Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 mai 2018


A l’Hôtel Colisée Verdun, le patron compte les croissants et les petits pains, pas un de plus que le nombre de petits déjeuners commandés. Ce vendredi matin, le mien n’a pas été noté. Je les ai pourtant tous payés d’avance ainsi que les nuitées, comme exigé. L’employé de nuit doit courir à la boulangerie avant de profiter de sa journée (ou d’aller se coucher).
Je profite de la mienne pour parcourir plus ou moins au hasard le « cœur de ville » comme on dit ici (et un peu partout désormais). On le nomme Ecusson en raison de sa forme d’écu ancien : beaucoup de rues étroites et parfois pentues, des places ombragées par de magnifiques platanes, peu ou pas de voitures, des parcs, des jardins, des squares, et partout des terrasses tentantes où je m’emploie à lire  ou plutôt relire, mais cette fois dans la version intégrale récemment parue chez Bouquins/Laffont, le Journal de Matthieu Galey.
Entre deux pauses, je découvre la paisible place de la Canourgue, explore la promenade du Peyrou puis passe à l’est au Jardin du Champ de Mars, où s’épanouissent les lycéen(ne)s de Joffre, et vais me renseigner à l’Office du Tourisme sur la trente-troisième Comédie du Livre.
Mon Guide du Routard deux mille seize recommande le restaurant Chez Mémé Suzon, rue des Teissiers. A part une boutique de décoration, il n’y a que des restos dans cette courte rue mais pas celui que je cherche. J’entre à la déco me renseigner et apprends que c’était en face. Il a brûlé. La plus jeune des deux charmantes commerçantes me conseille Le Restaurant Agricole à deux pas, rue du Plan d’Agde. « Je n’y ai jamais mangé mais on en dit beaucoup de bien ». Ce nom m’inspire. Je réserve une table en terrasse puis vais lire un peu dans le square Dominique Bagouet, près de l’église Saint-Roch.
Hormis moi, il n’y a que des habitué(e)s du quartier à s’installer au Restaurant Agricole, connu aussi sons le nom de Café Léon, et effectivement on y mange très bien, servi par trois jeunes femmes efficaces et décontractées.
Tartare de veau avocat et épaisse pièce du boucher sauce échalote mettent l’addition à douze euros quatre-vingt-dix. Je lui ajoute six euros en commandant un tiramisu caramel beurre salé. Le quart de faugères coûte sept euros. Je quitte la table satisfait et vais marcher au Jardin des Plantes qui n’est ouvert qu’après midi.
« C’est universitaire », me donne pour explication l’un des gardiens de l’entrée quand je lui demande pourquoi un horaire si restrictif. Ce jardin dépend de la proche Faculté de Médecine. C’est le plus vieux de France. Il a été fondé par Henry le Quatrième pour l’étude des plantes médicinales. C’est un vrai fouillis par endroit. Une partie est interdite pour cause de réfection.
J’y poursuis ma lecture en compagnie d’une limace sur un vieux banc de pierre ombragé dans un coin reculé. En contrebas, des grenouilles coassent. Une fille en passant caresse un coquelicot.
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Chemise blanche pour les contrôleurs des tramouais de Montpellier. Les tramouais ont également belle allure : ribambelle de fleurs, sable et coquillages sur fond noir, etc.
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Deux clodos avinés discutant des dossiers qui sont sous la pile et qui passent bizarrement dessus, l’un d’eux :
-J’ai travaillé trente ans dans l’administration alors tu penses bien que je sais comment ça se passe.
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Publicité de rue de l’Hôtel Europa : « Chambres à trente-cinq euros la nuit ». C’est suivi d’un astérisque. Il faut lire les petites lignes en bas de l’affiche : « Tarif uniquement valable le samedi et le dimanche à partir de vingt-trois heures, sans réservation ».
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Je suis toujours le seul à lire aux terrasses des cafés, et même, je suis souvent le seul à être seul à une table.
Une constatation plus effrayante: j’ai presque tout oublié de ma première lecture du Journal de Matthieu Galey, pourtant pas si ancienne.
Consolation : cela me passionne d’autant plus.
 

18 mai 2018


Point trop de bruit la nuit dans la rue à l’Hôtel Colisée Verdun, c’est le ronflement du voisin qui est un peu gênant. Après un petit-déjeuner basique dans un bout de salle près de la réception, comme la journée est sans grève de cheminots et le beau temps assuré, je prends le train pour Sète.
Le trajet fait dix-sept minutes mais il est augmenté de dix minutes de retard au départ. A l’arrivée, je découvre cette ville où je n’ai jamais mis le pied. Ma première impression est bonne mais qu’est-ce que ce serait mieux si le bord des ports et des canaux n’était pas réservé au stationnement automobile.
Le soleil commence à darder. Je prends un café en terrasse près de l’eau au Classic. « Vous voulez que je descende la bâche ? », me demande la patronne. Peut-être est-ce ainsi que tout le monde appelle l’auvent dans la région, je ne sais. « Non non merci », lui dis-je tandis que je regarde des retraités qui font une formation de galériens avec Occitarame.
Plus loin dans le port je découvre d’énormes chalutiers et demande à l’un des marins ce qu’il pêche. Il m’enjoint de passer à l’anglais. Ce travailleur détaché m’apprend qu’il s’agit de thon. Je poursuis pour aller voir la mer, elle est calme évidemment.
Pour déjeuner je privilégie la vue sur la qualité culinaire. Le Saint Louis est de l’autre côté du port. On m’y installe à ras d’eau avec les goélands. Derrière moi deux femmes écoutent de la musique sur un smartphone. Je leur dis d’arrêter ça. Elles refusent. Je demande à la patronne d’intervenir mais ce sont des amies à elle. Je change de table et choisis le menu sétois : tielle et friture d’éperlans.  Les deux sont sèches, ça n’a pas de goût malgré le piment de la première et le jus de citron de la deuxième.
Pour me remettre, je pousse la porte du Miam, le Musée International des Arts Modestes qu’a créé Hervé Di Rosa. Le prix d’entrée est également modeste : cinq euros et soixante centimes. Je suis seul à profiter de ses trois niveaux. Les deux premiers sont consacrés à Evasions, l’art sans liberté, une exposition d’œuvres de prisonniers de tous lieux, et le troisième aux accumulations d’objets clinquants et bariolés du quotidien passé. Tout cela est très intéressant et parfaitement présenté dans le très beau bâtiment qui donne sur le port à l’endroit où sont amarrées les barquettes marseillaises colorées. L’une d’elles s’appelle Poupette.
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Parmi les barquettes, un pointu à vendre nommé Boghosse..
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La daube musicale, spécialité de la patronne du Saint Louis, quai Léopold Suquet.
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Au retour cinquante-cinq minutes de retard, aucune explication en gare ni dans le train.
 

17 mai 2018


Ce mercredi, le six heures vingt et une pour Paris est blindé. Je fais partie des debout avec ma petite valise. Heureusement un contrôleur m’annonce qu’il a fait virer des bagages posés sur des sièges en fin de train et me voici assis. A Paris, la ligne Quatorze m’emmène rapido à la gare de Lyon. J’ai place réservée dans le Tégévé de neuf heures vingt-cinq pour Montpellier qui ne fait escale qu’à Nîmes. Il est peu chargé. Je peux voyager sans personne à mon côté. Le beau temps de la Normandie et de Paris cède la place au brouillard. Quand on en sort, c’est pour découvrir des collines vertes parsemées de vaches blanches. Le ciel reste gris mais à l’approche du but le bleu le dispute aux nuages d’orage.
Entre la gare et la place de la Comédie m’attend une petite chambre sans confort à quarante-six euros dans l’Hôtel Colisée Verdun où je dois passer cinq nuits. Je la choisis sur l’arrière, craignant le bruit d’une rue fort fréquentée la nuit.
Montpellier vibre d’une énergie toute méridionale. Je fais le tour de la place de la Comédie et constate que mon appareil photo ne répond plus. J’achète une batterie de remplacement pour photographier l’Opéra où l’on vient de donner Hip Hop Britten et la libraire Sauramps surmontée de l’Hôtel Ibis à l’architecture impressionnante vue de face et sinistre vue de profil. Une très longue file d’attente serpente à l’extérieur de cette librairie. Elle est composée de quatre-vingt-quinze pour cent de femmes, la plupart jeunes. Le responsable s’appelle Guillaume Musso.
Je m’offre un café au Café Riche dont la terrasse est imposante. Au centre de la place jouent un violoniste et un guitariste d’un certain âge jusqu’à ce qu’ils se fassent virer par deux policiers municipaux à vélo.
Comme dîner, je commande une salade tartiflette au Yam’s près de l’Opéra. Je la déguste en terrasse en observant la population locale sur fond de tramouais qui se croisent. Ici, zonards en nombre et multitude de jolies filles sexy.
 

16 mai 2018


Le ciel est gris mais la pluie se retient quand je sors de chez moi ce dimanche matin afin de me rendre à l’arrêt République du bus Teor Un dont le terminus est Mont aux Malades à Mont-Saint-Aignan. Déception en y arrivant, le prochain est annoncé dans vingt-deux minutes. « Fichue ville de province arriérée », maugréé-je en moi-même. J’impatiente donc, tandis que passent quelques fêtards décatis qui vont attendre le Teor dans l’autre sens.
Quand arrive le bus convoité, je ne manque pas de glisser ma carte dix voyages dans le composteur et je fais bien car à l’arrêt Théâtre des Arts monte une escouade de contrôleurs habillés comme des miliciens. Il m’est arrivé de me faire choper par leurs semblables à la même heure au même endroit pour avoir omis de valider mon trajet et ça m’a servi de leçon. Pourtant, je continue à penser que lorsqu’on doit attendre un bus vingt-deux minutes, on devrait être dispensé de payer.
A l’arrivée, il me reste à aller à pied jusqu’au lieu-dit Le Village, c’est-à-dire le vieux Mont-Saint-Aignan. Autour de l’église est installé le vide grenier annuel. La foule des acheteuses et acheteurs est la même que celle côtoyée chez les pauvres au Grand-Quevilly. Côté vendeuses et vendeurs, c’est peu différent et leur nombre est à la baisse. De simples barrières protègent tout ce beau monde du risque d’attentat par camion. S’il survenait, elles n’arrêteraient rien et se transformeraient même en projectiles.
Je fais deux fois le circuit et à l’issue n’ai que trois livres dans mon sac. Il ne pleut toujours pas quand je rejoins le Mont aux Malades à pied. Le prochain Teor Un est dans vingt et une minutes.
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Depuis toujours sinistre le dimanche après-midi, Rouen l’est encore plus depuis que ses rues quasiment désertes sont parcourues en tous sens par les malheureux qui pédalent pour Deliveroo  et Uber Eats. Pas moins de huit sont en attente devant le Mac Do de la rue du Gros quand je me résous à aller prendre un café verre d’eau au Café de Rouen, la froidure et le risque de pluie empêchant la terrasse du Sacre.
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Autre type d’attentat, celui des islamistes armés d’un couteau. L’un d’eux a fait un mort et plusieurs blessés dans les rues que j’emprunte chaque semaine pour aller au second Book-Off. Je devais y être encore ce lundi mais la « journée sans cheminots » a eu raison de mon voyage à Paris. Le risque était trop grand de faire le voyage debout tassé et quand en plus une caténaire est arrachée de nuit par des inconnus près de Gaillon et retarde les trains de trois heures environ…
                                                         *
Le recours au sabotage, un aveu de faiblesse.
 

15 mai 2018


Ce vendredi matin, après avoir fait le tour de la drouille du Clos Saint-Marc, je me rapproche des terrasses où est fixé le rendez-vous de neuf heures trente. L’ami de Stockholm me fait de grands signes depuis celle du Grand Saint Marc. Il y est assis à une table qui sera bientôt au soleil et m’attendait en lisant un livre que je lui ai offert autrefois.
Un peu plus tard arrive l’homme en chemisette. Nous devisons un bon moment avant que nous rejoigne celle qui était retenue ailleurs. Voici la bande des quatre au complet. Les deux exilés ont envie de découvrir le Centre d’Art Contemporain de la Matmut à Saint-Pierre-de-Varengeville, ce qui va aux deux Rouennais qui le connaissent déjà. Cette institution n’est ouverte que l’après-midi.
Pour le déjeuner, je suggère Un Grain de …, ce qui est l’occasion de traverser la ville par le chemin des touristes, rue Martainville, église Saint-Maclou, rue Saint-Romain, Cathédrale, rue du Gros, église Jeanne-d’Arc, arrivée en bas de la rue Cauchoise à proximité de lieux que je fréquente assidûment, Le Rêve de l’Escalier et Le Sacre.
Il est précisément midi. Une table en terrasse, qui sera au soleil à midi et quart, nous est attribuée. Chacun(e) trouve son bonheur en fonction de ses habitudes alimentaires dans le menu à treize euros quatre-vingt-dix servi par la patronne au grain de folie et la petite serveuse sérieuse.
-Je comprends pourquoi Michel a choisi cet endroit, déclare l’ami de Stockholm.
Un demi de vin blanc pour quatre, nous ne quittons pas la table en titubant. La Twingo prêtée aux amis exilés est au parquigne de la place Saint-Marc. Nous y retournons par une voie détournée qui passe devant la maison natale de Pierre Corneille et un lunetier.
En ce dernier jour de vacances scolaires il y a présence d’enfants au château de la Matmut. Sous la surveillance relative de parents ou de grands-parents, ils gambadent dans les salles où sont exposées les œuvres d’un certain Kriki, des peintures chargées, aux personnages redondants, témoignant d’un univers fantastico-onirique, inutile d’en dire plus. La visite se termine en sous-sol où une grand-mère rappelle sa descendance à l’ordre :
-Touche pas à rien.
Il reste à voir dans la crypte les têtes d’artistes sculptées qui constituent le panthéon personnel de Philippe Garel et puis, ce qui nous réjouit davantage, à errer dans le parc. Nous l’explorons tous azimuts. Il est orné de sculptures, dont des Garel père et fils et des De Pas. Certaines sont pires mais heureusement anonymes.
J’ai envie de voir un moutard tomber dans l’un des plans d’eau avant de partir mais c’est le chapeau de paille de l’amie de Stockholm qui d’un coup de vent s’y pose. Notre dernière étape est pour ce qui ressemble à une chapelle. Restaurée aussi luxueusement que le château, elle possède une cheminée et des toilettes munies de petites serviettes en tissu épais comme on en trouve dans certains restaurants chinois.
On est tous les quatre contents de notre journée de retrouvailles quand nous nous quittons à l’entrée de l’île Lacroix. Le prochain rendez-vous sera à l’automne. La date est déjà fixée.
                                                                *
Le dimanche vingt-sept mai à quinze heures, le Centre d’Art Contemporain de la Matmut propose une visite décalée en famille de l’exposition Hybrid de Kriki par la compagnie de clowns Nez à Nez.
Dommage que ce ne soit pas Kiri le Clown qui fasse visiter l’expo de Kriki l’Artiste.
 

14 mai 2018


Descendre dans le métro en ce Jeudi de l’Ascension et le voir arriver illico alors que le suivant est dans dix-sept minutes c’est avoir la chance de ne pas perdre son temps dans un souterrain sombre à l’atmosphère humide avant d’atteindre le vide grenier qui se tient au Grand-Quevilly avenue des Provinces.
J’y suis à sept heures et demie sous un ciel gris et menaçant. Dans cette banlieue on est plus rapide qu’à Rouen pour s’installer. Tout est en place et de nombreux acheteurs sont déjà là, dont deux doux dingues que je croise parfois à la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier et que j’évite. Les employés municipaux utilisent les grands moyens pour sécuriser l’évènement, plaçant en travers une énorme balayeuse et une benne tout aussi imposante.
Ici on ne trouve que des particuliers, la plupart locaux. L’éventualité d’un livre pouvant m’intéresser n’est pas nulle mais cet espoir est déçu. A défaut, je demande à une vendeuse le prix des dix premiers volumes de la réédition des San Antonio chez Bouquins/Laffont aux couvertures colorées et attrayantes qu’elle a soigneusement disposés sur une table. Quand elle me répond cinq euros pour le tout alors que chaque tome neuf est à vingt-huit euros, je ne peux que les prendre.
Elle me les met dans un sac de congélation de chez Monoprix. Vu le poids, j’ai bientôt la main sciée. J’en transfère la moitié dans mon sac à dos et rejoins la station John Fitzgerald Kennedy où j’ai de nouveau la chance de voir arriver sans délai une rame qui me ramène à Rouen
A dix heures, je suis le premier à entrer au Rêve de l’Escalier, suivi de près par un des deux doux dingues venu proposer les figurines qu’il a achetées.
                                                                    *
Les bonnes blagues du Sacre, où en terrasse je lis la Correspondance Kerouac/Ginsberg près d’un quatuor de vingtenaires :
-Quelle est la différence entre la sodomie et les épinards ?
La réponse : « Y en n’a pas ».
Pourquoi ? « Oh la la, faut pas la raconter à n’importe qui », commente l’un des quatre garçons quand il entend l’explication.
Le raconteur en a une autre :
-Quelle est la différence entre E.T. et les Arabes ?
Cette fois, il y en a une, et pas difficile à trouver, mais « Oh la la, faut pas la raconter à n’importe qui non plus celle-là ».
 

11 mai 2018


« Je préfère les jours avec grève aux jours sans grève », déclare l’un des deux hommes assis derrière moi dans le train de sept heures vingt-cinq pour Paris ce mercredi d’entre deux jours fériés. Je partage son avis. De nombreuses places sont restées libres dont celle à ma gauche où je peux laisser mon sac. Et il arrive à l’heure, ce qui me permet, sitôt le café bu au Faubourg, d’aller au marché d’Aligre, où les deux principaux marchands de livres sont de retour, puis d’être devant la porte de Book-Off à dix heures moins cinq.
J’en ressors sans achat, passe pour rien chez Emmaüs puis, voulant me procurer un Guide du Routard d’occasion chez Gibert, je descends pédestrement l’avenue Ledru-Rollin. Deux ouvriers sont en train de changer la vitrine d’une pharmacie sur laquelle des pierres ont été jetées le Premier Mai (la pharmacie, ce symbole du capitalisme). D’autres commerces ont subi le même sort : cabinet d’assurance, agence immobilière, agence d’intérim, magasin de mobilier contemporain.
La Seine traversée, je marche à l’ombre dans le Jardin des Plantes puis remonte la rue des Ecoles, contourne Cluny et arrive rue de la Harpe où je déjeune au restaurant La Cochonnaille. Il est peu fréquenté malgré les nombreux touristes. La cuisine à l’ancienne, saucisson chaud pommes à l’huile, filet mignon de porc, n’a plus la cote. Le patron qui est là depuis de longues années s’en désole. Le cuisinier a le même âge et la dame qui m’a accueilli pareillement. Elle est bien vaillante avec son problème de jambe. Je termine par une mousse au chocolat. Cela fait douze euros quatre-vingt-dix et sept euros cinquante pour le quart de vin du Vaucluse.
Chez Gibert Bleu, un Guide du Routard Languedoc Roussillon de deux mille seize est proposé à quatre euros soixante et devient mien. Ce n’est pas pour le prix que je refuse d’en acheter un neuf, cela me permet de voir à quel point les hôteliers, restaurateurs et autres commerçants du tourisme augmentent leurs prix alors que le montant mensuel de ma pension de retraite est le même depuis douze ans (et vient même de diminuer du montant d’une nuit d’hôtel de derrière catégorie par la volonté de Macron).
Un bus à drapeau européen m’emmène jusqu’à l’autre Book-Off où je trouve peu, puis je rejoins Saint-Lazare. Pour qui rentre en banlieue, ce n’est pas la joie. La voix féminine de la Senecefe s’emporte contre ceux qui descendent « dans les voies » entre les quais Neuf et Onze pour grimper au plus vite dans les trains qui arrivent en gare. Pour qui rentre en province, pas de problème. En ce qui me concerne, le train de dix-sept heures quarante-huit est à quai, peu de monde l’emprunte et il arrive à l’heure.
                                                               *
Gare Saint-Lazare, barbe et cheveux en broussaille, enveloppé dans son éternelle couverture, erre Alain Rault alias le Playboy Communiste, artiste de la rue rouennaise.
La première fois que je l’ai vu ici, je me suis inquiété mais quelqu’un qui le connaît m’a expliqué qu’il sait rentrer.
                                                              *
Le Bus Burger, un ancien bus de la Régie Autonome des Transports Parisiens aménagé dans un esprit American Dinner, première fois que je le vois passer, rue du Quatre-Septembre, mais ça fait un an que ça existe. Les burgueurs sont fabriqués en amont (comme on dit) puis réchauffés au micro-onde. Ainsi, tu peux visiter Paris en mangeant de la nourriture mise à la mode par les séries télévisées.
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Un homme au téléphone : « Oui oui je lui ai dit qu’on avait discuté sur Messenger, bon je lui ai pas dit ce qu’on s’est dit. Je pense que ça l’a un peu rassurée. » (J’écris rassurée au féminin, c’est le plus probable).
 

10 mai 2018


C’est aujourd’hui l’anniversaire de celle qui travaille non loin d’ici mais elle n’est pas disponible pour qu’on le fête ensemble. A midi je déjeune donc seul, d’un confit de canard au Péhemmu chinois Le Rallye, servi par la gentille serveuse qui porte un ticheurte «  the gentlewoman ». Elle libère une table dressée pour un sexagénaire et un trentenaire qui commandent un verre. Je comprends vite pourquoi. Ce sont des joueurs atteints d’addiction, deux comédiens qui boivent, se lèvent, jouent, perdent, se rassoient, recommencent, tout en évoquant leur boulot.
Précisément, c’est le plus vieux qui parle et l’autre acquiesce vaguement à ses assertions : « j’essaie de prendre des distances avec moi-même » « les sacrifices que j’ai faits, déjà les enfants que je n’ai pas eus »  « la jeunesse qui n’est plus là, l’urgence, le compte à rebours » « des rôles, j’en ai fait assez pour savoir que je peux être drôle »
-Tiens c’est moi qui sonne, comprend ce désenchanté alors que chacun dans la brasserie se demande d’où ça vient. Il décroche : « Oui, ma poupée. Cette semaine tu fais quoi. Ça va ? Moi moyen moyen. »
Quand j’en ai fini, ils en sont toujours à jeter leurs cachets dans les caisses de la Française des Jeux, de l’Etat et du Péhemmu chinois.
Le beau temps m’incite à rejoindre le port de l’Arsenal. J’y lis à l’ombre le Journal de l’Année de la Peste de Daniel Defoe dans l’édition Folio près de deux lycéennes et de deux lycéens qui leur ressemblent, toutes amateures de repas veggie et de soleil ardent mais au bout d’un quart d’heure, l’une ne tient plus, il faut qu’il aille s’acheter de la crème solaire.
Il fait une chaleur épuisante dans la bétaillère de dix-sept heures quarante-huit qui me ramène à Rouen. Heureusement, elle n’arrive qu’avec dix minutes de retard.
                                                             *
Devant moi dans le bus Vingt une femme d’origine africaine et sa neuf/dix ans. Cette dernière :
-Quand je serai adulte, j’achèterai une voiture de huit places et toi tu seras assise à côté de moi.
-Et ton père ?
-Derrière avec les enfants.
(Rire de la mère)
                                                            *
Dans le second Book-Off un livre à la couverture jaune de chez Grasset déclenche le mouvement de ma main vers lui puis mon œil m’éclaire sur mon erreur : Jean Octeau, et non pas Jean Cocteau.
A quand un Gustave Laubert ou un Marcel Roust ?
 

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