Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 septembre 2016


Première chose que je fais à mon arrivée à Paris ce mercredi : boire un café au comptoir du Café du Faubourg, à la sortie du métro Ledru-Rollin.
-On ne le voit plus ton collègue, dit le serveur à un habitué.
-C’est parce que je lui ai raconté ce que tu m’as dit sur lui.
-Quoi ?
-Qu’il avait une maladie honteuse.
« Je plaisante », croit il utile d’ajouter.
-Si j’ouvre un café, lui dit le serveur, je l’appellerai le Bar des Cons
-Ne fais pas ça, répond le facétieux, tu serais obligé de rester ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
-Moi je viendrais, conclut il
Chez Book Off, je farfouille, à mon habitude. en écoutant avec intérêt la chanteuse de folk dont le cédé est diffusé. Lui succède Joe Cocker et mon panier se remplit.
Au moment de payer, je demande à l’employée qui est cette fille à la voix acide que l’on entendait avant. Elle me tend le cédé. Alela Diane, lis-je. Je l’ajoute à mes achats.
L’étape d’après est le marché d’Aligre. Alors que j’explore l’une des boîtes de livres que propose l’un des marchands, on m’aborde. C’est l’ami Dumez. Contrairement à ce que je craignais, il n’est pas fâché par mon incapacité à le recevoir chez moi. Il m’annonce que son congé sabbatique que je croyais d’un an mais qui n’était que de six mois, n’ira pas plus loin que trois. On lui a fait une proposition professionnelle intéressante, à saisir maintenant ou jamais. Il reprendra donc le travail lundi.
-Cela va t’obliger à réorganiser ton travail d’écriture en cours, lui dis-je.
-Ce n'est peut-être pas plus mal, me répond-il, j’ai découvert que j’étais plus efficace dans l’urgence.
Nous sommes devant le premier tome de l’édition du Journal de Léautaud en dix-neuf volumes. Il ignore tout de cet auteur. Je lui en fais une présentation succincte et enthousiaste. Il prend l’ouvrage en photo.
-S’il fallait aller sur l’île déserte, lui dis-je, c’est le Journal de Léautaud que j’emporterai.
-Sur une île déserte, il vaut mieux emmener un sandouiche, déclare un importun
-On trouve toujours de la nourriture sur une île déserte, réponds-je à ce rabat-joie.
                                                            *
Chez Céleste je déjeune sur le trottoir de courgettes aux anchois et de rôti de veau vanille près de trois enseignantes dont l’une ne veut pas de frites ni de riz, que des légumes, mais réclame ensuite un supplément de sauce. Elles se demandent si ça vaut la peine d’aller voir l’expo Magritte à Beaubourg et vont acheter le numéro spécial de Télérama pour le savoir.
                                                           *
Assise sur l’un des bancs de la station Quatre-Septembre, une jolie fille à collants noirs et minijupe lit Eloge de la névrose. Je soigne la mienne tous les mercredis chez Book-Off.
                                                           *
« Bonjour, nous sommes à Rouen et je vais vous présenter la ville aux cent clochers », entends-je dans la ruelle, ce jeudi après-midi, une fois, deux fois, trois fois. Je me penche à la fenêtre. C’est une équipe de télévision.
-Tiens, il y a quelqu’un au-dessus de toi, dit le présentateur à l’un des cadreurs.
-Quand on regarde les autres, il faut s’attendre à être regardé, leur dis-je.
-Vous avez raison, me dit-il.
-Je vous laisse travailler, bonne journée, leur dis je.
-Oh, vous pouvez rester, vous êtes chez vous.
De ma chambre, je l’entends reprendre :
« Bonjour, nous sommes à Rouen et je vais vous présenter la ville aux cent clochers. »
Sans doute serait-il plus juste de dire :
« Bonjour, nous sommes à Rouen et je vais vous présenter la ville aux cent clichés. »
 

29 septembre 2016


Une foire à tout (comme on dit en Normandie) un mardi à midi, quoi de plus original? Celle-ci a lieu à Mont-Saint-Aignan pendant une journée d’animation organisée par la Maison de l’Université.
Je prends donc le bus Teor Un jusqu’à la station Campus. Une brigade de contrôleurs  y attend les voyageurs, à qui je peux présenter un billet validé. Une fille qui n’en a pas, cernée par les uniformes, essaie le « je n’ai pas d’argent ni de papier sur moi ».
Le vide grenier méridien doit se tenir sur l’esplanade. Je n’y vois qu’un barnum et quelques tables entourées de chaises. « C’est là », me dit l’un des employés de la Maison de l’Université. Je vais voir la fille et le garçon sous le barnum et apprends que ce sera tout petit, quatorze inscrits et pas grand-chose à vendre. C’est surtout l’occasion de boire un verre autour d’un barbequiou. Fichtre !
J’attends quand même, assis sur un banc, entouré de jeunes gens qui pique-niquent, des élèves de la Faculté de Lettres et des Sciences Humaines. Sur les murs du bâtiment partout des têtes de Poutou qui disent que « tout le monde déteste François Hollande et son monde », un slogan détourné de celui visant la Police pendant les manifestations contre la Loi Travail. Il exagère. Hollande a encore douze pour cent de satisfaits et lui, l’anticapitaliste Poutou, va faire un pour cent aux Présidentielles.
A midi et demi, si le barbeuque est en route, ne sont là qu’une fille avec une valise de vêtements, une autre avec des bricoles et deux garçons avec un chariot au fond duquel sont visibles quelques livres.
-C’est que de la merde, je préfère vous le dire, me dit l’un quand je m’approche.
Ayant perdu tout espoir, j’attends le prochain Teor.
                                                                 *
L’affiche de l’évènement montrait un étudiant assis sur une pile de livres.
                                                                 *
Certains perdent leur temps à expliquer à Sarkozy que tous les Français n’ont pas pour ancêtres des Gaulois. Il a beau ne pas être très malin, il le sait bien. S’il le dit, c’est à destination des crétins qui eux le croient. Parmi ceux-ci, les électeurs du F-Haine dont il sait qu’un certain nombre iront voter pour lui à la primaire de la Droite (et du Centre) afin qu’au second tour de la Présidentielle, ce soit Sarko contre leur candidate et ainsi être gagnants avec l’un à défaut de l’être avec leur préférée.
Comme je n’ai pas envie de supporter une nouvelle fois cinq ans de Sarko, je serais prêt à aller voter Juppé au deuxième tour de cette primaire de Droite (et du Centre) si les sondages annonçaient son résultat incertain.
                                                                *
« Paye-toi Sarko
pour deux euros »
J’y pense.
 

28 septembre 2016


La météo est formelle : pluie entre onze et treize heures. Cela implique de parcourir les vide greniers dominicaux en deux fois.
Je commence par celui de La Madeleine, rejoint à pied au lever du jour, à l’heure où la fourrière remplit ses caisses avec les voitures garées sur les emplacements des déballeurs. Ceux-ci sont situés dans diverses rues de ce quartier qui n’en est pas vraiment un. Les affichettes jaunes avertissant de l’enlèvement des véhicules, pourtant collées en nombre, n’auront servi à rien pour beaucoup.
Des livres apparaissent ici et là, rien d’extraordinaire, si ce n’est Léo Malet revient au bercail de Gilles Gudin de Vallerin et Gladys Bouchard (Actes Sud), une biographie bâtie avec les documents de l’écrivain légués par ses descendants à la Médiathèque de Montpellier, sa ville natale. Je le paie un euro pas loin de la Fac de Droit, Economie et Gestion sur laquelle l’anticapitaliste Poutou montre sa bobine (à défaut du soutien des ouvriers, cherchons celui des étudiants).
Cette faculté a été évacuée dans la semaine. Un étudiant y avait décelé un barbu d’allure suspecte. Quand la Police a interpellé le suspect, elle a constaté qu’il était fiché Esse, âgé de vingt ans, venant de Val-de-Reuil.
Je fais plusieurs fois le circuit, trouvant à la fin une mine de cédés à cinquante centimes. J’en achète un certain nombre, dont plusieurs que j’ai déjà. Je trouverai peut-être à les offrir, si je ne suis pas le dernier à en écouter.
Rentré à la maison, je constate que la météo était dans le vrai. Il pleut pendant l’heure du déjeuner.
A treize heures trente, je rejoins la station de bus Hôtel de Ville afin de prendre le Vingt qui mène à Bihorel. Comme souvent, le chauffeur est mal aimable. Quand je lui demande de m’indiquer où descendre, il bougonne qu’il ne connaît pas le nom de la station « mais vous verrez bien, y aura plein de voitures ». J’insiste pour qu’il s’arrête à cet endroit. Il consent à le faire.
C’est ainsi que je découvre que le traditionnel vide grenier de Bihorel n’est plus en ville. Il est déplacé sur l’Hippodrome « pour raison de sécurité ». Ici, on peut contrôler les entrées.
C’est une mauvaise idée. Il en perd tout son charme. J’en fais le tour dans un sens, puis dans l’autre, et trouve à vil prix l’édition Bouquins en trois volumes du Journal des Goncourt, assez défraîchie.
Un bus Vingt me redescend jusqu’à Jouvenet. La bourgeoisie bourgeoisante est fidèle au rendez-vous dans sa rue pentue protégée cette année par une voiture en travers. Si elle lit parfois de bons livres, à cette heure ceux-ci ont déjà été vendus. Ceux qui restent ne sont pas à son honneur. Je me dédommage avec la présence des petites jeunes filles de bonne famille, que chantait Nino Ferrer.
Ensuite, plus qu’à redescendre à pied jusqu’à chez moi, ça fait loin.
                                                               *
Ce fiché Esse de Védéherre arrêté à Rouen ne peut être un de mes anciens élèves de maternelle, trop jeune.
Parfois, je me dis qu’un jour, entendant ou lisant le nom d’un terroriste ou d’un radicalisé (comme ils disent), je sursauterai en reconnaissant le nom de l’un d’eux. J’ai déjà plusieurs fois croisé dans des vide greniers de l’Eure d'anciens élèves de l’école (pas de ma classe) vêtus et barbus à la manière des salafistes.
Quant aux filles, mes anciennes élèves, j’imagine que la plupart sont voilées. Aucune de leurs mères ne l’était.
 

27 septembre 2016


Samedi matin, en chemin vers la Poste de la Champmeslé, je suis hélé devant la Cathédrale :
-Monsieur, monsieur !
C’est l’homme à cheveux blancs qui m’avait appris que le concert inaugural du carillon restauré se terminerait par J’irai revoir ma Normandie.
-L’autre fois, vous vouliez un programme du concert, me dit-il en sortant un papier de sa sacoche, cette fois-ci on l’a fait.
Il me le tend. C’est ainsi que j’apprends qu’un nouveau et copieux concert a lieu ce samedi, une partie le matin, une autre l’après-midi, organisé par l’Association du Carillon de la Cathédrale de Rouen. Des carillonneuses et carillonneurs venus de toute la France et de Belgique y participeront et cette fois-ci il ne pleuvra pas.
Me voici donc bien installé au jardin à dix heures. Elisabeth Vitu (Perpignan/Carcassonne) ouvre la journée avec des airs américains et la Danse slave numéro deux d’Antonín Dvořák. Lui succède Francis Crépin (Saint-Quentin) pour une session qui va de Wolfgang Amadeus Mozart à Cole Porter (Night and Day) en passant par Oblivion d’Astor Piazzolla, un medley des musiques des films de Jacques Tati et l’Over the Rainbow d’Harold Arlen.
A quinze heures trente, après un entracte suffisamment long pour me permettre de bien profiter du soleil à la terrasse du Son de Cor, je suis à nouveau en position au jardin. Florian Legrand (Cholet) joue un ballet catalan, une chanson à boire d’Antonio Mahaut, un chant breton et une ode pour carillon. Lui succède Mathilde Bargibant (Paris) pour des airs divers. Régulièrement passent dans la ruelle des bandes d’étudiants excités braillant le nom de leur école « Esi Esi Esigelec » et autres moins connues. C’est leur journée de découverte de la ville. Ils la transforment en défouloir régressif.
Alors que Jean-Christophe Michallek (Liège) prend la suite, Petit Courant d’Air Frais passe par là.
-Ah tiens, la pelouse a été tondue, me dit-elle.
-Oui, cela arrive parfois.
C’est le jeune homme que j’aime entendre jouer de la guitare, pourtant simple locataire, qui s’y est collé à l’heure du déjeuner.
Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? tel est le titre de la composition d’André Grétry qui résonne dans les airs (je réponds pour ma part : « Partout ») puis viennent L’Air du carillon de La Flûte enchantée, Ne me quitte pas de Jacques Brel, Un homme heureux de William Sheller et Les Feuilles mortes de Vladimir Cosma.
Petit Courant d’Air Frais repasse par là :
-Je vais revenir, me dit elle.
La session de Charles Dairay (Deinze) est perturbée par les grosses cloches qui appellent à la messe. Heureusement, elles se taisent avant qu’il interprète Gottingen de Barbara. Suivent La Bohême de Charles Aznavour et une très belle composition personnelle intitulée American Suite.
-Oh la la, les étudiants, c’est bombardage de farine et de ketchup, me dit Petit Courant d’Air Frais quand elle repasse par là.
Francis Crépin et Charles Dairay jouent ensuite à quatre mains Danses, une composition du premier. Pour finir, c’est la session de Michel Goddefroy (Tourcoing) avec des airs sud-américains dont une milonga, ainsi que l’anglaise Greensleeves.
-Cette fois, je m’en vais, bonne soirée, me dit Petit Courant d’Air Frais à son quatrième passage.
C’est la fin du concert avec un très beau quatre mains joué par Michel Goddefroy et Patrice Latour, le titulaire du carillon rouennais, le Concerto for 2 to play de Ronald Barnes.
Il est presque dix-neuf heures. Celles et ceux qui, comme moi, habitent le voisinage de la Cathédrale et, contrairement à moi, n’aiment pas la musique carillonnée doivent pousser un soupir de soulagement.
                                                        *
Lu dans Le Bouquins des méchancetés et autres traits d’esprit :
« L’archevêque de Rouen, quoique très jeune, portait une grande barbe ; Antoine d’Aumont disait : « Il ressemble à Dieu le Père quand il était jeune. »
(Antoine d'Aumont de Rochebaron : capitaine des gardes du corps du Roi puis Maréchal de France, dix-septième siècle)
 

26 septembre 2016


Première fois ce jeudi soir que je me rends au Terminal Trente-Sept, nouveau lieu d’exposition rouennais qui se trouve à ce numéro du boulevard des Belges. On y vernit Sous l’eau d'Astrid de Geuser, exposition qui bénéfice de la participation de Gabriel Méraud, Laurie Guichard et François Zanni et promet une plongée dans les abysses avec « créatures lumineuses, sculptures, installations dans une atmosphère aquatique ».
Je franchis le rideau, entre dans le sombre en faisant attention où je mets le pied, ma vision nocturne étant défaillante. Effectivement, on se croirait dans un aquarium. S’y épanouissent des végétaux et des animaux marins. Des projecteurs braqués sur des mobiles circulaires font nager des poissons lumineux.
Les enfants aimeraient beaucoup cet art récréatif qui me fait songer à certaines attractions de la foire Saint-Romain, laquelle doit avoir bientôt lieu sur la presqu’île dévastée pour son installation (bâtiments portuaires détruits, dizaines d’arbres abattus).
Quand je veux prendre un verre au bar, on m’apprend qu’il faut d’abord que j’adhère.
-Sinon on n’a pas le droit de vous servir de l’alcool.
C’est cinq euros et le vin est à deux euros. « Je n’adhère pas », dis-je à ces artistes légalistes. Je ressors prudemment, ébloui par la lumière du jour, mais pas du tout soûlot.
Sur le mur du Rectorat, un graffiti réclame la « récréation permanente ». L’exposition Sous l’eau en est une illustration
Devant ce bâtiment, je croise l’une de mes connaissances à qui j’explique la brièveté de mon passage au Terminal :
-Je ne sais pas si je reviendrai, alors sept euros pour un verre de vin, ça fait un peu cher, surtout servi dans un gobelet en plastique.
                                                             *
Du monde à la réunion de jeudi soir consécutive au début d’abattage des arbres de la rue d’Amiens, m’apprend Paris Normandie. Devant la fronde, il est question de surseoir. C’est Yvon Robert, Mairie, Socialiste, chef des bûcherons municipaux rouennais, qui confirmera ou non.
Quelle que soit la suite, il a été prouvé qu’un homme seul avec une pancarte pouvait arrêter durablement les tronçonneuses (ce dont je doutais).
                                                            *
Le vingt-cinq septembre est arrivé et, comme je le pensais, je n’ai eu aucune nouvelle de la jeune femme au carton de livres pornographiques.
Je connais des lecteurs qui en seront autant marris que moi.
 

24 septembre 2016


Avant que l’exposition Beat Generation ne s’achève, la chenille m’emmène au sixième étage du Centre Pompidou ce mercredi de fin d’été. Il s’agit d’en voir la partie que j’ai négligée lors de mon premier passage.
Je longe à nouveau le rouleau de trente-six mètres cinquante d’On the Road (dans une vitrine à côté, pour les fétichistes, une tenue de Jack Kerouac, sans le sous-vêtement : pantalon d’étoffe blanche, ticheurte, ceinture usagée, casquette blanche, gourde) puis me dirige vers la salle consacrée à la Californie. On y montre des photos de la librairie City Lights fondée en mil neuf cent cinquante-trois à San Francisco par Lawrence Ferlinghetti et le professeur Peter D. Martin, laquelle existe toujours. C’est là que fut publié Howl and Others Poems d’Allen Ginsberg, livre qui échappa de peu à l’interdiction pour obscénité.
La salle suivante est consacrée au Mexique où se réfugia Burroughs après sa trop grande réussite au tir au pistolet et où le rejoignirent Kerouac et d’autres, soucieux d’essayer de nouvelles drogues et d’échapper à une guerre nucléaire jugée proche. On y montre les photos prises par Bernard Plossu dix ans plus tard.
Puis c’est Tanger où toute la bande passa et fit la rencontre de Paul Bowles.
La dernière étape est Paris et l’hôtel de la rue Gît-le-Cœur dont une chambre est vaguement reconstituée, que l’on découvre à travers la Dreamachine de Brion Gysin, sorte de kaléidoscope multidimensionnel tourbillonnant censé produire des effets hallucinatoires si on le regarde les yeux fermés.
Je ne m’y risque pas et ne reste pas plus longtemps dans cette évocation désordonnée des années beat finalement assez fatigante à visiter. Dans la galerie d’à côté vient de commencer la rétrospective René Magritte. Ce sera pour une autre fois.
                                                                   *
Il n’y a pas que des bons moments dans la vie d’un barman ou d’une barmaid. Deux exemples :
Au Café du Faubourg, un homme entre sans un bonjour et demande au barman :
-Vous avez le code ouifi ?
-Y en a pas.
Le type lui tourne le dos sans un merci et s’apprête à sortir quand le barman le rappelle pour lui dire que si c’est la ouifi qu’il cherche, on l’a, mais qu’il n’y a pas de code, puis il se tourne vers moi et d’un regard me fait part de son exaspération.
Au Bistrot d’Edmond, la barmaid découvre les trois pièces de cinq centimes qu’un consommateur lui a laissées. Excédée, elle les jette dans la caisse et me dit : « C’est une insulte, je préfère qu’on ne me laisse pas de pourboire. »
                                                                  *
Trouvé à Paris, ce mercredi, l’édition par l’Age d’Homme de Gatsby le Magnifique dans la traduction nouvelle de Michel Viel avec à l’intérieur un papillon (comme on dit au Québec) : « Avec les compliments de Jean-Pierre Lecoq, Maire du 6e arrondissement de Paris & Andonia Dimitijevic, Directrice des Editions l’Age d’Homme. Bonne et heureuse année 2014 ». Un cadeau arrivé tardivement.
 

23 septembre 2016


C’est encore la nuit ce dernier jour d’été quand j’arrive à la gare de Rouen devant laquelle une paire de Témoins de Jéhovah est déjà aux aguets. Je trouve place assise dans le train de sept heures vingt-huit. Il file dans le brouillard. Celles et ceux qui ont fait le choix de la voiture pour aller à Paris ce matin ont eu tort, constate-t-on lorsqu’il longe l’autoroute. Tous les véhicules sont à l’arrêt pour une raison inconnue. A l’approche de la capitale, le brouillard s’estompe. Le ciel bleu annonce une fin d’été ensoleillée. Le chef de bord est fier d’annoncer une arrivée avec deux minutes d’avance.
Je bois un café au comptoir du Café du Faubourg en lisant Le Parisien « Un policier mordu par un vendeur de tours Eiffel », puis rejoins le marché d’Aligre où je trouve sur l’étal d’un vendeur inhabituel Sur mon père de Tatiana Tolstoï publié en poche chez Allia (un euro) et Sur quelques-uns et sur lui-même de Robert Walser publié dans la collection Arcades chez Gallimard (deux euros). Dans ce dernier se cachent le programme de l’adaptation théâtrale d’Esquisses viennoises de Peter Altenberg joué en mil neuf cent quatre-vingt-cinq au Théâtre de Poche à Montparnasse et la lettre que Claude A. envoya le vingt-cinq janvier mil neuf cent quatre-vingt-six à une « Chère Madame » :
« Un grand merci pour votre si belle lettre et pour le livre de Walser. Le cadeau d’un livre est toujours quelque chose de si beau. Altenberg m’avait lui été envoyé par le destin –un livre de solde qui traînait sur un étal !... »
Devant le rideau fermé du Book-Off de Ledru-Rollin, je retrouve le vieux bouquiniste que j’ai un jour suspecté à tort d’avoir le droit d’entrer avant les autres. Il me parle de son père qui était communiste et sénateur. A l’ouverture, il commence par regarder derrière le comptoir où sont stockés les livres nouvellement arrivés. Bien que leur tranche ne soit pas directement visible, son œil de professionnel y repère le livre intéressant.
-Le Quarto d’Annie Ernaux, ça vous intéresse ? me demande-t-il.
-Ah oui, lui dis-je.
Je le remercie. Une employée attrape Ecrire la vie, ce pavé réunissant les premiers récits de l’écrivaine et des bonus, dont cent pages de photos personnelles accompagnées d’extraits du Journal intime inédit. « Je vais le prendre si c’est possible », lui dis-je. Elle le scanne, me l’annonce à sept euros, l’étiquette et le voici dans mon panier.
A midi, je déjeune Chez Céleste, en terrasse, d’un avocat crevettes et d’un poulet boucané. Avec un quart de vin du pays, cela fait dix-neuf euros cinquante, un euro de plus qu’avant.
-Ça faisait un an et demi qu’on n’avait pas augmenté la formule, les autres l’ont fait alors on a suivi.
Sans commentaire, je sors ma carte bancaire.
Je décide de rejoindre à pied le Centre Pompidou afin de voir la partie de l’exposition Beat Generation que j’avais délaissée l’autre fois. En chemin, je prends un café au comptoir du Rivolux au-dessus duquel sont accrochés des soutiens-gorge accompagnés d’un prénom et de petits cœurs.
-Ça, ce sont les filles un peu saoules en fin de soirée quand elles veulent draguer le barman, m’explique celui-ci.
-Ah oui, c’est un bon métier.
-Parfois oui.
Après l’exposition, je furète dans le second Book-Off puis me rapproche de Saint-Lazare mais ne peux m’abreuver Chez Léon. Les grilles sont mises et les vitres sont passées à la chaux. Sur la porte, un petit mot manuscrit annonce une fermeture exceptionnelle pour cause de décès.
La vieille dame, ancienne patronne, qui, il y a encore quelques mois, essuyait les verres au fond du café et que sa fille incitait à faire les comptes afin que son cerveau ne s’endorme pas tout à fait, a dû mourir. Je la savais sévèrement déclinante par la conversation familiale de l’estaminet
Le train du retour file aussi vite que celui de l’aller. Je n’ai pas le temps de lire jusqu’au bout le livre de Tatiana Tolstoï avant l’arrivée à Rouen.
 

22 septembre 2016


Voici mes voisins de proximité partis pour une maison avec jardin où pourra s’épanouir leur chien Moka, ceci dans un village proche de ma ville natale et que je connais bien, Ils ne vont pas me regretter.
Un après-midi de cet été alors que je tapotais sur mon ordinateur dans le jardin de la copropriété, cette jeune voisine apparut à sa fenêtre de l’étage et, se retournant vers son compagnon, lui dit :
-Florent, tu veux voir quelqu'un qui écrit de la merde ?
Pourtant je n’étais pas en train d’écrire sur celle que leur chien laissait partout sur la pelouse
-Hein quoi ? lui répondit-il
Elle le lui répéta plus fort. Il vint voir.
Lui comme elle n’ont jamais voulu comprendre à quel point je peux tout entendre en ce lieu, au jardin et plus encore au travers du mur de ma chambre principale. A leur arrivée, il y a plusieurs années, je les avais avertis de cette absence d’isolation phonique entre leur appartement et le mien : « De mon lit, je peux entendre jusqu'au bruit d’une assiette que vous posez sur la table ».
J’ai toujours signalé ce fait aux nouveaux arrivants. La plupart l’ont vite oublié ou n’y ont cru qu’à moitié parce que l’inverse n’est pas vrai. Ils n’entendent pas de bruit venant de chez moi. C’est peut-être que je n’en fais guère.
Une seule fois un couple a compris. « Si j’avais su ça, jamais on n’aurait pris cet appartement », m’a-t-elle dit. Deux semaines plus tard, ils déménageaient.
Les propriétaires de Moka sont restés plusieurs années et avec eux j’ai eu droit à pas mal de réveils nocturnes pour cause de disputes tournant à la crise de nerf. J’ai aussi subi deux ou trois soirées biture de lui avec ses peutes, desquelles j’ai parlé dans ce Journal. Je pensais qu’ils ne me liraient pas, mais c’était sans compter sur une malintentionnée qui est allée cafter. Du jour au lendemain, ils ne m’ont plus dit bonjour.
Depuis deux ou trois ans, leur poubelle intérieure était exilée à l’extérieur, en équilibre sur la gouttière, à un mètre de ma fenêtre, une lubie soudaine et durable, crainte des miasmes peut-être. Ce qui me valait le bruit supplémentaire de l’ouverture et de la fermeture de la fenêtre pour chaque déchet à jeter, de jour comme de nuit.
Bon, les voilà partis. Je ne risquerai plus de marcher dans la merde en m’installant sur la pelouse avec un livre ou mon ordinateur.. C’est lui qui se chargeait de la récolter dans un sac en plastique mais il en oubliait la moitié, semblable en cela à un ramasseur de champignons peu doué, bien que ce soit un gars de la campagne.
                                                                       *
Cela avait pourtant bien commencé entre eux et moi.
-Si vous avez besoin de quelque chose, dites-le moi, leur avais-je dit à leur arrivée.
-Justement, on n’a pas de connexion Internet, est-ce que ce serait possible que vous nous donniez le code de votre boxe ?
J’ai dit oui.
                                                                      *
« Viens-là, Moka ! » « A ta place, Moka ! » « Au pied, Moka ! » « C’est bien, Moka ! », comme il est doux à certain(e)s d’exercer leur pouvoir sur un être vivant.
 

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