Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

2 juin 2018


Alerté par je ne sais quel signal mental, je fais une recherche ce mardi pour trouver la date de la vente de livres d’occasion de l’association La Bibliothèque à l’Hôpital qui se tient chaque année au Céhachu de Rouen et découvre que c’est ce jeudi à dix heures (je l’ai manquée l’an dernier faute d’information). Il s’agit pour l’association de vendre des livres un euro pour en acheter d’autres au bénéfice des malades.
Dès neuf heures et quart je suis en chemin. J’entre par la porte Germont d’où l’on rejoint facilement l’anneau central où a lieu le déballage. Arrivé sur place, je constate que je ne suis pas assez en avance. La vente est déjà en cours. Beaucoup de blouses blanches se pressent autour des tables, ainsi qu’un hospitalisé qui promène une perfusion à l’aide d’une potence à roulettes et un plus ou moins bouquiniste de ma connaissance.
Il y a deux ans, parmi les livres vendus, certains étaient quasiment neufs et le choix était grand. Ce n’est pas le cas cette fois. La plupart des ouvrages proposés sont des romans peu récents de qualité variable. Le semi professionnel rafle ce qu’il peut dans les ouvrages d’histoire.
Pour ma part, je suis quand même satisfait de trouver Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), auteur qui m’intéresse pour l’avoir entendu sur France Culture. Dire notamment que si d’autres sont sur les réseaux sociaux, lui est sur les réseaux asociaux. J’espère ne pas être déçu par la lecture du récit de son voyage pédestre en diagonale dans la France.
Il n’est pas encore l’heure officielle d’ouverture de la vente au public lorsque je quitte le Centre Hospitalier Universitaire Charles-Nicolle.
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Autre auteur m’ayant séduit par ses propos sur France Culture : Aurélien Bellanger. Grosse déception avec son roman La théorie de l’information (Gallimard), acheté un euro chez Book-Off, et lu en diagonale dans mon lit. C’est lourd, démonstratif, ennuyeux.
 

1er juin 2018


C’est la bonne vieille bétaillère que se présente en gare de Rouen ce mercredi à sept heures vingt-quatre, l’assurance d’avoir place assise pour tout le monde. La mienne est à l’étage, pas loin d’un homme qui, à peine assis, sort son instrument. Il est tout rouge et a pour nom accordéon. Il y branche une paire d’écouteurs et ouvre la Méthode d’accordéon chromatique de Médard Ferrero. A l’arrivée dans la capitale, ce musicien silencieux ouvre une trappe de l’accordéon, enlève l’une des piles qui ne s’usent pas que si l’on s’en sert puis remet l’instrument dans sa boîte.
Le bus Vingt m’emmène à Bastille. Le monument est enfin débarrassé de ses échafaudages et de la toile publicitaire géante qui les cachait. Le voilà refait à neuf mais déjà graffité : « Marée populaire / Ecume amère », lucide constat du nouvel échec de Mélenchon.
Je slalome entre les nombreuses flaques d’eau qui témoignent de l’importance de l’orage de la veille au soir, le deuxième en une semaine, et bois un café au Faubourg. Chez Book-Off, j’ai la chance de trouver à sept euros le Journal d’Helen suivi de Lettres à Henri-Pierre Roché d’Helen Hessel (André Dimanche Editeur) que je cherchais depuis longtemps, ayant eu la bêtise de ne pas l’acheter il y a des années à la bouquinerie rouennaise Maneki Neko aujourd’hui disparue. Au même prix, je prends également La Jeune Moabite (Journal 2013-2016) de Gabriel Matzneff (Gallimard) et dans les livres à un euro L’Esprit des lieux, recueil de lettres et d’articles de Lawrence Durrell (Gallimard) et Dodascalies (Ma chronique du XXe siècle) de Doda Conrad (Actes Sud). Voilà une journée qui commence bien.
A midi, je déjeune au Péhemmu chinois où il y a foule d’employées et de travailleurs manuels mangeant trop rapidement. Tandis que je savoure mon habituel confit de canard pommes sautées salade, les conversations se mêlent : « On est à une époque où tout le monde vole, alors…. » « Moi, il m’a écrit, un soir vers vingt-deux heures : Alors ça va ?, j’ai pas répondu ». Un homme à bedaine tache son vêtement et verse du sel dessus : « Je suis vraiment pas doué moi quand je mange, mon père était comme ça ».
L’après-midi, je ne trouve heureusement que deux livres à un euro au second Book-Off. L’un est Le bréviaire des vaincus de Cioran (Arcades/Gallimard).
A Saint-Lazare, j’ai la surprise de voir les barrières à Morin (Duc de Normandie) en service sous la surveillance de cheminots pédagogues. C’est pour le train de dix-sept heures vingt-quatre. Quatre minutes avant son départ, elles sont neutralisées, ce qui permet aux resquilleurs d’embarquer. Ils voyageront debout.
Le sept heures quarante-huit est en accès libre. C’est un Corail. J’y ai l’une des huit places assises d’un compartiment en forme de diligence. Quatre d’un côté faisant face à quatre de l’autre côté. Sept regards posés sur un écran et le mien posé sur le texte de Cioran :
En principe, nous nous croyons tous pleins de vie et nous nous vantons de nos efforts et de leur moisson. En fait, nous portons une besace vide dans laquelle nous jetons de temps en temps des miettes de réalité.
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Au marché d’Aligre, des distribueurs de calendriers de coupe du monde de foute en forme de ballon. Je ne leur réponds même pas, souhaitant in petto que l’équipe de France soit éliminée le plus tôt possible afin d’échapper le plus vite possible aux gueulements de rue.
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Boulevard Beaumarchais, la plus petite manif que j’aie jamais vue, pas plus de trente participants avec des drapeaux d’un pays africain dont il s’agit sûrement de dénoncer le dictateur. La Police encadre le cortège qui avance tranquillement vers on ne sait où en perturbant sévèrement la circulation.
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Publicité du métro : Escape Game à l’Opéra Garnier sur le thème du Fantôme de l’Opéra. On dira qu’il s’agit de renouveler le public.
 

31 mai 2018


« Vous êtes en embuscade ? », demandé-je aux deux abonnés de ma connaissance que je trouve derrière les vigiles à l’entrée de l’Opéra ce mardi soir. « Pas du tout, nous sortons », me répond l’un tandis que l’autre me dit que j’aurais dû venir à la présentation des nouvelles formules d’abonnement organisée par Loïc Lachenal à dix-huit heures. J’y aurais vu quelques beaux spécimens de la bourgeoisie bourgeoisante en action, du genre « Tout le monde me connaît à Rouen ». Je me suis abstenu. Je verrai ce qu’il en est jeudi soir lors de la présentation officielle de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf.
Chacun attend l’ouverture des portes de la salle pour le concert du jour, cent pour cent baroque. Beaucoup regrettent la disparition des formules actuelles d’abonnement. Certains possesseurs de fauteuils nominatifs (formule Pass’Opéra à quatre cent quatre-vingt-dix euros par an) pensaient que c’était une concession perpétuelle. Du côté des Entrée Plus (tout voir pour vingt-sept euros par mois), certains prévoient des bides futurs, par exemple lors « des soirées Pécou ». Une spectatrice inconnue me félicite pour mon bronzage montpelliérain.
Ce concert de musique de chambre débute avec le Concerto pour basson en la mineur d’Antonio Vivaldi qui permet d’apprécier le jeu de la bassoniste Elfie Bonnardel, puis c’est encore Vivaldi avec le Concerto pour cordes en sol mineur. Suit le Concerto pour hautbois d’amour de Georg Philipp Telemann, mené par l’hautboïste Fabrice Rousson. Des lumières rallumées dans la salle créent un moment de flottement. Quelques-un(e)s croient à l’entracte et sortent, dont mon voisin gratteur de gorge (il ne reviendra plus). Les musicien(ne)s réapparaissent pour la Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Paris de Marin Marais, avec au violon le talentueux Hervé Walczak-Le Sauder.
Après l’entracte la violoniste Elena Chesneau prend le micro afin de présenter le Concerto pour violoncelle en sol mineur de Georg Matthias Monn et dédier son interprétation à la mémoire de Jacqueline du Pré qui l’enregistra plusieurs fois et dont c’est le trentième anniversaire de la « disparition ». Au violoncelle ce soir, c’est Anaël Rousseau. Tel un virtuose invité, il nous gratifie en bonus d’une pièce de Haendel. Pour finir, c’est le Concerto pour hautbois basson cordes en si bémol majeur d’Antonin Reichenauer qui permet d’apprécier le duo Elfie Bonnardel Fabrice Rousson.
Il fait jour à la sortie et il est vingt-deux heures.
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Se prénommer Elfie est déjà une performance.
 

30 mai 2018


Parmi mes lectures de deux mille dix-huit : La Filiale de l’enfer (Ecrits de l’émigration) de Joseph Roth, publié au Seuil, le recueil de vingt-six textes parus entre juillet mil neuf cent trente-trois et mai mil neuf cent mai trente-neuf dans des journaux destinés aux émigrés germanophones vivant en France.
Joseph Roth, particulièrement lucide, s’exila à Paris dès que Hitler fut nommé chancelier du Reich. Déjà en juin mil neuf cent trente-deux, il déclarait à un ami : « Il est temps de partir. Ils brûleront nos livres et c’est nous qui serons visés. Quiconque répond au nom de Wassermann, Döblin ou Roth ne doit plus tarder. Il nous faut partir afin que seuls nos livres soient la proie des flammes. »
De cette lecture, je retiens ceci :
Le plus grand ennemi de la littérature, c’est la vie officielle : les pays, comme le Mexique, où l’on ne vit que sur les places publiques n’ont guère d’artistes ou de penseurs.
En Allemagne, quand les aveugles de pure souche se sont mis à affirmer qu’ils ne supportaient plus la vue des Juifs, leurs compagnons d’infortune, il ne manquait plus qu’un mouvement de protestation des bergers allemands, décidés à ne plus servir de guides aux aveugles juifs – à part cela, on ne pouvait plus s’attendre à rien.
Un roi qui embrasse un voleur de grand chemin sur les deux joues satisfait toujours aux lois du climat de son époque, où le bandit illustre la grandeur de la nation. Les électeurs ont toujours exactement la même grandeur et la même petitesse, la même noblesse et la même bassesse que leurs élus. Quand on assassine un officier à Vladivostok, on lynche des Noirs à Cincinnati, et des chemises noires, bleues, vertes ou grises surgissent dans tous les pays, avec ce que l’on pourrait appeler un synchronisme international…
Il faudrait être un fou perdu dans les nuages pour ne pas voir que Luther, en trahissant les paysans, les princes et les Juifs, aura préfiguré le sous-lieutenant prussien et protestant dont la politique a trahi l’Eglise et le monde entier. Sans Luther et le protestantisme, il faut croire que Hegel et Marx n’auraient pu voir le jour en Allemagne. Et le protestant se retrouve même, déguisé en païen, dans les refus « dionysiaques » de Nietzsche.
Les hommes de notre temps ont d’ailleurs un moyen, parmi tant d’autres, de se soustraire à la vérité : quand un homme ivre dit vrai, ceux qui sont aussi saouls que lui espèrent qu’il est simplement en train de délirer.
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L’exil forcé fut difficile à vivre pour Joseph Roth. Alcoolique, il mourut à Paris le vingt-sept mai mil neuf cent trente-neuf à l’âge de quarante-quatre ans.
 

29 mai 2018


Ce dimanche après-midi, les vigiles de service à l’entrée de l’Opéra de Rouen, qui explorent attentivement le fond des sacs des dames avec une lampe de poche, me laisse passer veste sur le bras sans m’arrêter, alors que dans une de ses grandes poches j’ai logé un parapluie en prévision de l’orage, et que ce pourrait être aussi bien une arme à feu, ou un couteau comme celui dont Médée se sert pour tuer ses enfants.
La Médée de Luigi Cherubini est chantée en français, le livret étant dû à François-Benoît Hoffmann. Les passages parlés ont été réécrits en prose par le metteur en scène Jean-Yves Ruf qui trouvait les alexandrins d’origine « très chantournés ». Le décor est sobre et ingénieux, étuves escamotables et panneaux pivotant. Le chœur est celui d’accentus/Opéra de Rouen Normandie, composé d’intermittents (une sorte d’accentus à bas coût). Les deux premiers actes se laissent voir et entendre.
« Tout est vraiment très bien », déclare pendant l’entracte une spectatrice au nouveau maître des lieux qui n’est pour rien dans le choix de cet opéra, il a été fait par son prédécesseur: Plus loin, on est d’un autre avis. Un spectateur juge sévèrement certains solistes. Un autre trouve que la musique de Cherubini « c’est vraiment très plan plan ».
Au troisième acte, après une longue ouverture emplie de musique inquiétante, les atermoiements de Médée jouant avec les flammes et avec son couteau et la présence des deux enfants interprétant avec peu de naturel le rôle des futures victimes tirent le spectacle vers le mélo. Après le crime, perpétré dans les coulisses, Médée revient sur scène les mains, les bras et le visage couverts de sang. Cette fin grand-guignolesque fait pouffer un de mes voisins et moi-même intérieurement.
Il n’empêche que les applaudissements sont conséquents et les saluts nombreux menés énergiquement par le chef Hervé Niquet qui a mis son plus beau manteau pour diriger dans la fosse où on ne le voyait pas.
Mon parapluie était inutile, l’orage n’est pas là quand je quitte l’Opéra. C’était mon dernier opéra d’abonné Entrée Plus.
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Programmer la Médée de Luigi Cherubini le jour de la Fête des Mères, ça c’est bien pour me plaire.
Le temps où la maison offrait des fleurs à la diva à l’issue de la représentation est depuis longtemps révolu. Dommage. J’aurais vu avec plaisir les deux enfants du spectacle offrir un bouquet à l’interprète de Médée : « Bonne fête maman ! »
 

28 mai 2018


De la pluie au réveil et jusqu’à l’heure du petit-déjeuner, ce dernier toujours aussi bon, et la conversation avec les hôtes intéressante car ce sont gens cultivés, un peu plus âgés que moi.
Il ne tombe que quelques gouttes quand je tire ma valise vers la gare Saint-Roch en regardant attentivement cette ville qui m’a plu, où je ne reviendrai plus.
J’attends qu’il soit l’heure de mon train, confortablement assis sous la voûte de cette belle gare tout en longueur. Au piano s’installe un jeune homme qui voyage avec une guitare. Parmi les airs qu’il joue : une interprétation jazzy de L’Internationale.
Le Tégévé de dix heures vingt-quatre pour Paris n’est pas complet. Dans la voiture où je suis l’animation est assurée par cinq joueuses et un joueur de tennis de La Grande-Motte, lui beau ténébreux affichant sur son vêtement « It’s not tennis It’s life », elles lianes blondes ou brunes en tenue de sport. J’entends que cette équipe va à Rouen. La capitaine est dans la trentaine. Elle a loué une voiture à l’arrivée afin de rejoindre une location à trois kilomètres. Elle et lui se chargent de l’éducation de la benjamine à appareil dentaire qui pouffe sans cesse : « Tu es dans un train, tout le monde n’a pas envie de t’entendre ». Il s’ensuit une discussion sur l’évolution liée à l’âge. « Ce n’est pas que tu changes, c’est que tu vois les choses différemment », déclare la capitaine.
C’est la première fois que je ne suis pas contrôlé dans un Tégévé. Le contrôleur est pourtant passé, déclarant à une voyageuse qui se plaignait d’avoir froid dans la rame : « Attendez un peu, à Paris il fait vingt-neuf ».
Effectivement une chaleur lourde se fait sentir à l’arrivée. J’y perds de vue l’équipe de tennis de La Grande-Motte qui doit courir pour prendre son train à Saint-Lazare. Le mien n’est qu’à seize heures dix-huit, ce qui me donne le temps de lire A la Ville d’Argentan. Un vieux rockeur à cheveux tressés en natte, lunettes noires et bretelles tombées demande une petite cuillère pour manger les bretzels servis avec sa bière.
Je suis de ceux qui ont une place assise dans le Corail pour Rouen. Il est dix-huit heures trente quand je retrouve le pavé rouennais sous une épaisse chaleur.
                                                             *
Mes hôtes de Montpellier, se vouvoyant.
Au départ, j’ai pensé qu’au lieu d’un couple, il s’agissait d’un duo (comme il en est un parmi les abonnés de l’Opéra de Rouen).
Jusqu’au matin où, lui absent, elle l’a évoqué en disant « Mon mari ».
Vouvoiement d’autant plus étonnant qu’elle et lui étaient enseignants dans le public, où le tutoiement est automatique.
 

26 mai 2018


Un excellent creume-beule ce vendredi matin au petit-déjeuner, mes hôtes sont curieux de savoir ce que j’ai pensé de La Grande-Motte. Lui surtout aurait eu envie que je sois enthousiasmé. Il veut me prêter deux livres sur la création du lieu. Je le déçois encore en refusant. Il me montre une photo de l’espace nu sur lequel ont été édifiés les bâtiments de Jean Balladur. Je m’abstiens de lui faire remarquer qu’il en est ainsi pour toutes les villes nouvelles : avant rien, après une cité.
Pour ma dernière journée ici, je ne quitte pas la ville. Je commence par faire une halte en forme de pèlerinage à ma terrasse préférée, celle de La Coquille, où je serais fourré tous les jours si j’habitais cette ville, puis je me balade au hasard dans les petites rues labyrinthiques de l’Ecusson, avec l’assurance de me perdre.
Avant midi, je demande à un policier municipal de m’indiquer l’église Saint-Roch, près de laquelle se trouve le Restaurant Agricole où je veux déjeuner une seconde fois.
-Bonjour jeune homme, me dit l’une des serveuses, la petite table habituelle ?
Voilà comme j’aime qu’on me parle. J’opte pour l’artichaut farci au chèvre suivi de la pièce du boucher sauce vigneronne accompagnés d’un quart de vin rouge. Tout cela est bien bon mais me fait moins d’effet que la première fois.
Je rejoins la place de la Comédie. En son extrémité et à l’entrée du jardin du Champ de Mars sont installés les chapiteaux blancs sous lesquels libraires et éditeurs exposent leurs livres pour la trente-troisième Comédie du Livre qui va durer trois jours sur le thème Littérature néerlandaise et flamande. Sont invités pour des rencontres et des signatures des auteurs de ces contrées ainsi que l’éditrice Sabine Wespieser. Les librairies de la ville (Sauramps et Gibert Joseph) exposent les ouvrages en relation avec le sujet et d’autres. Des éditeurs régionaux sont également présents. Il fait chaud sous les tentes au plancher mouvant. Ce sont les régionaux qui attirent le plus de monde. Certains de leurs auteurs, présents derrière une pile de livres, vivent un grand moment d’espoir, mais je vois peu d’achats où que ce soit.
Les auteurs flamands et néerlandais invités (dont je ne connais aucun) écrivent des romans, tout comme Sabine Wespieser en publie, et je n’ai plus le goût d’en lire (sauf exception). Je ne m’attarde donc pas et vais poursuivre la lecture du Journal de Matthieu Galey sur un banc ombragé du jardin où pique-niquent moult scolaires, dont certains venus à vélo.
Dans l’après-midi, je vais m’asseoir une dernière fois à la terrasse du Café Riche où ces saletés de pigeons s’abattent sur les tables dès que leurs occupants s’en vont. L’un d’eux chope même une olive dans la coupelle d’un étranger interloqué. Avec mon café verre d’eau, je ne crains rien, je peux me concentrer sur ma lecture et le va-et-vient montpelliérain.
Regarder qui passe place de la Comédie pourrait être une activité de plein temps. Aujourd’hui, mention spéciale pour deux filles à la peau noire promenant des pancartes « Jésus est le sauveur ».
                                                                *
En dix jours, je n’aurai lu que la moitié des mille vingt-quatre pages du Journal de Matthieu Galey.
Et à cette moitié, page cinq cent huit, l’auteur est de passage à Montpellier, le huit novembre mil neuf cent soixante-dix-sept :
Les palais, les rues, parfois, y sont beaux comme à Naples. Un air de printemps aujourd’hui. Et un monsieur, dans une de ces cours, qui voulait absolument « voir quelque chose »… dans mon pantalon. Il a tout de même convenu que l’endroit n’était pas idéal, et m’a donné à la place quelques renseignements historiques. C’était un érudit.
 

25 mai 2018


Pour se trouver au départ du car Cent Six qui emmène à La Grande-Motte, il faut se rendre à Place de France et c’est loin. J’achète donc mon premier ticket de tramouais (un euro soixante) et vais prendre à l’arrêt Gare Saint-Roch celui avec des oiseaux blancs sur fond bleu qui va de Mosson à Odysseum (ligne Un).
Après être passé par Antigone puis avoir vu le nouvel Hôtel de Ville bleu nuit, je descends à l’avant-dernière station en compagnie de toute une jeunesse étudiante et d’une sexagénaire qui m’indique où attendre le car de neuf heures trente. Sept petites Anglaises allant à la plage sont du voyage.
Trente-trois minutes plus tard, je descends à l’arrêt Grande Pyramide. Elle ne l’est que par rapport aux autres. Toutes sont typiques dans leurs lignes de l’esthétique des années Soixante-Dix. Cet ensemble de bâtiments ne me plaît ni ne me déplaît. Je trouve son unité ennuyeuse. Le seul immeuble qui la rompt partiellement est hideux, c’est le prétentieux Hôtel Mercure. A tout prendre, je préfère l’architecture foutraque de Palavas.
Ces édifices font face au port dont je fais le tour. Il y a là de luxueux navires à moteur ou à voiles. Cette richesse alignée est plus vulgaire que les boutiques pour pauvres autour du port de Palavas-les-Flots.
Quand j’arrive à la plage, j’ai une pensée particulière pour celle qui avant de me rencontrer passait une partie de l’été avec sa famille dans cette ville nouvelle de bord de mer. Au moins était-elle en vacances, mais pas heureuse.
Moi-même, je n’ai qu’une envie : ne pas m’attarder ici. Je refais le chemin portuaire dans l’autre sens, croisant de plus en plus de vélos. Arrivé au bout du quai nord, je m’installe le temps d’un café à une terrasse garnie de pelouse synthétique où est diffusée une musique tout autant synthétique.
A midi moins cinq, je m’installe à celle d’à côté, au café restaurant Le Poséidon. J’y commande le plat du jour à onze euros, un filet de cabillaud aux lentilles et crème au lard, et  un quart de chardonnay à quatre euros cinquante, puis signale au serveur que je suis un peu pressé, ayant à prendre un car à une heure moins le quart.
-Juste le temps de le cuire, me dit-il.
C’est avec dix minutes d’avance que je suis à l’arrêt Grande Pyramide. J’achète au chauffeur un billet jumelé « car et tram » à deux euros soixante, mais quand je veux le valider dans le tramouais le rouge s’allume. Fraudeur malgré moi, je juge préférable de descendre à l’arrêt d’avant la gare.
Content de retrouver Montpellier, je prends le café au Green Café en face d’un ébouriffant mur peint en trompe-l’œil. La ville en possède plusieurs. Celui-là est mon préféré.
Plus tard, au Café Riche, c’est devant un diabolo menthe que j’observe la comédie.
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Un homme à La Grande-Motte :
-Et demain matin, je m’en vais à La Baule.
Un masochiste sans doute.
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Une femme au même endroit et au téléphone :
-Non, je suis pas chez moi. Oui, je suis en France, bien sûr. Je suis sur le bateau. Je suis en arrêt. Je me repose quoi.
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Une autre au Green Café :
-Mon père, il s’est abêti. Avant, il était dans des associations, il s’intéressait à la politique. Mais depuis qu’il l’a rencontrée, comme elle est complètement abrutie…
                                                               *
Il y a encore des grands-mères qui se font appeler Mémé :
-Mémé, elle a dit quoi ? Attention, hein !
                                                               *
Un mur peint en trompe-l’œil ne rend rien en photo : il faut le voir pour le croire.
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Une contre-allée destinée aux bicyclistes comme à Saint-Nazaire et le piéton peut vaguer tranquillement au bord de la mer. L'aurait dû y penser Jean Balladur.
 

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