Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

3 janvier 2017


J’ai rencontré Andy Warhol à l’automne 68 – huit ans après qu’il eut peint ses premières toiles pop art et à peine trois mois après qu’une femme, qui avait fait une brève apparition dans l’un de ses films underground, eut tiré sur lui, manquant le tuer. (…)
A l’époque, j’étais étudiante à Barnard, et aller à la Factory voir si Andy Warhol avait besoin d’une dactylo à temps partiel me semblait un bon moyen d’introduire un peu de paillettes dans ma vie universitaire. raconte Pat Hackett dans l’introduction du Journal d’Andy Warhol publié chez Grasset en mil neuf cent quatre-vingt dix, un ouvrage épuisé dont j’ai eu la chance de trouver un exemplaire à un euro chez Book-Off en deux mille seize.
Chaque matin, à partir du mercredi vingt-quatre novembre mil neuf cent soixante-seize et jusqu’au mardi dix-sept février mil neuf cent quatre-vingt-sept, où qu’il soit, Andy Warhol a téléphoné à Pat Hackett afin de lui raconter ses dernières vingt-quatre heures : ce qu’il avait fait, qui il avait vu, cela assorti de commentaires personnels.
Pat Hackett mettait ensuite ces informations par écrit. Ainsi est né ce Journal que j’ai lu avec délectation, Andy m’ayant fait rire à moult reprises, et attendri à d’autres. D’où de nombreux extraits tapotés sur mon ordinateur et donnés à lire dans le mien à partir de demain.
                                                                    *
Il a fallu qu’un lecteur me le signale pour que je me rende compte que mon texte d’hier était daté du deux janvier deux mille dix-huit. Escamoter deux mille dix-sept, désirer passer directement à la suivante, il doit y avoir de ça.
 

2 janvier 2017


Chaque matin, écrivait Antonio Gramsci le premier janvier mil neuf cent seize, à me réveiller encore sous la voûte céleste, je sens que c’est pour moi la nouvelle année. C’est pourquoi je hais ces nouvel an à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir. Ils font perdre le sens de la continuité de la vie et de l’esprit. On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre existe une solution de continuité et que commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. etc.
Comment ne pas être d’accord avec lui ? Il n’empêche que je n’arrive pas à faire de cette nuit du trente et un décembre au premier janvier, une nuit de tous les autres jours (si je puis dire).
Les voisines et voisins susceptibles de fêter bruyamment cette transition se sont donnés le mot pour aller faire ça ailleurs. A minuit, c’est lointainement que me parvient le bruit des claquesons, braillements et pétardages et cela ne dure pas longtemps pour cause de froid. Je peux dormir tranquillement, mais ce serait tellement mieux de ne pas, en raison de la présence d’une, embrassée sous le gui, me dis-je.
Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. Aucun jour prévu pour le repos. Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle. Pas de ronds-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. Pas de jour de jubilation aux rimes obligées collectives, à partager avec des étrangers qui ne m’intéressent pas. Parce qu’ont jubilé les grands-parents de nos grands parents etc., nous devrions nous aussi ressentir le besoin de la jubilation. Tout cela est écœurant. concluait Antonio Gramsci il y a cent un ans.
                                                          *
Terminé, ce samedi après-midi, au café Le Grand Saint-Marc, la lecture, dans Ecrire la vie, le Quarto Gallimard à elle consacré, des textes d’Annie Ernaux que je ne connaissais pas, du très bon, du bon, et du moins bon quand elle raconte son histoire avec un diplomate soviétique (une première fois dans Passion simple et une seconde fois avec les extraits de son journal intime dans Se perdre).
Tiré de cette seconde fois ceci, daté du dimanche premier janvier mil neuf cent quatre-vingt-neuf (Eric est l’un de ses fils) :
Seule, absolument, en ce 1er janvier. Il y a longtemps que cela ne m’était pas arrivé. En 64, j’étais rentrée à la Cité, de Vernon, et j’avais passée la journée seule dans mes huit mètres carrés. Mais cet après-midi, Eric et son amie seront là. De toute manière, je n’en éprouve aucune tristesse.
Il me semble que lorsqu’on précise qu’être seul(e) au Nouvel An vous est égal, c’est que ça ne l’est pas (de toute manière).
                                                        *
Deux mille dix-sept sera donc la continuité de deux mille seize. Rien de bon à en attendre. Ce qui est en marche va se poursuivre en s’aggravant. André Markowicz, traducteur bien connu pour son dépoussiérage de Dostoïevski (entre autres), dont je lis avec plaisir et intérêt les chroniques sur le réseau social Effe Bé cite, en ce premier janvier, cette histoire juive d’origine française :
C’est un Juif pessimiste et un Juif optimiste qui discutent.
-Pïre, ça peut pas être, dit le Juif pessimiste.
-Mais si, mais si, dit le Juif optimiste.
 

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