Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

3 juillet 2018


Ce dimanche matin, à sept heures et demie, je me dirige vers la rue des Bons Enfants où est annoncé un vide grenier. Lorsque j’aborde cette rue, nul déballage n’y est en cours. Je la remonte néanmoins. A l’autre bout, deux camionnettes remplies de marchandises sont arrêtées moteur tournant. Leurs conductrices sont désemparées.
-Apparemment, c’est peut-être annulé, apparemment, dit l’une à l’autre.
Le téléphone indiqué par les organisateurs ne répond pas.
La Mairie avait pourtant préparé des barrières et fabriqué des panneaux d’interdiction de circulation.
Arrive une voiture de la Police, mais son conducteur ne sait rien, il passait là par hasard.
Les deux déballeuses déçues restent plantées, comme si un miracle allait se produire, tandis que je rentre à la maison.
                                                           *
La veille, à seize heures, l’hymne national braillé par la partie masculine de la clientèle du Bar des Fleurs (il doit y avoir des femmes mais on ne les entend pas) vient troubler la quiétude du jardin. S’y ajoutent des sirènes du genre de celles qui donnent l’alerte et, à chaque but des joueurs de l’équipe de France, des pétards qui font autant de bruit que des bombes.
Le message subliminal des fanatiques de la Coupe du Monde, c’est : « On a envie d’une guerre ». Les nationalismes en plein essor et l’Europe se désagrégeant, leur espoir pourrait ne pas être vain.
                                                            *
Catherine Morin-Desailly, Sénatrice, Centriste de Droite, sur les réseaux sociaux : « Sous le regard du grand Pierre Corneille, l’Opéra de Rouen Normandie dévoile sa nouvelle façade pour sa nouvelle saison 2018/19 ! ». La photo accompagnant ce message enthousiaste en témoigne : comme elle l’a toujours fait, la statue de Corneille tourne le dos à la façade de l’Opéra. Les politicien(ne)s ont du mal avec la réalité.
 

2 juillet 2018


Vendredi vers dix-sept heures sous le fort soleil je franchis la Seine, remonte la rue Saint-Sever puis continue tout droit pendant un bon moment. Comme je suis en avance, et assoiffé, je trouve une place à la terrasse de trottoir de La Civette. J’y commande un diabolo menthe et me renseigne sur l’endroit exact de l’école où m’appelle le départ à la retraite de celle qui était directrice de l’école maternelle où se déroulèrent mes dernières années d’instituteur et qui est depuis une dizaine d’années adjointe en élémentaire sur la même rive. Dans une semaine elle aura cessé le travail, à un âge plus avancé que le mien d’alors.
A dix-huit heures, je franchis la porte de cette école primaire que je ne connais pas et y retrouve avec plaisir l’héroïne du jour entourée d’élèves et d’ancien(ne)s élèves, de leurs parents, de collègues d’aujourd’hui et d’hier, de son fiston et de l’amie d’icelui. Quelques personnes sont de ma connaissance, ainsi l’une de mes anciennes élèves qui entre en terminale scientifique et vise à devenir ingénieure.
Bientôt arrive une de nos collègues de la maternelle d’autrefois.
-Cela fait douze ans que je n’avais pas remis le pied dans une école, leur dis-je.
J’ajoute que c’est sans doute la dernière fois. La nouvelle arrivée proteste, elle doit prendre sa retraite dans deux ans, et tu seras invité me dit-elle.
En attendant, celle qui la prend cette année grimpe sur un banc et annonce qu’on attend sa sœur et sa mère, parties un peu tard d’Honfleur, et elle nous invite à nous rafraîchir. Il y a des boissons diverses, dont l’une pour les adultes qui ne boivent pas que de l’eau, et des brochettes de fruits frais confectionnées par ses élèves qui, précise-t-elle, se sont lavés les mains.
Lorsque les deux invitées attendues sont là, c’est le moment du discours du directeur de l’école. Il retrace le parcours de celle qui s’en va. J’apprends ainsi que lorsqu’elle avait vingt ans, au tout début de sa carrière (comme on dit) dans un village proche de Rouen, elle avait abonné sa classe à Grodada, la revue pour enfants du Professeur Choron (« on ne pourrait plus faire ça maintenant », dit-elle) et que celle-ci ayant gagné un concours de bandes dessinées proposé par ce mensuel, elle avait eu la surprise de voir arriver le camion du Professeur Choron chargé de jeux électroniques destinés à chaque enfant. Par la suite, elle fut l’une des responsables nationales, et même pendant deux ans la Présidente, de l’Icem (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne) qui promeut ce qu’on appelle la Pédagogie Freinet.
Un chœur des collègues et anciens collègues, dans lequel je me fais discret, interprète une chanson de circonstance sur l’air du Chant des Partisans puis une vidéo réalisée à l’insu de la quasi retraitée par l’un des enseignants de sa dernière école, avec la participation des différentes classes, est ensuite projetée sur un écran bricolé fixé au mur avec des bouts d’adhésif (l’école publique manque de moyens). Le son est diffusé par les deux petites enceintes d’un ordinateur portatif. On entend donc peu, mais c’est sympathique, frais et drôle.
Arrivent ensuite les cadeaux farfelus que l’on offre dans ce genre de circonstance. Ils sont accompagnés d’une enveloppe de participation financière à un voyage futur vers une lointaine contrée.
L’héroïne du jour, émue, remercie et conclut son intervention par une version personnelle de Ma plus belle histoire d’amour c’est vous à destination de ses élèves.
On peut aller se resservir en jus d’orange amélioré. Nous colloquons un moment, assis en triangle, nous les deux anciens adjoints de l’école maternelle Marcel Cartier avec notre ancienne directrice et promettons de nous revoir.
Au retour, lorsque je croise la ligne de métro, je regarde dans combien de temps arrive le prochain : quatorze minutes. Je continue donc à pied. Il n’y a pas mieux que les transports en commun rouennais pour vous obliger à faire de l’exercice physique.
 

30 juin 2018


Proust pèse lourd dans mon sac quand d’un coup de métro je rejoins Ledru-Rollin. Je vais d’abord au marché d’Aligre où l’antiquaire aux livres déstockés est de nouveau présent avec ses deux rabatteurs. Cette fois, tout est à un euro. Une aubaine dont je profite, trouvant là notamment une vieille édition de mil neuf cent cinquante-trois des Lettres de la maison des morts de Julius et Ethel Rosenberg (Gallimard) dont les pages n’ont pas été coupées.
Je passe ensuite chez Emmaüs faire don des quatre livres refusés par Book-Off puis entre dans mon Péhemmu chinois préféré.
-Alors, on change ou on change pas ? me demande la gentille serveuse.
-On change pas.
Elle me récite mon menu : « harengs pommes à l’huile, confit de canard pommes sautées salade, avec un quart de côtes-du-rhône et un café ».
C’est une belle journée d’été bien chaude. Tout en mangeant, j’observe par la vitre les jolies Parisiennes dans leurs tenues sexy. Elles ne les portent pas avec autant d’assurance que les filles de Montpellier. C’est le premier jour des soldes. Une femme blonde arpente la rue en répétant d’une voix de stentor  « Ils vont dépenser leur pognon comme des moutons ».
A l’issue de mon repas, j’entre dans le second Book-Off où parmi les romans à un euro, magie des livres mal classés, je trouve Journal d’une crise suivi de Correspondance de concert de Glenn Gould (Fayard).
La chaleur me déconseillant de faire davantage d’efforts, je vais lire à l’ombre, dans le port de l’Arsenal, le Points/Seuil Notre Guerre (Journal de Résistance 1940-1945) d’Agnès Humbert, historienne d’art prisonnière des nazis pour son implication dans le réseau du Musée de l’Homme, l’un des livres achetés au vide grenier de la Butte aux Cailles.
Après qu’il m’eût  été dit que l’administration n’allait pas me nourrir d’aspirine. Frau Vicom me donna un bon coup de poing dans l’estomac et me voilà partie en vol plané dans l’escalier… ayant pu m’accrocher à la rampe à moitié de l’étage, je n’ai pas eu de mal et il m’a été possible de méditer, pendant le restant de la journée, sur le traitement de la grippe en Allemagne.
Près de moi, un quadragénaire félicite un sexagénaire pour ses écritures :
-L’histoire que tu m’as racontée deux cents fois de Roland Garros avec la caméra qui revient sur la tante Hélène, je trouve que tu l’as écrite vraiment bien, avec légèreté.
                                                            *
De plus en plus de trottinettes électriques en libre-service sur les trottoirs et personne pour les utiliser ? Si, deux pré-branlotins dans le port de l’Arsenal. Ils font avec elles des dérapages contrôlés qui laissent des traces de pneu sur le sol.
                                                            *
En ce jour de grève, les barrières à Morin sont en fonction pour le seize heures vingt-huit qui va à Rouen. La voix enchaîne les messages anxiogènes : pas question de revenir en arrière une fois entré dans la zone, pas moyen de se faire accompagner dans la zone.
Ainsi, par la faute du Duc de Normandie, les vieux parents et les femmes enceintes ne peuvent plus avoir l’aide de leur famille pour s’installer dans le train.
                                                            *
Le dix-sept heures quarante-huit est en libre accès. C’est un Corail et il est climatisé. De plus, il part à l’heure. Les mêmes qui le matin, voulant encore dormir ou déjà travailler, demandent aux bavards de faire moins de bruit, au retour jouent bruyamment aux cartes, après la journée de labeur faut bien se détendre. Rien ne peut m’empêcher de lire.
 

29 juin 2018


Quand j’arrive à la gare de Rouen, ce mercredi, les trains pour Paris de six heures vingt et une et de six heures cinquante-quatre sont encore là pour cause de « restitution tardive de travaux à Gaillon » (il n’y a pas que dans l’art contemporain que l’usage du mot restitution fait florès). Je m’assois en attendant des nouvelles du mien, le sept heures vingt-quatre. « Les personnes qui ont des examens à Paris Saint-Lazare sont priées de se présenter à l’accueil », déclare la voix de la gare puis elle annonce que l’un des deux trains n’est pas en état de partir et invite ses voyageurs à le quitter pour s’installer dans l’autre. C’est une folle cavalcade pour remonter les escaliers puis descendre sur l’autre quai. Les moins rapides voyageront debout. Ce sont les plus vieux, les boitillants et les plus chargés. Pour voyager en train aujourd’hui mieux vaut être jeune, en bonne santé et sans bagage.
La voie deux étant encombrée par le train en panne, c’est de la trois que part le mien avec du retard. De plus, ce direct est devenu omnibus. Il arrive dans la capitale trente minutes après l’heure prévue. Les employés de la Senecefe distribuent les imprimés qui permettront à certains d’être partiellement remboursés. Ce faisant, ils créent un embouteillage. « Ils devraient distribuer les bons de retard au départ de chaque train, dit un voyageur, on gagnerait du temps. »
Etre en retard m’arrange. Cela me permet de ne pas être trop en avance devant le Book-Off de Quatre Septembre où j’ai un sac de livres à vendre. Alors que j’attends à la porte, une nymphette arrive et essaie de la pousser.
-C’est fermé, lui dis-je.
-Je suis la stagiaire, me répond cette enfant.
-C’est fermé quand même. Il y a encore des stages de troisième en cette fin d’année ?
-Je suis en quatrième, me dit-elle tandis qu’on lui ouvre.
Deux minutes plus tard, c’est à mon tour d’entrer. Quatre livres me sont refusés. Les autres me rapportent neuf euros quatre-vingts centimes. Je fais ensuite le tour des rayonnages à un euro, y trouve un mince livre de Rainer Maria Rilke intitulé Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, trente et une pages, chez Actes Sud, puis, sur un chariot, l’énorme Recherche du temps perdu en un seul volume, deux mille quatre cent huit pages, chez Quarto Gallimard, à un euro également, comment est-ce possible ?
Pendant ce temps la stagiaire met des livres dans les rayons sans jamais se laisser distraire.
                                                                 *
Aurélien Bellanger n’a pas la cote chez les bouquinistes rouennais. Ni Le Rêve de l’Escalier ni Les Mondes Magiques n’ont voulu de La Théorie de l'information dont la lecture m’avait déçu. Book-Off me le refuse, le trouvant un peu défraîchi. C’est pourtant là que je l’avais acheté, un euro. Plus qu’à le déposer chez Emmaüs, où il trouvera preneur pour deux euros.
 

28 juin 2018


Francisco de Goya demeura fidèle à son ami d’enfance Martin Zapater. Ils correspondirent longuement. Goya survécut vingt ans à Zapater. Leur correspondance s’arrête avant la mort du second (fâcherie ou perte des lettres on ne sait). Des Lettres à Martin Zapater de Francisco de Goya, traduites, préfacées et annotées par Danielle Auby, publiées en mil neuf cent quatre-vingt-huit par les éditions Alidades, lues en terrasse, au Son du Cor et au Sacre, j’ai tiré peu :
Sabatini s’est jeté sur quelques jolies esquisses que j’avais, je les avais déjà promises et toi tu étais en bonne place pour les avoir et maintenant me voilà les couilles au vent ! (décembre mil sept cent soixante-dix-huit)
Moi je veux faire ce qu’il me plaît et qu’il aille se faire foutre celui qui tient compte du monde et des fortunes de cour, je vois bien clairement que les ambitieux ne vivent pas qu’ils ne savent rien de l’endroit où ils vivent. (vingt octobre mil sept cent quatre-vingt-un)
                                                                 *
Intrigantes éditions Alidades.
Sises en quatre-vingt-huit à Sainte-Adresse où elles n’avaient pour adresse qu’une boîte postale, mais diffusées par Distique, elles sont maintenant à Thonon-les-Bains et n’ont plus de diffuseur :
« Nos ouvrages, pour la plupart de fabrication "maison" et de petit volume (de 24 à 64 pages), sont diffusés par nos soins, pour peu qu'on les demande, notre logique restant associative et non commerciale.
Comme de nombreux petits ou "micro" éditeurs, nous ne sommes guère en mesure de définir une "ligne éditoriale" : certains textes s'imposent, d'autres nous ennuient. » Leur catalogue est riche.
On ne peut accuser Alidades de harceler l’éventuel lecteur. Sur le réseau social Effe Bé, sa page est réservée aux amis. Ils ne sont que dix-sept.
                                                          *
La maison est la sépulture des femmes. dixit la femme de Goya, cité par son mari dans une lettre à Zapater.
 

27 juin 2018


Le beau temps est assuré ce dimanche, ce qui m’incite à aller à Bois-Guillaume pour le vide grenier annuel. A cette fin, je monte dans le premier bus Effe Un de la journée, départ à six heures quarante de République. J’en descends à la Mairie de cette commune de banlieue bourgeoise puis vais à pied jusqu’aux terrains de foute où ça déballe.
Si les vendeurs et vendeuses y proposent une marchandise de meilleure qualité que celle des pauvres de la rive gauche, elle n’en est pas moins d’aussi peu d’intérêt pour moi. Je fais plusieurs fois le circuit, que de livres de Busso et de Mussi ! Deux fois, je croise un homme qui porte autour du cou une pancarte « Proposez-moi des pin’s et des fèves », sa femme n’a pas l’air d’en être gênée. L’un des organisateurs s’en prend de façon agressive à un Chinois qui s’est installé sans autorisation, celui-ci n’est pas décidé à bouger. Je ne saurai pas comment se termine cet affrontement car je me trisse avec dans mon sac deux livres qui rembourseront mon déplacement.
Il faut que je me rende à l’évidence : plus aucun vide grenier de la région rouennaise n’est susceptible de me satisfaire.
                                                                *
Au Son du Cor, point de télé pour le foute heureusement, mais au Sacre, grand écran et drapeau tricolore de même taille fixé sur la façade, de quoi éviter au maximum l’endroit jusqu’à la fin de l’évènement totalitaire. J’y suis néanmoins le lundi faute de Son du Cor, vers midi, avant que ça commence.
L’autre semaine un homme tirant un chariot s’arrête à ma table et, me montrant la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier fermée, me demande si c’est fermé.
-Il est en vacances cette semaine, lui dis-je, et en plus c’est fermé tous les lundis.
-Je sais, me répond ce casse-pied.
Passent trois hommes en costume.
-Il y a des bureaux dans cette rue ? me demande-t-il
-Je n’en sais rien, et de toute façon je ne suis pas là pour discuter.
Il va son chemin avec son chariot, puis passe un branlotin au bras cassé avec un plâtre bleu blanc rouge.
                                                               *
L’autre semaine aussi, pendant que je suis à la Poste de la rue de la Jeanne occupé avec un automate à qui je demande des vignettes d’affranchissement, l’alarme se déclenche. Un ordre d’évacuation est donné. Je décide de rester jusqu’à ce que toutes mes vignettes soient imprimées. Une postière vient me faire la leçon.
-Si vous voulez, je vous donne mon nom et vous me dénoncerez comme mauvais citoyen, lui dis-je.
Quand, assourdi, je sors avec elle et mes vignettes, je constate que tous les autres usagers ont obtempéré. Elle fait descendre le rideau derrière nous. Je m’éclipse tandis que les citoyens obéissants attendent sur le trottoir en compagnie des employés qu’on les autorise à entrer de nouveau.
                                                               *
Ce mardi, au Son du Cor, ma jeune voisine lit La méthode simple pour les femmes qui veulent arrêter de fumer. Elle en surligne des passages en rose fluo et puis demande un cendrier.
 

26 juin 2018


Alors que je monte ce samedi la rue Louis-Ricard afin d’assister à dix-huit heures au spectacle de fin d’année des élèves du Conservatoire de Rouen au Théâtre des Deux Rives, je suis dépassé par une bicycliste en qui je reconnais l’ancienne Ministre des Sports qu’un ancien Président de la République va décorer ce soir, la faisant Chevalier de la Légion d’Honneur. L’aisance avec laquelle elle avale la pente n’est pas due à un quelconque effet dopant consécutif à la proche remise de la breloque officielle mais à l’assistance électrique de sa monture.
Ce sont d’autres chevaliers qui sont au programme de la soirée théâtrale : ceux de la Table Ronde, grâce à divers extraits de la décalogie Graal Théâtre de Florence Delay et Jacques Roubaud. J’ignorais qu’ils avaient écrit ensemble et je n’ai jamais lu la première. A mon arrivée, je me case en bas de l’escalier. Peu après apparaît Maurice Attias, le professeur de théâtre du Conservatoire. Il s’esbaudit à ma vue.
-J’entends bien votre rire moqueur, lui dis-je.
-Pas du tout, je ne me moque pas, me répond-il, vous êtes là, tout est bien, le monde ne va pas s’écrouler.
Je ne suis pas seul heureusement. On peut diviser le public en quarts, les ami(e)s des apprenti(e)s comédien(ne)s, les familles des apprenti(e)s comédien(ne)s, les ancien(ne)s apprenti(e)s comédien(ne)s, celles et ceux qui ne ratent pas une sortie culturelle.
Ma place habituelle étant réservée à un membre du jury, je m’installe un rang plus haut. A ma gauche s’assoient deux quadragénaires dont l’une ne m’est pas tout à fait inconnue. J’espère passer un bon moment bien que je sois devenu étanche aux contes, aux légendes, à la fiction en général.
Point d’annonce ni de présentation, cela démarre directement, avec des comédien(ne)s sur scène, dans les coursives et dans la salle. Le décor n’est constitué que d’un pupitre où poser le livre et d’un château en Playmobil. Lors des combats, les adversaires s’affrontent avec des épées miniatures. La réécriture du duo Delay Roubaud joue beaucoup du pastiche, de la parodie et des anachronismes. Çà et là, je reconnais l’apport de Jacques Roubaud, ainsi quand sont requis le baron perché et le chevalier inexistant de son ami Italo Calvino, membre comme lui de l’Oulipo, ou quand est évoquée la géométrie de Riemann. Les apprenti(e)s comédien(ne)s ont là l’occasion de montrer leur talent comique. Certain(e)s sont très fort(e)s dans ce domaine.
Après l’entracte, changement de registre. La destruction du château est symbolisée par un tissu blanc le recouvrant et le propos devient plus sérieux. La recherche du Graal n’ayant jamais été l’une de mes activités, cela me plaît moins, d’autant qu’il n’y a guère d’action et beaucoup de monologues, comme celui bien long narrant l’histoire de Tristan et d’Iseult. A un moment mon intérêt se réveille, mais c’est parce que ma voisine vient de coller sa cuisse nue contre ma main posée sur notre accoudoir commun. Elle s’en aperçoit rapidement et reprend une distance réglementaire. Je connais très vaguement son amie, mère d’une apprentie comédienne, pour l’avoir côtoyée autrefois à la terrasse du Son du Cor. On se dit bonjour, pas davantage. Heureusement car sinon elle me demanderait ce que je pense du jeu de sa fille et c’est justement celle qui me convainc le moins.
Après le carnage final, tout le monde se relève pour saluer et est fort applaudi. L’une des apprenti(e)s comédien(ne)s reçoit un bouquet de ses camarades pour avoir participé à la mise en scène. Un autre est offert à Maurice Attias qui dans ses remerciements n’oublie pas l’homme, présent dans la salle, qui a offert à nos yeux son château et accessoires (avec l’aimable autorisation de la marque déposée Playmobil France).
Il est vingt-deux heures lorsque je descends la côte. A la terrasse de l’O'Kallaghan's des buveurs de bière regardent la télé. Y a quoi ce soir ? Du foute évidemment.
                                                              *
« Les Jeux Olympiques de Paris en 2024, c’est à Valérie Fourneyron qu’on les doit. » (François Hollande à Rouen ce samedi)
C’est bon, on connaît le nom de la coupable.
 

25 juin 2018


Bien que ce soit jour de grève des cheminots, le train de sept heures vingt-quatre pour Paris se présente au moment voulu en gare de Rouen ce vendredi. J’y trouve place assise pas loin d’un trio qui discute et à qui un voyageur et une voyageuse demandent de parler moins fort s’il vous plaît, oui s’il vous plaît. Les volubiles sont de ceux qui voyagent peu souvent avec le train du vingt et unième siècle, ils ne connaissent pas les codes, se regardent interloqués puis obtempèrent. Au fur du voyage, le niveau sonore de leur conversation monte à nouveau. Une jeune femme se lève et leur intime de baisser la voix. Ce sont gens du Céhachu qui vont à un congrès sur le sida.
Nous arrivons à l’heure à Saint-Lazare. J’y trouve un bus Vingt sur le départ. Par sa vitre, j’aperçois les premières trottinettes électriques en libre-service. Elles s’ajoutent aux autres moyens de locomotion à partager qui encombrent déjà les trottoirs. Dans la vitrine de Rougier et Plé, peu avant Bastille, une banderole annonce la rentrée des classes et moins trente-cinq pour cent sur celle-ci. Le temps va de plus en plus vite, les vacances ne sont pas encore là qu’on solde déjà les fournitures de la prochaine année scolaire.
Chez Book-Off je ne trouve pas merveille. Au marché d’Aligre les habituels vendeurs de livres ont peu à proposer. En revanche, deux hommes originaires d’outre Méditerranée y claironnent un déstockage. On trouve de tout dans le stock, y compris du très bon. Deux livres minces m’intéressent mais tout est à deux euros. Je propose un euro pour chaque mais on n’a pas le droit de discuter le prix, me dit l’un des hommes, le patron ne veut pas. Je demande où. C’est l’antiquaire d’à côté, homme distingué à lunettes sur le haut de la tête. Il emploie ces rabatteurs pour se débarrasser de son lot de livres. J’hésite à aller le voir. L’un des hommes me dit d’essayer. Et ça marche. Le dernier mois de Léon Blum (Arléa) et Paul Valéry, dernier dîner à Auteuil de Camille Bourniquel (Editions de Fallois) deviennent miens.
Ayant rendez-vous à treize heures à la terrasse du Week-End avec celle à qui je dois rendre ses clés, je trouve à déjeuner pas loin à l’une des tables de trottoir de l’Arsenal Bastille où le menu est à un prix que j’oublie de noter. Devant moi devraient être garées des Autolib’ mais elles font parties de celles qui ont déjà disparu après le fiasco financier du partenariat public privé Mairie Bolloré. Je me souviens avoir écrit que ça ne marcherait jamais quand elles sont arrivées. Pour une fois, j’ai fini par avoir raison, plusieurs années après. Cet espace libéré me permet de bien voir l’Opéra à l’architecture peu remarquable.
Pour dessert je demande un tiramisu mais « Je peux ne pas vous le conseiller ? » me dit la patronne. Le cuisinier l’a raté. Ce que j’ai mangé n’était pas vraiment réussi non plus. C’est une adresse à oublier.
Celle que j’attends au Week-End arrive à l’heure dite. Je lui rends ses clés, lui raconte mes trouvailles de la Butte aux Cailles. Elle me parle de ses prochains rendez-vous médicaux et de la proposition de travail que lui a fait le Centre Pompidou.
                                                                       *
Au retour, j’ai place assise de justesse dans le dix-sept heures quarante-huit. D’autres n’ont pas cette chance, qui voyagent debout sur la plateforme ou assis dans les couloirs. Grève ou pas grève, c’est comme ça tous les vendredis.
                                                                       *
Le jour de l’été, je croise enfin la plus rohmérienne des Rouennaises au Son du Cor, que pour une raison inexplicable je n’avais pas revue depuis la Toussaint. Nous nous installons à une table au soleil, limonade pour elle, café verre d’eau pour moi. Elle m’annonce qu’elle se marie samedi.
-Oh la la, lui dis-je, quelle folie !
                                                                      *
Ce jeudi après-midi, c’est d’abord le foute avec une Marseillaise effrayante entendue au jardin, venue sans doute du Bar des Fleurs, puis le soir la Fête de la Musique à laquelle je ne vais pas, mais de mon lit j’ouïs les guitares électriques façon Shadows des Agamemnoz qui jouent dans l’Historial de la Jeanne.
 

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