Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

14 février 2017


Vendredi samedi dimanche, c’est Grand Déstockage au local de la ressourcerie Resistes de Darnétal, une association que je connais jusqu’à présent uniquement par ses quelques ventes rouennaises à la Halle aux Toiles. On y annonce des livres.
Aucune explication n’est donnée sur la manière de s’y rendre en bus. Je demande par mail. « Vous prenez le T3 arrêt Mairie de Darnétal. Ensuite 5 minutes à pied », me répond-on. Ce que je fais vendredi en début d’après-midi dans un Té Trois comme toujours surchargé où je trouve néanmoins place assise.
Descendu devant la Mairie, je demande à une autochtone comment rejoindre la rue de Waddington. Sur ses indications, je contourne la Mairie et ai la surprise d’arriver à l’église devant laquelle je me garais quand j’allais au vide grenier du lieu en voiture. Je n’ai aucune vision d’ensemble de ces communes de la banlieue de Rouen. Au feu, je continue tout droit. Une fumeuse sortie de son atelier pour se livrer à son vice veut m’envoyer à gauche dans ce qu’elle appelle la côte de Waddington. J’ai un doute. Je rebrousse et entre dans une brasserie à menu ouvrier dont les vitres sont couvertes de vapeur. Une jolie fille à ordinateur s’y est réfugiée pour travailler. Le patron me remet dans le droit chemin. A droite en sortant puis ce sera à gauche à quatre cents mètres, vous ne pouvez pas le rater.
Le hangar de la ressourcerie Resistes est dans une zone artisanale un peu décatie. A l’intérieur du bâtiment, on se croirait chez Emmaüs. Les livres sont dans une salle au fond. J’explore les rayons mais ne trouve rien qui puisse me plaire. La brocante ne peut me retenir, je n’achète plus aucun objet.
C’est donc bredouille que je reprends un Té Trois et heureusement que je suis en règle car à l’arrêt Martainville l’attend une escouade de contrôleurs renforcée de policiers chargés de bloquer ceux qui descendent. Se déplacer avec les transports en commun de la Matmutropole est toujours une épreuve.
                                                                            *
La ressourcerie Resistes a pour habitude de peser les achats que l’on y fait afin de calculer l’économie de gaz carbonique qu’engendre le réemploi de ce qu’elle propose. Dans le calcul n’entrent pas les émissions de gaz carbonique produites lors du transport des meubles ou objets jusqu’au hangar de Darnétal, ni celles produites par les acheteurs pour y aller et en revenir.
Un meuble ou un objet t’embarrasse. Tu le mets dans la rue. Un(e) passant(e) le récupère. Zéro émission de Cého Deux.
                                                                            *
La semaine dernière, je m’inscris via Weezevent Commerce Electronique (comme il est obligatoire) pour la visite de chantier du futur Hôtel de la Matmutropole proposée au début du Mois de l’Architecture. A l’issue, je découvre qu’il faut imprimer le billet gratuit.
Je téléphone à la Maison de l’Architecture de Rouen, organisatrice de l’évènement, et explique à celle qui décroche que je n’ai pas d’imprimante. « Il est obligatoire d’avoir le billet imprimé avec soi », me dit-elle. « Ou alors, vous pourrez montrer ce billet sur votre téléphone », ajoute-t-elle. Je lui apprends que je n’ai pas davantage de téléphone portatif. « Alors vous ne pourrez pas entrer », me dit-elle sèchement. Je raccroche sans lui dire au revoir.
Croyez-vous que cette personne m’aurait proposé de passer dans sa Maison de l’Architecture (laquelle est ouverte au public) pour y imprimer mon billet ? Que nenni.
 

13 février 2017


Une nouvelle fois en fond de corbeille à l’Opéra de Rouen, ce jeudi soir, j’ai comme voisine l’une de mes anciennes collègues de l’école maternelle du quartier Saint-Sever où la même année nous finîmes notre carrière (comme on dit) . Elle me raconte qu’elle est allée récemment à la Chapelle Corneille et heureusement qu’elle était au deuxième rang car une amie à elle, assise plus loin, ne pouvait voir que la chanteuse (debout) et pas du tout les musiciens (assis). Elle ne compte pas y retourner. Ici, nous sommes dans une salle en amphithéâtre et avons bonne vue sur le plateau dans son ensemble.
Le Ballet de l’Opéra de Lyon doit danser trois fois La Grande Fugue (Die Grosse Fuge) de Ludwig van Beethoven dans des chorégraphies dues à des pointures de la discipline, la musique nécessaire à chaque prestation provenant d’un enregistrement différent.
Pour commencer, c’est la pièce pour douze danseurs (moitié filles, moitié garçons) de Lucinda Childs assistée de Caitlin Scranton, une création de deux mille seize, tout ce que je n’aime pas en danse, du néoclassique qui suit servilement la musique de Ludwig van. Que de sauts de biche, il ne manque que les tutus.
A l’entracte, un spectateur inconnu de moi vient me parler :
-Alors vous avez inventé une nouvelle discipline olympique ? Pas trop d’hématomes ?
-Non, aucun, et je ne vais pas recommencer.
A la reprise, c’est la pièce pour huit danseurs (six garçons et deux filles en noir et blanc) d’Anne Teresa De Keersmaeker, dont la création remonte à mil neuf cent quatre-vingt-douze. J’aime cette danse vigoureuse qui n’est pas assujettie à la musique tout en en faisant grand cas.
-Voilà qui est beaucoup mieux, dis-je à ma voisine.
Elle partage mon point de vue.
-J’aime beaucoup la façon dont ils chutent, me dit-elle.
Dans la loge derrière nous, le vieux ronchon que je croyais disparu, mais qui est de retour, est d’un avis différent :
-Ils sont toujours par terre, bougonne-t-il.
Enfin est donnée la pièce pour quatre danseuses de Maguy Marin créée en deux mille un. Les quatre filles sont vêtues de rouge. Elles se démènent sans répit. Cela me plaît aussi mais moins que la chorégraphie précédente. « C’est fatigant », constate dans un soupir celui qui accompagne mon ancienne collègue, un pratiquant de l’humour anglais.
Moi-même un peu affaibli par la dépense physique des quatre danseuses, je suis plus que prudent en descendant l’escalier où je me suis étalé la fois dernière (ma façon de chuter n’est pas celle d’un danseur). Ses marches sont moins visibles depuis que l’installation bucolique qui pend du plafond a eu pour conséquence un éclairage restreint du foyer. Je n’irai cependant pas jusqu’à accuser la direction de l’Opéra de Rouen de mise en danger de la vie d’autrui.
Deux femmes de mon âge me précèdent. « Heureusement qu’il y avait la première partie », dit l’une à l’autre.
 

11 février 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset) :
Je ne comprends pas pourquoi je n’ai jamais touché un rond sur le premier disque du Velvet Underground. Ce disque se vend vraiment bien et c’est moi qui l’ai produit ! Est-ce que je n’ai pas droit à quelque chose ? Je n’ai droit à rien ? Et je n’arrive pas non plus à comprendre à quel moment j’ai cessé de plaire à Lou. Il est allé jusqu’à s’acheter deux teckels comme moi, et après ça il s’est mis à ne plus m’aimer, mais je ne sais pas exactement pourquoi ni quand. (Mercredi vingt-quatre avril mil neuf cent quatre-vingt-cinq)
Putain, quand je pense que Madonna était simple serveuse au Lucky Strike il y a un an. (Jeudi huit mai mil neuf cent quatre-vingt-cinq)
J’ai cassé un truc et je me suis rendu compte que je devais casser quelque chose une fois par semaine pour ne pas perdre de vue la fragilité de l’existence. (Mardi vingt-neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-cinq)
Tous ces types pleins aux as, chics, smoking, avec ces filles magnifiques. Moi, j’avais l’air de sortir d’une poubelle. Ils ont servi du caviar à pleins baquets. J’ai tout mangé parce que j’étais angoissé. (Lundi dix-huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-cinq)
Je crois que j’ai oublié de parler de cette fille que j’ai vue au coin de la 57e et de Park : elle s’est complètement déshabillée et elle a pissé en pleine rue avant de se rhabiller et de repartir. Devant ce magasin de valises où je ne vois jamais personne. L’angle sud-ouest, tu sais ? Tout le monde a fait comme si de rien n’était. Elle portait des talons hauts. (Mardi vingt et un janvier mil neuf cent quatre-vingt-six)
Suis allé faire un tour chez Bernsohn et je n’ai pas été déçu du voyage. Il m’a serré dans ses bras et m’a demandé si quelqu’un m’avait déjà fait ça, j’ai dit que non. Mais je ne lui ai pas dit que je ne voulais pas qu’on me prenne dans ses bras. (Vendredi vingt-cinq avril mil neuf cent quatre-vingt-six)
Fred m’a raconté que le gâteau d’anniversaire des Thurn und Taxis était à l’ancienne mode, style années 70 –avec des centaines de bites dessus. Chacun a eu la sienne. (Dimanche quinze juin mil neuf cent quatre-vingt-six)
(…) et le directeur de tournée a bien aimé la mère de Paulina, la petite amie de Ric Ocasek, alors elle lui a donné son adresse. C’est un Indien. Paulina a dit : « Il faut qu’on s’arrange pour que ma mère se fasse mettre avant qu’elle quitte New York. » (Jeudi dix-sept juillet mil neuf cent quatre-vingt-six)
Là où j’ai vraiment compris que ça allait mal tourner, c’est quand j’ai offert de payer l’addition et que Steven Greenberg ne m’a pas arrêté dans mon élan. (dîner $300). (Mardi vingt-neuf juillet mil neuf cent quatre-vingt-six)
                                                                     *
Dans cette période, il y a aussi le mercredi trente octobre mil neuf cent quatre-vingt-cinq, le jour où mon pire cauchemar s’est réalisé. Un évènement qu’il ne peut raconter que le deux novembre à Pat Hackett, sa copiste.
Alors qu’il signait des exemplaires d’America dans la librairie Rizzoli à Soho, une fille tellement jolie et tellement bien habillée lui arrache sa perruque et l’envoie par-dessus la balustrade (un complice s’enfuit avec le butin) :
Je ne sais pas ce qui m’a retenu de la pousser par-dessus la balustrade.
Pat Hackett explique qu’Andy a continué à signer ses livres, protégé par la capuche de son manteau Calvin Klein.
 

10 février 2017


La gare de Rouen est plus que jamais en travaux lorsque j’y arrive ce mercredi afin de prendre le sept heures cinquante-neuf pour Paris. Une affiche y promet « Des espaces de travail adaptés à chacun ». Travailler chez soi, travailler dans la gare, travailler dans le train, travailler au travail, travailler en mangeant, retravailler au travail et faire de même lors du retour, c’est le lot de beaucoup de ceux qui partagent mon voyage, moitié parce qu’ils sont obligés, moitié parce qu’ils aiment ça. Pour leur tranquillité (et la mienne), les agents de sécurité sont désormais autorisés à fouiller les bagages.
Après Mantes-la-Jolie, le soleil remplace le gris mais ça ne dure pas. Mon passage au Book-Off de Ledru-Rollin est peu fructueux. Au marché d’Aligre, certains vendeurs sont absents. Je comprends pourquoi en passant devant l’école de la rue Manuel-Valls. Une affichette signée « Les enseignants » souhaite « Bonnes vacances » aux parents qui vont se coltiner leur descendance pendant deux semaines. Place de la Bastille, le bus Ikea se remplit de voyageurs captifs. Je lui préfère le Vingt dans lequel une jeune femme lit Conversations avec Vladimir Poutine. La photo de couverture est un effrayant portrait de l’autocrate en jeune timoré.
Descendu à Opéra, je déjeune au Royal Bourse Opéra d’un chou farci à l’auvergnate accompagné de riz long. Avec un quart de côtes-du-rhône, cela fait seize euros. Mon intention est d’aller voir la salle Labrouste restaurée de la Bibliothèque Nationale (site Richelieu), ce dont j’ai été empêché précédemment pour cause d’inauguration. Cette fois, la salle est ouverte mais qui n’a pas de carte de chercheur ou d’étudiant habilité doit rester derrière un cordon à l’entrée. J’en fais néanmoins une série de photos, admirant les solides colonnes en fonte et les neuf coupoles décorées de panneaux en faïence beige, enviant les jeunes filles et garçons penchés sur un livre près d’une jolie lampe verte, puis je vais rechercher mon sac à dos au vestiaire. Celui-ci étant en libre-service, c’est un bon plan pour qui veut s’alléger avant de se balader dans le quartier, me dis-je un peu tard, lorsque la présence d’un vigile à l’entrée d’un bâtiment de la rue Vivienne me donne envie d’y entrer. « Vous ne pouvez aller que jusqu’à la rotonde », me dit-il après la fouille.
Où suis-je exactement? Dans la galerie Colbert, autrefois commerciale, aujourd’hui propriété de la Béhenneffe. Des panneaux indiquent « Institut National d’Histoire de l’Art » « Institut National du Patrimoine » « Ecole Pratique des Hautes Etudes ». Au centre de la rotonde, une statue montre une jeune femme nue. C’est Eurydice mourante ou Eurydice piquée par le serpent de Charles-François Leboeuf. Une copie, l’originale est au Louvre. Elle mérite quand même une photo. Une étudiante me voyant faire fait de même.
J’entre ensuite dans la galerie Vivienne. S’y cache un bouquiniste dont les boîtes de livres à prix réduit ne cachent pas de merveilles. La basilique Notre-Dame-des-Victoires m’appelle. « Qui que vous soyez, croyant ou non, prenez le temps de vous asseoir quelques minutes dans cette église », ce que je fais, sans craindre que la foi me tombe dessus, entouré des trente-sept mille ex-voto en marbre. Mozart, Colette, l’abbé Pierre et le champion cycliste Gino Bartali sont passés ici avant moi. Et pas qu’eux : « Le 4 novembre 1887 Sainte Thérèse de Lisieux vint s’agenouiller à l’autel de Notre Dame de la Victoire pour lui confier son avenir et la remercier de sa guérison obtenue le 13 mai 1883 au terme d’une neuvaine. »
Une autre plaque retient mon attention :
« J’ai prié la Sainte Vierge pour avoir un emploi, continuez moi, ô bonne mère, votre sainte protection dont j’ai tant besoin encore. »
Ce pourrait être signé Penelope Fillon.
                                                                 *
Sarah de RecycLivre m’écrit après avoir lu la page de mon Journal narrant, à la date du douze janvier dernier, l’un de mes mercredis parisiens. Elle ne me demande pas de droit de réponse mais je lui donne la parole.
Elle m’indique à qui, précisément, va l’argent versé pour lutter contre l’illettrisme :
« L'association bénéficiaire principale est Lire et Faire Lire, à qui nous avons reversé 25 000 € l'année dernière et qui communique souvent sur notre partenariat. Nous reversons aussi 1% de notre chiffre d'affaires à 1% pour la planète qui finance des projets qui ont pour but de protéger l'environnement. »
Elle dément mon Chez Price Minister, il bénéficie, comme tous les professionnels, de l’alignement automatique de ses prix de vente et est donc toujours le moins disant. :
« Nous ne disposons d'aucun alignement automatique, nous disposons seulement d'une équipe dédiée qui essaye d'attribuer un prix correct en fonction des prix affichés sur le marché des livres d'occasion, notre but principal restant de rendre accessible la lecture à un maximum de personnes, y compris les populations défavorisées. »
Le seul point de mon propos à ne pas être évoqué par mon aimable correspondante est Lorsqu’il est le seul à proposer un livre devenu rare, il en demande un prix exorbitant.
Ce jour, sur Price Minister, RecycLivre, seul vendeur d’Introduction à la théologie pratique de Bernard Kaempf (Presses Universitaires de Strasbourg), le propose à cinq cents euros (ce qui est un peu contradictoire avec l'objectif « de rendre accessible la lecture à un maximum de personnes, y compris les populations défavorisées. »).
 

9 février 2017


Le Garage est un salon de coiffure rouennais sis rue d’Amiens et spécialiste des coupes et couleurs qui décoiffent. L’autre jour, sur sa page Effe Bé, il poste trois photos de sa plus vieille cliente, une octogénaire qui s’est fait raser une bonne partie de la tête ne gardant qu’une sorte de houppette rose. « Ça ne m’étonne pas d’elle », me dis-je, car je connais cette femme dynamique qui, à l’aide de sa canne, court les lieux culturels d’ici et d’ailleurs (je l’ai rencontrée deux fois à Paris un mercredi, à la Maison Européenne de la Photographie et au Centquatre).
« Mais qu'elle est belle cette petite mamie ! », commente l’une. Cela a le don de m’énerver. Aussi lorsqu’une autre qualifie cette cliente de « super mamie », je m’en mêle : « Est-ce qu'on pourrait arrêter de traiter les vieilles de mamie (et les vieux de papy)? »
« À mes yeux "traiter" implique une insulte, et je trouve les termes "vieilles" et/ou "vieux" plus insultants que papy et/ou mamie. Mais ça n'engage que moi. », me répond une troisème.
« Vieux c'est le contraire de jeune, rien de plus. Papy ou mamie, c'est ultra méprisant. », écris-je.
« Donc les petits enfants qui appellent leur grands-mères "mamie", ils insultent leur grands-mères ? », m’objecte un autre.
« Mais non, là c'est justifié. On n'appelle pas toutes les femmes "Maman", pourquoi appeler toutes les vieilles femmes "Mamie" ? », fais-je remarquer.
C’est là que l’un, parfois croisé autrefois dans une salle de concert située en lointaine périphérie, vient me décerner un brevet de stupidité :
« J'adore 2017. C'est une année de plus où les gens se sentent offensé pour un rien. On devient tellement de plus en plus stupide c'est génial. »
Auquel je réponds :
« Merci du compliment. Un jour tu seras vieux Max et tu verras que tu adoreras quand tu entendras: "Poussez-vous, laissez passer le petit papy sur son vélo". »
Il revient à la charge vingt-quatre heures plus tard avec deux messages consécutifs :
« Aujourd'hui on me dit : t'es jeune tu sais pas. Est-ce que j'en pleure ? Non. Est-ce que je m'en fous? Oui. Et au passage, c'est justement ce que tu viens de faire "tu verras quand tu seras vieux". »
« On s'en fout un peu des noms qu'on nous donne. Sérieusement. Il faut pas se rendre malade pour ça. Et si, tu te rends malade car tu prends le temps de mettre un commentaire sur facebook pour ça. Il n'y a rien de mal à dire "super mamie". Mamie c'est pas péjoratif, bien au contraire. C'est comme si moi, par rapport à mon commentaire précédent, je me plaignais de ton "quand tu seras vieux". C'est quoi ça ? À quel âge on devient vieux ? J'ai pas encore le droit d'être vieux ? Tu décides donc pour moi quand est-ce que je serai vieux ? Mais on s'en fout, et je m'en fous surtout. Appelle-moi jeune, vieux, ou quoi que ce soit, ça ne change rien à mon âge et à qui je suis. Arrêtez de vous sentir offensé pour rien. »
Il vaut mieux ne plus réagir et laisser le dernier mot au Garage :
« L'important serait de ne pas devenir des vieux cons ».
La dame aux cheveux roses se prénomme Micheline. Je lui demanderai ce qu’elle pense de tout ça.
                                                                      *
Emmanuel Macron (En Marche), lors de son prêche lyonnais : « Ne sifflez personne, soyez graves »,
Il est grave (comme on disait naguère).
                                                                      *
François Fillon, lors de sa contre-attaque : « Trois mille six cent soixante-dix-sept euros net par mois, salaire parfaitement justifié pour une personne diplômée de droit et de lettres. ».
J’en connais certain(e)s dont le salaire sera sérieusement augmenté si Fillon (Aie L’Air, honnête) arrive à se faire élire Président de la République.
 

8 février 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset).
Jean-Michel voulait aller à la soirée de Jermaine Jackson au Limelight. Nous y sommes allés (taxi $7). C’était une de ces soirées où les videurs ont le genre mafioso idiot et ne reconnaissent personne. Jean-Michel nous a emmenés du mauvais côté. Ils nous ont dit de dégager et il a fait : «  Maintenant tu vois ce que c’est d’être noir. » (Dimanche cinq août mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Jean-Michel  ne voulait pas aller à Rounds (le truc pédé sur 53e et 2e). Il a appelé ce matin pour me dire que dans le temps, quand il n’avait pas d’argent du tout, il faisait des passes pour se faire 10 dollars, et qu’il ne voulait pas s’en souvenir. (Mardi sept août mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Jane Fonda a appelé et j’ai pris l’appel. C’était une erreur : elle veut toujours quelque chose. (Lundi treize août mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Toute l’après-midi nous avons attendu que Stuart Pivar appelle. Michael Jackson était censé l’appeler pour venir voir les Bouguereau. (…) C’est drôle, ce sont les tableaux idéaux pour Michael Jackson –des garçons de dix ans avec des ailes de fées, à côté de belles femmes. (Lundi premier octobre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Nous sommes allés dans la chambre de Sean. Il y avait un gamin qui montait l’ordinateur Apple que Sean avait reçu comme cadeau, le Macintosh. J’ai dit qu’une fois un type m’avait appelé pour m’en donner un, mais que je n’avais jamais rappelé. Le gosse m’a regardé et a dit : « Oui, c’est moi. Je suis Steve Jobs. » (Mardi neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Il est si difficile de parler avec Jean-Michel. Il tombe amoureux des serveuses, alors il se tait et les observe. Alba a dit que la fille qui s’occupait de ses enfants en pinçait pour Jean-Michel (déjeuner $90). Après, nous sommes rentrés avec elle à son appartement pour que Jean-Michel puisse rencontrer la fille, Monica. Mais elle était sortie avec les gosses (Dimanche quatre novembre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
Oh, j’oubliais, j’ai reçu une lettre de ma nièce Eva de Denver qui disait : « Dieu te bénisse, et au fait je t’ai volé des dessins il y a dix ans, tu veux que je te les rende ? » Vers 1970, quand elle vivait ici pour s’occuper de ma mère. Elle m’a dit qu’elle avait enroulé quelques-unes de mes « Fleurs » pour les emporter. Depuis, elles moisissent au sous-sol. (…) Et mon neveu Paul est toujours à Denver –l’ex-prêtre qui a épousé l’ex-bonne sœur, ils ont deux enfants. (Vendredi dix-neuf avril mil neuf cent quatre-vingt-cinq)
                                                              *
C’est en lisant ce Journal d’Andy Warhol que j’ai mis un nom sur ma propension à être séduit par les jeunes serveuses dans les cafés et les restaurants : le syndrome de Jean-Michel Basquiat.
 

7 février 2017


C’est sous le titre « Bal masqué » que l’Opéra de Rouen propose ce samedi soir un concert de musique de chambre consacré à Camille Saint-Saëns et Francis Poulenc. J’y suis au dernier rang de corbeille devant les loges.
En première partie la Sonate pour basson et piano de Saint-Saëns puis le Trio pour hautbois, basson et piano de Poulenc permettent d’entendre à loisir cet instrument ingrat qu’est le basson, ici tenu par Batiste Arcaix (chaussures à talonnettes).
Après l’entracte, je suis davantage conquis par la Sonate pour clarinette et piano de Saint-Saëns dont l’allegretto m’est familier car il était l'indicatif de Mémoires de siècle sur France Culture. La clarinette est entre les mains de Naoko Yoshimura (robe longue bien choisie).
Pour finir est interprétée Bal masqué, cantate profane sur des poèmes de Max Jacob de Poulenc, une musique carnavalesque. Les poèmes sont chantés par le baryton Marc Scoffoni. Ils auraient mérité un surtitrage. Malgré cela, c’est un bon moment qui suscite suffisamment d’applaudissements pour que la Finale soit bissée.
Au bout de vingt minutes que dure le Bal masqué, le public doit être stupéfait et diverti comme les gens qui descendent d’un manège de la Foire du Trône. écrivit Francis Poulenc dans son Journal. Je dois être très bon public car à la sortie je tombe dans l’escalier, et pas qu’à moitié. Une femme crie. Un homme m’aide à me relever. Je n’ai pas le moindre mal, mais cela aurait pu être une clavicule cassée comme à Espelette ou bien pire, « Bal tragique à l’Opéra de Rouen : un mort ».
                                                         *
Paris Normandie fait le point après un an d’ouverture de la Chapelle Corneille dont la programmation est sous deux responsabilités : celle de l’Opéra de Rouen qui dépend de la Région (aux mains de la Droite) et celle de l’Etincelle, la structure créée par la ville de Rouen (aux mains de la Gauche) après qu’elle a fermé le Hangar Vingt-Trois. D’où des bisbilles politiciennes, mais c’est surtout du côté de la qualité sonore que ça pêche.
La grosse boule suspendue, censée résoudre les problèmes d’acoustique, brille de tous ses feux mais pas par son efficacité, comme l’expriment les personnalités interrogées par la journaliste Sandrine Grosjean :
« L’acoustique est très bien, un peu moins au fond de la salle. Jusqu’au quinzième rang, ça va. Au-delà, le son est un peu brouillon. » (Frédéric Roels, actuel Directeur de l’Opéra)
« Ibrahim Maalouf sur un ensemble de cuivres hyper fort, ça le fait pas » « Que ce soit en classique, en jazz ou en musique baroque, il y a des répertoires qui marchent, d’autres moins bien. » (Sébastien Lab, Directeur de L’Étincelle)
« A capella, ça passe bien, comme ça a toujours été le cas à la Chapelle Corneille. Mais on m’a dit qu’à partir d’un certain rang, la voix ne passe plus, à cause de la forte réverbération. » Laurence Equilbey, (Cheffe du chœur accentus)
« Dès que vous êtes au huitième ou au dixième rang, la qualité d’écoute est nettement réduite. Mais pour moi, c’est une acoustique tout à fait correcte, qui reste une acoustique d’église : on ne peut pas faire des miracles ». (Mathieu Dranguet, Président de l’association des Publics de l’Opéra de Rouen)
                                                        *
Si l’on ajoute que dans cette église, les sièges ne sont pas en amphithéâtre, on voit ce qu’on a perdu à préférer une restauration patrimoniale coûteuse à la construction d’une salle faite pour la musique.
                                                        *
En annexe de l’article de Sandrine Grosjean, les chiffres plutôt faiblards de la fréquentation :
Lors de la première saison, les dix-neuf concerts programmés par l’Opéra de Rouen n’ont eu que quatre cent quinze spectateurs en moyenne. Le festival des quatuors, quant à lui, n’a attiré que deux cent six spectateurs en moyenne lors de ses huit concerts.
Pour la saison Seize Dix-Sept qui comprend trente concerts (dont cinq séances scolaires), la moyenne à ce jour est à la baisse : deux cent quatre-vingt-sept spectateurs.
 

6 février 2017


Retour à l’Opéra de Rouen ce jeudi soir sans devoir y attendre longuement ni ensuite avoir à se précipiter pour une bonne place. Le concert est organisé par la maison, les places numérotées. Je suis en corbeille, quatre rangs derrière celui réservé au staff et à ses invités. L’un d’eux, dont la photo figure dans le livret programme, est assis à la gauche de Frédéric Roels, Directeur Artistique et Général (plus pour longtemps). Il s’agit de Meinrad Schmitt, compositeur bavarois né en mil neuf cent trente-cinq.
L’Orchestre est dirigé par Rudolf Pielhmayer, lui aussi bavarois, dont le costume est une sorte de queue de pie de là-bas. C’est d’abord Blumine, extrait de la Symphonie numéro un de Gustav Mahler, puis Catherine Hunold chante Einsamkeit (Solitude), un poème de Johann Mayhofer mis en musique par Franz Schubert.
-Elle chante très bien mais ce n’est pas une soprane, c’est une mezzo, dit mon voisin contestant ce qui est écrit dans le livret programme.
-C’est maintenant que ça risque de se gâter, déclare l’une assise dans la loge derrière moi.
Encore une qui redoute la musique contemporaine. « Verwishte Spuren » (Traces brouillées), inspiré par l’Einsamkeit de Schubert, est une commande faite à Meinrad Schmitt par l’Opéra de Rouen et est donc donné en création mondiale. L’inquiète de derrière n’avait pas à l’être, cette musique n’a rien de révolutionnaire, ni même d’innovant. Elle aurait pu être écrite il y a plus d’un siècle. Elle n’en est pas moins agréable à entendre.
A l’issue son auteur, voûté et marchant d’un pas vif monte sur scène. Il est chaleureusement applaudi.
Après l’entracte, Catherine Hunold revient pour interpréter Ich bin der Welt abhanden gekommen (Je me suis retiré du monde), un poème de Friedrich Rückert mis en musique par Gustav Mahler, puis c’est la Symphonie numéro cinq en si bémol majeur de Franz Schubert.
Rudolf Pielhmayer a beau se démener et même sauter en l’air de temps à autre, je trouve la prestation de l’Orchestre un peu molle et sans relief.
                                                              *
De l’influence de la tenue vestimentaire du maestro sur l’interprétation d’une œuvre ou sur la façon dont le public la reçoit, ce pourrait être l’objet d’une étude que ferait quelqu’un de plus qualifié que moi.
                                                              *
Ce jeudi après-midi, je renoue avec Détéherre, la plus grande bouquinerie rurale de Normandie, grâce à l’une de ses responsables qui m’a trouvé un covoiturage. Rendez-vous à quatorze heures devant la pharmacie du bas de la rue de la République avec la conductrice d’une Fiat Punto bleue. Retour à la maison avec un sac de livres.
                                                              *
Qu’apprends-je le matin de ce même jour sur France Culture ? Le Journal de Matthieu Galey publié en deux volumes chez Grasset est incomplet. Il ne fallait pas heurter certaines personnes encore vivantes lors de sa parution. Une nouvelle édition, intégrale, vient de sortir chez Bouquins/Laffont, qu’il faudra absolument que je me procure, un jour ou l’autre.
 

1 ... « 245 246 247 248 249 250 251 » ... 344