Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 janvier 2016


Suite de l’histoire à trois de Franz Hessel, Helen Hessel et Henri-Pierre Roché, racontée en léger différé par ce dernier et publiée par André Dimanche :
Munich, lundi vingt et un février mil neuf cent vingt et un :
J’arrive à Alte Wien où ils doivent déjeuner. J’entre. Je les aperçois. Envie de courir à eux. Je dois donner d’abord tranquillement mon pardessus au vestiaire. –Fr. qui m’apporte sa femme, que j’aime, qui m’aime. –Hln. qui m’apporte son mari, que j’aime, qui m’aime.
Uttwil, vendredi vingt-cinq février mil neuf cent vingt et un :
Mais que ferons-nous de l’enfant, ni elle ni moi ne voulant rester auprès de lui ?
Munich, jeudi vingt-quatre mars mil neuf cent vingt et un :
Elle est dans mes bras, elle parle. La bombe éclate, sec et formidable : elle a fait l’amour avec Hubert, elle a peut-être un enfant de lui dans le ventre.
Hohenschäftlarn, jeudi sept avril mil neuf cent vingt et un :
Epaisse couche de neige : elle s’y est roulée nue ce matin –secouant les avalanches des arbres.
Hohenschäftlarn, dimanche dix avril mil neuf cent vingt et un :
Sp. in her mouth. Fr. vient nous rejoindre –presque malgré lui, peu à peu, nous le forçons à être nu avec nous dans la boîte du balcon de bois –Hln. le caresse –je tourne d’abord le dos –je souhaite qu’elle le rende heureux, qu’elle le fasse sp. lui aussi –elle le caresse avec ses pieds –il proteste –elle s’étend sur lui, je la dévore de baisers par derrière, sa croupe, sa p.f. –je regarde le p.h. de Fr. dressé, pas orgueilleux –Hln. s’assied sur lui et le caresse avec l’extérieur de p.f. –Fr. sp. Nous le félicitons –nous rions tous.
Hohenschäftlarn, mardi douze avril mil neuf cent vingt et un :
69. –La plus parfaite étreinte que nous ayons jamais eue : sa tête serrée entre mes jambes, mes pieds sous sa nuque, p.h. jusqu’au fond de sa gorge, moi humant et balayant p.f. de ma langue jusqu’au fond, nous un seul bloc de chair glorieux, illuminé, encore pendant tout notre sommeil et notre matin.
Hohenschäftlarn, mardi dix-neuf avril mil neuf cent vingt et un :
Elle me fait presque sp. avec sa bouche devant Fr. –Cela lui est de plus en plus naturel d’aimer l’un de nous devant l’autre.
                                                           *
Rappel lexical : sp. pour spend (orgasme), p.h.= petit homme (bite) dit aussi The God, p.f.= petite femme (chatte) d’où k.p.h. ou k.p.f. pour kiss p.h. ou kiss p.f. et t.p.h. ou t.p.f. pour touch p.h. ou touch p.f.
                                                           *
Vendredi dernier, un passage par la Maison Pinel, épicerie fine et produits du terroir, non pour un achat de bouche, mais pour y retirer le Cahier de L’Herne brutalement titré Roché que je me suis offert sans débourser grâce à mes Super Points Rakuten engrangés sur Price Minister. Avant moi, un homme retirait un colis. Après moi, une femme vient chercher le sien. Cette activité d’appoint semble amener plus de Rouennais(e)s dans la boutique que l’activité principale.
                                                           *
Trois cent vingt-cinq pages grand format à lire. En couverture : la photo d’Henri-Pierre Roché vieux, pipe en bouche, pie sur la tête.
 

29 janvier 2016


Un piano occupe un coin de qu’il est convenu d’appeler le foyer à l’Opéra de Rouen, en fait le bar. Derrière le comptoir des jeunes gens s’activent, désormais porteurs d’un tablier de cafetier d’antan de couleur rouge. Cela sied aussi bien aux garçons qu’aux filles, avec juste ce qu’il faut de ridicule. Le piano est cerné d’un cordon rouge, pas question de s’y asseoir et d’en faire l’instrument d’un concert participatif, nous ne sommes pas dans une gare ferroviaire.
Le concert de ce jeudi soir est consacré à des musiques écrites pour le cinéma ou utilisées par lui. Leo Hussain, au micro, se félicite de son initiative et annonce que l’ordre indiqué sur le livret programme sera bouleversé. Toutes les places sont occupées, j’ai la mienne au balcon, surplombant l’Orchestre uniquement composé de cordes.
J’ignore jusqu’au nom de certains des films concernés, et parmi ceux qui me disent quelque chose j’en ai peu vu et il y a longtemps, mais je constate à l’audition de la Suite « Holberg » d’Edward Grieg qu’il y a là un gisement pour illustrer de futurs films ennuyeux. Mon intérêt ne s’éveille pas davantage avec la Suite tirée du film « There will be blood » de Jonny Grenwoood (le guitariste de Radiohead), hormis dans le passage où les instruments sont bousculés par une utilisation peu académique.
Après l’entracte, le Divertimento pour cordes de Wolfgang Amadeus Mozart, pour lequel Leo Hussain est au clavecin, ne contribue pas à me ranimer, encore de la musique à deux de tension, sauf le mouvement final joué presto. L’Adagio pour cordes de Samuel Barber ne m’inspire qu’un mauvais jeu de mot. Pour finir, c’est la Suite tirées des films Jose Torres, Black Rain, Face of Another, compositions signées Toru Takemitsu, qui n’ennuient tout autant et dont l’ultime morceau est réutilisable dans n’importe quel film comportant une scène de thé dansant.
A en juger par le volume et la durée des applaudissements, je suis porté à croire que je suis le seul à avoir trouvé le temps long.
                                                                *
Italie : curieuse idée de construire des caissons pour cacher les statues de femmes nues qui auraient effarouché le barbu d’Iran, il aurait été plus simple de les vêtir d’un tchador.
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« Il n’y a plus tellement d’endroits où on peut aller » (commerçants rouennais s’interrogeant sur un futur lieu de vacances d’hiver au chaud soleil des pays du sud).
 

28 janvier 2016


Parapluie indispensable pour aller à l’Opéra de Rouen ce mercredi soir où c’est musique de chambre. Je prends un livret programme au guichet mais ne l’ouvre pas avant d’être assis en corbeille côté cour où je bénéficie d’une place sans voisin à droite ni à gauche. Sur la couverture figure une photo de la jolie harpiste Anaïs Gaudemard qui lui donne un faux air de Sophie Marceau. Son instrument arrive sur scène avec l’aide d’un diable.
C’est d’abord une version pour flûte, harpe, violon, alto et violoncelle du Prélude à L’Après-midi d’un faune de Claude Debussy. L’arrangeur, Philippe Tailleux, est là pour recevoir sa part d’applaudissements. Suit la Légende d’après Les Elfes de Leconte de Lisle pour harpe, une composition datant du début du vingtième siècle signée Henriette Renié, harpiste qui donna des cours à Harpo Marx. Anaïs Gaudemard, seule en scène et sans partition, montre pendant dix minutes que la harpe n’est pas un instrument pour musique sirupeuse. Elle est très applaudie puis revient en compagnie du violoncelliste Florent Audibert et du flûtiste Jean-Christophe Falala pour Deux pièces en trio pour flûte, violoncelle et harpe, une œuvre de mil neuf cent vingt-cinq du compositeur belge Joseph Jongen, autre bonne découverte.
Jean-Christophe Falala prend alors la parole pour rappeler que c’est aujourd’hui l’anniversaire de Mozart, ce qui nous veut en bonus, joué par lui-même « et Anaïs », l’Andante en ut pour flûte à bec et harpe.
Après l’entracte, plus de harpe mais un piano où devait s’asseoir, selon le programme de la saison, le maestro Leo Hussain, mais, bien qu’il ne doive pas être loin, devant diriger le concert de demain jeudi, c’est Christian Erbslöh qui s’y colle. Le Quintette pour piano et cordes en fa mineur de César Franck, œuvre nerveuse, me sied tout à fait.
Rentrant sous le parapluie, je me dis que je tire souvent davantage de plaisir des concerts de musique de chambre que des concerts symphoniques.
                                                                                *
Suite à la formation du premier gouvernement d’Hollande Président, je me souviens avoir écrit que la mauvaise nouvelle, c’était Valls au Ministère de l’Intérieur, et la bonne nouvelle, Taubira au Ministère de la Justice.
Le mauvais l’emportant logiquement sur le bon, l’un a pris du galon depuis un moment, l’autre a pris la porte ce mercredi (au grand contentement du rassemblement de la Droite et de l’Extrême Droite).
                                                                               *
Suis-je le seul à trouver que Valls s’habille de plus en plus comme un dignitaire franquiste ?
 

27 janvier 2016


Ce lundi vers huit heures vingt, je ressors de ma visite annuelle chez l’ophtalmologiste une ordonnance en main. Héritier des tares familiales, une tension oculaire trop élevée me met en risque de glaucome. Désormais, et pour la vie, ce sera une goutte dans chaque œil chaque soir. J’ai bien conscience d’avoir coché une nouvelle case de la liste des ennuis liés à la vieillesse, ce qui me déprime tout en m’incitant à galoper tant qu’il est encore temps.
Cette semaine, pour cause de concert mercredi à l’Opéra de Rouen, je suis dans le train de Paris le mardi, jour de grève des enseignants, des taxis et d’autres encore. Prudemment, j’évite les déplacements motorisés en surface, n’usant que du métro et le complétant par la marche. Après passage au Book-Off de la Bastille et au marché d’Aligre, je renoue avec Chez Céleste pour le déjeuner, optant pour un hareng pommes à l’huile et une copieuse souris d’agneau.
L’après-midi, je passe un long temps dans l’autre Book-Off car on y solde les grands formats. Tout livre à étiquette bleue ou rouge marqué cinq ou trois euros est à un euro. C’est un peu comme jouer à la loterie, un livre t’intéresse, tu le tires vers toi : zut, une étiquette grise. Néanmoins, on gagne plus souvent qu’avec la Française des Jeux. Aussi, c’est bien chargé que je rejoins la gare Saint-Lazare afin d’y prendre le train de dix-sept heures vingt-cinq pour Rouen.
A peine suis-je installé côté couloir comme à mon habitude qu’un fâcheux me demande d’accéder à la place côté fenêtre alors qu’il y a de nombreuses places libres ailleurs. Ce type pue le vieux tabac et occupe trop d’espace. Je ramasse tous mes sacs et le fuis pour reprendre tranquillement ma lecture de Proust et Céleste de Christian Péchenard (La Table Ronde) dont j’ai déjà lu et fort apprécié Proust à Cabourg (Quai Voltaire).
                                                                *
Parmi les livres rapportés de la capitale : Monsieur, la biographie de Jacques Chessex (Grasset), Le tourbillon de la vie, entretiens de Serge Rezvani avec Michel Martin-Roland (Ecriture), Sombres nuées, le récit autobiographique du temps de la révolution culturelle de Yang Jiang (Christian Bourgois), Blanche Meyer et Jean Giono, récit de la relation extraconjugale de l’écrivain par Annick Stevenson (Actes Sud), New York est une fête de Michel Bulteau (Minos/ La Différence) et Roger Blin, court récit de la mort dudit par Hermine Karagheuz (Séguier Archimbaud).
                                                               *
Egalement Sugar babies de Roland Jaccard avec des photographies d'écolières japonaises en uniforme de Romain Slocombe (Zulma), un exemplaire dédicacé par le premier à Jean-Christophe Brochier : « A consommer avec modération ! Très affectueusement». Le dédicataire a pris le conseil au pied de la lettre (comme on dit).
                                                              *
Paris, conseil de rue : « Si tu veux voir à quel point l’air est pollué, prends ton caca de nez. Le mange pas, hein ! Regarde-le. Tu verras qu’il est tout noir. »
                                                              *
Magasin Le Printemps : encore trois semaines pour en sortir avec une tête de « solde suprême ».
 

26 janvier 2016


Les carnets qu’Helen Hessel écrivait parallèlement à ceux d’Henri-Pierre Roché ont été également publiés par André Dimanche sous le titre Journal d’Helen. Epuisé, ce livre est vendu au prix fort via Internet mais je ne désespère pas de le trouver dans un vide grenier. Pour l’instant, revenons aux écrits de Roché :
Paris, lundi huit novembre mil neuf cent vingt, après lecture des carnets d’Helen :
Le récit de notre premier sp. par elle me bande –elle dit tout, en clair français, ce que je note dans ce carnet par des abréviations ; sp. et p.h. et t.p.h etc. –Elle décrit « mes enfants » coulant dans sa gorge. –Elle est parfois dure avec moi et j’aime cela. –Deux ou trois reflets de vanité ou de satisfaction d’elle, qui me dégoûtent, ou me mettent en colère, qui me font l’appeler « putain » et me détourner.
Paris, vendredi douze novembre mil neuf cent vingt, à propos de Pallas, autre amante :
Elle me lit des poèmes mauvais, me laisse son manuscrit sur Springfield, mauvais. –Je me détache tout à fait, bien qu’elle sente bon, et qu’elle ait le plus joli derrière à brouter qui soit. –Il y a un an et trois mois, j’ai pris sa virginité, pour lui ouvrir l’esprit, et cela a réussi en partie, mais pas assez.
Paris, dimanche vingt-huit novembre mil neuf cent vingt :
Marthon vers 10h. est venue nous apporter notre petit-déjeuner au lit, à Guitt. et à moi –elle avait la mine tirée et piteuse –nous l’avons attirée dans notre lit et elle a mangé avec nous –après, nous lui avons ôté presque de force sa chemise de nuit, et nous l’avons mise nue entre nous, et nous l’avons caressée –son visage s’est illuminé, elle est devenue heureuse et belle…
Date book, 1921 Résumé, 42 ans
Moi : « Mno=Franz. Tu fais vivre et sp. Franz. Je peux faire la même chose avec Mno. » . –Alors Hln. me dit que j’ai mal lu son journal, qu’elle a sp. avec Hulle à Munich. –Je l’abats de deux gifles énormes. –Reprise de notre amour ensuite.
Paris, mardi onze janvier mil neuf cent vingt et un, à propos d’une autre (Jnt.) :
Elle dort contre moi, dans mes bras, agréable, c’est fraternel, il n’est plus du tout question que nous fassions l’amour nous deux, même si nous en avons parfois un peu envie. –C’est parfait ainsi.
Paris, samedi cinq février mil neuf cent vingt et un :
Méditation : quand il y a quinze jours je prenais Bigey le soir, sans y attacher grande importance, et que je dormais chez Mno, je prenais Mno le matin, en y attachant grande importance. –Maintenant que je ne fais plus l’amour avec Bigey, je ne le fais plus non plus avec Mno.
Paris, samedi douze février mil neuf cent vingt et un (avec Bigey) :
Elle dans son lit –doucement –peu à peu la grande caresse, jolie à faire, qui l’embellit –sans que ça crée une intimité immense entre nous –mais assez doux adieux dans l’antichambre –elle a arraché et m’a donné quelques-uns de ses poils bruns frisés.
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Lexique : sp. pour spend (orgasme), p.h.= petit homme (bite) dit aussi The God, p.f.= petite femme (chatte) d’où k.p.h. ou k.p.f. pour kiss p.h. ou kiss p.f. et t.p.h. ou t.p.f. pour touch p.h. ou touch p.f.
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Faut-il s’étonner que le papillonneur Henri-Pierre Roché supporte mal qu’Helen Hessel agisse de même, jusqu’à la frapper violemment ?
 

25 janvier 2016


Si, ce samedi matin, l’Espace du Palais est ouvert comme si rien ne s’était passé et après travaux nocturnes, la rue Verte, près de la gare, reste dans le même sale état, chaussée enfoncée, immeubles fissurés, là aussi conséquences de travaux. Le restaurant Sushi Tokyo est épargné. J’y profite à midi du buffet à volonté.
La clientèle est variée. Un trentenaire déjeune avec sa mère. Quelle aubaine pour une femme prenant de l’âge que d’avoir un fils homosexuel. C’est elle qui paiera à la fin du repas. Plus près de moi, c’est une fille qui mange avec son père et ça ne semble pas habituel.
-J’étais chiante quand j’étais ado ? lui demande t-elle.
-On ne se voyait qu’aux vacances, élude-t-il.
-J’avais l’impression de te voir souvent.
Un groupe de sept s’installe, six jeunes gens de deux sexes et un quinquagénaire barbu à l’ancienne et muni de béquilles. Il prendra un menu. Impossible de deviner le lien qui les met à la même table.
Quand même, ça aurait pu être pire, me dis-je, j’aurais pu être ce néo barbu là-bas, tatoué de tous ses bras, un téléphone vissé dans l’oreille, buvant sa bière au goulot, avec une copine aux cheveux déstructurés.
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L’après-midi, je prends un café au Grand Saint Marc dont le serveur un peu caractériel a rejoint la tribu des néo barbus. Depuis une semaine, une jeune serveuse blonde y remplace avantageusement l’autre serveur avec lequel le premier était toujours en bisbille, parti travailler au Clos Saint Marc.
J’y lis le Journal d’un oisif de Roland Jaccard, amateur déprimé et vieillissant de jeunes filles brunes à frange et à lunettes, et y trouve ceci à la date du vingt-huit juin deux mille :
Ce que j’ai aimé chez Truffaut, c’est le côté Henri-Pierre Roché dont j’avais lu adolescent Jules et Jim et Deux Anglaises et le Continent, deux romans reposant sur une philosophie toute simple que j’avais aussitôt adoptée et vérifiée : « La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas. » Truffaut avait vingt-trois ans quand il avait acheté les livres de Roché. Et cela pour l’excellente raison qu’ils avaient été écrits par un vieillard. Truffaut dira d’ailleurs qu’avec Jules et Jim, qu’il tourne à trente ans, il a voulu « faire un film de vieillard ».
                                                                    *
Ce qu’il y a de terrible avec la vieillesse, c’est qu’on reste jeune. (Jean Cocteau, cité par Roland Jaccard dans L’Ame est un vaste pays, autre volume de son Journal publié vingt ans plus tôt chez Grasset)
                                                                    *
En épigraphe de ce Journal d’un oisif publié aux Presses Universitaires de France, cette interrogation signée Henri-Frédéric Amiel : Qu’est-ce qu’un journal intime, sinon une paresse occupée ?
 

23 janvier 2016


Ce vendredi midi, j’écoute Thomas Jolly parler de son Richard III joué en ce moment à Paris au Théâtre de l’Odéon dans l’émission La Grande Table de France Culture tout en tapotant sur le clavier de mon ordinateur ce que je veux garder de mes lectures récentes, une activité que je menais ordinairement au café de l’Ubi où j’aurai peu eu l’occasion de croiser le susdit (sa troupe La Piccola Familia y a ses bureaux).
Hier jeudi, arrivant à mon habitude à l’Ubi vers midi et demie, j’ai eu la mauvaise surprise de trouver la café occupé par une réunion comme aiment en avoir les artistes.
« Putain, fait chier », me suis-je dit en faisant demi-tour. Cet endroit n’a jamais su choisir entre être un lieu vraiment ouvert à l’extérieur ou un lieu réservé aux locataires des bureaux et à leurs amis.
Tandis qu’il est question de Shakespeare à la radio, je suis plongé dans Traversée avec Don Quichotte de Thomas Mann (Editions Complexe), récit de voyage écrit pendant la première de ses traversées d’Atlantique vers New York. L’auteur y décrit un compagnon de voyage en qui je peux me reconnaître :
… un individu de trente à quarante ans je suppose, qui s’est fait attribuer une petite table particulière, apporte un livre aux repas, et n’a de rapport avec personne. Il est vrai qu’on le voit jouer à shuffle board dans la classe touriste avec des émigrants juifs. Son besoin de se tenir à part fait scandale, on ne l’aime pas. Je l’ai vu plusieurs fois prendre des notes dans sa chaise de pont aussi bien qu’à table. Il a quelque chose de suspect, tout le monde le sent. On ne se tient pas à l’écart de cette manière pour aller ensuite chercher des distractions dans la classe touriste. C’est sûrement un écrivain en bisbille avec l’ordre social, encore que son vêtement soit correct.
Vers quatorze heures, je mets le nez dehors. Dégoûté de l’Ubi, je me dirige vers le Socrate. L’Espace du Palais est en effervescence. De nombreux camions de pompiers, dont celui du service de déblayage, cernent le bâtiment. Quantité de policiers à matraque en gardent les entrées. J’apprends que la Fnaque, Franprix, les restaurants, le Café de l’Echiquier, la bibliothèque Parment et le parquigne souterrain ont été évacués. Une énorme poutre en béton aurait bougé dans le sous-sol où se terre la Fnaque suite à des travaux en surface. De quoi me donner à voir et à entendre pendant que je bois un café verre d’eau à ma place habituelle.
                                                                 *
Ce samedi midi, « Parole apéritive et citoyenne » à l’Ubi, un évènement (comme ils disent) qui sera « l’occasion d’affirmer la dimension citoyenne potentiellement présente dans l’exercice de tout art. »
Pff…

 

22 janvier 2016


Henri-Pierre Roché est au programme de France Culture, ce jeudi soir, dans Ping Pong, la confuse émission de Mathilde Serrell et Mathieu Quenehen. Y sont invités la chanteuse Camélia Jordana et le comédien Félix Moati qui liront avec un troisième des extraits de Jules et Jim au festival Le Goût des Autres au Havre ce dimanche soir, ainsi que Xavier Rockenstrocly, président de l’association Jules et Jim et co-auteur des Cahiers de l’Herne consacrés à Roché. J’écoute ça d’une oreille attentive mais n’en retire pas grand-chose. Il vaut mieux revenir au texte, aux Carnets dudit Roché :
Munich, jeudi cinq août mil neuf cent vingt, retrouvant son ami Franz Hessel :
Franz arrive chez nous à 11h. –De loin je reconnais sa silhouette et sa marche, moins traînante qu’avant la guerre. –Je cours au-devant de lui dans la prairie. –Nous nous embrassons, sur la bouche vite et naturellement. Nous ne nous sommes pas vus depuis 1913, sept ans –rien n’est changé.
Munich, samedi sept août mil neuf cent vingt :
De là nous allons chez les Starke –je regarde des estampes érotiques japonaises –celles où les gens sont gros m’ennuient –mais soudain en voici de minces qui me font passer dans les os un violent désir pour Cligneur. (une autre de ses amantes)
Munich, mercredi quinze septembre mil neuf cent vingt, avec Helen, femme de Franz :
… je commence à manger sa nuque, puis son dos, ses muscles de nageuse, ses flancs, sa croupe –elle ne bouge pas– je prends mon temps, je la mange à fond, j’arrive à ses intimités, je les écarte, je la mange, succulente comme une huître fine, je m’y arrête, je ne puis plus les quitter –elle ne bouge pas encore– alors commence, comme imperceptible, un amour infiniment doux, lent, patient, interminable, ménager, qui ne s’enfle qu’avec tout le regret possible, qui ne cède à la sainte fureur que peu avant le jour, et qui me laisse comme mort contre elle, et aveugle pour plus d’une heure, sans pouvoir distinguer une fenêtre de l’autre ni voir ma main : je n’en ai même pas d’inquiétude –j’aurais voulu mourir tout à fait…
Paris, lundi vingt-cinq octobre mil neuf cent vingt, ayant maintenant envie d’un enfant garçon avec son Helen mais pas avec les autres :
Soir Mno –dormir nus –notre chambre blanche –au matin encore un sp. délicieux, mais ne me déviant pas de Hln. Et de ma volonté constante d’enfant d’elle.
Paris, samedi trente octobre mil neuf cent vingt :
Concert Colonne –audition du Protée de Darius Milhaud. –Satie, Auric, Cocteau, toute la bande, très sérieuse, sauf Satie, délicieux, qui crie : « A bas les ivrognes ! » -Protestations, chahut.
Je pars avec Satie –grand talk au café voisin. Il m’emmène dîner place de l’Observatoire –Talk socratique jusqu’à minuit.
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Lexique : sp. pour spend (orgasme).
 

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