Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

26 novembre 2016


Eh bien, je dois ouvrir ma veste à la demande des vigiles ce jeudi après-midi un peu avant dix-huit heures à l’entrée de l’Opéra de Rouen où m’amène le vernissage de l’exposition Alex Varenne, itinéraire libertin. On me remet un ticket d’entrée gratuite et je vais voir à quoi ressemblent les peintures érotiques, plexiglas et acrylique, de celui que je ne connais que par ses bandes dessinées découvertes il y a bien longtemps dans Charlie Mensuel et L’Echo des Savanes puis avec ses albums. Elles sont à mon goût, bien que les femmes qu’il dessine soient plus callipyges que celles qui m’émeuvent, et que les exposées soient plutôt sages, davantage que certaines autres qu’il est possible de regarder dans les quelques ouvrages de lui mis à disposition.
Alex Varenne est là, grand homme solide à cheveux blancs, soixante-dix-sept ans. Il vient de retrouver une vieille copine pas vue depuis trente ans.
-Ne me dis pas que je n’ai pas changé, ce ne serait que politesse, lui dit-elle.
Nous ne sommes pas nombreux, moitié habitués de l’Opéra, moitié amateurs de bédés. Le libraire du Grand Nulle Part installe quelques piles de livres à vendre. Une journaliste de Paris Normandie montre le bout de son calepin. Laurent Bondi, le Secrétaire Général Adjoint, invite tout le monde à se regrouper. Point n’est besoin du micro pour qu’il dise quelques mots de bienvenue à l’invité et lui demande si le regard porté sur ses œuvres a changé au fil du temps. On se doute de la réponse.
-Autrefois mes bédés étaient dans toutes les grandes surfaces et en vitrine des librairies. Aujourd’hui on les trouve seulement au fond des librairies sur l’étagère du haut marquée bédés pour adultes, comme si toutes les autres bandes dessinées étaient destinées aux enfants. Je crois que c’est avant tout de l’autocensure.
Il ajoute qu’il a été étonné quand il a reçu la proposition d’exposer ici.
-Ça ne plaira peut-être pas à tout le monde, dit Laurent Bondi, mais ceux qui n’auront pas envie de voir ces peintures n’auront qu’à aller directement au foyer ou dans la salle.
-Il peut aussi y en avoir qui arriveront en retard au spectacle parce qu’ils se seront attardés devant ces images, fait remarquer l’un des présents.
Trois jeunes enfants sont là, dont la fille de la Chargée des Actions Culturelles. Celle-ci lui fait faire le tour de l’exposition dont elle s’est occupée.
-Cela n’est pas très différent de la publicité Aubade que l’on peut voir actuellement dans les rues, commente une présente.
Nous prenons un verre en mangeant quelques cochonneries. Je demande à Alex Varenne s’il fait toujours de la bande dessinée.
-Oui, j’en ai sorti trois depuis l’an deux mille, des gros volumes. J’ai la chance que mes lecteurs soient fidèles. Depuis le début, ils m’ont fait vivre.
-Ah oui, vous avez pu vivre uniquement de la bédé ?
-Non, j’ai aussi été professeur d’art plastique pendant trente ans dans un lycée. C’était aussi une façon d’être dans un milieu stimulant sur le plan artistique. Maintenant, je suis à la retraite et je peux peindre tout le temps.
En rentrant, je dois traverser le Marché de Noël. Cette obscénité n’est ouverte que depuis la veille mais déjà fréquentée par la foule.
                                                                   *
Laurent Bondi :
«Comme vous l’avez écrit : Vous êtes né d’un acte hautement pornographique».
Alex Varenne :
«Nous sommes tous nés d’un acte hautement pornographique. Et, en ce qui concerne mes parents, je préfère penser à eux sous cet aspect, plutôt qu’à ce qu’ils avaient dans la tête.»
                                                                  *
Il n’y a pas que les images, il y a aussi les textes.
Echantillons :
Aude a un corps sublime mais qui rend triste car on ne peut se résoudre à penser qu’une telle beauté puisse être éphémère.
Sandrine est une femme d’intérieur. Elle adore cuisiner et reçoit beaucoup chez elle ses amis, ses amants et ses clients.
Egalement, mais non exposée :
Léa regardait son sexe encore imberbe, pourtant ses seins étaient déjà appétissants.
J’aime aussi :
Il y avait si peu d’air que les oiseaux tombaient du ciel.
                                                                  *
Ce même jeudi, en début d’après-midi, alors que je suis en train d’écrire à l’Ubi, lieu artistique mutualisé ouvert à ses adhérents, la Service Civique chargée du bar vient me dire qu’elle doit partir et que je vais devoir quitter les lieux. Rien n’est plus perturbant que d’être obligé d’arrêter brutalement d’écrire un texte presque terminé.
-Lorsque cela arrivait l’an dernier, lui dis-je, un écriteau « bar fermé » était mis sur le comptoir et les présents pouvaient rester puisque le lieu lui-même demeure ouvert.
Elle ne veut rien entendre et exige que je parte, tout comme le jeune homme venu là pour la première fois et qui n’y remettra peut-être plus les pieds.
Cette fille nouvelle se prend terriblement au sérieux et veut tout régenter. J’imagine comment elle sera le jour où elle aura autre chose qu’un emploi précaire et subalterne.
Heureusement, le plus souvent j’ai affaire à l’autre Service Civique, un jeune homme sympathique qui, le jour où je me suis pointé alors que c’était fermé pour travaux un jour plus tôt que prévu, m’a dit « Mais vous pouvez rester si vous voulez et je peux même vous faire un café. »
 

25 novembre 2016


« Mesdames et messieurs, nous arrivons en gare de Paris Saint-Lazare avec dix minutes de retard suite à quelques minutes perdues entre Le Havre et Rouen à cause de travaux, du coup nous n’étions plus dans notre sillon horaire et nous avons dû traîner derrière un train de banlieue. »
Ainsi parle le chef de bord du sept heures vingt-huit ce mercredi. Cela ne me fâche pas. J’ai le temps, après avoir traîné dans les embouteillages avec le bus Vingt jusqu’à la place de la Bastille dont le monument en réfection est désormais aux couleurs de Calvin Klein, d’arriver à l’heure de l’ouverture du Book-Off de Ledru-Rollin. La place des livres y est en diminution, me semble-t-il, ce qui m’allège pour la suite.
Cette suite me mène, par la ligne Un du métro, aux Sablons, un quartier de Neuilly. J’entre dans la seule brasserie visible. Nommée Le Jardin, elle propose une formule entrée plat à quinze euros et est prise d’assaut par une clientèle moitié populaire moitié bourge. J’opte pour l’aumônière de boudin aux épinards et le couscous poulet merguez. Le quart de côtes-du-rhône n’est qu’à quatre euros cinquante. A ma droite mange une habituée bourgeoise qui se partage, dit-elle, entre ici et Cabourg. Elle a eu des soucis de dépression suite au départ de son compagnon, mais en Normandie elle voit une dame pas vraiment psychologue mais qui a le don. Rencontrer un autre homme n’est pas facile. « Pour s’amuser, ça on trouve toujours mais quand il s’agit de s’engager. »
A une heure moins le quart, c’est archi complet. Des déçus font la queue à l’intérieur et ceux qui avaient pris la peine de téléphoner apprennent que leur table n’est plus libre : « Trop tard, les réservations ne sont garanties que jusqu’à midi et demi grand maximum. ». Je sors de là bien restauré et eux mécontents.
Si je suis à Neuilly, ce n’est pour surprendre Sarkozy dans l’exercice de ses passions privées, mais pour visiter l’exposition Icônes de l’art moderne (La collection Chtchoukine) à la Fondation Vuitton relouquée par Daniel Buren. Je l’atteins après dix minutes de marche. Cet expo devait être inaugurée par Poutine mais il ne s’est pas entendu avec Hollande. La longue file d’attente est adroitement masquée. Double file, devrais-je dire, car celles et ceux qui ont réservé par Internet doivent attendre presque aussi longtemps que les sans billets. Derrière moi sont des femmes que je soupçonne fort être des enseignantes à la retraite :
-Je me rappelais pas qu’il y avait autant de couleurs.
-A moins qu’ils aient changé.
-Ce n’était peut-être pas fini.
-Non, c’est pas possible.
Une heure plus tard, j’arrive au guichet où n’opèrent que deux personnes et y paie mes seize euros. Ensuite il me faut encore attendre longuement pour mettre mon sac à dos au vestiaire puis longuement pour passer aux toilettes.
-Il y a un problème structurel, commente un homme à cheveux blancs qui a une tête d’architecte.
Quatre-vingts pour cent du public a les cheveux gris ou blancs. C’est l’un des points communs de ce lieu avec l’Opéra de Rouen. L’autre étant que les gardiens y sont habillés comme les musiciens de l’Orchestre, costume noir chemise blanche cravate rouge.
Chtchoukine fut un collectionneur russe de peinture moderne. Il dut s’exiler après la Révolution de Dix-Sept. Ses tableaux furent confisqués par les Bolcheviques et sont désormais partagés entre le Musée Pouchkine de Moscou et L’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Il y a du très bon, quelques Van Gogh, Monet, Rousseau, plusieurs Gauguin, Matisse, Picasso, et aussi du moins bon, mais l’insupportable c’est le monde à l’intérieur des salles, pire qu’au restaurant Le Jardin. De plus, le cheminement est obligé, impossible de revenir en arrière. Une guide explique à un groupe que contrairement à ce que faisait Chtchoukine qui accrochait un maximum de tableaux les uns à côté des autres sur ses murs, ici on les montre éloignés l’un de l’autre afin de permettre un regard individuel sur chacun. Nous ne sommes jamais moins de quinze devant une peinture et plusieurs centaines dans chaque salle. Arrivé au bout, je trouve un escalier intérieur où ne passe personne, grimpe dans les entrailles du bâtiment de Gehry, et ressors sur la terrasse supérieure. Il fait très beau. La lumière du soleil joue avec les panneaux de Buren. Je fais moult photos en passant, par l’extérieur, d’un niveau à l’autre.
-C’est moderne, constate l’un.
-C’est dommage toutes ces couleurs, dit une autre.
Je ressors par le Jardin d’Acclimatation d’où je fais d’autres photos puis, les pieds cuits, regagne la gare Saint-Lazare.
Le train de dix-huit heures trente ne risque pas de traîner derrière un train de banlieue. Ceux-ci ne circulent pas suite à un mouvement de grève inopiné des conducteurs après qu’un voyageur s’en est pris verbalement à l’un d’eux et qu’un cadre de la Senecefe a pris le parti de cet usager. Plus tôt dans l’après-midi, ce sont tous les trains qui avaient cessé de circuler en raison du suicide d’une femme de quarante-neuf ans à Poissy.
                                                        *
La question que je m’abstiens de poser et que l’on entend sans cesse au guichet de la Fondation Vuitton : « Vous faites quelque chose pour les plus de soixante ? » Rien du tout, c’est seize euros.
                                                        *
La phrase type de la bourgeoisie de Neuilly, dite à n’importe qui de rencontre : « Ça fait plaisir de vous voir ! »

 

24 novembre 2016


Depuis le début de la saison, les vigiles ne me demandent plus d’ouvrir ma veste quand j’arrive à l’Opéra de Rouen. Ils ne s’intéressent qu’aux sacs. C’est dire qu’ils embêtent surtout les femmes. Peut-être veulent-ils rentabiliser la lampe torche dont ils disposent. Ils la plongent au fond. Ce mardi soir, l’équipe est mixte.
J’entre là pour de la danse : Y Olé ! de José Montalvo. Il s’agit encore une fois de mixage entre le flamenco et le hip hop (avec une troisième composante néo-classique), mais cette fois-ci cela fonctionne. Et pas de coq dressé sur ses ergots. Le flamenco est représenté par quatre femmes remarquables et un homme au physique arrondi qui danse peu mais chante très bien. Les hip-hopeurs sont performants et les danseuses néo-classiques itou.
La soirée est en deux temps : un premier ballet sur Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky puis un second sur des musiques populaires datant de l’enfance du chorégraphe. José Montalvo est fils de républicains espagnols ayant fui le franquisme. Ce spectacle est un hommage à son père mort le jour de la première de sa précédente création.
Je prends plaisir à voir évoluer ces danseuses et danseurs en costumes colorés sur fond d’images vidéo purement illustratives. La soirée ne demande aucun effort cérébral et parfois cela fait du bien.
                                                                  *
C’est un dessin de Borkoo :
-Maman ! C’est quoi les Primaires ?
-Alors… Les Primaires c’est comme pour les ordures, ils t’imposent le tri sélectif et à la fin, ils remélangent tout à la déchetterie.
 

23 novembre 2016


Treize filles de treize ans et un bodybuildeur sont au menu de Het Hamiltoncomplex de l’auteure, performeuse et metteuse en scène belge Lies Pauwels, spectacle donné ce dimanche après-midi au Théâtre de la Foudre du Petit-Quevilly à une heure qui permet d’en revenir par le métro.
J’y arrive par ce moyen avant même que le vigile soit en place à l’entrée. Certaines des filles se reposent, vautrées dans les canapés et veillées par la metteuse en scène. D’autres vont déjà rejoindre le plateau. L’une est en fauteuil roulant.
Il n’y a plus personne quand se présentent celles et ceux qui n’arrivent pas au spectacle avec une heure d’avance. Une que je connais vient me dire bonjour et que j’ai l’air en forme puis va prendre son billet et préfère ensuite se tenir à bonne distance jusqu’à l’ouverture des portes.
J’ai place au milieu du cinquième rang. Devant moi est un couple avec deux filles qui ont à peu près l’âge de celles venues de Flandre. Le rideau est ouvert sur un décor péplum et fantasy des plus kitsch. La pièce maîtresse en est une licorne. A l’avant-scène, de chaque côté, sont installés les écrans qui permettront le surtitrage. Devant l’un se tient un homme en costume cravate surveillant l’installation du public dans la salle. On pourrait croire qu’il s’agit d’un employé de La Foudre. C’est le bodybuildeur.
Les filles entrent en scène, vêtues d’un uniforme d’hôtesse de l’air. L’une d’elles énonce les prescriptions à suivre pour le bon déroulement du spectacle et ce qu’il convient de faire en cas de problème, les autres miment tout ça par derrière. Elle s’inquiète de savoir s’il n’y aurait pas des pédophiles dans la salle « vu notre jeune âge ». A peine ont-elles quitté le plateau qu’elles reviennent en jupette verte, hystérisées par la photo apparue sur les écrans de Matteo Simoni (acteur célèbre en Flandre) à qui elles montrent leur culotte en hurlant. L’homme se précipite pour tenter de remettre de l’ordre dans la mêlée, jette quelques filles en coulisse, en vain. Lorsque épuisées elles ressortent, il ôte ses vêtements et en slip vert montre ses muscles. Ce n’est que le début d’une série de tableaux décapants sur l’obsédante difficulté d’être soi quand on est une fille à l’âge de la transition, guettée que l’on est par un futur de femme adulte qui risque d’être maternel (une scène montre les treize comédiennes enceintes d’un ballon de baudruche, énumérant les mauvaises bonnes raisons de garder l’enfant).
L’homme étalon, tantôt excédé, tantôt attendri, tantôt désespéré, tantôt protecteur, tantôt dangereusement tenté, est très bien joué par Stefan Gota. Quant aux filles, Anne Coopman, Luna De Boos, Bruce Eelen, Zita Fransen, Lies Genné, Robine Goedheid, Liesbeth Houtain, Krekels Julia, Aline Moponami, Ans Schoepen, Emma Van Broeckhoven, Mona Van den Bossche et Lisa Van den Houte, et qui ont pour noms de scène Chastity, Faith, Prudence, Marvellous, Lovely, Gift, Queen, etc., ce sont des concentrés de puberté, subissant tous les états d’âme et de corps, s’individualisant ou s’agglutinant, passant de la poupée aguicheuse à la petite teigneuse, parfaites et prodigieusement douées pour le théâtre, la danse et le chant, laissant à l’issue une scène dévastée.
Comblé par ce Het Hamiltoncomplex, (Le Complexe d’Hamilton, titre faisant référence au photographe désormais accusé de viol par plusieurs de ses anciens modèles quand elles avaient précisément treize ans), je décide de rester pour ce qu’ici on appelle un «bord de plateau», la rencontre avec Lies Pauwels qui parle français.
Celle-ci explique que c’était l’une des dernières présentations de ce spectacle qui tourne depuis un an et demi. Les treize filles n’auront bientôt plus l’âge du rôle. Pour elle, ce passage de l’état d’enfance à celui d’adulte est aussi une métaphore de ce que l’on vit dans notre monde en transition dans lequel on ne sait pas où on en est ni où on va. Je conteste mentalement ce rapprochement. Notre monde n’est pas en crise pubertaire, il est adulte depuis longtemps et atteint d’une maladie chronique et incurable. Le micro est donné à quelques-un(e)s qui ont des questions sans grand intérêt à poser. L’entretien ne dure pas plus longtemps. Il faut rentrer à Gand, il y a de l’école demain.
                                                                        *
Le soir de ce dimanche, c’est le résultat du premier tour de la Primaire de Droite et la surprise de l’énorme avance de Fillon.
L’élimination de ce fat sot de Sarkozy, dont je ne supporte pas la vulgarité et contre qui j’étais tenté d’aller voter dans un deuxième tour qui l’aurait opposé à Juppé tant l’idée qu’il puisse être à nouveau Président m’était rédhibitoire, me fait du bien mais la victoire prévisible dimanche prochain du thatchero-catho-poutinien modère ma joie.
Ce Fillon ne sera pas forcément élu Président. Il est tellement de Droite qu’il libère une grosse place au Centre et donc à Macron, qui n’est pas un cadeau non plus, mais moins inquiétant.
                                                                        *
Toujours aller voter pour le moins pire, c’est le point de vue de certains qui ne sont pas de Droite mais décidés à aller voter Juppé contre Fillon au deuxième tour de cette Primaire. L’an prochain, il est possible qu’ils aillent voter Fillon contre Le Pen.
 

22 novembre 2016


Pièce tirée d’Une vie de putain de Claude Jaget (six témoignages sur la prostitution recueillis lors de l’occupation de l’Eglise Saint-Nizier à Lyon en mil neuf cent soixante-quinze) par Anne Buffet et Yann Dacosta, Loveless est donnée une dernière fois ce samedi en fin d’après-midi à la Chapelle Saint-Louis.
Après avoir ouvert ma veste à la demande des deux vigiles, je trouve place au chaud dans le hall d’entrée en compagnie d’arrivés encore plus tôt que moi, dont deux demoiselles. L’une est contente d’elle : « J’arrive à me faire accepter dans les cercles bourgeois, ma meilleure pote habite dans le Seizième. » Yann Dacosta passe par-là et me dit que son inquiétude est de savoir si on pourra caser celles et ceux qui sont en liste d’attente.
Chacun(e) entre en prenant soin de ne pas marcher, au devant de la scène, sur une guirlande électrique verte que protége un employé du lieu muni d’une lampe torche. Quand on est assis, on ne la voit pas mais elle a peut-être une utilité particulière.
Ayant assisté l’an dernier à une première présentation de cette pièce lorsqu’elle était en cours d’élaboration, je sais ce que je vais voir et entendre. Peu de choses ont changé depuis cette étape. Cinq filles au physique très différent et un garçon jouant le sixième rôle féminin sont face au public et narrent leur parcours personnel. Ces confessions sont entrecoupées d’archives télé ou radio relatant l’occupation de l’édifice religieux (il s’agissait pour ces femmes de dénoncer les violences policières dont elles étaient victimes) ainsi que de points de vue sur le sexe et l’amour dont celui, bienvenu, de Ruwen Ogien. Deux chorégraphies donnent à voir l’épuisement des corps. Pour le reste, je ne vais pas répéter ce que j’écrivais le vingt-huit mars deux mille quinze.
Les six comédien(ne)s du Chat Foin sont fort applaudis à la fin. Chacun(e) est talentueux. Évidemment, j’ai un petit faible pour Marie Petiot, ancienne élève du Cours Florent.
Une rencontre avec l’équipe a lieu ensuite mais je préfère m’en dispenser.
                                                            *
Jouer une occupation d’église dans une ancienne église facilite la vie du décorateur.
                                                            *
Ma faculté de dispersion me conduit à repérer les anachronismes. Cette valise rouge à deux roulettes (qui tombait toujours quand on tournait) n’existait pas dans les années soixante-dix. Et ces parenthèses faites avec les doigts par l’une des comédiennes autour du mot « normal », impossible itou. Ce tic gestuel est récent. Il serait temps qu’il disparaisse.
                                                            *
Entre la présentation de mars deux mille quinze et celle d’aujourd’hui, la loi faisant des clients de prostituées des délinquants (mais autorisant le racolage passif) a été définitivement votée par quelques Parlementaires de Droite (dont la moderne Nathalie Kosciusko-Morizet), la plupart des Socialistes, un quart des Ecologistes et la totalité des Communistes. Je leur souhaite de ne pas être réélus.
                                                            *
Une loi contre les clients de la prostitution de rue votée par les clients de la prostitution de luxe, comme le remarquait l’une des animatrices du Strass (Syndicat du Travail Sexuel), visant la grosse partie masculine de l’Assemblée Nationale.
                                                            *
Avant cette loi, Paris Normandie racontait chaque arrestation de prostituée pour racolage sur la voie publique rouennaise, le client étant emmené avec elle mais seulement pour recueillir son témoignage.
Maintenant qu’elle y a droit, la prostituée racole tranquillement, comme un bonbon que l’on aurait tort de convoiter, mais Paris Normandie ne parle jamais d’arrestation de client piégé.
Dans d’autres provinces, les journaux locaux racontent comment des clients pris sur le fait sont condamnés à de fortes amendes et, pour certains, doivent subir un stage de remise dans le droit chemin.
                                                           *
S’il se trouvait pour tout homme une femme prête à faire l’amour avec lui, la prostitution n’aurait pas lieu d’être. Chacun en vieillissant peut constater qu’il n’en est rien.
 

21 novembre 2016


La semaine thématique consacrée à Erik Satie se poursuit au Conservatoire de Rouen. J’y suis ce vendredi soir, assis côté jardin dans l’auditorium, pour les Divertissements satieriks !?.
Le programme, dans lequel interviennent professeur(e)s et élèves, mêle musique, chant, danse et jeu dramatique. Il s’agît, nous dit Claude Brendel, Directeur, de recréer l’ambiance du cabaret Le Chat Noir.
On en est loin. La pianiste joue platement. Les apprenti(e)s en chant et en danse ont l’exubérance crispée. Même les deux élèves d’art dramatique sont décevants. Peut-être aurait-il fallu faire boire un peu tout ce monde avant la représentation (il est vrai que beaucoup sont mineur(e)s).
Bref, je me demande ce que je fais là, à la fête de fin d’année d’un collège peu renommé où on a mis la prof de musique au piano, tellement ça tire vers l’ennui, comme aurait pu dire celui dont on fête le cent cinquantième anniversaire de naissance.
                                                       *
Que fais-je là ? C’est déjà la question que je me pose l’après-midi du même jour à la Halle aux Toiles attendant, au milieu d’une foule à poussettes garnies, le début de la Grande Braderie Solidaire du Secours Populaire. On y annonce des livres choisis.
A l’ouverture, c’est une ruée sauvage de plusieurs centaines d’individus prêts à tout pour arriver les premiers au rayon qui les intéresse. Autour de la table des livres, je retrouve mes habituels concurrents. Beaucoup raflent des ouvrages à l’aveugle pour éviter qu’un autre ne les prenne. Je n’échappe pas à cette faiblesse.
Je paie ce je vais regretter d’avoir acheté à la bénévole concernée puis m’extrais de là après avoir montré patte blanche aux vigiles à la sortie (on craint le vol dans cette opération solidaire).
En chemin vers la maison, je rattrape Adji qui lui n’a rien acheté.
-Je croyais qu’il n’y avait que des livres, me dit-il, mais quand j’ai vu arriver les femmes, j’ai su que c’était foutu.
                                                       *
Rouen, au Grand Saint-Marc, un client de comptoir à la petite serveuse :
-Oh dis ça va, si on t’appuie sur le nez, il en sort encore du lait.
Le collègue d icelle à l’insolent :
-Sûr que toi, si on t’appuie sur le nez, c’est pas du lait qui va sortir.
 

19 novembre 2016


La harpe est à l’honneur ce jeudi soir à l’Opéra de Rouen. Il s’agit de fêter la sortie du cédé d’Anaïs Gaudemard « enregistré l’an dernier ici même ». J’ai une bonne place à l’avant-dernier rang d’orchestre derrière une dame qui en arrivant s’est excusée d’être devant moi.
-Il en faut bien une, lui ai-je dit.
L’Orchestre est dirigé par le jeune Jamie Phillips, boursier à la Phil Gustavo Dudamel de Los Angeles et chef associé du Hallé Orchestra, La courte Schrumpf-Sinfonie de Kurt Schwertsik ouvre la soirée, œuvre tonique et allègre, puis la harpe est roulée sur scène avec précaution. « Anaïs joue sur une harpe Style 23 Gold, offerte par la maison Lyon & Healy, Chicago », précise le livret programme.
-C’est un bel instrument, observe une femme derrière moi.
Il ne manque pas de dorures. Notre harpiste en a tenu compte dans le choix de sa robe.
Ce sont d’abord les Danses sacrée et profane de Claude Debussy puis le Concerto pour harpe et orchestre en ut majeur de François-Adrien Boieldieu.
Anaïs Gaudemard joue à merveille. De plus, elle est jolie, avec un faux air de Sophie Marceau. Lorsqu’elle est inoccupée, elle pose sa joue contre le corps de sa harpe. Derrière elle, l’Orchestre est mené avec précision par Jamie Phillips. A l’issue c’est un triomphe. En bonus, Anaïs nous offre une sonate de Scarlatti.
Pendant l’entracte deux spectateurs viennent me serrer la main. « Nous sommes de ces Centristes de Droite qui buvaient le champagne la semaine dernière. », me disent-ils. Ce sont aussi des animateurs de l’association et du blog Publics de l’opéra de Rouen. Le plus jeune m’explique que la bouteille est arrivée un peu par hasard et qu’il ne s’agissait pas de fêter la victoire de Trump. J’en profite pour les remercier du lien qui sur leur blog envoie vers mon Journal.
En seconde partie, c’est la célèbre Symphonie numéro sept en la majeur de Ludwig van Beethoven. L’Orchestre, mené par un Jamie Phillips clair et expressif, l’interprète avec fougue et précision devant un public très concentré. Il est des soirs où il n’y a rien à redire.
                                                            *
A peine cette symphonie est-elle terminée, avant même les applaudissements, que le spectateur du milieu de rangée oblige tout le monde à se lever. Il veut sortir au plus vite afin de récupérer sa voiture au parquigne avant les autres. Il y a souvent des casse-pieds les soirs de spectacle à l’Opéra de Rouen, celui-là est de première catégorie.
 

18 novembre 2016


Un peu décevant mon repas à dix-neuf euros soixante boisson comprise Chez Céleste ce mercredi, une salade de morue trop sèche et un almondigas (boulettes de bœuf, frites, riz) trop boulette. Ma pêche aux livres ne me donne guère plus de satisfaction. Qu’importe, un bus Quatre-Vingt-Six bondé m’emmène jusqu’à Cluny d’où pédestrement je rejoins l’imposant bâtiment de la Monnaie de Paris, face au square du Vert-Galant. On y expose une sélection d’œuvres du controversé Maurizio Cattelan.
Je montre mes quelques livres au vigile, paie douze euros à une caissière à qui je reproche d’utiliser le sans contact de ma carte bancaire avant de m’en avoir demandé la permission, trouve un euro pour enfermer mon sac à dos dans un casier puis grimpe l’escalier à tapis rouge qui mène à l’étage que se partagent le lieu d’exposition et le restaurant Guy Savoy, trois étoiles au Michelin, premier menu dans les trois cent quatre-vingts euros, à la carte compter deux cents euros hors boisson.
Certains critiques dénigrent Maurizio Cattelan, artiste autodidacte et plein de fric, le qualifient de charlot et de petit malin. Peu me chaut, j’aime ce qu’il fait, ce qu’il a fait est-il plus exact d’écrire car il s’est asséché.
L’une de ses pièces les plus connues occupe la grande salle par où on entre. Jean-Paul le Deuxième, Pape, gît sur la moquette, une météorite lui ayant broyé les jambes. Régulièrement, un petit Maurizio à tambour s’en réjouit, assis sur la rambarde de pierre de l’étage supérieur, faisant lever la tête aux visiteurs et déclencher quasi automatiquement la prise d’une photo.
Dans les salles suivantes, plus petites mais à miroirs, sont visibles le cheval fixé en haut d’un mur par la tête, celle-ci invisible scellée dans la pierre (« Il n’a pas de sexe », constate une jeune femme glissée dessous), l’écolier aux mains clouées dans la table par des crayons, les gisants de marbre blanc représentant des corps d’immigrants enveloppés dans un sac, le sosie de Massimo à échelle réduite accroché à une patère, le même allongé sur un lit avec son double ou lui encore accroché au plancher, le sol s’étant ouvert sous ses pieds. Le meilleur est pour la fin, c’est Him, déjà vu autrefois. A genoux, en prière, le touchant personnage, lorsqu’on en fait le tour, révèle sa moustache et sa grande mèche.
Les notices explicatives sont signées de diverses autorités de l’art et d’ailleurs. L’une d’elles, due à Massimo de Carlo, galeriste, habille pour l’hiver Augustin Trapenard (ce fâcheux sévissant autrefois sur France Culture) qui dans un article s’en est pris à l’artiste exposé.
Une douzaine d’œuvres pour douze euros, cela vous met l’œuvre à un euro le regard, aussi est-il raisonnable de les voir plusieurs fois. Pour ce faire, je regagne la salle papale et découvre dans une annexe un sans abri sous une couverture sale dont ne dépasse qu’un pied. Le cartel suggère qu’il pourrait s’agir de l’artiste lui-même.
Assis sur l’un des bancs, j’observe les arrivant(e)s. Un trentenaire tient à faire savoir au gardien qu’il l’a déjà vu, ce pape écrasé, dans une série télé. Un trois ans, venu avec ses grands-parents et sa sœur de cinq, en a peur. A force de le regarder ce Jean-Paul renversé, je réalise qu’il est impossible d’être fauché à hauteur des jambes par une météorite.
Revenu voir Him, je trouve les deux moutards, le trois ans et sa sœur de cinq, à genoux en prière près de lui. Quand leur grand-père s’en aperçoit, il fait une photo. La grand-mère est un peu choquée : « Quand même, il a tué des millions d’hommes ! »
Eux partis, je demande au gardien, qui comme tous les autres a la peau noire, si c’est difficile pour lui de cohabiter avec ce personnage.
-Ah non, me dit-il, ça reste une œuvre d’art.
En ressortant, je découvre deux autres œuvres imposantes que je n’avais pas vues en montant : le cheval suspendu par des sangles au-dessus du grand escalier et sur le mur de celui-ci la femme crucifiée de dos emballée dans une caisse de transport d’œuvre d’art dont il ne reste plus qu’à mettre le couvercle.
Alors que je suis là à contempler par en dessous le canasson suspendu, je vois sortir une tête connue du restaurant Guy Savoy, un avocat petit et trapu dont le nom m’échappe. Il est suivi d’une autre, François Baroin, le second de Sarkozy (il a choisi le mauvais cheval). Une femme se précipite, lui serre la main :
-Je voulais vous dire que dimanche, je vais aller voter Sarkozy à la Primaire.
-Merci madame, lui répond-il.
L’avocat petit et trapu a pris de l’avance. Baroin descend l’escalier à tapis rouge devant moi sans que le sol ne s’ouvre sous ses pieds ni qu’un cheval dont les cordages céderaient ne l’écrabouille.
                                                                 *
Rentré à la maison, j’enquête sur Internet et retrouve le nom de l’avocat : Francis Szpiner. Sa page Ouiquipédia est éloquente.
                                                                 *
Il semble qu’un certain nombre d’électeurs de la Droite aient fini par comprendre que s’ils ne veulent pas de Juppé, il ne faut pas qu’ils votent Sarkozy au premier tour de la Primaire, lequel serait forcément battu au second, mais qu’ils doivent voter Fillon.
 

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