Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Faire sa rentrée au cabinet médical

6 septembre 2018


Lundi trois septembre, à l’heure où en d’autres temps j’aurais accueilli les élèves, je fais ma rentrée au cabinet médical. Nous sommes trois en salle d’attente, pour plusieurs médecins. Le mien revient de vacances, un autre rentre de Finlande où il accompagnait les hockeyeurs. Le téléphone ne cesse de sonner et la secrétaire de mettre en attente. Entre deux prises de rendez-vous, elle tente de régler un problème d’aiguillage. Les résultats d’examens d’un patient né en mil neuf cent trente-deux sont systématiquement envoyés par le Chu à la femme d’un des médecins, elle-même médecin ailleurs. Le service de cardiologie lui dit d’appeler l’anneau central, lequel la renvoie vers les secrétaires de chacun des cardiologues pour faire la modification d’adresse, et le malade en a vu six ou sept.
Ce matin, mon médecin est accompagné de son interne, en qui je découvre une jeune fille. Si je l’avais croisée dans la rue, je l’aurais prise pour une lycéenne. C’est elle qui m’examine sous le contrôle de son aîné : prise de tension, écoute du cœur.
Je suis là avant tout pour l’ordonnance de prise de sang nécessaire au contrôle des taux de cholestérol, glycémie, etc., mais j’ai aussi une question bizarre à poser. Est-il possible d’entendre trop ? Je ne voudrais pas passer pour un dingue mais depuis un certain temps j’ai l’impression qu’on a monté le volume, que je suis en quelque sorte devenu le contraire d’un malentendant. Si je suis dans un café et que des gens parlent à l’autre bout, je les entends comme s’ils étaient à proximité. Le médecin et sa future consœur sont dans l’expectative.
Elle me regarde dedans les oreilles, ne trouve rien d’anormal. Tandis que son tuteur rédige un courrier pour un oto-rhino-laryngologiste, elle en fait un pour un dermatologue. Cela fait longtemps que je n’ai pas montré mes grains de beauté.
-Vos mains sont gonflées, remarque-t-elle.
-Depuis plusieurs années, lui dis-je, mes pieds aussi, c’est aussi lié à la chaleur.
Je leur demande de quoi c’est le signe.
-Insuffisance veineuse, me répondent-ils sans m’en dire davantage.
Je ne pose pas de question supplémentaire. En ce jour de rentrée scolaire, cela me fait penser à l’« Insuffisant » des profs sur le bulletin trimestriel. Cet « Insuffisant » était souvent suivi d’un « Peut mieux faire ». Là, je suis bien en peine de m’améliorer. Il est fini le temps où des filles me disaient que j’avais des doigts de pianiste.
Après avoir salué l’une et l’autre, je paie vingt-cinq euros à la secrétaire dont les téléphones ne sonnent plus.
Sitôt rentré à la maison, je ressors pour aller voir à quelle heure le laboratoire d’analyses médicales situé près de la Halle aux Toiles, que je fréquente depuis des années, ouvre ses portes le mardi. Je le découvre fermé, et bien fermé. Des pancartes « A louer » en décorent les vitres. Aucune affichette n’indique une nouvelle adresse.
Sachant qu’un nouveau labo a ouvert place Saint-Marc j’y vais et explique ma déconvenue à l’accueil.
-C’est nous, me répond la secrétaire, on a déménagé il y a plus d’un an, le propriétaire a dû retirer l’information du changement d’adresse.
Mardi quatre septembre, je suis le premier devant la porte avant qu’elle ne s’ouvre, à sept heures. Tout est neuf ici, dans une gamme orange et jaune, sauf le fauteuil de prélèvement. C’est toujours le même, bleu et dépenaillé. La mousse surgit de déchirures sur les accoudoirs.
L’infirmière hésite entre mes deux bras. Mes veines ne sont pas seulement insuffisantes, elles sont trop discrètes. Elle tapote dessus pour les faire ressortir et réussit à en piquer une.
A dix-sept heures trente, j’ai mes résultats. Comme l’an dernier, le cholestérol est normal alors qu’il a été anormalement élevé pendant plusieurs décennies. En revanche, il y a ailleurs un chiffre écrit en gras. Inquiétant ou pas ? Mon médecin en jugera, qui me téléphonera ou pas.
                                                               *
Depuis ce lundi, je ne cesse de regarder mes mains gonflées par l’insuffisance veineuse, et pire, je sens qu’elles le sont, mes pieds pareillement. Tu vas chez le médecin pour deux trois soucis et tu en ressors avec un supplémentaire qui t’accapare l’esprit.
                                                               *
Une somme d’insuffisances en augmentation constante, telle pourrait être la définition de la vieillesse.