisu, que j’accompagne d’un demi de muscat sec à sept euros cinquante et fais suivre d’un café.
A treize heures vingt, je donne un euro à la conductrice de l’autocar qui me ramène à Collioure où je ne fais rien d’autre que lire au bord de la mer, voyant désormais arriver mon café verre d’eau du Petit Café sans que j’aie à le commander. Au loin, un cargo blanc chargé de conteneurs blancs fait des ronds dans l’eau en attendant de pouvoir entrer à Port-Vendres.
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Sur certaines façades d’Argelès, les défigurant, des climatiseurs.
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Ici on lit L’Indépendant. Il ressemble à n’importe quel quotidien régional.
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Une femme à son mari dans le port de Collioure : « Mais ce bateau, là, c’est le bateau de secours ou le bateau pour faire des promenades ? » Je serais le commando de choc, je serais vexé.
 

8 octobre 2019


Il est tôt ce lundi matin lorsque j’arpente mon quartier provisoire pour faire des photos de ses rues étroites aux maisons colorées autrefois habitées par des pêcheurs. Je n’y croise personne. D’ailleurs, quelle que soit l’heure à laquelle je sors ou reviens dans celle où je loge, je ne vois pas âme qui vive, et la nuit aucun bruit ne perturbe mon sommeil.
De là, je me dirige vers la gare, et peu avant le Carrefour Marquette, tourne à gauche dans une impasse où se trouve le cimetière. Je n’ai aucune difficulté à trouver le tombeau d’Antonio Machado. Isolé sur la droite en entrant, habillé du drapeau de son pays, nul ne peut le manquer, avec sa boîte à lettres scellée dans la pierre. Un jour où je passais par-là, il y a moult années, des écolières espagnoles y glissaient chacune une missive, mais aujourd’hui je suis seul devant la dalle. Cependant, des pommes de pin, des fleurs et des plaques officielles, dont l’une datant de cette année, témoignent de la vie qui règne ici. Je ressors de ce cimetière avec les vers d’Aragon chantés par Jean Ferrat en tête : Machado dort à Collioure / Trois pas suffirent hors d'Espagne / Que le ciel pour lui se fît lourd / Il s'assit dans cette campagne / Et ferma les yeux pour toujours.
Je vais ensuite jusqu’au Château Royal et attends qu’à dix heures il ouvre, afin de visiter ce qui peut s’en voir. Mon grand âge me permet de ne payer que deux euros pour aller librement à la découverte de salles toutes vides. Dans l’une, quand même, est accroché un tableau montrant le départ pour Naples des juifs chassés d’Espagne arrivés à Collioure un an plus tôt.
Grimpé sur les remparts, je suis soumis à un vent sévère, mais j’y trouve un abri ensoleillé qui me permet d’assister de haut aux manœuvres du commando de choc. Les occupants de trois canots fonctionnant à la rame, sous les ordres d’un instructeur en bateau à moteur, simulent un débarquement sur la plage.
La visite s’achève par une évocation un peu scolaire, mais qui a le mérite d’exister, d’un épisode peu glorieux de l’histoire de ce château. En mars mil neuf cent trente-neuf, après la victoire de Franco, il fut transformé en prison pour devenir le premier camp disciplinaire destiné aux réfugiés espagnols.
Quand je redescends sur le bord de mer où les vagues sont bien formées ce matin, je me trouve face à deux militaires venus en kayak, le visage peint façon camouflage et porteurs de fusils d’assaut peut-être factices. Le lieu où se déroule ces exercices est si opposé à l’esprit qui les anime que je suis tenté d’y voir une animation pour touristes, comme celle offerte par les musiciens de rue présents quotidiennement. L’un d’eux est un spécialiste du Concerto d’Aranjuez. Il y a aussi un duo guitare et saxophone blanc en plastique qui joue de la musique brésilienne.
Comme le menu du jour de L’Amphitryon s’avère être un menu de tous les jours, je m’en vais déjeuner à l’Hostellerie des Templiers, et à l’intérieur, afin de voir les tableaux qui en occupent les murs et, incidemment, le va-et-vient des jolies serveuses, dont une anorexique. Côté cuisine, c’est aussi cher qu’ailleurs, dix-sept euros quatre-vingt-dix pour le premier menu et onze euros pour un demi de vin blanc (ce n’est pas que je tienne à boire un demi à chaque repas mais dans le coin le quart est inconnu). Après une salade torti, jambon Serrano, fromage Manchego et tomates confites correcte, un risotto gambas et chorizo avec une seule bestiole, je suis déçu par le turrón glacé maison aussi dur qu’un glaçon.
-C’est bizarre un sax en plastique, dit ma voisine à son mari.
-Un quoi ? l’interroge-t-il d’un air interloqué.
-Un sax, qu’est-ce que tu avais compris ?
Lorsque je paie à l’une des jolies filles, je lui demande si elle sait qui sont les deux hommes représentés sur le tableau derrière elle.
-Vous savez, vous, monsieur ? me répond-elle.
                                                                      *
L’Hostellerie des Templiers fut fréquentée par Matisse, Maillol, Dali, Picasso et Dufy, tous amis avec René Pons, le grand-père de l’actuel patron. Ils le remerciaient pour le gîte et le couvert par des dons d’œuvres. Le fils de René, amateur d’art, a continué la collection. « Avis aux cambrioleurs, les tableaux les plus beaux ne sont pas ici », précise Le Guide du Routard.
                                                                      *
À la chute de la Seconde République espagnole, le poète Antonio Machado, sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, fuirent vers la France. Peu après leur arrivée à Collioure, épuisé, il y mourut, trois jours avant sa mère. C’était le vingt-deux février mil neuf cent trente-neuf. Il avait soixante-trois ans.
 

7 octobre 2019


Seul point commun trouvé pour l’instant entre Collioure et Rouen : il s’y tient un marché le dimanche matin. Celui que je découvre en le traversant pour aller à la gare est plein d’agréments pour qui aime ça. Ce n’est pas mon cas. Je veux aller à Port-Vendres, entre Collioure et Banyuls, par le train, car ce jour point d’autocar à un euro. La gare étant fermée pour la journée, un antique automate me délivre un billet à un euro vingt que je ne peux valider car il n’y a pas de composteur. Des touristes étrangers s’y collent ensuite avec difficulté, à qui la France donne l’image d’un pays arriéré.
Le Téheuherre de dix heures six où je trouve place passe par un long tunnel sous la montagne dominée par le Fort Saint-Elme. A la sortie de celui-ci, c’est Port-Vendres « planqué au fond d’une longue échancrure » (dixit Le Routard). Un aimable autochtone m’indique comment rejoindre le port par un escalier. Les bateaux de plaisance y côtoient les bateaux de pêche et les cargos transportant des fruits et légumes venus d’Afrique du Nord. J’en fais le tour, passe devant l’église rose de type espagnol dans laquelle entrent quelques ouailles, puis prends la direction du fort fanal, ce qui me fait trouver Les Poissonneries de la Côte Catalane tenues par la famille Hervé depuis trois générations.
Il est onze heures, le moment parfait pour goûter quelques huîtres, me dis-je en montant l’escalier qui mène à la salle panoramique. J’en commande six, de Bouzigues, pour huit euros soixante-dix, avec un verre de muscat sec Elise du Domaine Piquemal à trois euros quatre-vingt-quinze. Une jeune fille brune m’en apporte sept à la demi-douzaine, fraîches et goûteuses. Cet endroit serait encore plus agréable si on n’y diffusait pas une vulgaire radio commerciale. Redescendu, je vais jusqu’au belvédère, près du fort fanal, où une vierge à l’enfant dorée contemple l’étendue maritime.
Revenu sur mes pas, je m’installe à une table avec vue sur la Gare Maritime au restaurant Chez Pujol, autre institution culinaire locale. Dans le menu à vingt et un euro quatre-vingt-dix, je choisis l’esqueixada de morue et la morue à l’aïoli que j’accompagne d’un demi de muscat sec Serre Romani « Petit grain de folie » à quatorze euros. L’un des serveurs me le fait goûter avant de le verser de la bouteille ouverte devant moi dans un pichet qu’il dépose dans un seau de glaçons. Un chat se promène entre les tables. Il fait fuir la femme qui venait de s’installer à la table voisine de la mienne. Son mari la suit en riant pour se donner une contenance. Un autre couple, tristounet, les remplace, d’où je ne peux tirer la moindre citation. La terrasse est vite complète, ce qui transforme le chemin des serveurs en labyrinthe. J’aime la morue de Chez Pujol. Pour dessert, je ne trouve pas mieux qu’une crème catalane.
Collioure étant distante de trois kilomètres, je choisis de rentrer pédestrement. Pour ce faire, j’emprunte le sentier du littoral marqué de petits rectangles jaunes. Plus d’une fois, malheureusement, il faut contourner des constructions. Quand j’arrive au but, je m’installe à une des tables de la première rangée à la terrasse de plage du Petit Café, le ciel bleu du matin étant remplacé par un ciel gris, tant pis pour les lève-tard.
                                                                    *
Un convive de Chez Pujol : « Didier, je m’en méfie. Il est fine gueule mais il reste quand même de la Haute-Marne. »
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Une femme au même endroit, évoquant la mort future de sa mère avec d’autres, comme si cette dernière n’était pas en train de déjeuner avec eux : « Elle a l’usufruit de la maison, mais c’est à mon nom, comme ça au moment de l’héritage, y aura beaucoup moins de frais de notaire. »
                                                                    *
Une jalouse à Collioure : « Mais à habiter au bord de la mer, y doivent avoir de l’humidité dans leurs maisons. »
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Sont soûlants avec leur : « a la plancha ».
 

6 octobre 2019


Ce samedi matin, comme pied gauche et genou droit ont cessé pour un temps de me faire souffrir, j’entreprends de grimper jusqu'au Fort Saint-Elme qui domine Collioure. Construit par Charles Quint, il fut l’objet de moult combats entre Français et Espagnols.
Pour cela, je longe le Couvent des Dominicains puis entre dans le Parc Pams au bas duquel se trouve le Musée d’Art Moderne. Ce jardin de terrasses successives est doté de marches qui permettent d’arriver sans trop d’effort à un fort beau moulin à vent, le Moulin de la Cortine que construisit Jacques Ermengalb, citoyen de Collioure, après que le onze février mil trois cent trente-sept, l’y eut autorisé le Chevalier Raymond de Toulouse, Procureur du Roi de Majorque, « pour y moudre les grains ou récoltes de toute sorte de sa propre autorité ». Restauré au début de ce siècle, il fonctionne « pour la trituration des olives et l’élaboration de l’huile de Collioure ».
Après en avoir fait le tour, je poursuis par un chemin fort caillouteux, dépassé par un alerte jeune homme puis par un coureur plus ventru que moi qui doit s’arrêter quelques dizaines de mètres plus haut pour reprendre son souffle avant de repartir plein d’espoir.
C’est toujours plus loin que ça en l’air. Quand on s’en approche, ce fort n’est plus visible. N’étant pas du genre masochiste, j’ai espoir à chaque virage que c’est le dernier. Un embranchement me laisse perplexe. Heureusement arrive en descente une jeune femme hollandaise. « Je suis montée par ici et je reviens par-là », me dit-elle. « Tous les chemins mènent au château », ajoute-t-elle, ce qui me paraît être une saine philosophie de la vie.
Enfin j’y suis, contemplant Collioure ensoleillée de haut. Malheureusement, je ne peux faire le tour de l’édifice, encore moins y pénétrer. Il faudrait pour cela attendre l’heure d’ouverture au public et payer l’entrée.
Je redescends donc, en faisant attention où je mets le pied, repasse par le Moulin de la Cortine puis prends sur la droite afin d’atteindre la gloriette qui servait de fumoir au Sénateur Pams. Elle qui semble si jolie, cubique dans son écrin de verdure, quand on la voit de la plage ou du port de Collioure, s’avère être en piteux état.
Un si bel effort mérite une  longue pause-café, verre d’eau et lecture, à L’Ambiance.
A midi, pour échapper à la foule du ouiquennede, je retourne déjeuner à L’Amphitryon, face au château et à l’église, où ce jour le premier menu est à vingt-quatre euros. C’est l’occasion de commander la traditionnelle assiette d’anchois « la Flaschante » et une dorade entière grillée au fenouil. Je les fais précéder d’un verre de banyuls et les accompagne d’un demi de vin blanc. Je suis à la seule table au soleil, les familles sont sous l’auvent à l’ombre, ainsi qu’un jeune couple à l’air sympathique qui se partage une salade et des moules.  
C’est sur un banc mi ombre mi soleil que je lis en début d’après-midi face au débarcadère où un bateau promène touristes, venu de je ne sais où, déverse des groupes de retraité(e)s. Les soldats du commando de choc ont leur samedi pour eux (et sans doute aussi leur dimanche).
Tandis que carillonne longuement seize heures au clocher de l’église, je commande un café verre d’eau à deux euros dix à la terrasse de plage du Petit Café. Peu avant que je n’en parte, un homme, sa fille et sa petite-fille, cette dernière à qui je donne quatorze ou quinze ans, s’installent à ma droite. « Vivement l’hiver, déclare le grand-père, j’aime Collioure quand il n’y a personne. » « Tu lis quoi en ce moment ? », lui demande sa fille sans doute inspirée par mon activité. « Rien, je regarde les matchs, il y en a trois par jour » (il s’agit de ruby, comme on dit par ici). Une mouche passe. « Tu aurais dû apporter ta tapette », lui dit sa fille. « Des tapettes, il y en a ici », lui répond-il. « Oh, je viens de comprendre, dit la petite-fille au bout de quelques dizaines de secondes, c’est un tantinet homophobe ça, disons que ce n’est pas mélioratif comme terme. » « Tu as décidé de mettre tous les mots que tu connais dans une seule phrase ? » lui demande sa mère. « Ce n’est pas très valorisant pour toi ce que tu viens de dire, c’est quand même toi qui as fait mon éducation », répond la petite-fille. La mère reproche ensuite au père, duquel elle est divorcée, de ne pas réserver assez vite le billet d’avion de sa fille pour les vacances de Noël. « C’est quand même bien avec lui que tu as fait une fille », lui fait remarquer la demoiselle qui aimerait avoir cette année une fête d’anniversaire uniquement organisée par elle-même et sans la famille. « Comme je deviens un peu grande », plaide-t-elle. « Je te rappelle que tu n’as que treize ans, lui dit sa mère, et pas encore d’ailleurs ».
                                                                    *
Un jeune couple en terrasse à l’Ambiance :
Elle : « C’est quoi là-haut ? »
Lui, regardant sur son mobile : Le Fort Saint-Elme. »
Elle : « On peut y aller en voiture ? »
Lui : « Oui ! »
                                                                   *
L’Amphitryon : ses toilettes pour handicapés en sous-sol.
                                                                    *
Des mariés photographiés par une professionnelle devant le clocher phallique.
 

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