Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

28 octobre 2016


Mon sac posé à la maison au retour de Paris, je ressors ce mercredi afin de rejoindre le rassemblement contre l’abattage des arbres du square Verdrel (et d’ailleurs) organisé via le réseau social Effe Bé. J’en croise l’initiateur place des Carmes, porteur de bougies destinées à remplacer celles qui ont été volées ou mises à la poubelle.
Quelques jeunes gens sont déjà là, assis sur les marches du Musée des Beaux-Arts. D’autres protestataires d’âges divers arrivent. Je dépose le galet ramassé lundi sur la plage de Dieppe près d’une bougie puis discute avec certains, d’accord avec l’un qui me dit que le grand nettoyage de ce square est aussi ou surtout destiné à en supprimer la vie nocturne. Les homosexuels ne pourront plus s’enfiler dans les bosquets. Une journaliste est là qui prend des notes. Arrive aussi l’un des responsables de l’association Effet de Serre Toi-Même, un militant de la militance qui m’insupporte car il prêche en permanence (je l’ai déjà subi dans un rassemblement antinucléaire).
Quand je lui demande pourquoi ses amis écologistes élus au Conseil Municipal de Rouen soutiennent le plan d’abattage, il me répond que lui est associatif. Okay, mais sait-il pourquoi ils agissent ainsi ? Il faut le leur demander. Ils devraient être là, lui dis-je, et je n’en vois aucun, du moins ceux que je connais. Il y en a une, me dit-il, mais il ne veut pas me la montrer, « droit de réserve ».
Il harangue à nouveau les quelques dizaines de présent(e)s et finit par accaparer la journaliste. Quand il parle de Robert, Maire, Socialiste, chef des bûcherons, il l’appelle par son prénom.
Soûlé, je dis au revoir aux deux jeunes défenseurs des arbres à l’origine du rassemblement et quitte les lieux.
                                                              *
S’agissant des quatre cerisiers du Japon de la place du Lieutenant-Aubert abattus en début de semaine, l’alibi municipal serait que l’un était malade, régulièrement blessé par les camions entrant dans la zone piétonnière. (Toutes les rues piétonnières de Rouen sont envahies par les voitures et les camions. Que font les Ecologistes municipaux et les autres face à ce problème ? Rien.)
Le restaurateur de L’Etoile d’Or m’a dit qu’on ne lui avait pas demandé son avis avant de couper ces quatre cerisiers.
-Votre terrasse ne sera plus ombragée l’été prochain, lui ai-je fait remarquer.
-Ce n’est pas ça qui m’ennuie, m’a-t-il répondu, c’est qu’ils étaient si beaux au printemps avec leurs petites fleurs roses.
                                                             *
A qui servent les élu(e)s écolos rouennais(e)s ?
Tans que l’une, Françoise Lesconnec, Adjointe chargée de la Santé et de l’Environnement fait tomber les arbres, une autre, Fatima El Khili, Adjointe chargée du Logement et de l’Habitat Durable, des Bâtiments Communaux, de l’Energie, de la Commission Communale de Sécurité et de l’Hygiène et de la Salubrité Publique, fait fermer des bars de nuit.
                                                            *
Guillaume Blavette, le harangueur d’Effet de Serre Toi-Même, c’est Sers tes Effets Toi-Même.
                                                            *
Les homos, les Socialistes les préfèrent mariés, à la maison, un peu de télévision, une tisane, et au lit.
 

27 octobre 2016


Ambiance de vacances dans le train de huit heures douze ce mercredi, mais néanmoins studieuse. Les enfants montés à Vernon avec leurs mères soit lisent soit dessinent en silence. Les garçons ont les cheveux sur les oreilles. Les deux femmes qui ne se connaissent pas doivent être enseignantes. Elles ne lisent ni ne dessinent, ne tripotent pas de téléphone.
Les métros Trois et Huit m’emmènent jusqu’au Café du Faubourg où l’on se moque de François Hollande, « Monsieur Quatre Pour Cent », tandis que je bois vite le mien sans m’en mêler. J’explore ensuite Book-Off puis le marché d’Aligre.
Chez Céleste, j’opte cette fois pour la formule plat dessert : rôti de veau à l’ail et tarte Tatin. C’est calme, comme on dirait à Dieppe. Près de moi déjeunent trois peutes étudiants qui n’ont pas de soucis financiers.
-J’suis super chaud pour aller en Vendée ce week-end, c’est la saison des moules et de la langoustine, déclare l’un. Ça vous dit ?
Les autres sont aussi super chauds, mais l’un doit travailler sur son projet et l’autre a un anniversaire en famille.
Il est ensuite question de voter ou non à la primaire et quoi faire pour l’élection présidentielle :
-Nicolas Dupont-Aignan, je l’ai croisé, il est vachement sympa, conclut l’un.
La tarte Tatin est excellente.
Je rejoins la place de la Bastille, grimpe dans le bus Vingt-Neuf, en descends à Bibliothèque Nationale et vais profiter d’un poil de soleil sur l’une des chaises cernant le bassin du jardin du Palais Royal. Un jeune couple se sépare pour trouver de quoi s’asseoir. Elle fonce sur une chaise qui se libère tandis qu’il en cherche une autre trente mètres plus loin. Quand il a la chaise en main, il ne voit plus sa copine. En désespoir, il la bipe avec son téléphone. Sans cette technologie, il ne l’aurait jamais retrouvée.
                                                         *
Une femme félicitant le cuisinier à l’issue de son repas à la brasserie A la Ville d’Argentan :
-C’était très bon. C’était pas grand-chose à faire, mais c’était très bon.
                                                         *
Parmi les livres trouvés ce mercredi : Un peu de cocaïne pour me délier la langue… un étude vantant cette drogue et son usage, qu’écrivit le jeune Sigmund Freud avant de s’intéresser à autre chose (Max Milo Editions) et L’ardoise magique de Georges Perros avec poème liminaire de Michel Butor, postface de Bernard Noël et dessin de couverture de Frédéric Poulot (fils de l’auteur), dernier texte de l’écrivain, dédié aux laryngectomisés (Editions L’œil  ébloui).
                                                        *
Et aussi le Dictionnaire des clichés littéraires d’Hervé Laroche chez Arléa, un exemplaire dédicacé par l’auteur « Pour Serge Safran et Laure Leroy, peut-être à une prochaine fois. Amicalement. ». Serge Safran et Laure Leroy sont les responsables des Editions Zulma qui ont publié le Prix Femina nouveau. Le premier est également l’auteur d’une quinzaine de livres. Recevoir ce dictionnaire en cadeau quand on est écrivain, c’est la vexation assurée. La prochaine fois a dû rester hypothétique.
                                                        *
Dédicace idéale pour un tel livre : « Pour vous qui n’en aurez pas besoin, ce livre qui vous fera songer à certains que nous connaissons. »
                                                        *
Je le lis au hasard dans le train du retour, sans prendre de notes, hormis celle-ci :
Notes : toujours « griffonnées », ou « jetées à la hâte sur le papier ». Jamais le temps d’écrire proprement.
 

26 octobre 2016


J’ai déjà évoqué Georges Hyvernaud plusieurs fois, comment ce professeur d’Ecole Normale, ayant notamment exercé à Rouen, fut embrigadé comme tant d’autres dans l’armée française avec pour mission de défendre son pays contre l’ennemi nazi. Il sera fait prisonnier avant d’avoir l’occasion de se battre. Cette expérience, relatée dans les lettres qu’il envoya à sa femme Andrée, nourrira ses romans La Peau et les Os et Le Wagon à vaches, ouvrages parus dès après la guerre, qui n’eurent aucun succès et l’amenèrent à abandonner l’écriture. Ils sont réédités par Le Dilettante.
Les lettres à Andrée ont paru en mil neuf cent quatre-vingt-onze chez Seghers, huit ans après la mort de leur auteur, dans une édition établie et annotée par sa veuve, sous le titre L’Ivrogne et l’Emmerdeur (surnoms donnés par le lieutenant Hyvernaud à ses commandants successifs).
De la lecture de l’exemplaire acheté à l’un des bouquinistes du Clos Saint-Marc, je retiens ceci :
Cela présente quand même des avantages, les travaux purement physiques ; quand c’est fini, c’est fini, et il ne reste que le plaisir d’avoir fini. Ils ne laissent pas derrière eux cette affreuse traînée de copies à corriger ou de préparations à faire qui se forme derrière nos travaux universitaires. (mardi sept novembre mil neuf cent trente-neuf)
Je n’ai jamais eu, tu le sais, beaucoup de sympathie pour les propagandistes (quelle que soit la nature de leur propagande) qui entrent par effraction dans l’esprit des jeunes. (…)
Au surplus, les victimes  ne m’intéressent pas. Tant pis pour elles si elles ne savent pas se défendre. (…)
Revenons au précieux individualisme, comme le dit et le précise l’auteur peu connu déjà cité, dans un essai sur Stendhal que tu as copié de ta main. (samedi dix novembre mil neuf cent trente-neuf)
Ce matin une mégère venait rouspéter à la compagnie parce qu’un soldat qui couche chez elle l’a menacée de son couteau. (…) non seulement il couche chez la femme, mais il couche avec ses filles, avec les deux ensemble, deux rouquines effroyables dont l’une sort du sana, dont l’autre devrait y être. Des créatures maigres, sales, l’air cochon, sournois et égaré. Tout ce monde-là s’est expliqué en famille. Les filles disaient tout ce qu’on voulait, tout ce qu’elles faisaient avec le type. Elles reprochaient à la mère d’en faire autant. Et comme, dans la même chambre, il y a un frère et deux ou trois autres soldats, l’une des filles expliquait, afin de donner une haute idée de sa pudeur, que ça la gênait de se déshabiller devant tout le monde.(le même jour)
Mon commandant de compagnie est un homme très scrupuleux, très actif, très bien dans l’ensemble. Il a un règlement à la place d’un au moins de ses hémisphères cérébraux –c’est tout ce qu’on peut lui reprocher. (quatorze novembre mil neuf cent trente-neuf)
J’étais bien tranquille, au fond d’une baraque, confortablement assis sur une caisse à outils. J’ai été tiré de ma quiétude par les nécessités de la défense nationale. (dimanche vingt-six novembre mil neuf cent trente-neuf)
Mes notes s’arrêtent là, à la moitié du livre. Peut-être que je n’ai rien trouvé d’exceptionnel ensuite ou alors j’en ai égaré une partie.
Quand même ceci, daté du jeudi vingt-cinq avril mil neuf cent quarante, d’un mari soucieux de tranquilliser son épouse :
Et ta lettre du bombardement de Rouen par la D. C. A. Il ne faut quand même pas te frapper. Dans ton lit, tu es parfaitement en sécurité, tu sais. Il n’est pas indiqué de se balader dans les rues, voilà tout…
 

25 octobre 2016


Ce lundi, le confortable petit train de neuf heures onze me mène à Dieppe où j’espère ne pas être rattrapé par la pluie. Y voyage aussi une simplette parlant seule. Elle a emporté du lard pour manger et espère qu’un éducateur l’attendra à la gare.
Le ciel est gris à l’arrivée et question température « Y a rien de trop », comme on dit au Tout Va Bien où je bois un café avant d’y poursuive ma lecture du volume deux du Journal inutile de Paul Morand (Gallimard). A la table voisine, la fille de la maison améliore son anglais avec un jeune homme au pair.
« C’est calme » dit-on derrière le comptoir en constatant le peu de passants. « Pourtant, c’est les vacances scolaires ». Peu de bateaux de pêche sont dans le port. La majeure partie est en mer, sans doute cherchant la coquille Saint-Jacques. « Accostage réservé à la débarque », est-il écrit sur le quai où on les attend.
A midi, L’Espérance étant elle aussi en vacances, je choisis de déjeuner au Sully, quai Henri le Quatrième. Le décor, la vaisselle, le linge de table et la tenue des serveurs datent d’il y a quarante ans. Cela me rappelle mes premières vacances en Bretagne. Au menu à treize euros cinquante, je choisis l’assiette de bulots, la dorade pomme vapeur et la charlotte pistache fruits rouges. Trois autres tables sont occupées par des couples de retraités. C’est calme. L’homme le plus proche commente l’actualité pour sa femme qui fait semblant de l’écouter.
Le pain est décongelé, les bulots petits, la dorade sèche, la charlotte itou. A la table d’à côté, on en est aux cadeaux de Noël, pour le petit-fils, ce sera un drone. « C’était bon, vous avez bien mangé ? », me demande le serveur débutant. Je sens qu’il a besoin d’une réponse positive.
-Tout va bien, comme on dit chez vos concurrents.
Il fait doux quand je sors. Je longe la plage quasiment déserte jusqu’à la piscine de plein air où une dizaine de nageuses et nageurs font des allers et retours surveillés par une jeune femme en parka rouge. La passerelle en bois menant au Casino me permet de rejoindre le centre ville.
Je vise le Café des Tribunaux, connu pour son l’immense lustre, « maison fondée en 1736 » comme me le rappelle le paillasson où j’essuie mes pieds avant d’entrer. Surprise, il y a beaucoup de monde à l’intérieur, notamment des familles anglaises qui se nourrissent de moules frites sous le regard de la statue de la Justice dont les plateaux sont remplacés par des lampes. Ce n’est pas calme. Je réussis néanmoins à lire..
Dams le train du retour, un trio de voyageurs découvre qu’un billet électronique n’est valable que pour un seul départ. La contrôleuse leur inflige un supplément de sept euros par personne dont elle a du mal à obtenir le ticket :
-Parfois ça imprime pas parce qu’on est en pleine pampa et on arrive pas à joindre les serveurs.
Cette pampa s’appelle le Pays de Caux.
                                                                 *
Ce lundi, aux aurores, apprends-je au retour, les bûcherons envoyés par les « gestionnaires du patrimoine arboré » de la ville de Rouen ont coupé les quatre arbres qui faisaient le charme de la place du Lieutenant-Aubert.
 

24 octobre 2016


Les romans du dandy bas-normand Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly, écrivain dix-neuvième à la misogyne affligeante, me sont toujours tombés des mains. Néanmoins, j’ai lu avec plaisir ses deux premiers Memoranda (rédigés a la demande de son ami Maurice de Guérin), lesquels sont republiés en un volume chez rue fromentin. Cela m’a permis de me faire de lui une opinion définitive : un pleurnichard au style ampoulé jusqu’au ridicule.
Echantillons :
Souffrant au flanc et fatigué, je me suis fait charrier chez moi en voiture. (dix-huit septembre mil huit cent trente-six)
Mes esprits s’étaient par degrés remontés. (dix-neuf septembre mil huit cent trente-six)
Allé chez A… Y suis resté longtemps – causé avec elle de sa vie intime qu’elle me livre maintenant parce que je l’ai pénétrée. (vingt-deux septembre mil huit cent trente-six, comprendre « pénétrer » au sens de « comprendre »)
C’est singulier, je ne puis souffrir dîner en ville avec des femmes. Je ne dîne bien qu’en dîner de garçons ou seul ; car je deviens un animal diablement égoïste et solitaire. (vingt-deux septembre mil huit cent trente-six)
(…) les femmes qui sortent le dimanche sont sans valeur, aristocratiquement parlant. (dimanche vingt-cinq septembre mil huit cent trente-six)
Bu de l’eau de Cologne dans de l’eau sucrée pour remonter mes esprits. (vingt-six septembre mil huit cent trente-six)
Ah ! Dès demain je balaierai mon esprit de ce limon du fond des eaux, en me jetant à quelque idée qui soit le souffle de toute cette écume que je veux répandre et sécher sur les grèves de mon imagination devenue aride. (dix novembre mil huit cent trente-six)
Décidément Mme P… est encore un très souhaitable débris de jolie femme. (mardi six décembre mil huit cent trente-six)
Resté la soirée chez Mme P… . Elle regarde toujours son mari quand elle avance quelque chose, non par sentiment, mais par peur. –Lui ne se gêne pas et la bourre. (le même jour, comprendre « la bourrer » au sens de « lui rentrer dedans » mais au sens de « remettre en cause son propos »)
Quoique je ne puisse pas aimer qui m’aimerait, je suis trop indolent dans ce moment-ci pour tenter de me faire aimer d’une jeune fille. (treize août mil huit cent trente-sept)
Inspiré un caprice à une enfant de dix-sept ans, blonde et mince, jolie et pourtant qui ne me plaît pas ! (sept décembre mil huit cent trente-sept)
Bien dormi, grâce à l’opium. (vingt-trois décembre mil huit cent trente-sept)
Penser à revêtir tous mes articles d’une éternelle ironie. (vingt-sept décembre mil huit cent trente-sept)
J’ai l’horreur et même physique de la gravité du dix-neuvième siècle, un pauvre siècle après tout ! à échanger contre le premier venu. (le même jour)
M’a demandé si je voulais sortir, mais j’étais en négligé avec un châle rose autour du cou, et j’ai dit que je resterais à lire un roman ramassé sur le canapé et dont les premières pages m’avaient attiré. (dix-neuf juin mil huit cent trente-huit)
Y ai échangé des mots assez vifs avec une jeune marchande qui a eu l’hypocrite bêtise de trouver mauvais que je la lorgnasse. (dimanche neuf septembre mil huit cent trente-huit)
Resté à rêvasser longtemps à une petite fille (treize ans à peine) que j’ai vue hier au concert, pâle, les yeux grands et gris, très rapprochés d’un nez grec très pur, observateurs, railleurs et déjà très tendres au milieu de tout cela, les cheveux d’un roux charmant, sans aucune boucle et coupés très courts comme ceux d’un garçon, les mains pleines de morbidezze, soutenant nonchalamment cette tête rousse et prématurément pensive, en entendant l’adorable harmonie de la Sémiramide. Je n’ai jamais rien vu de plus étrange et de plus délicieusement impressif que cette enfant. (…)
Je crois que je pourrais devenir amoureux de cette petite fille, amoureux jusqu’aux folies. C’en est une ce que j’écris là, mais c’est vrai. Pourquoi ne pas se regarder au fond de l’âme ? (vingt et un septembre mil huit cent trente-huit)
Mme Hugo était mollement couchée à l’avant-scène, jolie, piquante, mais la façon d’une courtisane et ayant toujours l’air de poser pour les vignettes des livres de son mari. (quatorze janvier mil huit cent trente-neuf)
 

22 octobre 2016


Jeudi soir, en rentrant de l’Opéra, je suis alerté par le jeune défenseur des arbres de la rue d’Amiens sur le sort de ceux du square Verdrel, l’un des deux seuls jardins de la rive droite de Rouen, lieu de pique-nique familial le jour et de pique-nique homosexuel la nuit, que la Matmutropole, aux mains de Socialistes non élus au suffrage universel, a décidé de rénover à l’ancienne, ce pourquoi il est fermé pour un an et entouré de palissades depuis mercredi. Les tronçonneuses auraient mis à bas plusieurs arbres.
Je signe la pétition et ce vendredi matin, je vais voir ce qu’il en est. Les bûcherons sont toujours là avec leur broyeuse de branches. Plusieurs arbres sont tombés dont mon préféré.
Ce grand et gros arbre en pleine santé poussait dans l’une des allées du square.
Un arbre au milieu du chemin, c’est insupportable pour les experts de l’expertise et les techniciens de la technique qu’emploient les politiciens et qui décident à leur place de ce qui fera le bonheur des électeurs. N’en reste que la souche.
La bougie déposée jeudi par le jeune défenseur des arbres à l’un des angles du jardin, côté Musée des Beaux-Arts, brûle encore.
                                                                         *
Ce jardin était très bien comme il était. Personne ne demandait à ce qu’il soit remis dans son état d’origine (un objectif réactionnaire).
                                                                         *
Un arbre qui pousse au milieu d’une allée du square, tu n’y penses pas ! Il empêchait la voiture de la Police d’en faire le tour.
 

21 octobre 2016


Du piano jeudi soir à l’Opéra de Rouen où j’ai place sur l’une des chaises de la fosse d’orchestre, et joué de la main gauche, je suis donc le premier à entrer dans la salle à l’ouverture des portes et choisis la meilleure, en bout de première rangée, côté jardin.
J’ai le temps d’étudier le programme, bâti pour le centenaire de la bataille de la Somme par le maestro Leo Hussain, avant que l’Orchestre au grand complet entre en scène suivi de celui-ci, chemise flottante sur pantalon.
Qu’est donc ce premier morceau que nous applaudissons avant que le chef prenne le micro pour nous parler des trois extraits du Wozzeck d’Alban Berg qui suivront ? Il ne figure pas sur le livret programme.
Frances Pappas, mezzo-soprano, est de la partie pour les fragments de cet opéra nourri de l’expérience guerrière du compositeur au sein de l’armée autrichienne puis place est faite pour le piano.
Nicholas Angelich, ancien enfant virtuose, s’y installe et cherche quoi faire de sa main droite, posée le plus souvent sur son genou, pendant l’exécution du Concerto pour la main gauche que composa Maurice Ravel pour l’amputé de guerre autrichien Paul Wittgenstein. De ma place en or, je ne perds pas de vue sa main active.
Moult applaudissements nous valent un bonus des deux mains que je suis incapable de reconnaître.
Pendant l’entracte, je vais voir les lithographies et eaux-fortes de Steinlen, prêtées par le collectionneur Patrick Rosada, qui sont exposées derrière le vendeur de cédés du pianiste. Ces dessins de mil neuf cent seize, scènes de la vie militaire lors de la Grande Guerre, me font songer un peu plus à grand-père Jules.
Une spectatrice achète un disque de Nicholas (comme l’appelle le vendeur) et veut savoir s’il pourra le lui dédicacer en fin de soirée.
-Impossible, il a un concert demain soir à Lucerne, il prend le train dans cinq minutes, crois-je entendre.
A la reprise, Leo Hussain, vêtu cette fois costard cravate, fait son mea culpa. Il a oublié de nous dire que, suite à un changement de programme, le premier morceau joué était celui que nous aurions dû entendre maintenant : A Shropshire lad, rhapsodie pour orchestre complet de l’anglais George Butterworth, mort au front le cinq août mil neuf cent seize à Pozières dans la Somme, son corps n’ayant jamais été retrouvé. Dommage que cette audition prématurée ait plus ou moins escamoté sa rhapsodie.
Il n’en est rien pour la Pastoral Symphony de Ralph Vaugham Williams que le maestro nous présente en détail, une composition inspirée par les horreurs de la bataille de la Somme qu’a connues le compositeur anglais engagé comme ambulancier depuis mil neuf cent quatorze.
L’exécution des quatre mouvements, à laquelle participe Frances Pappas depuis la coulisse, est émouvante pour beaucoup, comme l’indique, malgré quelques toux, la qualité du silence de l’auditoire. Ma vieille voisine sort un mouchoir en papier de son sac et essuie une larme.
                                                                        *
Cette symphonie n’a rien de pastorale, nous a dit le chef, avouant ne pas comprendre pourquoi Vaugham Williams a choisi un tel titre.
Leo Hussain n’a pas l’air de connaître cette figure de style qu’est l’antiphrase.
 

20 octobre 2016


C’est chargé de livres que je prends le train de six heures quarante-sept ce mercredi, il s’agit d’élargir le choix de lecture de celle qui autrefois me tenait la main, avec qui j’ai rendez-vous devant le Book-Off de la rue du Faubourg Saint-Antoine à midi moins le quart, après que j’aurai eu le temps de bien faire le tour de cette bouquinerie.
Elle arrive trois minutes avant l’heure, ayant traversé la ville à vélo. Nous trouvons un poteau où accrocher la bicyclette puis entrons au Rallye, le Péhemmu chinois où j’ai mes habitudes. Je lui offre le sac de livres où se trouvent entre autres « Je ne suis pas sortie de ma nuit » d’Annie Ernaux et On the Road de Jack Kerouac, ce dernier lui permettra d’entretenir son anglais.
Nous optons pour le confit de canard pommes rissolées. Je lui parle de Cholestérol : le grand bluff, le documentaire d’Anne Georget que j’ai vu hier soir sur Arte. Combien j’ai eu raison de ne pas m’imposer le régime vanté par mes différents médecins et encore plus de refuser les statines que certains voulaient me prescrire. Elle me raconte les différents défis qui l’occupent en ce moment, lesquels touchent autant sa vie personnelle que son avenir professionnel.
Après le café, voulant prolonger ce bon moment, nous commandons deux coupes de glace mais dans la cuisine, on n’arrive pas à faire face à un afflux de clients. Las d’attendre, nous renonçons et allons boire un second café au Centreville, le café bobo du carrefour Ledru-Rollin Charonne dont le personnel féminin est aussi charmant qu’efficace, puis elle m’accompagne jusqu’à la place de la Bastille.
Il est presque trois heures, le travail l’appelle pas loin, le bus Vingt va m’emmener jusqu’à Choiseul, à proximité de l’autre Book-Off.
                                                                  *
Parmi les livres trouvés ce mercredi, le volume de la collection « Voyager avec… » de La Quinzaine Littéraire – Louis Vuitton consacré à Marguerite Duras, photographies de Dominique Issermann, textes choisis et présentés par Laure Adler. Cet exemplaire bénéficie d’une dédicace. « Amitiés », signé « D. Issermann ». Et à côté, un petit « Laure ».
                                                                 *
Une femme dans le train à une autre :
-C’était pour manger avec toi, le cas échéant.
Une expression en voie de disparition, ce « cas échéant ».
                                                                *
Autre femme dans le bus Vingt, à propos de sa descendance :
-C’est pas ma fille. Elle est con. Ils ont dû se tromper à la maternité.
 

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