Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

5 juin 2018


Direction Le Havre ce premier samedi de juin, dans un double petit Téheuherre parti de Rouen à sept heures précises et qui s’arrête partout, y compris à Foucart-Alvimare où la gare est murée. J’y ai un compartiment pour moi seul et suis heureusement en règle, car je découvre que dans ce genre de train, même un jour de grève, les billets peuvent être contrôlés.
A huit heures sept environ, je sors de la gare. Comme chaque fois, je suis les rails du tramouais jusqu’à l’Hôtel de Ville puis prends à gauche vers la mer, avec pour point de mire l’installation du double arceau de conteneurs colorés. Je m’arrête aux volcans grand et petit afin de repérer l’entrée de la bibliothèque Oscar Niemeyer. On y désherbe ce ouiquennede. L’endroit est photogénique, je sors mon appareil puis cherche où boire un café.
Trouver un bar ouvert au Havre le samedi à neuf heures, c’est difficultueux. Quartier Saint-François, Le Bon Coin est à demi ouvert. J’y vais au petit coin puis m’installe à la petite table ronde pour terminer la lecture d’Elise de Marcel Jouhandeau. Au comptoir, deux habitués sont rejoints par beaucoup d’autres plutôt jeunes. Quand il entre, chaque nouveau venu serre la main de tous les présents, y compris la mienne « bonjour, ça va ? ». On est comme ça au Havre, du moins ici. Tous carburent à la bière ou au vin blanc mais ce ne sont pas pour autant des pochards.
La vente des livres retirés de l’inventaire a pour nom Grande Braderie des Bibliothèques du Havre et doit commencer à onze heures. Ce pourquoi je quitte le Bon Coin vers dix heures et quart. Quand j’arrive au petit volcan, une file d’attente déjà imposante est visible derrière les barrières métalliques toutes neuves chargées de la canaliser, une file assise sur le petit muret blanc. Je pose mes fesses à la suite des autres. Plus qu’à attendre en profitant du soleil et en écoutant la conversation des deux jeunes femmes me précédant. L’une raconte que son bébé est obsédé par son zizi en ce moment. L’autre lui répond de ne pas s’en faire, cela lui passera. Derrière, la file s’allonge considérablement.
A l’heure dite, la porte s’ouvre. Tout le monde se lève et avance en suivant à l’intérieur un chemin balisé par du ruban rouge et blanc. Au bout, un pompier compte les entrants. Quand un certain nombre est atteint, il bloque la file. Je me félicite d’être arrivé sévèrement en avance.
Les bibliothécaires havrais ont désherbé avec parcimonie. Ce n’est pas ici que je vais trouver merveille. D’autres qui n’ont pas la même recherche remplissent des sacs à ne plus pouvoir les porter. Au bout d’un moment, une voix féminine demande aux présents de faire vite avant de laisser place aux suivants. Quand le pompier laisse entrer la deuxième vague, je juge inutile de persister et me place dans la file de sortie. Il faut faire enregistrer ses achats, on reçoit un bordereau, on va payer plus loin puis on suit des flèches jusqu’à la sortie. On est bigrement organisé ici. Devant l’entrée, la file d’attente ne semble pas avoir diminué.
Trouver un restaurant pas trop cher au Havre le samedi midi, c’est difficultueux. Après une vaine tentative à l’Hôtel Restaurant des Gens de Mer où manifestement on est encore à l’heure soviétique, j’échoue en bord de mer au Ferry-Boat. L’aimable patron me donne une table à l’ombre en terrasse. La vue est imprenable sur l’immeuble flottant Costa Pacifica, paquebot de croisière où l’on n’est pas superstitieux car il dispose de treize canots de sauvetage de chaque côté. A sa gauche, le ferry pour l’Angleterre. A sa droite, le double arceau de conteneurs colorés.
Je prends la formule plat dessert café à quatorze euros et commande des tripes à la mode de Caen, le genre de plat qu’il vaut mieux manger seul, cela évite d’entendre « comment peux-tu aimer un truc pareil ? » J’accompagne ce mets raffiné d’un quart de vin rouge corse à six euros. Le dessert est une tarte au citron meringuée que je ne jurerais pas de la maison.
                                                              *
Un buveur de bière du Bon Coin :
-Tu sais que c’est rétroactif, qu’a m’a dit. Ouah l’autre, elle a été à l’école plus que moi.
Il parle de son ex femme qui lui a permis de récupérer pas mal d’argent. Du coup, il lui a versé une bonne somme. La banque s’en est étonnée. « Bah quoi, c’est mon argent, j’en fais ce que je veux. »
 

4 juin 2018


Les places sont non numérotées cette année pour la soirée de présentation de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf à l’Opéra de Rouen. En conséquence, ça s’agglutine devant les portes de la salle dans l’attente de l’ouverture. J’observe comment le plus grand des abonnés de première catégorie se faufile entre ceux qui étaient là avant lui, suivi de sa femme et des amis de même acabit. Au feu vert, il est en tête de la bousculade.
Ce beau monde trouve à s’asseoir sans déchoir, c’est-à-dire au premier rang de la corbeille, même si ce n’est pas sur les sièges qui au fil des années ont pris la forme de leur fessier.
Je me contente d’une place en loge, au plus près de la sortie. Deux femmes m’y tiennent compagnie puis arrivent deux autres, dont l’une en fauteuil. Nous nous serrons : deux à gauche, deux à droite, moi au milieu. Cela devient intime.
A vingt heures, depuis le fond de la scène marchent vers nous quatre hommes que personne n’applaudit. Il faut que les techniciens dans la loge à notre droite tapent fort dans leurs mains pour qu’une partie du public les suive.
Le premier est Loïc Lachenal, nouveau Directeur, qui dit bonjour merci. Il passe le relais au deuxième, Hervé Morin, Duc de Normandie, Président de l’Opéra, qui parle cinq minutes pour se flatter du label Théâtre Lyrique d’Intérêt National puis passe le relais au troisième, Frédéric Sanchez, Chef de La Métropole, qui parle cinq minutes pour annoncer que désormais l’Opéra de Rouen est localement de son ressort puis passe le relais au quatrième, Jean-Paul Ollivier, Drac de Normandie, qui excuse l’absence de la  Préfète. Je n’en applaudis aucun et je ne suis pas le seul. Les trois derniers s’éclipsent.
Loïc Lachenal se place devant un prompteur et énumère les spectacles de la saison prochaine tandis que derrière lui sont diffusées des images arrêtées ou mouvantes illustrant ses propos.
-Vous comprenez ce qu’il dit, me demande ma voisine de droite, ou c’est moi qui entends mal.
-Il a des problèmes d’élocution, lui dis-je.
-Et il ne parle jamais de musique, constate la voisine en fauteuil.
Pas de thème pour cette année mais une couleur d’affiche : le rose fluo. La même en couverture des programmes. Moins de spectacles au Théâtre des Arts. Davantage à la Chapelle Corneille, cette salle trop dorée que je ne supporte pas. Des habitués (accentus, Pécou, Poème Harmonique et autres). Des déjà venus (Fabre, Preljocaj et autres). Beaucoup de divertissement (concerts goûter, opéras participatifs et au tournant du changement d’année, c’est les fêtes, soyons bêtes : Mam’selle Nitouche, Les Parapluies de Cherbourg et Music of Abba). L’Opéra récupérant L’Etincelle, l’un des débris du Hangar Vingt-Trois, il y aura aussi de la musique du monde. « Plus de jazz », déplore ma voisine de gauche.
Arrivé au bout de sa liste, Loïc Lachenal passe vite sur les nouvelles formules d’abonnement, dont la plus favorable propose le moitié prix pour vingt spectacles ou plus. Un dépliant compliqué permet de réserver sur papier. Je plains les employé(e)s de la billetterie.
Comme final, on assiste à un grand moment de démagogie à double détente.
Acte un : surjouant l’émotion, Loïc Lachenal évoque un gars de la technique qui part à la retraite ce soir même et dont la photo apparaît sur l’écran géant.
Acte deux : il invite sur scène des représentants des différents corps de métier qui œuvrent en commun pour la réussite de ce magnifique établissement, parmi eux des musiciens qui se font instrumentaliser et le retraité réjoui que le nouveau Directeur prend dans ses bras pour un câlin à l’américaine.
A aucun moment Loïc Lachenal n’a cité le nom de son prédécesseur : Frédéric Roels, ni même ne l’a évoqué indirectement.
-Tout ça ne donne pas vraiment envie d’assister à des spectacles, me dit la voisine en fauteuil.
-Non, mais les images  ça peut donner envie d’aller au cinéma, lui réponds-je.
Ces voisines, bien que navrées, sont néanmoins prêtes à accepter la nouvelle règle du jeu et à cocher les petites cases du bulletin d’abonnement. Pas moi.
Des flûtes emplies de liquide rose fluo nous attendent sur le bar. Je demande à l’une des serveuses ce que c’est. Une sorte de kir amélioré. « Moins cher que le champagne », lui dis-je. Elle ne se hasarde pas à commenter.
Sur les tables sont présentées des purées de légumes et du pain pour les étaler. « C’est furieusement écologique, dis-je à l’un des serveurs, dommage que ce ne soit plus les cochonneries des années précédentes. »  Il ne se hasarde pas à commenter.
Je m’aide de quelques cubes de fromage pour boire jusqu’au bout la mixture rose fluo bien trop sucrée puis je vais reposer mon verre. Il est neuf heures vingt. Je quitte les festivités. Devant moi, un sac en plastique à la main, marche Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action, vite parti lui aussi.
                                                                  *
« Et, avec David Bobée, metteur en scène dont je me sens très proche, nous ferons à la Chapelle Corneille un pastiche d’œuvres de Haendel interprétées par des acrobates. Un spectacle à tendance féministe qui sera assez sympa, je pense. » (Loïc Lachenal, interrogé par forumopera com)
                                                                  *
Quand on craint de n’être pas applaudi pour soi-même, on se fait applaudir au milieu d’autres qui le méritent.
 

2 juin 2018


Alerté par je ne sais quel signal mental, je fais une recherche ce mardi pour trouver la date de la vente de livres d’occasion de l’association La Bibliothèque à l’Hôpital qui se tient chaque année au Céhachu de Rouen et découvre que c’est ce jeudi à dix heures (je l’ai manquée l’an dernier faute d’information). Il s’agit pour l’association de vendre des livres un euro pour en acheter d’autres au bénéfice des malades.
Dès neuf heures et quart je suis en chemin. J’entre par la porte Germont d’où l’on rejoint facilement l’anneau central où a lieu le déballage. Arrivé sur place, je constate que je ne suis pas assez en avance. La vente est déjà en cours. Beaucoup de blouses blanches se pressent autour des tables, ainsi qu’un hospitalisé qui promène une perfusion à l’aide d’une potence à roulettes et un plus ou moins bouquiniste de ma connaissance.
Il y a deux ans, parmi les livres vendus, certains étaient quasiment neufs et le choix était grand. Ce n’est pas le cas cette fois. La plupart des ouvrages proposés sont des romans peu récents de qualité variable. Le semi professionnel rafle ce qu’il peut dans les ouvrages d’histoire.
Pour ma part, je suis quand même satisfait de trouver Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), auteur qui m’intéresse pour l’avoir entendu sur France Culture. Dire notamment que si d’autres sont sur les réseaux sociaux, lui est sur les réseaux asociaux. J’espère ne pas être déçu par la lecture du récit de son voyage pédestre en diagonale dans la France.
Il n’est pas encore l’heure officielle d’ouverture de la vente au public lorsque je quitte le Centre Hospitalier Universitaire Charles-Nicolle.
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Autre auteur m’ayant séduit par ses propos sur France Culture : Aurélien Bellanger. Grosse déception avec son roman La théorie de l’information (Gallimard), acheté un euro chez Book-Off, et lu en diagonale dans mon lit. C’est lourd, démonstratif, ennuyeux.
 

1er juin 2018


C’est la bonne vieille bétaillère que se présente en gare de Rouen ce mercredi à sept heures vingt-quatre, l’assurance d’avoir place assise pour tout le monde. La mienne est à l’étage, pas loin d’un homme qui, à peine assis, sort son instrument. Il est tout rouge et a pour nom accordéon. Il y branche une paire d’écouteurs et ouvre la Méthode d’accordéon chromatique de Médard Ferrero. A l’arrivée dans la capitale, ce musicien silencieux ouvre une trappe de l’accordéon, enlève l’une des piles qui ne s’usent pas que si l’on s’en sert puis remet l’instrument dans sa boîte.
Le bus Vingt m’emmène à Bastille. Le monument est enfin débarrassé de ses échafaudages et de la toile publicitaire géante qui les cachait. Le voilà refait à neuf mais déjà graffité : « Marée populaire / Ecume amère », lucide constat du nouvel échec de Mélenchon.
Je slalome entre les nombreuses flaques d’eau qui témoignent de l’importance de l’orage de la veille au soir, le deuxième en une semaine, et bois un café au Faubourg. Chez Book-Off, j’ai la chance de trouver à sept euros le Journal d’Helen suivi de Lettres à Henri-Pierre Roché d’Helen Hessel (André Dimanche Editeur) que je cherchais depuis longtemps, ayant eu la bêtise de ne pas l’acheter il y a des années à la bouquinerie rouennaise Maneki Neko aujourd’hui disparue. Au même prix, je prends également La Jeune Moabite (Journal 2013-2016) de Gabriel Matzneff (Gallimard) et dans les livres à un euro L’Esprit des lieux, recueil de lettres et d’articles de Lawrence Durrell (Gallimard) et Dodascalies (Ma chronique du XXe siècle) de Doda Conrad (Actes Sud). Voilà une journée qui commence bien.
A midi, je déjeune au Péhemmu chinois où il y a foule d’employées et de travailleurs manuels mangeant trop rapidement. Tandis que je savoure mon habituel confit de canard pommes sautées salade, les conversations se mêlent : « On est à une époque où tout le monde vole, alors…. » « Moi, il m’a écrit, un soir vers vingt-deux heures : Alors ça va ?, j’ai pas répondu ». Un homme à bedaine tache son vêtement et verse du sel dessus : « Je suis vraiment pas doué moi quand je mange, mon père était comme ça ».
L’après-midi, je ne trouve heureusement que deux livres à un euro au second Book-Off. L’un est Le bréviaire des vaincus de Cioran (Arcades/Gallimard).
A Saint-Lazare, j’ai la surprise de voir les barrières à Morin (Duc de Normandie) en service sous la surveillance de cheminots pédagogues. C’est pour le train de dix-sept heures vingt-quatre. Quatre minutes avant son départ, elles sont neutralisées, ce qui permet aux resquilleurs d’embarquer. Ils voyageront debout.
Le sept heures quarante-huit est en accès libre. C’est un Corail. J’y ai l’une des huit places assises d’un compartiment en forme de diligence. Quatre d’un côté faisant face à quatre de l’autre côté. Sept regards posés sur un écran et le mien posé sur le texte de Cioran :
En principe, nous nous croyons tous pleins de vie et nous nous vantons de nos efforts et de leur moisson. En fait, nous portons une besace vide dans laquelle nous jetons de temps en temps des miettes de réalité.
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Au marché d’Aligre, des distribueurs de calendriers de coupe du monde de foute en forme de ballon. Je ne leur réponds même pas, souhaitant in petto que l’équipe de France soit éliminée le plus tôt possible afin d’échapper le plus vite possible aux gueulements de rue.
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Boulevard Beaumarchais, la plus petite manif que j’aie jamais vue, pas plus de trente participants avec des drapeaux d’un pays africain dont il s’agit sûrement de dénoncer le dictateur. La Police encadre le cortège qui avance tranquillement vers on ne sait où en perturbant sévèrement la circulation.
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Publicité du métro : Escape Game à l’Opéra Garnier sur le thème du Fantôme de l’Opéra. On dira qu’il s’agit de renouveler le public.
 

31 mai 2018


« Vous êtes en embuscade ? », demandé-je aux deux abonnés de ma connaissance que je trouve derrière les vigiles à l’entrée de l’Opéra ce mardi soir. « Pas du tout, nous sortons », me répond l’un tandis que l’autre me dit que j’aurais dû venir à la présentation des nouvelles formules d’abonnement organisée par Loïc Lachenal à dix-huit heures. J’y aurais vu quelques beaux spécimens de la bourgeoisie bourgeoisante en action, du genre « Tout le monde me connaît à Rouen ». Je me suis abstenu. Je verrai ce qu’il en est jeudi soir lors de la présentation officielle de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf.
Chacun attend l’ouverture des portes de la salle pour le concert du jour, cent pour cent baroque. Beaucoup regrettent la disparition des formules actuelles d’abonnement. Certains possesseurs de fauteuils nominatifs (formule Pass’Opéra à quatre cent quatre-vingt-dix euros par an) pensaient que c’était une concession perpétuelle. Du côté des Entrée Plus (tout voir pour vingt-sept euros par mois), certains prévoient des bides futurs, par exemple lors « des soirées Pécou ». Une spectatrice inconnue me félicite pour mon bronzage montpelliérain.
Ce concert de musique de chambre débute avec le Concerto pour basson en la mineur d’Antonio Vivaldi qui permet d’apprécier le jeu de la bassoniste Elfie Bonnardel, puis c’est encore Vivaldi avec le Concerto pour cordes en sol mineur. Suit le Concerto pour hautbois d’amour de Georg Philipp Telemann, mené par l’hautboïste Fabrice Rousson. Des lumières rallumées dans la salle créent un moment de flottement. Quelques-un(e)s croient à l’entracte et sortent, dont mon voisin gratteur de gorge (il ne reviendra plus). Les musicien(ne)s réapparaissent pour la Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Paris de Marin Marais, avec au violon le talentueux Hervé Walczak-Le Sauder.
Après l’entracte la violoniste Elena Chesneau prend le micro afin de présenter le Concerto pour violoncelle en sol mineur de Georg Matthias Monn et dédier son interprétation à la mémoire de Jacqueline du Pré qui l’enregistra plusieurs fois et dont c’est le trentième anniversaire de la « disparition ». Au violoncelle ce soir, c’est Anaël Rousseau. Tel un virtuose invité, il nous gratifie en bonus d’une pièce de Haendel. Pour finir, c’est le Concerto pour hautbois basson cordes en si bémol majeur d’Antonin Reichenauer qui permet d’apprécier le duo Elfie Bonnardel Fabrice Rousson.
Il fait jour à la sortie et il est vingt-deux heures.
                                                       *
Se prénommer Elfie est déjà une performance.
 

30 mai 2018


Parmi mes lectures de deux mille dix-huit : La Filiale de l’enfer (Ecrits de l’émigration) de Joseph Roth, publié au Seuil, le recueil de vingt-six textes parus entre juillet mil neuf cent trente-trois et mai mil neuf cent mai trente-neuf dans des journaux destinés aux émigrés germanophones vivant en France.
Joseph Roth, particulièrement lucide, s’exila à Paris dès que Hitler fut nommé chancelier du Reich. Déjà en juin mil neuf cent trente-deux, il déclarait à un ami : « Il est temps de partir. Ils brûleront nos livres et c’est nous qui serons visés. Quiconque répond au nom de Wassermann, Döblin ou Roth ne doit plus tarder. Il nous faut partir afin que seuls nos livres soient la proie des flammes. »
De cette lecture, je retiens ceci :
Le plus grand ennemi de la littérature, c’est la vie officielle : les pays, comme le Mexique, où l’on ne vit que sur les places publiques n’ont guère d’artistes ou de penseurs.
En Allemagne, quand les aveugles de pure souche se sont mis à affirmer qu’ils ne supportaient plus la vue des Juifs, leurs compagnons d’infortune, il ne manquait plus qu’un mouvement de protestation des bergers allemands, décidés à ne plus servir de guides aux aveugles juifs – à part cela, on ne pouvait plus s’attendre à rien.
Un roi qui embrasse un voleur de grand chemin sur les deux joues satisfait toujours aux lois du climat de son époque, où le bandit illustre la grandeur de la nation. Les électeurs ont toujours exactement la même grandeur et la même petitesse, la même noblesse et la même bassesse que leurs élus. Quand on assassine un officier à Vladivostok, on lynche des Noirs à Cincinnati, et des chemises noires, bleues, vertes ou grises surgissent dans tous les pays, avec ce que l’on pourrait appeler un synchronisme international…
Il faudrait être un fou perdu dans les nuages pour ne pas voir que Luther, en trahissant les paysans, les princes et les Juifs, aura préfiguré le sous-lieutenant prussien et protestant dont la politique a trahi l’Eglise et le monde entier. Sans Luther et le protestantisme, il faut croire que Hegel et Marx n’auraient pu voir le jour en Allemagne. Et le protestant se retrouve même, déguisé en païen, dans les refus « dionysiaques » de Nietzsche.
Les hommes de notre temps ont d’ailleurs un moyen, parmi tant d’autres, de se soustraire à la vérité : quand un homme ivre dit vrai, ceux qui sont aussi saouls que lui espèrent qu’il est simplement en train de délirer.
                                                                        *
L’exil forcé fut difficile à vivre pour Joseph Roth. Alcoolique, il mourut à Paris le vingt-sept mai mil neuf cent trente-neuf à l’âge de quarante-quatre ans.
 

29 mai 2018


Ce dimanche après-midi, les vigiles de service à l’entrée de l’Opéra de Rouen, qui explorent attentivement le fond des sacs des dames avec une lampe de poche, me laisse passer veste sur le bras sans m’arrêter, alors que dans une de ses grandes poches j’ai logé un parapluie en prévision de l’orage, et que ce pourrait être aussi bien une arme à feu, ou un couteau comme celui dont Médée se sert pour tuer ses enfants.
La Médée de Luigi Cherubini est chantée en français, le livret étant dû à François-Benoît Hoffmann. Les passages parlés ont été réécrits en prose par le metteur en scène Jean-Yves Ruf qui trouvait les alexandrins d’origine « très chantournés ». Le décor est sobre et ingénieux, étuves escamotables et panneaux pivotant. Le chœur est celui d’accentus/Opéra de Rouen Normandie, composé d’intermittents (une sorte d’accentus à bas coût). Les deux premiers actes se laissent voir et entendre.
« Tout est vraiment très bien », déclare pendant l’entracte une spectatrice au nouveau maître des lieux qui n’est pour rien dans le choix de cet opéra, il a été fait par son prédécesseur: Plus loin, on est d’un autre avis. Un spectateur juge sévèrement certains solistes. Un autre trouve que la musique de Cherubini « c’est vraiment très plan plan ».
Au troisième acte, après une longue ouverture emplie de musique inquiétante, les atermoiements de Médée jouant avec les flammes et avec son couteau et la présence des deux enfants interprétant avec peu de naturel le rôle des futures victimes tirent le spectacle vers le mélo. Après le crime, perpétré dans les coulisses, Médée revient sur scène les mains, les bras et le visage couverts de sang. Cette fin grand-guignolesque fait pouffer un de mes voisins et moi-même intérieurement.
Il n’empêche que les applaudissements sont conséquents et les saluts nombreux menés énergiquement par le chef Hervé Niquet qui a mis son plus beau manteau pour diriger dans la fosse où on ne le voyait pas.
Mon parapluie était inutile, l’orage n’est pas là quand je quitte l’Opéra. C’était mon dernier opéra d’abonné Entrée Plus.
                                                                  *
Programmer la Médée de Luigi Cherubini le jour de la Fête des Mères, ça c’est bien pour me plaire.
Le temps où la maison offrait des fleurs à la diva à l’issue de la représentation est depuis longtemps révolu. Dommage. J’aurais vu avec plaisir les deux enfants du spectacle offrir un bouquet à l’interprète de Médée : « Bonne fête maman ! »
 

28 mai 2018


De la pluie au réveil et jusqu’à l’heure du petit-déjeuner, ce dernier toujours aussi bon, et la conversation avec les hôtes intéressante car ce sont gens cultivés, un peu plus âgés que moi.
Il ne tombe que quelques gouttes quand je tire ma valise vers la gare Saint-Roch en regardant attentivement cette ville qui m’a plu, où je ne reviendrai plus.
J’attends qu’il soit l’heure de mon train, confortablement assis sous la voûte de cette belle gare tout en longueur. Au piano s’installe un jeune homme qui voyage avec une guitare. Parmi les airs qu’il joue : une interprétation jazzy de L’Internationale.
Le Tégévé de dix heures vingt-quatre pour Paris n’est pas complet. Dans la voiture où je suis l’animation est assurée par cinq joueuses et un joueur de tennis de La Grande-Motte, lui beau ténébreux affichant sur son vêtement « It’s not tennis It’s life », elles lianes blondes ou brunes en tenue de sport. J’entends que cette équipe va à Rouen. La capitaine est dans la trentaine. Elle a loué une voiture à l’arrivée afin de rejoindre une location à trois kilomètres. Elle et lui se chargent de l’éducation de la benjamine à appareil dentaire qui pouffe sans cesse : « Tu es dans un train, tout le monde n’a pas envie de t’entendre ». Il s’ensuit une discussion sur l’évolution liée à l’âge. « Ce n’est pas que tu changes, c’est que tu vois les choses différemment », déclare la capitaine.
C’est la première fois que je ne suis pas contrôlé dans un Tégévé. Le contrôleur est pourtant passé, déclarant à une voyageuse qui se plaignait d’avoir froid dans la rame : « Attendez un peu, à Paris il fait vingt-neuf ».
Effectivement une chaleur lourde se fait sentir à l’arrivée. J’y perds de vue l’équipe de tennis de La Grande-Motte qui doit courir pour prendre son train à Saint-Lazare. Le mien n’est qu’à seize heures dix-huit, ce qui me donne le temps de lire A la Ville d’Argentan. Un vieux rockeur à cheveux tressés en natte, lunettes noires et bretelles tombées demande une petite cuillère pour manger les bretzels servis avec sa bière.
Je suis de ceux qui ont une place assise dans le Corail pour Rouen. Il est dix-huit heures trente quand je retrouve le pavé rouennais sous une épaisse chaleur.
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Mes hôtes de Montpellier, se vouvoyant.
Au départ, j’ai pensé qu’au lieu d’un couple, il s’agissait d’un duo (comme il en est un parmi les abonnés de l’Opéra de Rouen).
Jusqu’au matin où, lui absent, elle l’a évoqué en disant « Mon mari ».
Vouvoiement d’autant plus étonnant qu’elle et lui étaient enseignants dans le public, où le tutoiement est automatique.
 

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