Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

21 janvier 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset) :
Avec Travolta à notre table, c’est devenu impossible, la foule nous écrasait. Un policier était juste derrière, essayant de nous protéger, et il était soûl. J’ai dit : « Ne regarde pas tout de suite, Bob, mais tu as un gros pistolet et une grosse queue à un centimètre de ton cou. » Et le policier a demandé : « Puis-je faire quelque chose pour vous ? » Bob a ri et dit : « Restez juste là. » (Jeudi cinq juin mil neuf cent quatre-vingt, Houston)
La ligne New York - Miami est la pire, tout le monde est laid, Portoricain, Cubain et Sud-Américain, c’est dégoûtant.  (Vendredi cinq septembre mil neuf cent quatre-vingt, New York-Miami)
Au moment où nous partions, elle est venue me dire : « Mon cher, avez-vous rencontré le prince de Thaïlande ? «  Et elle a montré du doigt un gamin que nous avions pris pour un serveur. (Mercredi dix septembre mil neuf cent quatre-vingt)
Nelson Lyon est venu avec Michael O’Donoghue, celui qui a écrit Saturday Night Live. C’est un type amusant mais qui n’a pas l’air irlandais. Il a dit qu’à une soirée j’avais pris une photo de lui. Je devais viser quelqu’un derrière. (Mercredi premier octobre mil neuf cent quatre-vingt)
Sharon m’a emmené dans une autre pièce pour me montrer une photo de son lord anglais en train de pisser, il a une queue comme un cheval. Elle ne sait pas si elle doit l’épouser, mais je lui ai dit qu’elle devrait avec une queue pareille. (Jeudi vingt-cinq décembre mil neuf cent quatre-vingt)
Après déjeuner, nous avons décidé d’aller voir l’expo Gainsborough –un tas de gens beaux et leurs chiens. Et nous étions tellement près de Giverny que nous avons tous décidé  d’y aller. Hubert est venu en blouse blanche et nous en a fait faire le tour. Nous avons passé un moment merveilleux. (Vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, Paris)
Tom et moi avons parlé de Jim Morrison et Tom m’a raconté qu’ils ramassaient parfois trois filles et que Jim s’écroulait, alors il devait les baiser toutes les trois. (Samedi dix-huit avril mil neuf cent quatre-vingt-un)
Ma famille, quand ils essaient de venir me voir, je dis toujours que je suis en voyage. (Mercredi six juillet mil neuf cent quatre-vingt-un)
J’ai dit à Jon qu’il était gros, mais ce n’est pas vraiment ce que je voulais dire. (Vendredi vingt-huit août mil neuf cent quatre-vingt-un)
Leo Castelli est venu avec sa petite amie, Laura de Copper. Il buvait, ils s’enlaçaient et s’embrassaient. Je n’en reviens pas de ce vieil homme… C’est la fille qui donne de l’argent à Jackie Curtis. Leo a commandé un portrait d’elle. (Vendredi neuf mil neuf cent octobre quatre-vingt-un)
Il y avait un cardinal qui venait de faire une attaque d’hémiplégie, alors une moitié seulement de lui était là… (Vendredi vingt novembre mil neuf cent quatre-vingt-un, Toronto)
                                                                 *
Je n’aurais pu me trouver par hasard à Giverny le jour où Andy y fut. Le vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, j’étais en classe au Bec-Hellouin. Les vacances de printemps commençaient le lendemain.
 

20 janvier 2017


La technique pour être dans une voiture de seconde avant autrui à l’arrêt des trains venus du Havre est de passer par une voiture de première, il n’en descend que quelques voyageurs. C’est ce que je fais ce mercredi dans la bétaillère de sept heures vingt-huit pour Paris. S’il fait chaud en première, on se pèle en seconde.
-Vous pourriez monter un peu le chauffage ? demande l’un au contrôleur qui passe.
-Il est au maximum, répond celui-ci.
-Y en a pas !
-Bah oui, c’est ça.
Les rares qui avaient ôté leur manteau ont eu tôt fait de le remettre. A l’arrivée les vitres de la voiture sont totalement couvertes de buée, ce qui montre que nous sommes toujours vivants.
Rouen est à l’Ouest, Paris est dans l’Est, ainsi que le rappelle la froidure encore plus dure dans la capitale. Le bus Vingt me réchauffe un peu les fesses mais je dois ensuite affronter le vent glacial qui balaie la place de la Bastille. Le Café du Faubourg m’est une étape revigorante. Chez Book-Off, la chaleur tombe par des bouches au plafond. Je m’y attarde bien que la pêche soit mince. En sortant, je fais quand même un saut au marché d’Aligre. Bien des vendeurs ne sont pas là.
A midi, c’est au Péhemmu chinois, assis près d’un chauffage d’appoint qui fait peu son office, que j’attends celle qui doit déjeuner avec moi, Son travail actuel nous empêche de partager une galette chez elle cette année.
Quand elle arrive, nous optons pour le classique confit de canard pommes rissolées. Elle me parle de sa vie compliquée et pleine d’incertitudes. Comme nous n’avons pas de voisins, la gentille serveuse tourne le chauffage vers nous et le met à fond. Pour prolonger le bon moment, nous ajoutons un dessert, crème brûlée pour elle, moelleux au chocolat pour moi, puis un café.
-Ça caille, me dit le patron du Péhemmu chinois au moment de payer.
Je dis au revoir, place de la Bastille, à celle qui travaille non loin de là et m’engouffre dans le métro pour parcourir une distance qu’en d’autres jours j’aurais faite à pied. Il s’agit d’aller se réfugier au Centre Pompidou. Beaucoup ont eu la même idée. Jamais je n’ai vu une telle file d’attente devant le vestiaire.
A l’étage de l’Art Moderne, je musarde dans des salles temporaires consacrées à CoBrA, à Fluxus, aux Lettristes et à l’Internationale Situationniste (dans laquelle pérore Debord). Mai Soixante-Huit a droit à un couloir. J’y découvre un film d’époque de Jean-Pierre Prévot. Un peu plus loin, je salue deux Chaissac puis les Ten Lizes d’Andy.
Mon train de retour est celui de dix-sept heures vingt-cinq. Il est chauffé et j’y ai place réservée.
                                                           *
Près de Beaubourg, une fille à la face joyeuse se précipitant vers moi :
-Monsieur, je peux vous prendre deux minutes de votre temps ?
-Il n’en est pas question.
Encore une de ces associations qui vivent grâce à la misère du monde.
                                                           *
Depuis un certain temps, pour cause de désorganisation permanente et d’économie de personnel, les places réservées dans les trains ne sont plus matérialisées par un petit papier.
Il existe toutefois une possibilité (discriminatoire) de connaître les places libres. Avec son smartphone. Qui n’en a pas doit s’attendre à se faire jeter.
Cependant, pour qui s’est assis à une place signalée libre par l’application de la Senecefe, rien n’est gagné. Il peut encore être délogé par un voyageur qui aura acheté un billet avec réservation après qu’il se fut assis.
Il y a donc une morale dans cette histoire.
Et deux conclusions :
Une : l’application de la Senefece ne sert à rien.
Deux : il est prudent d’avoir une réservation.
 

19 janvier 2017


Il faut braver le froid ce mardi soir pour rejoindre l’Opéra de Rouen où la chorégraphe Josette Baïz propose Spectres par la Compagnie Grenade et le Quatuor Béla. En attendant l’ouverture des portes de la salle, on peut constater que certain(e)s ont fait les soldes (comme on dit). La vêture va du manteau de fourrure au blouson Harley-Davidson.
Un sexagénaire meuble l’attente en allant voir de près les peintures érotiques d’Alex Varenne. « Tout cela me laisse totalement indifférent », déclare-t-il à sa femme au retour. Ce qui peut se traduire par : « Pas le moindre petit début d’érection ».
J’ai place en corbeille un peu décentrée côté pair, d’où j’observe l’homme au chapeau arriver un peu tard aux chaises non numérotées. Il tournicote en une chorégraphie hésitante avant d’opter pour l’une d’où l’on voit quand même. Une autre habituée de ces chaises a reculé de nombreuses cases, étant munie de béquilles suite à un accident de sport d’hiver ou de trottoir rouennais. La voici assise en loge, où sont casés les handicapés. Un Conseiller Régional socialiste montre à sa fille comment on déplie un strapontin. Elle n’aura pas à s’y asseoir. Il bénéficie des excellents fauteuils réservés aux invités de la maison.
Spectres dure une heure. La chorégraphie de Josette Baïz, est inspirée des textes fantastiques de James, Maupassant, Hugo, Poe et Wilde. Les trois filles et les trois garçons de la Compagnie Grenade sont vêtus de blanc et évoluent sans temps faible. Les violonistes, l’altiste et le violoncelliste du Quatuor Béla sont vêtus de noir et jouent des extraits d’œuvres de Britten, Kurtág, Oswald, Crumb et Schnittke de manière dynamique (il leur arrive même de danser et très bien). Un gong, des verres musicaux et un métronome sont de la partie, ainsi que de grandes ombres projetées. Je suis complètement content à la fin et trouve que les applaudissements auraient pu durer plus longtemps mais il semble que beaucoup soient pressés de rentrer à la maison. C’est qu’il ne fait pas chaud dehors.
 

18 janvier 2017


Les gens célèbres, il n’en manquait pas dans les parages d’Andy Warhol. On a même l’impression qu’ils y étaient tous. Certains sont inconnus de moi. La lecture de son Journal m’a obligé plusieurs fois à consulter Ouiquipédia. Ainsi ai-je appris qui était Loulou de la Falaise. D’abord mannequin, elle fut créatrice de bijoux pour Yves Saint-Laurent et épousa Thadée Klossowski de Rola, le fils de Balthus, mais ce qui m’a le plus intéressé à son sujet, c’est qu’elle est morte à soixante-quatre ans, le cinq novembre deux mille onze, à l’hôpital de Gisors dans l’Eure.
Des revers de fortune l’avaient obligée à vivre dans sa maison du Vexin. Un cancer foudroyant la conduisit à l’hôpital de Gisors, avec les pauvres, seule. Dans un article de Paris Match, en novembre deux mille onze, Catherine Schwaab raconte ça ainsi : « Vaillante et toujours chic, elle est obligée de quitter Paris et son superbe atelier d’artiste, dans le XIVe, et se réfugie dans sa maison en Normandie. Certains assurent que c’est ce qui l’a rendue ­malade. Cancer du foie, du pancréas, ­fulgurant, murmure-t-on. Elle n’a pas ­affronté de chimio. Trop tard. »
                                                       *
Voici le Grand Saint-Marc, café rouennais où je lisais l’après-midi, en vacances pour une semaine, ce qui va me priver d’entendre le serveur dire aux dames de la clientèle : « Meilleurs vœux, bonne année, une longue et vigoureuse. »
                                                       *
C’est un café populaire. On y entend des propos de ce genre :
« Maintenant, y en a plein qui sont pas vaccinés. Ils courent sur Internet. Ils lisent ceci ou cela, et ils veulent pas. Pasteur et le docteur Schweitzer, y doivent se retourner dans leur tombe »
« Le cerveau, c’est un muscle, il faut l’entraîner, lire le journal ou d’autres conneries. »
« On est allé au restaurant gastronomique. A quatre : cent quatre-vingt-douze euros. J’ai gardé le ticket. »
                                                       *
Y lire les Poèmes bleus de Georges Perros demande un maximum de concentration.
 

17 janvier 2017


Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset) :
La femme de Detroit a appelé pour dire que le portrait de Henry Ford était reporté à plus tard, dans le courant du mois. Mon Dieu, Detroit ! Peut-être que le quartier où habite Henry Ford est fréquentable. (Jeudi six juillet mil neuf cent soixante-dix-huit)
Lou nous a invités chez lui.
C’est sur Christopher Street, entre la 6e et la 7e, en gros là où était The Voice, au-dessus d’une boutique de bagels. Quand nous sommes entrés, les gamins ont chuchoté : « C’est Lou Reed. » Il leur a dit : « Allez mourir ! » C’est pas génial ? (Jeudi vingt juillet mil neuf cent soixante-dix-huit)
Quand je suis arrivé au bureau Brigid était là, assise à la machine à écrire, faisant vraiment son âge, c’est-à-dire quarante ans demain. (Mardi cinq septembre mil neuf cent soixante-dix-huit)
Après nous sommes allés chez Polly Bergen, à Holmby Hills. (…) Elle a un télescope pour regarder les étoiles mais elle s’en sert pour regarder les maisons des stars. (Samedi vingt trois septembre mil neuf cent soixante-dix-huit)
Oh, j’oubliais le truc le plus bizarre… Oh, la, la, c’était ridicule ! Un vieil homme s’est précipité sur moi pour m’embrasser sur les deux joues et sur la bouche. C’était dégoûtant. Et c’était Leonard Bernstein ! (Lundi douze mars mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Paulette est venue, ainsi que Keith Richard et Ron Wood. C’était la première fois que je les voyais en plein jour, ils font vieux et en mauvais état. Leurs fiancées ont l’air jeunes et fraîches. (Samedi vingt-quatre mars mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Paloma Picasso était avec son mari et son amant. Ou son amant à lui. Ou leur amant. Je ne sais pas comment ces deux-là marchent. (Jeudi cinq avril mil neuf cent soixante-dix-neuf)
Sabrina Guiness était au dîner, elle est beaucoup sortie avec le prince Charles, nous pensons qu’elle l’a baisé. (Vendredi vingt juillet mil neuf cent soixante-dix-neuf, Londres)
C’est trop pénible d’avoir les gens célèbres au bureau tous en même temps parce que personne n’arrive à comprendre pourquoi les autres sont là ! (Mardi trente octobre soixante-dix-neuf)
Nous devions faire une télé dans la rue, dans les taudis de Naples, Suzie a caché ses bijoux. Nous avons fait un tour, c’était super de voir ces vieux vêtements qui sèchent dans la rue d’une fenêtre à l’autre. (Lundi trente et un mars mil neuf cent quatre-vingt, Naples)
 

16 janvier 2017


S’il est une certitude, c’est que je n’irai pas voter à la Primaire dite de la Gauche (Primaire des Socialistes, des Radicules et des anciens Verts), autrement nommée Primaire de la Belle Alliance Populaire (ni belle, ni alliance, ni populaire). Celui qui en sortira vainqueur n’aura pas davantage ma voix lors de la Présidentielle, cette élection qui ne devrait pas se faire au suffrage universel mais au sein de l’Assemblée Nationale après les Législatives.
Qui l’aura ? Personne sans doute. A moins que je change d’avis.
Car au deuxième tour, le probable mène à un choix entre la pire et le pire, la facho-poutinienne ou le catho-poutinien. Quand on ne veut ni de la première ni du deuxième la tactique est de voter pour le troisième en spéculant que beaucoup y pensent aussi et fassent de même. Au point que ce troisième arrive deuxième.
Je l’ai fait en deux mille sept, votant Bayrou pour tenter d’éviter un deuxième tour Sarko le fat sot contre Marie-Ségolène la pure hautaine. Ça n’a pas marché.
Cette fois le troisième c’est Macron, ce type qui devient dingue à la fin de ses métingues et dont le programme aussi peut faire peur. D’où mon incertitude.
                                                        *
Cette Primaire dite de la Gauche semble n’intéresser personne si j’en juge par ce que j’entends dans les cafés où je passe. Une seule fois cette semaine j’en ai entendu parler, par un commerçant ambulant du Clos Saint-Marc au café du même nom :
-Je vais y aller et je voterai Marine Le Pen, ça les fera bien chier.
Le thermomètre politique du marché du Clos Saint-Marc indique une grosse fièvre d’extrême droite dans le milieu populaire rouennais. Que ce soit côté vendeurs ou côté acheteurs, une majorité votera F-Haine (sondage personnel fait selon la technique de l’oreille qui traîne auprès d’un échantillon représentatif).
                                                        *
Poutinien, un troisième l’est : Mélenchon, autrefois tribun, aujourd’hui évangéliste. L’autre multipliait les pains, lui se multiplie sous forme d’hologramme.
                                                        *
Et personne aux Etats-Unis pour arrêter, avant qu’il ne soit officiellement Président, le poutinien Trump et l’inculper d’intelligence avec l’ennemi.
 

14 janvier 2017


Alerte rouge en Seine-Maritime pour cause de tempête hivernale violente de courte durée, annonce Météo France ce jeudi après-midi. Cette tempête commence à dix-neuf heures précises, comme prévu.
Quand j’étais jeune enfant une tornade a traversé le quartier de Louviers où je vivais. L’un des trois énormes noyers proches de la maison fut déraciné sous mes yeux. Le plâtre du plafond tomba sur le lit de mes parents. Le calme revenu, tous les voisins vinrent chercher sur les trois hectares où mon père cultivait les fruits leurs cheminées métalliques et les tôles ondulées de leurs bâtiments. Certaines de ces tôles avaient coupé net les branches principales des poiriers. Je ne suis donc pas tranquille quand ça souffle fort comme cette nuit et suis en alerte au moindre bruit inexpliqué.
Vers minuit, la tempête cesse aussi brusquement qu’elle a commencé, comme prévu.
                                                                 *
Avant que n’éclate cette tempête, controverse avec l’une de mes connaissances sur le réseau social Effe Bé à propos de cette alerte rouge. Il en a assez de ces « injonctions permanentes à la prudence ».
Quand la Senecefe m’enjoint à chaque descente de train de prendre garde à la hauteur entre le marchepied et le quai, cela me saoule (je sais aussi pourquoi elle le fait, si un usager se cassait le pied en descendant sans avoir été prévenu, il porterait plainte), mais qu’on m’alerte quand il y a un danger mortel ponctuel je suis pour et si, ce jeudi soir, quelqu’un devait sortir de chez lui et traverser la ville à pied, en vélo ou en voiture pour venir me voir, je lui dirais : « Je ne veux pas que tu prennes ce risque, remettons ça à demain ».
                                                                 *
« La tempête à ses charmes, la pluie aussi. », m’a écrit mon contradicteur. Je ne suis pas sûr qu’il ait dit à ses enfants d’aller dehors pour mieux en profiter.
                                                                 *
Ce vendredi midi, le tableau de la gare de Rouen n’affiche pour Caen et Le Havre que trains supprimés ou remplacés par des cars, la faute aux arbres tombés sur les voies. Les seuls trains qui circulent normalement sont ceux qu’évoquent dans leur conversation professionnello-centrée mes voisins de table au Sushi Tokyo de la rue Verte :
-Quand tu ressors de Serqueux, tu prends la lente, tu peux pas prendre la voie unique.
                                                                *
Eviter la voie unique, prendre la lente, ce que je fais chaque jour.
 

13 janvier 2017


La clientèle du Royal Bourse Opéra, brasserie aux sets de table colorés et au personnel sympathique mais où malheureusement on entend Radio Nostalgie, est par moitiés constituée d’habitués et de passagers. Le menu du jour est à quinze euros, le quart de côtes-du-rhône à six. J’opte pour le filet de hareng (honnête), le porcelet rôti aux quatre épices pommes dauphines de patate douce (excellent) et le tiramisu (honnête)
Il pleuviote toujours quand je ressors et rejoins pédestrement la Bibliothèque Nationale de la rue de Richelieu. J’ai envie d’y voir la salle Labrouste, fraîchement restaurée, mais après le passage des portiques de sécurité, j’apprends qu’elle est fermée pour cause d’inauguration. Le service de déminage est déjà sur place. Je me balade néanmoins dans ce qui est ouvert au public jusqu’à quatorze heures et constate qu’on n’a pas lésiné sur la qualité des matériaux pour la rénovation  des salles d’études réservées aux habilités, des toilettes, des vestiaires et du couloir vitré au sol métallique du troisième étage.
De retour rue de Richelieu, je m’arrête devant le numéro Soixante et Un. Une plaque indique qu’ »ici Stendhal vécut de 1822 à 1823 ; au 69 de cette même rue, il écrivit les Promenades dans Rome et le Rouge et le Noir ». Le triste immeuble en béton gris n’est pas celui que connut Stendhal. Ce dernier, dont les récits de voyage sont sujets à caution, n’avait que la rue à traverser pour se documenter sur Rome.
Plus qu’à rejoindre l’autre Book-Off par le passage Choiseul dont le pavage est également en réfection, beau matériau là encore, et non glissant par temps de pluie semble-t-il. Pas davantage de soldes que dans le premier, je m’y rends utile en cherchant et trouvant Cyrano de Bergerac pour une lycéenne turque ou kurde ou arménienne.
Dans le train du retour, je poursuis ma lecture du Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni de l’écrivain voyageur Paul Theroux qui passe par Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllan-tysiliogogogoch, ce village du Pays de Galles évoqué par Bruce Chatwin dans une note infrapaginale d’En Patagonie. Ma voisine étudiante lit, elle aussi, et je me demande quoi. Quand elle pose l’ouvrage pour dormir, j’ai la réponse, qui me déçoit : Angor de Frank Thilliez.
                                                           *
Au rayon « Santé » de Book-Off : Cytomégalovirus d’Hervé Guibert.
 

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