Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

4 février 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset):
Jean-Michel (Basquiat) m’a dit qu’il ne voulait pas emmener Paige à Vassar avec lui parce qu’il voulait baiser des filles là-bas. Quand je suis rentré à la maison, il y avait un message de Robert Hayes disant que Paige était devenue folle parce que Jean-Michel n’était pas passé la prendre. C’était cruel. Je lui ai dit que c’était la vie et qu’on irait boire un verre. (Vendredi vingt et un octobre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Richard (Gere) a dit que s’il avait tout l’argent qu’il voulait, il achèterait tous les tableaux de Balthus, celui qui fait ces petites filles qui sourient comme après avoir baisé. (Dimanche treize novembre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Suis arrivé au bureau. J’ai appelé Jean-Michel. Il est venu et a peint sur une peinture que j’avais faite. Je ne sais pas si ça l’a améliorée ou pas. (Mardi dix-sept avril mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Mon visage est ravagé par les boutons. Je paie le fait de ne pas être allé à l’église à Pâques. (Lundi vingt-quatre avril mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
J’en ai tellement marre de la façon dont je vis, de toutes ces merdes et de toujours en ramener davantage à la maison. Rien que des murs blancs et un sol propre, c’est tout ce que veux. Je veux dire, pourquoi les gens possèdent-ils quelque chose ? C’est vraiment stupide. (Mercredi deux mai mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
C’était Vicky Vanini qui a été mariée à Peppo Vanini, maintenant elle est devenue l’actrice Victoria Tennant ! Et moi j’étais là à la regarder de l’autre côté de la table sans la reconnaître depuis une heure. Pas étonnant que les gens pensent que je suis drogué. (Jeudi vingt-quatre mai mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Messe à 11 heures. Je grince toujours des dents quand on en arrive à « que la paix soit avec vous », et qu’il faut serrer la main du voisin. Je veux toujours partir avant. Ou bien je fais semblant de prier. (Dimanche trois juin mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Les communications dans les téléphones publics sont passées à 25 cents. Je vais tout simplement arrêter de téléphoner. (Lundi deux juillet mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
 

3 février 2017


Il y a déjà une longue file d’attente devant la grille de l’Opéra de Rouen quand j’arrive ce mercredi soir. Je me mets au bout, près d’une fille qui explique par téléphone à sa copine comment venir du Cent Six où elle est allée par erreur jusqu’à l’Opéra qui accueille le concert de Vincent Delerm (piano voix).
Bientôt la file atteint le quai haut et doit bifurquer le long dudit puis se heurtant aux rails du métro elle se poursuit dans l’autre sens. Corneille est cerné mais n’en reste pas moins de pierre. Des employés de l’Opéra viennent mettre un peu de désordre en demandant la constitution de deux files, une devant chacune des deux portes. J’y gagne quelques places.
A l’ouverture, les deux files se reconstituent devant les portes de la salle. J’opte pour l’impaire gardée par une courageuse ouvreuse. Chacun peste contre l’attente. A vingt heures, le feu vert est donné. L’ouvreuse n’a alors qu’un objectif : ne pas être emportée par la ruée. Je laisse courir. Ma connaissance du lieu me fait choisir l’une des places de premier rang de corbeille côté jardin. Côté cour, ces places sont réservées aux invités, les amis et la famille, dont les parents de l’artiste que je n’avais pas recroisés depuis notre voyage en commun dans le bus parisien numéro vingt un mercredi matin.
Qu’est devenu Vincent Delerm (quarante ans maintenant) que je n’ai pas revu sur scène depuis ses débuts (une fois à Rouen dans le Jardin de l’Hôtel de Ville, une autre à Deauville dans le manège d’un haras le soir de son anniversaire). C’est pour le savoir que je suis là ce soir. Son premier disque (piano voix) m’avait séduit, les suivants m’ont déçu avec leurs chansons moins bien écrites et surtout pour certains le piano remplacé par un accompagnement musical sirupeux dans le genre du pire d’Aznavour. Où en est-il aujourd’hui alors qu’il renoue avec le piano voix ?
Vincent Delerm entre, salue et s’assoit face à l'instrument. Il chante devant un décor de fond de scène un peu foutraque et des projections vidéo qui lui permettent parfois de dialoguer avec le public par écrit. Il manie l’humour et ne se prive pas de quelques expérimentations participatives avec le public sur le thème du sentiment. Il n’est pas seul. Un complice est assis devant un autre clavier au fond dans la pénombre.
Je peux vérifier que ses chansons récentes ne valent pas les premières. Beaucoup se résument à des énumérations qui certes évoquent un souvenir mais ne donnent pas naissance à une petite histoire bien ficelée comme il savait en écrire alors qu’il habitait Rouen, rue des Requis. Cet amateur de foute (la faute à son éducation) a joué en première division une seule saison. Depuis il est en deuxième division, ce qui est encore bien mais plus très bien. Je n’en passe pas moins une bonne soirée.
A un moment, Vincent Delerm nous demande de choisir lesquels on veut entendre parmi ses succès. Les trois élus sont du début. « Je vois que j’ai bien fait de continuer à faire des disques après le premier », constate-t-il avant de jouer les premières notes de Fanny Ardant et moi.
Pour la fin du concert et les rappels, il se centre sur ses origines géographiques avec son anaphorique Je suis le garçon et son panoramique Voici la ville.
-Il faut quand même que je vous dise que le concert de ce soir a failli ne pas avoir lieu. Le camion de matériel a eu un grave accident ce matin. Le chauffeur et le piano en sont sortis indemnes, mais pas le décor. S’il est un peu de travers, ce n’est pas suite à un goût particulier que j’aurais.
Après plusieurs ovations debout, la chanson de l’ultime rappel est Tes parents dans une interprétation un peu chaotique. Un facétieux spectateur du balcon, au lieu de la question attendue Alors Vincent! Quand est-ce que vous faites un disque?, lui lance :
-Alors Vincent ! Quand est-ce que tu prends des cours de chant ?
Il se fait un peu huer.
-Laissez, laissez, tout le monde a droit de s’exprimer. Monsieur a dû avoir une invitation.
Vincent Delerm disparaît dans la coulisse, une main levée, d’un petit saut de pied.
                                                            *
Une constatation : le piano est un instrument qui supporte mal l’amplification du son par l’électricité.
 

2 février 2017


Ayant acheté une place non numérotée pour le concert de Vincent Delerm (piano voix) ce mercredi soir, après avoir appris seulement ce mardi que le Cent Six (salle de musiques zactuelles) proposait désormais des concerts à l’Opéra de Rouen, remplaçant la stabulation libre dans son hangar par une confortable assise dans une vraie salle de spectacle, j’espère que mon train du retour de Paris ne sera pas de ceux qui arrivent en retard à Rouen et je ne peux m’empêcher d’être un peu inquiet à l'heure où je me lève.
Celui de l’aller, un sept heures cinquante-neuf, va bien son chemin. J’y commence la lecture des Lettres de Gertrud Kolmar, cousine de Walter Benjamin qui mourra à Auschwitz en mil neuf cent quarante-trois. Le préfacier, Hanns Zischler, a l’art de la concision quand il évoque la vie de l’écrivaine : Pendant la Première Guerre mondiale, Gertrud fait la connaissance d’un homme et de l’amour –ses parents l’obligent à avorter.
Ce soir j’ai peur affiche le titre de l’un des livres à un euro qui attire mon œil chez Book-Off. Il est signé Annie Saumont dont j’ai appris la mort ce matin avant de quitter la maison. Elle avait quatre-vingt-neuf ans. J’ai aimé les premiers textes de cette nouvelliste, réputée pour sa façon de narrer et son style, avant de m’en lasser. Au rayon des livres de poche, le titre d’un autre Annie Saumont se veut rassurant : C’est rien ça va passer.
Il fait bon dans la capitale. Cet avant-goût de printemps m’invite à aller de rue en rue pédestrement. Devant la Mairie du Onzième, j’échappe de peu à une embuscade tenue par un cameraman et un porteur de micro muni d’une photo en couleur du candidat écologiste pour la Présidentielle. « Bonjour, est-ce qui vous connaissez Yannick Jadot ? ». C’est une jeune femme d’origine asiatique, moins rapide que moi dans l’esquive, qui se fait attraper.
« Vous aimez les oiseaux, ne les nourrissez pas », m’enjoint la Mairie de Paris dans le square Maurice-Gardette où je m’assois quelque temps sur un banc en attendant midi et un déjeuner au Palais de Pékin.
Pas plus que dans le premier, on ne solde dans le second Book-Off. Cela me fait songer aux vêtements que je devrais avoir le courage d’aller acheter avant le vingt et un février.
Le train de dix-sept heures vingt-cinq, dans lequel je m’installe chargé de livres, part au moment indiqué mais il va de ralentissement en ralentissement et arrive à Rouen avec dix minutes de retard. Je n’ai que le temps de poser mes sacs à la maison et de boire un verre d’eau avant de filer à l’Opéra dont les portes doivent ouvrir dans un quart d’heure.
                                                            *
Une bonne dose de patience et de la diplomatie, c’est ce qu’il a fallu à la guichetière du Cent Six quand j’y suis arrivé mardi après-midi énervé du manque d’information qui m’avait fait prendre un billet Prem’s pour Paris un jour où à Rouen se tiendrait un concert qui pouvait m’intéresser.
Le tort est partagé. Je ne me suis pas beaucoup soucié du programme du Cent Six ces derniers mois, n’en pouvant plus des concerts debout où l’on ne voit que les têtes de ceux qui sont devant, de qui il faut en plus subir les conversations et les photos ou filmages incessants.
-Si jamais votre train était vraiment en retard et que vous loupiez le concert, à titre exceptionnel, je vous rembourserais le billet, m’a-t-elle dit avec un grand sourire.
 

1er février 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset). Après Jean-Michel Basquiat, c’est Keith Haring qui entre dans la vie d’Andy fin mil neuf cent quatre-vingt-deux. L’année suivante, il croise un Français pas du tout à son avantage.
Chris nous avait invités à la galerie Shafrazi pour la clôture de l’exposition Keith Haring. C’est celui qui fait ces personnages dans toute la ville, des graffitis. Son petit ami est noir. Il y avait quatre cents gamins noirs là-bas, si mignons, si adorables. Comme dans les années 60, sauf qu’ils étaient noirs. (Samedi treize novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Allé au Waldorf au machin du Bal des débutantes. (…) Un garçon blond aux cheveux bouclés m’a dit : « Vous avez fait quelques peintures pour mon grand-père. » Je lui ai demandé qui était son grand-père. Il a répondu  « Nelson Rockefeller. » (Mercredi vingt-deux décembre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Keith Haring prend de l’importance. Il est venu du Japon à New York pour trois jours et ensuite Paris. Ces gosses vendent tout –l’expo de Jean-Michel Basquiat à Los Angeles a tout vendu. (Mercredi vingt trois mars mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Tout le monde appelait parce que le Village Voice a publié trois pages sur ma perruque. (Mardi douze avril mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Il y avait une réception à la statue de la Liberté, mais comme j’avais vu la publicité qui disait que j’y étais allé, j’ai pensé que c’était fait. (Mardi cinq juillet mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Le plus drôle, c’est Benjamin qui l’a entendu. Quand ils ont montré mes portraits, un des photographes a dit : «  Comment Andy Warhol a-t-il pu descendre à un tel niveau de médiocrité ? » Et le photographe à qui il a dit cela a répondu : « Que veux-tu dire ? C’est sa médiocrité qui l’a rendu célèbre. » (Mardi six septembre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Le type de Mitterrand a été horrible. Il a marché sur un des tableaux qui était par terre en prétendant qu’il croyait que c’était un tapis. Je sais qu’il savait que c’était un tableau. (Mercredi vingt-huit septembre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
Je me suis réveillé avec des piqûres de puces. Ça m’a rendu fou. J’ai couru acheter des colliers antipuces pour mes chevilles. (Jeudi vingt-neuf septembre mil neuf cent quatre-vingt-trois)
                                                      *
« Le type de Mitterrand » est facilement identifiable car plus tôt dans son Journal Andy Warhol précise qu’il a été prisonnier politique quelque part en Amérique du Sud.
Ce jour-là, Régis Debray quitta la soirée en limousine, tout comme la rebelle du Nicaragua également présente.
                                                     *
Régis Debray est un des trois doctrinaires que j’ai envie d’entarter à chaque fois que je les entends sur France Culture.
Les deux autres sont Philippe Sollers et Michel Onfray.
                                                     *
Sa Suffisance Régis Debray
Sa Boursouflure Philippe Sollers
Son Insuffisance Michel Onfray
 

31 janvier 2017


Dimanche soir, rentré du concert de Marcel Azzola et ses ami(e)s, j’apprends que, sans surprise, Benoît Hamon est le gagnant du second tour de la Primaire dite de la Gauche.
Il a surtout été choisi par la gauche de la Gauche, comme Fillon a été choisi par la droite de la Droite. S’il est réjouissant de savoir Valls battu, cette défaite lui offrira malheureusement la possibilité de revenir en sauveur du Parti Socialiste après les Présidentielles si Hamon fait un score minable.
« Même pas eu à signer quoi que ce soit sur les valeurs de la gauche », m’écrit l’une qui est allée voter pour Hamon. « On verra de quelle manière il va s'y prendre pour concrétiser ses promesses », ajoute-t-elle. « Il n’aura pas à le faire puisqu’il arrivera au mieux quatrième à la Présidentielle », lui dis-je. Elle n’en est pas convaincue : « Il peut se passer tant de choses d’ici là ».
« Je ne prétends pas détenir la vérité, je la laisse aux philosophes et aux hommes de foi. », déclare Hamon vainqueur. Benoît, je t’explique, les philosophes ne détiennent pas la vérité, ils la cherchent et doutent ; quant aux religieux, leur vérité repose sur un mensonge, l’existence d’un dieu.
« Monsieur Moitouseul remisera-t-il son double virtuel ? Le réel lui en donne un en dur », ironise Loulou Picasso dans L’Autre Quotidien en légende d’un dessin montrant un Mélenchon fâché et un Hamon rigolard (j’ai lu je ne sais plus où que le Parti Communiste déplore l’hologramme de Mélenchon car on y est hostile au culte de la personnalité, cette campagne électorale est parfois désopilante).
                                                                *
Penelope Fillon, épouse de catholique traditionaliste : reproductrice (cinq enfants), confinée à la maison, instrumentalisée par son mari pour capter de l’argent public et privé à son profit.
                                                                *
Un qui doit s’impatienter, c’est celui qui attend pour entrer dans le confessionnal que Fillon en ait fini.
 

Bien du mal à obtenir une place correcte par la carte blanche à Marcel Azzola à l’Opéra de Rouen que propose Rouen Jazz Action ce dimanche à dix-huit heures, aussi quand l’aimable guichetière me propose une chaise au-dessus de la fosse, je saute dessus. « C’est parfait, lui dis-je, je verrai Marcel de près ».
A l’ouverture des portes de la salle, j’opte pour la meilleure chaise du premier rang, au centre. A ma gauche s’installe un homme à longs objectifs qu’une demi-heure plus tard Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action, au micro sur scène pour dire quelques mots, indique être le photographe officiel.
Marcel Azzola, quatre-vingt-neuf ans, fils d'immigrés italiens ayant fui le fascisme,  entre en scène accompagné d’une guère plus jeune, la pianiste Lina Bossati (également chanteuse et violoniste) qu’il a rencontrée dans les années soixante. « D’habitude, j’entre avec mon accordéon, nous dit-il, mais comme je l’ai oublié sur la chaise, vous allez assister à son installation ». Le duo complice attaque avec L’Accordéoniste d’Edith Piaf, faisant la démonstration qu’on peut être vieux et avoir toujours les doigts agiles.
Place ensuite aux invités, « de magnifiques musiciens », les accordéonistes Daniel Mille et Lionel Suarez, l’harmoniciste Olivier Ker Ourio, le guitariste Sylvain Luc, le contrebassiste Diego Imbert et le batteur André Ceccarelli, lesquels jouent des reprises et des compositions, augmentées de l’improvisation qui fait le sel du jazz. « J’ai bien fait de venir », déclare Marcel. « Nous aussi », lui répond une dame assise derrière moi. Le photographe opère avec discrétion.
On revoit Marcel pour une belle interprétation avec Lina de la Rhapsody in Blue de George Gershwin, puis en trio avec Lionel Suarez et Daniel Mille dans Place Sainte-Catherine, une composition de ce dernier.
Le moment le plus émouvant est celui où Marcel Azzola rend hommage avec Lina Bossati à son ami Jacques Brel dans un pot-pourri (comme on dit) allant d’Amsterdam à Vesoul.
A la fin, Marcel, Lina et leurs invités jouent ensemble trois morceaux bien connus qui ont révolutionné l’accordéon
C’est un triomphe pour Marcel Azzola, ainsi que pour Lina Bossati et pour toute la troupe « C’est comme ça qu’on dit, on n’est pourtant pas des militaires ».
-J’ose pas le dire, nous dit Marcel, je suis déjà venu dans cette salle… il y a cinquante ans… avec les Compagnons de la Chanson. Edith Piaf était dans le public.  J’en raconte pas plus.
-Merci d’avoir applaudi, ajoute-t-il
-Bonne année, lui crie une spectatrice
-Ah oui, c’est vrai, une bonne année, il est pas trop tard.
Bonne, la soirée l’a été, et même excellente. Il pleut à la sortie. Je regarde ma montre. Le concert prévu pour une heure trente aura duré presque une heure de plus.
                                                           *
D’ailleurs j’ai horreur/ De tous les flonflons,/ De la valse musette/ Et de l’accordéon, chante Jacques Brel dans Vesoul. Combien j’en ai eu horreur moi aussi enfant et adolescent quand il me fallait dans la maison familiale subir les accordéonistes chaque dimanche matin sur Radio Luxembourg.
                                                          *
Marcel Azzola était célèbre bien avant le « Chauffe Marcel ! » de Jacques Brel dans Vesoul, ce « Chauffe Marcel ! » étant pour un temps devenu une expression obligée quand il s’agissait d’en mettre un coup. Il était l’un des trois rois de l’accordéon. Le premier était André Verchuren, que j’ai eu la chance de voir et entendre peu avant sa mort sur les quais de Rouen un Quatorze Juillet où j’étais bien accompagné. Le troisième roi était (et est encore) une reine, Yvette Horner. L'autre jour, j'écoute la radio en me réveillant/ C'était Yvette Horner qui jouait de l'accordéon/ Ton accordéon me fatigue Yvette/ Si tu jouais plutôt de la clarinette/ Oh, Yeah ! chantait Antoine dans les Elucubrations en mil neuf cent soixante-six. Nous étions beaucoup à souffrir.
                                                         *
« Rappel : à partir de la semaine prochaine l'Ubi ne sera ouvert que lors des évènements. » Je n’avais pas vu le premier avertissement. Moi qui m’apprêtais à y retourner après la vague de froid (comme on dit). C’est cuit. Ce lieu artistique mutualisé n’a jamais eu les moyens de son ambition. Il en a tiré les conséquences.
 

28 janvier 2017


Ambiance de printemps précoce ce vendredi soir à l’Opéra de Rouen. Des fleurs et des papillons géants suspendus dominent temporairement le foyer. Floraison est une installation d’Astrid de Geuser en lien avec Tistou les pouces verts, l’opéra participatif qui se déroulera bientôt sans moi. A l’ouverture des portes de la salle, je monte au premier balcon où j’ai une très mauvaise place presque au bout du premier rang côté pair. 
Le Malandain Ballet Biarritz fait toujours salle comble pour cause de danse néoclassique qui plaît à tout le monde. D’où je suis, je vois les quatre cinquièmes de la scène et la moitié de la fosse où seront les musiciens. A cet endroit, impossible de lire le livret programme faute d’un bon éclairage mais je n’ai aucun mal à reconnaître Chopin quand les doigts du pianiste, Jean-Paul Gasparian, se posent sur l’instrument. Voilà qui va émoustiller ma voisine de l’autre jour. Nocturnes, chorégraphie de Thierry Malandain, est élégamment dansée par une vingtaine de jeunes gens, moitié filles, moitié garçons, vêtus de beige. Cela ne mérite que des applaudissements.
A l’entracte je reste à l’étage, observant les fleurs et les papillons par le dessus, ainsi que les grouillantes fourmis qui jouent du coude autour du bar.
Après Chopin, Vivaldi, ne prenons aucun risque. Cela nous vaut d’entendre le talentueux contre-ténor Nicholas Tamagna. Estro, chorégraphie de Thierry Malandain, se danse en noir avec de grosses lanternes qui peuvent se transformer en sièges. Les mouvements d’ensemble sont parfaitement réussis, les filles longilignes et jolies et les garçons féminins. C’est un triomphe à la fin. Le défaut de cette danse néoclassique, c’est que ça plaît à tout me monde, même à moi.
                                                    *
Ce vendredi matin, passant par la rue des Bons-Enfants, j’observe les dégâts.
Au bout de la rue Ecuyère, Le Nash a brûlé la veille au soir, sans qu’il y ait de victimes, la faute au chauffage de la terrasse. L’appartement du premier est détruit lui aussi.
Le chauffage des terrasses, une aberration anti-écologique consécutive à l’interdiction de fumer à l’intérieur des cafés.
                                                      *
Chez Sushi Tokyo, rue Verte, une fille a posé son téléphone contre sa carafe d’eau. Elle discute avec je ne sais qui sur Skype tout en mangeant avec les doigts.
Des pervers qui paient pour regarder une fille manger salement, ça doit exister.
                                                     *
Le matin de ce même vendredi, Macron est l’invité des Matins de France Culture pour parler de culture. Pas inintéressant à écouter car c’est avant tout un intellectuel, une espèce rare chez les politiciens.
A la fin, Matthieu Conquet lui fait découvrir Salauds de pauvres de Mustang. Il aime bien et n’y décèle apparemment pas malice. On le lui offre.
Salauds de pauvres / Ils boivent dès le matin / Du vin de pauvre / Ils n’y connaissent rien.
                                                     *
Du côté des riches, Fillon est vraiment dans la mouise. Jeudi soir, dans le Journal de Téheffun, il peine à démontrer que sa Penelope faisait un vrai travail pour lui, relecture de discours, lecture des journaux, rencontres de gens par-ci par-là, présence à des réunions où il ne pouvait pas aller (les réunions de parents d’élèves des écoles privées de ses enfants peut-être ?), tout cela payé grassement. Le présentateur évite soigneusement de lui demander si ces activités de proximité conjugale étaient également de mise quand sa femme était l’attachée parlementaire de son successeur, et encore plus payée. Il s’enfonce avec ses enfants avocats employés pour leur compétence quand il était Sénateur, lesquels, vérification faite, n’étaient qu’étudiants en droit.
Je le pressens grillé.
Juppé jure qu’il ne sera pas le candidat de secours. Sarkozy ne dit rien.
 

27 janvier 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset). Quelques mois après une première mention du sida, on y voit apparaître un certain Jean-Michel Basquiat. Mil neuf cent quatre-vingt-deux est également l’année d’un voyage en Chine pour Andy :
Tout le monde a peur d’attraper le cancer homo. Alors maintenant ils baisent avec leur gros orteil. (Lundi huit mars mil neuf cent quatre-vingt-deux)
J’ai commandé des ris de veau que je déteste pour ne pas manger. (Jeudi vingt-cinq mars mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Me suis arrêté chez Schrafft sur la 58e et Madison. Les serveuses disaient toutes : « Est-ce que c’est lui ? » « C’est lui. » « Ce n’est pas lui. » Alors quand je suis sorti j’ai dit : « C’est moi. »  Ça les a excitées. (Samedi vingt et un août mil neuf cent quatre vingt-deux)
Rencontré Bruno Bischofberger (taxi $ 7,50). Il est venu avec Jean-Michel Basquiat. C’est la gosse qui signait « Samo » quand il était sur le trottoir de Greenwich Village à peindre des tee-shirts. Je lui avais donné 10 dollars tout de suite et l’avait envoyé à Serendipity pour essayer de vendre ses tee-shirts. C’est un de ces gosses qui me rend fou. Il est noir mais certains disent qu’il est portoricain, alors je ne sais pas. Bruno l’a découvert et maintenant il a la vie facile. Il a un loft super sur Christie Street. C’est un gamin de la moyenne bourgeoisie –il est allé à l’université, etc. (Lundi quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
J’oublie d’ajouter que la veille Jean-Michel Basquiat avait voulu me rembourser les 40 dollars qu’il me devait de l’époque où il peignait des t-shirts et m’empruntait de l’argent. J’ai refusé. J’étais gêné : j’étais surpris que ce soit tout ce que je lui avais donné. Je pensais lui avoir donné davantage. (Mardi cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Promené sur la 5e Avenue. Distribué Interview. Essayé de les donner à un groupe d’ouvriers du bâtiment mais ils m’ont ri au nez. J’étais gêné. Mais un autre groupe d’ouvriers du bâtiment, dans la rue d’après, m’en a demandé quelques-uns, alors ça s’est équilibré. (Vendredi vingt deux octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Dans un village, les enfants ont chanté God Bless America et Jingle Bells. C’était écœurant parce que c’était triste de voir ces petits enfants devoir faire les singes. Une autre fournée de gens en bus devait arriver après nous et ça serait le même numéro. (Mercredi trois novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux, Pékin)
Envoyé Benjamin à Chinatown parce que je n’avais pas acheté de cadeaux en Chine. (Lundi huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
 

1 ... « 246 247 248 249 250 251 252 » ... 344