Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

21 septembre 2016


« Lundi 19 septembre 14h, je me suis tenu seul contre un arbre avec une pancarte "NON à l'ABATTAGE" pour en empêcher l'abattage par les bûcherons de la ville de Rouen. Une responsable des espaces verts est venue me parler ainsi qu'une journaliste de Paris-Normandie. Quelques passants se sont joints à moi. La séance de coupage s'est interrompue. Mais demain mardi, ils remettent ça à 8h. Si vous voulez venir cela augmentera les chances de survie de ces pauvres arbres. »
Je connais le jeune homme qui raconte ça sur le réseau social Effe Bé ce lundi soir. Je trouve sa réaction salutaire. Je connais aussi les arbres de la rue d’Amiens. Plus d’une fois, ils m’ont abrité du soleil brûlant. Aussi ce mardi à huit heures, j’y vais.
Le jeune homme est là, accompagné d’un autre que je connais également et qui va devoir aller au lycée. Ils ont apposé des panneaux dénonçant l’abattage sur les arbres dont les branches ont été coupées hier et dont il ne reste que les fûts. D’autres sont encore intacts. L’équipe des bûcherons de la ville de Rouen arrive peu après. Ils installent un système de feux tricolores pour mettre la rue en circulation alternée puis des plots devant les arbres intacts. Nous nous déplaçons vers ceux-ci.
L’un des bûcherons s’adresse au jeune homme qu’il connaît depuis la veille :
-T’es au bon endroit, là, c’est par là qu’on doit commencer.
Bientôt arrivent un camion avec nacelle et une broyeuse de branches. Puis c’est le tour d’autres personnes venues soutenir les arbres et d’une voiture de la Police Municipale venue aux nouvelles. Un Policier et une Policière en sortent. Le Policier nous dit que lui non plus n’aime pas qu’on coupe des arbres mais qu’en empêchant les ouvriers de travailler, on ne s’en prend pas aux bonnes personnes, qu’on serait plus efficace si on allait discuter avec ceux qui ont décidé ça, à la Mairie. Bref, il veut qu’on parte. La Policière nous demande de lui dire si on va le faire. Nous restons évasifs et ne bougeons pas.
Nous sommes rejoints par des habitant(e)s de l’immeuble qui est derrière les arbres. Des retraité(e)s qui n’étaient au courant de rien. Bien que ces arbres leur fassent beaucoup d’ombre, ils y tiennent. Le Président du Conseil Syndical nous dit que jamais les copropriétaires n’ont demandé cet abattage. Lui-même habite là où un arbre a déjà été privé de toutes ses branches. Hier soir, il a baissé le rideau tellement il était triste de ne plus avoir sa vue habituelle. Il passait beaucoup de temps à regarder cet arbre et le pigeon qui y faisait des allers et retours. Est aussi présente la journaliste de Paris Normandie qui habite en face, venue faire son métier.
Nous nous attendons à voir arriver la Police Nationale mais rien ne se passe. Au bout d’un long moment, le Policier Municipal nous annonce qu’un élu va venir nous donner des explications. Il y a maintenant là aussi un spécialiste de la contestation politique organisée qui plaide pour que les habitants des différents quartiers s’organisent et fassent remonter leurs revendications (air connu).
On attend l’élu. Il finit par arriver. C’est Kader Chekhemani, l’Adjoint chargé du quartier. Il serre la main de tout le monde. Depuis le début de la matinée, Jezabel Saumur, la « gestionnaire du patrimoine arboré » de la ville de Rouen, est présente, mais sur l’autre trottoir. Il faut que l’élu l’appelle pour qu’elle daigne traverser la rue.
Questionné par les habitant(e)s de l’immeuble le plus touché par la disparition des arbres, Kader Chekhemani reconnaît un manque d’information mais justifie la coupe. Les arbres seront remplacés par d’autres, ils sont vieux, cinquante ans, on ne peut plus les élaguer, ça les stresse. La gestionnaire aussi est stressée, elle se tord les doigts et peine à s’exprimer. Sur les points techniques, son adjoint parle à sa place. Elle a tout de la technocrate. Son plan de remplacement des arbres est un plan quinquennal à la soviétique.
-Elle connaît peut-être les arbres, me dit une riveraine, mais il y a aussi ce que ressentent les êtres humains.
Finalement, nous obtenons qu’une réunion avec les habitants concernés et les autres ait lieu jeudi soir dans l’ancienne école Victor-Hugo et qu’en attendant l’abattage soit arrêté.
Ce délai n’empêchera rien. Néanmoins, il permet aux riverains de profiter des arbres indemnes pendant quelques jours encore et à ceux de la rue du Docteur-Blanche, où poussent les prochains sur la liste des arbres à abattre, d’en jouir quelques jours de plus (pour eux, c’était prévu lundi prochain).
-À jeudi, me dit le jeune homme à l’origine de la rébellion.
-Non, lui dis-je, je déteste les réunions. On se reverra sous un arbre ou ailleurs.
Ce jeune homme va souffrir, il est viscéralement opposé à l’abattage de ces arbres et ne pourra pas l’empêcher.
Il est onze heures et demie quand je remonte la rue d’Amiens pour rentrer. Une dame que je connais un peu m’interpelle. Elle m’apprend qu’elle aussi habite dans l’immeuble protégé par les arbres. Je l’informe de ce qui se trame et de la réunion de jeudi. Elle est navrée de la disparition prochaine de celui qu’elle appelle « mon tilleul ».
-Je l’aime tellement, me dit-t-elle.
                                                                  *
La grosse majorité des arbres de Rouen datent du baby boom. On les abat avant qu’ils soient trop vieux et malades pour les remplacer par des jeunes. Ce discours municipal sonne bizarrement aux oreilles de celles et ceux qui ont le même âge (ou plus) que ces feuillus.
 

20 septembre 2016


La lune, presque ronde, est visible lorsque je sors de chez moi à sept heures ce dimanche matin afin de gagner le bord de Seine où se tient le dix-septième Quai aux Livres de Rouen. Elle ne l’est plus quand j’arrive. Le ciel gris l’a emporté sur l’éclaircie. C’est l’heure où les acheteurs encore plus pressés que moi éteignent leur lampe de poche.
Peu de vendeurs sont tout à fait installés. Deux d’entre eux sont assis sur un banc près de leurs sacs de livres. Ils m’interpellent :
-Savez-vous où c’est « le bollard B64G » ?
Je n’ai jamais entendu ce mot, bollard. Croisant un gilet jaune de l’organisation, je lui signale les deux perplexes et lui demande ce qu’est ce bollard.
Il m’en montre un. C’est le nom de ces masses métalliques cylindriques et coudées plantées le long du quai servant à amarrer les navires.
-Lorsque c’est droit, on appelle ça une bitte, ajoute-t-il (ça je le savais).
Un groupe de vendeurs qui s’installe a cerné son périmètre de chaises reliées par un cordon en plastique.
-Vous êtes prisonniers ? leur dis-je.
-On n’est pas embêté par les bouquinistes comme ça, me dit l’un qui doit me prendre pour un de ces indésirables.
Des bouquinistes, il n’y en a pas que chez les acheteurs de la première heure. Un certain nombre est parmi les vendeurs. Quelques-uns que je connais de vue, d’autres venus de je ne sais où, comme celui qui déclare à son collègue :
-J’ai pas apporté le meilleur, c’est pas la peine de donner de la confiture aux cochons. Ici, ils ont l’esprit foire à tout.
Comme chaque année, le déballage est en deux parties, une première en bord de Seine et une seconde, en retrait sur un parquigne et séparée de la première par un ancien bâtiment portuaire. Une femme qui doit s’installer dans ce lieu de deuxième choix s’en plaint à un gilet jaune.
-Les gens ne sont jamais contents, lui répond-il.
-Je vais vous dire pourquoi, lui rétorque-t-elle. Sur votre courrier, c’est écrit « entre le pont Jeanne-d’Arc et le pont Guillaume-le-Conquérant », alors on ne pensait jamais être là. Il faudrait mettre « entre le pont Jeanne-d’Arc et le XXL ». Ça lui ferait de la pub. Il en a besoin, cet horrible machin.
Parmi les dizaines de milliers de livres exposés, j’en trouve moins qui m’intéressent que dimanche dernier au vide grenier de la Croix de Pierre. Mon sac se remplit quand même. Mon meilleur achat est la Correspondance intime de François Mauriac chez Bouquins Laffont, à l’état neuf, un euro au lieu de trente (prix facial).
Un autre de mes achats (cinquante centimes) a déjà servi, Messages révolutionnaires d’Antonin Artaud (Folio/Essais). Sur sa couverture, au stylo, ce propos qui n’a rien a voir avec le livre : « Traduit par P. Sollers, (MERDRE !!!) ».
Je demande à la vendeuse de qui est ce message énervé.
-Il faudra que je demande à ma fille, me répond-elle
-Ah, c’est le copain de votre fille.
-Un des copains de ma fille, me précise-t-elle..
L’ancienne bouquiniste de la rue des Bons-Enfants vient me voir et me remercie pour le lot de Découvertes Gallimard que je lui ai fait acheter à Evreux. Elle les a eus à un très bon prix et les a déjà presque tous vendus.
-Cela valait bien un merci.
-Au moins oui.
-Une tasse de café, si vous voulez.
-Vous m’achèterez mes livres quand j’en aurai à revendre.
-Ah non, vous allez m’apportez n’importe quoi !
Je ne suis pas apprécié à ma juste valeur.
Des Découvertes Gallimard, il y en d’autres à vendre. Deux professionnels père et fils, tirant chacun une charrette bleue, en emportent une pile.
-Bonne lecture, leur dit le vendeur.
-Ils ne les liront pas, lui dis-je, ce sont des bouquinistes et ça ne lit pas ces gens-là.
Au bout d’un certain nombre d’allers et venues, je vois venir l’ami Masson, la mine réjouie et l’œil allumé. Il ouvre son sac et en sort un livre acheté pour moi : Le Bouquin des méchancetés et autres traits d’esprit de François Xavier Testu (Bouquins Laffont), un cadeau qui me fait fort plaisir et dont je le remercie vivement.
Quand je rentre à la maison, il est onze heures trente et aucune goutte de pluie n’est tombée.
                                                                      *
Sur la couverture de ce Bouquin des méchancetés et autres traits d’esprit, une caricature de Georges Clemenceau par Jean-Louis Forain est accompagnée de la déclaration de cet homme politique à la mort de Félix Faure : « En entrant dans le néant, il a dû sentir chez lui. »
Le contraste est flagrant avec ce que disent les politiciens contemporains, ce lundi matin, de Jacques Chirac, pas encore tout à fait mort.
 

19 septembre 2016


Quand même, grâce au site Internet du diocèse de Rouen, je sais avant qu’il ne commence qu’au concert inaugural du carillon restauré de la Cathédrale de Rouen, Christine Laugié-Vanhoutte, carillonneuse invitée, titulaire du carillon de la Cathédrale de Pamiers (Ariège), jouera en duo avec le titulaire Patrice Latour, que la maîtrise Saint-Évode créera une œuvre pour carillon et chœur, lauréate deux mille seize du concours l’Inédit : De rubore sanguini – Antiphona de Marios Ros (Barcelone), qu’un ensemble de cuivres dirigé par Claude Brendel jouera avec le carillon La tête au carré de Volny Hostiou et que le carillon dialoguera aussi avec le piano de François-René Duchâble et avec le chant d’Anne Paccard.
Une scène avec forte sono est installée sur le parvis et un grand écran doit permettre au public de voir jouer carillonneuse et carillonneur.
Cependant, je préfère écouter ça de mon appartement, fenêtres ouvertes, plutôt que d’être mêlé à la foule, me privant certes des collaborations, mais étant tranquille pour ouïr le son guilleret des cloches du carillon.
L’heure venue, il pleut dru et je n’ai pas à regretter mon choix. J’écoute ça, bruit de la pluie en sus, en mangeant des caramels à la vanille de chez Hema.
                                                                   *
Dire qu’entendant une répétition depuis le jardin, j’avais pris pour une fanfare l’ensemble de cuivres dirigé par Claude Brendel. Mille excuses.
 

17 septembre 2016


Toujours à la recherche du programme détaillé du Concert Inaugural du Carillon de la Cathédrale, je m’adresse cette fois aux dames de permanence dans l’édifice. Elles sont bien plus aimables et informées que celles d’en face à l’Office de Tourisme mais désolées de ne pourvoir me satisfaire.
-J’espérais que le diocèse ferait imprimer ce programme et qu’il serait distribué aux auditeurs.
-Oh ça ! pas de commentaires, me dit l’une en riant.
-Je sais que ça ce terminera par J’irai revoir ma Normandie, me dit un homme qui passe par là
-Cet air-là je devrais le reconnaître, lui dis-je.
                                                                *
Au Sushi Tokyo, restaurant « japonais » de la rue Verte : un endroit où l’on risque fort d’entendre la tablée voisine parler d’informatique. Une fille choisit le menu à volonté et ne prend que deux makis et des salades (sûr qu’elle en a, de la volonté). Un type mange sans enlever sa veste (il devait faire pareil en cours au collège).
Une nouveauté dont j’avais rêvé : le sushi au poulet. Cette réalité n’est toutefois pas conforme à mon rêve. Le poulet est cuit. Celui de mon rêve est cru.
                                                               *
« La France est-elle encore la patrie des intellectuels ? », tel est l’intitulé de la journée spéciale de France Culture. Et non pas « La France est-elle encore le pays des intellectuels ? »
 

16 septembre 2016


Ce jeudi en fin d’après-midi, je regarde sur le plan de Rouen comment rejoindre la rue Georges-d’Amboise où se trouve la galerie Point Limite qui est aussi l’espace de travail et de création des photographes Guillaume Painchault et Guillaume Laurent. J’y suis pourtant déjà allé plusieurs fois, mais cette partie de la ville m’est tellement étrangère que je pourrais m’y perdre.
Ce n’est donc pas le cas ce jour, et bien qu’ayant fait le nécessaire pour ne pas être là trop tôt, j’y suis quand même à dix-neuf heures précises, début officiel du vernissage de l’exposition photographique Narrateur incertain de Guillaume Painchault.
Je connais Guillaume Painchault depuis plusieurs années, précisément depuis le jour où il est venu chez moi pour me photographier en vue d’une exposition qui n’eut jamais lieu. J’ai déjà vu quelques-unes de ses photos dans une exposition collective, mais c’est la première fois que je découvre véritablement son travail (comme on dit), des photos en noir et blanc, prises dans les rues ou dans des lieux plus ou moins interlopes, de jour ou de nuit, saisies sur le vif ou posées. Certaines pourraient servir d’illustration pour la couverture d’un roman noir, d’autres de point de départ à une histoire qui tournerait mal.
Dans celles prises sur le vif, j’aime particulièrement quand le regard du ou de la photographié(e) croise celui du photographe, avec inquiétude ou avec défi. Ma préférée est celle de l’homme à la veste blanche, élégant et fatigué, qui traverse le parvis de la Cathédrale sur fond de troupeau de touristes. J’aime aussi beaucoup celle déjà vue de l’employée blonde de la Senecefe à qui l’uniforme et la casquette vont si bien quand elle donne le départ du train en gare de Rouen (parfois ce fut le mien, mais elle a hélas disparu depuis des mois, mutée je le crains).
Contre un euro, Guillaume Laurent me sert un gobelet de vin blanc que j’accompagne d’un petit morceau de gâteau salé apporté par une vernisseuse. Il y a ici des personnes qui me connaissent, avec qui j’ai déjà parlé pour certain(e)s et qui m’évitent désormais pour des raisons diverses et parfois obscures, et d’autres à qui je n’ai jamais parlé mais que je croise souvent en terrasse et là c’est moi qui les évite, n’ayant pas envie de faire connaissance et que mes futurs moments de lecture au Son du Cor ou à L’Interlude soient perturbés par des conversations obligées.
-A demain, me dit Guillaume Painchault lorsque je lui dis au revoir.
J’avais oublié que son exposition est en deux parties. la seconde se tenant au Café Perdu, rue d’Amiens. Elle sera vernie ce vendredi soir. Peut-être irai-je.
                                                                  *
Ce jeudi matin, en fond sonore se mêlent les pétards de la dernière manifestation contre la Loi Travail et les notes du carillon de la Cathédrale. Après le passage du cortège rue de la République, on peut lire sur la vitrine d’Actimag, le Premium Reseller, en capitales et à l’encre rouge : Anticapitalista.
Jeune Révolutionnaire, n’aurais-tu pas dans ta poche un téléphone de la Pomme ?
                                                                  *
L’après-midi, un bourdonnement de moustique me fait lever les yeux alors que je lis au jardin durant une éclaircie. Un drone tourne autour de la tour qui supporte la flèche de la Cathédrale. Cette tour est entourée d’un impressionnant échafaudage sur lequel trois êtres humains m’apparaissent minuscules. Leurs voix portent jusqu’à mes oreilles lorsque le drone est derrière la flèche. Je ne comprends pas ce qu’ils disent mais je suppose qu’il s’agit de faire un film promotionnel.
L’as-tu vu mon bel échafaudage ?
 

15 septembre 2016


« Bon allez, je m’offre un croissant ce matin, c’est pour fêter le dernier jour de beau temps de l’année », déclare celui qui prend un café près de moi au comptoir du Café du Faubourg à l’angle de Ledru-Rollin et du Faubourg-Saint-Antoine.
Je pense que c’est pour le regretter et non pas s’en féliciter. Pour ma part, je ne suis pas mécontent que ce soit le dernier jour à suer, même si je n’ai pas envie d’aller vers l’hiver. Néanmoins, cette chaleur dont je souffre me dédommage avec la vision de toutes ces jolies filles court vêtues qui passent à pied ou en vélo.
Chez Book Off, les beaux livres à un euro sont déjà repassés à deux euros. Je croise le vieux bouquiniste qui aurait bien envie d’arrêter. Il a déjà abandonné ses boîtes sur les quais
-Cela se revend ?
-Non, on les rend à la Mairie qui les réattribue.
Il continue le commerce sur Internet et déplore de trouver moins de bonnes affaires ici.
-Maintenant, ils scannent les livres avant de leur attribuer un prix.
Autrefois, il lui arrivait de vendre cent quinze euros un livre trouvé à un ou deux euros. C’est fini hélas. Il faut pourtant qu’il continue à gagner de l’argent. Il est plus âgé que moi, mais il a une fille de deux ans.
A midi, je déjeune Chez Céleste, à l’ombre de l’auvent, d’accras et de poulet rôti. Une longue table a été constituée à ma droite pour accueillir neuf jeunes hommes. Les garçons de cet âge ont toujours l’air plus heureux d’être entre eux plutôt qu’avec leur amoureuse. Bien qu’à l’ombre, j’ai trop chaud et mon vin rouge pareillement.
Tentant de me rafraîchir dans le jardin de l’Arsenal, j’y lis l’un des livres achetés ce matin les Entretiens de Glenn Gould avec Jonathan Cott (Dix/Dix-Huit).
Passent trois vieilles dont l’une dit aux deux autres :
-J’ouvre mon ordinateur et qu’est-ce que je vois ? Une partouze ! Une vraie partouze !
-Directement sur l’écran ?
-Oui.
Ce mercredi est décidément l’un des jours les plus chauds de l’été.
                                                              *
Dans le train du matin, une femme partant en vacances se déculpabilise en donnant de l’argent au faux sourd-muet qui a posé des babioles sur son siège.
                                                              *
-Celle-ci, pour la faire crever, il faut vraiment y mettre du cœur. (le fleuriste du marché d’Aligre à propos de la plante qu’il vient de vendre).
                                                              *
Dans le train du retour, mal climatisé, je lis un autre livre acheté à Paris : Le Bonheur des petits poissons, recueil d’articles de l’écrivain et sinologue Simon Leys (Le Livre de Poche).
Dans l’un, l’auteur s’en prend à ceux qui croient seconder la juste cause des femmes en imprimant des monstruosités telles que « auteure » ou « écrivaine ».
Il y a de nombreuses années, j’étais de son avis. Un jour, j’ai entendu sur France Culture une archive sonore datant de la première moitié du vingtième siècle. Un spécialiste du bien parler s’indignait. Maintenant qu’il y avait des femmes dans la profession, on commençait à employer le mot « avocate ». Une horreur, disait-il. Cela me fit instantanément changer d’avis sur « auteure » et « écrivaine », deux mots d’ailleurs employés de façon courante au Québec.
                                                             *
A propos du Québec, en regardant une vidéo de la délicieuse Pomme (vingt ans tout juste), j’apprends que là-bas au lieu de « faire un showcase », on dit « faire une vitrine ».
Je t’emmènerais bien de l’autre côté de l’Atlantique, chante Pomme, ce qui me fait terriblement penser à celle qui m’y a emmené.
 

14 septembre 2016


Vendredi dernier, c’est une journée américaine sur France Culture. La romancière Catherine Cusset la ponctue d’extraits de son nouveau livre L’autre qu’on adorait. Elle lit mal. Son roman est mauvais.
Quoi de plus ridicule que ceci :
Ce baiser sur fond de gratte-ciels aux pointes diaprées avait un goût d’exception.
Et de plus consternant que cette description de Washington Square :
Même s’il est bétonné, il a de nombreux arbres. Assis sur un banc, on respire mieux, on regarde les écureuils, on est libéré de l’odeur et du bruit des voitures.
Ce qui m’énerve encore plus, c’est le titre que Catherine Cusset (ou son éditeur) a donné à cette niaiserie, volé à la chanson de Léo Ferré.
D’autres ont déjà fait ça récemment. Ainsi Delphine de Vigan avec son Rien ne s’oppose à la nuit volé à la chanson de Bashung.
Plus qu’un manque d’idée qui aurait empêché de trouver un titre original à cette littérature facile, je vois là une manœuvre de l’auteure (ou de l’éditeur). L’acheteuse éventuelle (ce sont des femmes qui lisent ce genre de livres) a déjà le titre en tête quand elle trouve le roman sur une table de librairie : « Ah oui, j’en ai entendu parler, il me semble, ça me dit quelque chose, je le prends. »
                                                                    *
Autre malhonnêteté éditoriale. J’avise ce mardi matin en vitrine du Rêve de l’Escalier un livre intitulé Lettres d’Afrique de Guy de Maupassant. Je l’attrape et découvre en quatrième de couverture qui s’agit en fait des chroniques que donna Maupassant au Gaulois. Des textes de journalisme où l’écrivain ne racontait pas ce qu’il narrait dans ses missives. Sans intérêt donc. Je le repose.
L’éditeur, La Boîte à Documents, a dû se dire que ce livre serait plus facile à vendre présenté comme une correspondance plutôt que comme un recueil d’articles. Surtout si on le commande par correspondance.
                                                                   *
A propos des lettres de Guy de Maupassant, cet extrait du Journal de Paul Léautaud cité par Yvan Leclerc dans sa préface à la Correspondance Gustave Flaubert/Guy de Maupassant publiée chez Flammarion :
Louis Bertrand est venu cette après-midi voir Vallette au sujet du volume sur Flaubert qu’il doit publier au Mercure. Il avait pensé les corser avec des lettres de Maupassant à Flaubert. Devant ce qu’elles contiennent, il a dû y renoncer. (…/…) Il y a, paraît-il, une longue lettre qui débute ainsi, ou à peu près :
« Vous voulez que je vous écrive une longue lettre. Eh ! bien, aujourd’hui, nous parlerons de cul… » Dans une autre, il y a ceci, qui touche vraiment à la maladie : « Je sens le con. J’ai beau être propre, prendre des bains, je sens le con, et tous les gens qui passent à côté bandent. »
Ailleurs, il exprime ce vœu à Flaubert « que toutes ces histoires le fasse bien bander ». Il y a aussi une longue lettre dans laquelle il parle à Flaubert de deux jeunes étrangères avec qui il couche. Elles ne connaissent pas un mot de français, lui pas un mot de leur langue. Ils n’ont que des signes pour se comprendre. Maupassant explique les siens : « Je leur montre ma langue, ma queue, mon doigt. » Il n’a qu’une préoccupation, celle d’arriver à coucher avec toutes les deux à la fois.
Ces lettres, mentionnées de mémoire par Léautaud, n’ont pas été retrouvées. Ce que déplore Yvan Leclerc, et moi itou.
 

13 septembre 2016


Isneauville ayant eu la bête idée d’annuler son vide grenier en raison du plan Vigipirate (dixit Le Caldoche), je n’ai pas à hésiter ce dimanche au lever du jour et me dirige tout droit sur celui du quartier populaire et réfractaire de la Croix de Pierre. A chaque extrémité, une voiture en travers rappelle à chacun ce qui s’est passé à Nice.
J’y trouve cette année moult livres de qualité. Comment ne pas être tenté de redevenir propriétaire d’A la recherche du temps perdu, cette fois en un seul volume dans l’édition Quarto/Gallimard.
-C’est cinq euros, me dit la jeune femme qui le vend.
-Est-ce que quatre, ça pourrait aller ?
-Oui, me répond-elle.
-Il n’est pas difficile de me faire baisser les prix, ajoute-t-elle pour son compagnon.
-C’est vrai, j’aurais dû dire trois, lui dis-je.
Elle me dit qu’elle a essayé de le lire plusieurs fois avant d’être convaincue que Proust n’est vraiment pas un auteur pour elle. « Pour moi non plus, lui dis-je, mais je réessaierai peut-être un jour. »
Je ne sais pas si je lirai davantage, toujours chez Quarto/Gallimard, le pavé regroupant Les Origines du totalitarisme et Eichmann à Jérusalem d’Hanna Arendt. Celle qui le vend me le propose à trois euros. Je ne peux décemment pas lui dire deux.
Ces deux énormes livres alourdissent considérablement mon sac. J’en ajoute d’autres payés cinquante centimes ou un euro, ainsi que Je vous écris de l’usine de Jean-Pierre Levaray, acheté neuf (quinze euros) à la librairie anarchiste L’Insoumise dont l’auteur est un familier. Son livre a eu du succès, il est officiellement épuisé chez l’éditeur, Libertalia. Là, il en restait deux. A la demande d’un des révolutionnaires présents, je signe une pétition de soutien aux travailleurs de l’Hôpital Psychiatrique du Rouvray.
Un peu plus loin, au numéro cent de la rue Saint-Hilaire, Le Diable Au Corps annonce à l’encre noire sur un drap pendu aux fenêtres son ouverture pour janvier deux mille dix-sept : « shiatsu, salle pour enfants, coin café, studio radio, salle de travail, matériel d’impression, salle de réunion, salle de projection, bibliothèque de prêt, petite cour fleurie », cela dans un esprit Conjuration des Fourneaux.
Une femme vendant des livres neufs récupérés à son travail m’explique que le prix marqué en quatrième de couverture s’appelle le prix facial. Ça ne correspond pas à la réalité physique du livre mais c’est le terme du métier dans l’édition, la librairie et la presse. Aucun de ses livres ne peut m’intéresser.
D’autres m’attendent ailleurs et je ne suis pas le seul à être content. Celle bien connue à Rouen pour collectionner tout ce qui a trait aux chats est ravie de celui en peluche qu’elle vient d’acheter : « J’en avais déjà vingt-deux, des gros chats comme ça, maintenant j’en ai vingt-trois ».
Celle qui le lui a vendu est encore plus satisfaite, jamais elle n’aurait cru possible de s’en débarrasser.
-On n’est ni Français ni Espagnol, répond une vendeuse à un homme qui lui demande si elle est originaire d’Espagne. On est Basque. Ça veut dire qu’on ne se laisse pas faire. Si tout le monde faisait comme nous, on n’en serait pas là où on en est.
Une répartie typique de ce quartier de la Croix de Pierre où, qu’ils soient Basques ou non, beaucoup ont la tête dure. C’est ce qui en fait le charme, outre qu’on y trouve de bons livres le jour du vide grenier.
                                                                  *
Aucun livre pour moi, en revanche, au vide grenier voisin du jardin de l’Hôtel de Ville. Une femme venue d’Afrique y achète une encyclopédie pour sa fille qui vient d’entrer en sixième. Cela m’attriste de voir cette mère soucieuse de bien faire dépenser son argent dans un achat qui sera peu utile, mais je ne peux pourtant pas intervenir.
Une dame vendant ses confitures, je lui achète trois pots de rhubarbe pour cinq euros.
 

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