Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

30 janvier 2018


Il tombe une sorte de mouillasse ce dimanche après-midi lorsque je sors de chez moi pour rejoindre l’Opéra de Rouen où est donné Fantasio de Jacques Offenbach. J’ai le temps de sécher avant d’entrer dans la salle et de m’asseoir au dernier rang de la corbeille. A ma gauche comme à ma droite, on tousse, dernière chance pour moi d’attraper la grippe cette année. Dans la loge derrière s’installe un vieux couple qui ne tarde pas à m’énerver.
Ce Fantasio bénéficie de la mise en scène de Thomas Jolly « talentueux rouennais » qu’il m’est arrivé de côtoyer, sans jamais faire sa connaissance, à l’Ubi (défunt lieu artistique mutualisé) et de la direction d’orchestre du talentueux belge Jean-Pierre Haeck.
Fantasio, opéra-comique en trois actes, a peu à voir avec ce qui vient à l’esprit quand on songe à d’Offenbach. La mélancolie y a grand-place ce qui me convient bien. L’histoire est celle d’Elsbeth, princesse que son père, roi de Bavière, veut marier avec le prince de Mantoue afin d’éviter la guerre. Celle-ci n’est pas d’accord, attirée qu’elle est par l’étudiant Fantasio qui la séduit en empruntant le rôle du bouffon. Ce Fantasio est joué par une mezzo-soprano.
-Vous passez un bon moment ? me demande à l’entracte Alexandre Dain que j’ai connu à l’Ubi et qui, pour ce spectacle, est le collaborateur artistique de Thomas Jolly.
-Ça va… Ça va.
-De toute façon, je le lirai bien assez tôt, conclut-il.
Je regagne la salle et trouve une nouvelle place deux rangées plus bas dans un fauteuil resté libre, m’éloignant ainsi des tousseurs et surtout du couple de la loge qui se croit dans son salon et commente à voix haute. Derrière le rideau baissé se fait entendre un bruit d’aspirateur.
Le troisième acte est à la hauteur des deux premiers et tout est bien qui finit bien, la guerre est évitée bien qu’Elsbeth choisisse Fantasio dans un final festif débordant de la scène vers la salle (il y aura du boulot demain pour les femmes de ménage).
Les applaudissements sont copieux à la fin, pour lesquels Thomas Jolly (superbe veste) et son équipe ont rejoint les interprètes : le chœur accentus, le maestro représentant l’Orchestre, et les solistes : de bons chanteurs mais côté femmes celle qui joue Fantasio ne m’a pas convaincu, peu de présence dramatique et voix sans relief.
En revanche, Sheva Tehoval qui joue et chante la princesse Elsbeth me subjugue, aussi douée pour le métier d’actrice que pour celui de chanteuse, (Alix Le Saux qui interprète la suivante Falmel est bien aussi).
A la sortie de la salle, j’ai le plaisir de trouver là un autre ancien de l’Ubi, pas vu depuis un moment, venu rejoindre son mari et profiter avec lui du verre d’après spectacle.
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Atmosphère de noir et blanc avec surgissement de la couleur,  lumières jouant avec la musique ou s’intégrant dans l’architecture du décor, astucieuse structure métallique mobile symbolisant aussi bien un jardin que la prison, telles sont quelques-unes des trouvailles de Thomas Jolly, lequel a injecté un peu d’Alfred de Musset dans le livret écrit par Paul de Musset d’après la pièce peu connue de son frère.
La partition, quant à elle, a été reconstituée par Jean-Christophe Keck après qu’on l’eut cru disparue dans l’incendie de l’Opéra Comique en mil huit cent quatre-vingt-sept.
C’est pour la réouverture après travaux de l’Opéra Comique que fut créé le Fantasio de Thomas Jolly mais, pour cause de retard, les représentations eurent lieu hors les murs au Théâtre du Châtelet en février deux mille dix-sept.
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Dans la distribution un autre ancien de l’Ubi, Bruno Bayeux, avec qui j’ai échangé quelques mots jeudi lors du spectacle du Conservatoire (il faisait partie du jury). Il ne joue que trois petits rôles mais c’est suffisant pour qu’éclate son talent de comique.
 

29 janvier 2018


Il y a déjà du monde devant le Théâtre de la Chapelle Saint-Louis, place de la Rougemare, lorsque j’y arrive ce jeudi vers dix-neuf heures. « On ouvrira les portes de la salle vers sept heures vingt », me dit Maurice Attias, le professeur de la classe d’art dramatique du Conservatoire de Rouen. Cette classe joue Brecht pour ses travaux de demi-saison.
Dès qu’il est possible d’attendre à l’intérieur, je me case près de l’entrée de la salle derrière deux filles qui veulent absolument entrer les premières pour s’installer au premier rang où, disent-elles, sont les meilleures place. Elles ont tort, la meilleure place est au milieu de la quatrième rangée, la mienne, l’œil du Prince. Ces deux bavardes connaissent certain(e)s qui jouent ce soir. Sur le trombinoscope elles comptent les filles et les garçons puis, chez ces derniers, elles font le tri entre qui est bogoss et qui ne l’est pas.
Une fois en salle je suis derrière deux femmes d’une autre génération. L’une découvre avec effarement que la durée du spectacle est estimée à trois heures quarante-cinq. Venue en bus, elle comptait repartir de même. « Tant pis, déclare-t-elle, je repartirai à pied et m’arrivera ce qui doit m’arriver ».
Maurice Attias présente la soirée en quelques mots et signale que des professionnels sont présents, qui jugeront du travail des élèves, et que cinq coups de feu (cinq) seront tirés au cours du spectacle.
Les sept filles et les huit garçons de la classe d’art dramatique d’orientation professionnelle sont sur la scène devant un rideau blanc pour le prologue composé d’extraits musicaux tirés de Splendeur et décadence de la ville de Mahagonny, dont la célèbre Alabama Song. Kurt Weil donne l’occasion à ces jeunes artistes, accompagnés derrière le rideau par un pianiste et une accordéoniste, de montrer leurs capacités vocales
Suivent quatre scènes de Grand-peur et misère du Troisième Reich et, après l’entracte, La Résistible Ascension d’Arturo Ui que Brecht écrivit lors de son exil en Finlande en mil neuf cent quarante et un, transposant la prise du pouvoir par les nazis dans le monde de la maffia de Chicago. Son Arturo Ui, moitié Hitler, moitié Al Capone, chaplinesque chef du trust des choux-fleurs, est essentiellement interprété par le talentueux Charles Levasseur (il est vrai avantagé par sa petite taille). Comme il est de coutume chez Maurice Attias, les comédien(ne)s passent d’un rôle à l’autre sans souci de genre au cours de la représentation. Elles et eux dépensent une folle énergie, notamment lors de l’ardente chorégraphie sur une chanson de Michael Jackson. Cinq coups de feu (cinq) sont tirés, des coups de feu d’opérette qu’il serait difficile de confondre avec des vrais. A l’issue c’est un triomphe avec une ovation debout bien méritée.
Tandis que je traverse la place de la Rougemare j’entends le cri collectif de libération  que poussent les quinze en coulisses. Plutôt que vers the next whisky bar, je me dirige vers chez moi. J’y arrive à minuit pile, très content de ma soirée.
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Avant le spectacle du Conservatoire, avertissement officiel sur Rouen.fr, l’organe officiel de la Mairie : « Pour les besoins des répétitions et représentations, il est prévu que des coups de feu factices soit tirés. Des « détonations » pourront donc être entendues dans le secteur de la place de la Rougemare ». Suivaient les jours et heures des répétitions et représentations (la faute d’orthographe est garantie d’origine).
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S’il n’y avait pas eu théâtre ce jeudi soir je serais allé au vernissage des expositions d’art contemporain groupées sous le sigle La Ronde. Du moins si j’avais pu entrer car désormais plus de carton d’invitation envoyé par La Poste, il faut soi-même le matérialiser avec son imprimante ou le montrer sur son téléphone, et comme je n’ai ni l’une ni l’autre.
Nos Musées métropolitains peuvent être fiers d’eux, ils sont résolument modernes.
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Ce jeudi matin, dans la vitrine de la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier un livre pour moi: Correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès (Gallimard). Au tiers de son prix neuf (à peu près). Douze euros, au lieu de trente-deux cinquante. Pour mille trois cents pages. Va falloir lire tout ça.
 

26 janvier 2018


Sorti de chez New New mercredi vers treize heures, je n’ai à subir aucune attente pour entrer au Centre Pompidou et pas davantage au sixième étage pour passer le contrôle de l’exposition rétrospective consacrée à César Baldaccini, dit César, le bien connu sculpteur. Deux mille dix-huit marque le vingtième anniversaire de la mort de celui qui naquit dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille et arrêta l’école à l’âge de douze ans (il fut néanmoins élève des Beaux-Arts avant la Deuxième Guerre).
Bernard Blistène, commissaire, et Laurence Le Bris, architecte scénographe, ont eu la bonne idée de se passer de cloisons. Les œuvres, présentées de façon thématique et chronologique, sont toutes visibles en même temps sur le vaste plateau qui bénéficie de la meilleure vue sur la ville.
Cela commence par les fers soudés inspirés de González, Giacometti, Picasso et Germaine Richier et si souvent imités (une sorte de sosie de l’artiste en réalise à Rouen rue Damiette) puis viennent les compressions qui ont fait la renommée de l’artiste, les empreintes humaines (dont le fameux pouce), les expansions en mousse de polyuréthane et les enveloppages que je ne connaissais pas et m’intéressent ; des objets du quotidien, téléphone, ventilateur, machine à écrire, emprisonnées dans du plexiglas translucide après passage en étuve. On passe ensuite aux fontes de fer et aux dernières compressions. Les premières avaient pour objet des épaves, les ultimes sont faites avec des voitures neuves symbolisant la réussite financière de l’artiste. En hauteur, au-dessus de l’entrée, trois vidéos, pour une fois utiles et devant lesquelles la foule ne peut pas s’agglutiner, montrent César à l’œuvre (soudant, compressant, expansant).
Il y a suffisamment de monde dans cette rétrospective César. De longilignes jouvencelles arpentent les lieux pour le plaisir de mes yeux. L’une porte un souite Cheap Monday Stockholm. Des hommes, traînés là par leur femme, trouvent finalement ça presque aussi intéressant que le Mondial de l’Automobile. La jivaro Renault 977 VL 06 de mil neuf cent quatre-vingt-neuf les retient particulièrement, dont ils font photo. Un sexagénaire appelle une semblable via Skype et lui offre un panoramique de l’exposition. « T’es dans un magasin ? », lui demande-t-elle.
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Après Pompidou, je passe au second Book-Off où certains livres que je ne cherchais pas m’attendaient dans les rayonnages à un euro : Mariage en douce (Gary & Seberg) d’Ariane Chemin ( Equateurs), Un mois chez les filles de Maryse Choisy (Stock), Miettes de Philippe Artières (Verticales), Louis Jouvet, notes de cours d’Eliane Moch-Bicker (Librairie Théâtre)  et L’écrivain national de Serge Joncour (Flammarion), ce dernier avec un envoi de l’auteur à Sylvie Tanette « Amicalement » (cette dernière est journaliste et critique littéraire suisse).
Au rayon Beaux Livres de l’étage clignote un ouvrage que je destine à celle qui doit encore attendre cinq semaines avant d’en savoir plus.
-Je savais bien qu’il ne resterait pas cinq minutes en rayon, me dit la blonde employée à qui je paie.
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Comme les deux fois précédentes la bétaillère de dix-sept heures quarante-huit pour Rouen est « mise à quai tardivement » pour cause de « difficultés de préparation dans nos ateliers » mais cette fois quand la cheffe de bord annonce son « départ imminent », elle démarre illico.
 

25 janvier 2018


Il fait si doux quand je sors ce mercredi matin que croyant le printemps venu le merlou chante place des Carmes, là où Flaubert est statufié. C’est de bon augure pour ma journée parisienne.
A la gare, le train de sept heures cinquante-neuf est annoncé avec dix minutes de retard « environ ». Cet environ cache un retard réel de seulement trois minutes. J’ai donc à l’arrivée le temps de lire Le Parisien au comptoir du Café du Faubourg avant qu’il ne soit dix heures.
J’y apprends la guéguerre que mène la maréchaussée contre les employés des sociétés privées chargées désormais de mettre les pévés de stationnement dans la capitale, leur zèle les ayant conduits à verbaliser les voitures policières. En rétorsion, les policiers leur collent des amendes quand ils traversent la rue en dehors des clous. S’ils n’ont pas leurs papiers, ils sont emmenés au commissariat où on étudie leur casier judiciaire. Selon un policier, l’une des sociétés a dû recruter les cent premiers qui sortaient de prison. Hidalgo, Maire, Socialiste, a sifflé la fin de la partie en demandant à ce que les véhicules de police soient exemptés d’amendes.
A dix heures une, je suis chez Book-Off. J’en ressors avec moins de dix livres à un euro, dont J’habite au troisième âge de Mathurin (Lemieux Editeur). Ledit Mathurin, graphiste, y raconte par textes et dessins le temps où, étudiant, il cohabitait avec Germaine, nonagénaire.
Pédestrement je rejoins la rue Beaubourg. Au numéro trente la porte cochère est ouverte. Au fond de la cour se cache la Galerie Templon où sont exposés Pierre et Gilles sous le titre Le temps imaginaire. La photographie peinte qui vous y accueille a pour sujet un soldat de l’opération Sentinelle.
Je retrouve là certaines des images vues au Havre l’an dernier, dont Gégé sur sa mob, et découvre les dernières productions. Certaines m’indiffèrent mais j’aime beaucoup le trio d’ados amoureux Love from Paris. Au fond de la deuxième salle les deux artistes rendent hommage à Bernard Buffet qui, lorsqu’il dut renoncer à la peinture, se suicida. La fin de l’exposition est  de l’autre côté de la rue, au bout de l’impasse Beaubourg. Se promener chez Pierre et Gilles, c’est aller d’icône gay en icône gay : la Dalle, l’Huppert, le Gaultier, la Vartan, le Daho et d’autres dont je ne connais pas le nom n’étant pas familier de la télé réalité, ni des séries, ni des pipoles.
A droite en sortant se trouve le restaurant chinois New New dont le buffet est à dix euros quatre-vingts. C’est là que je déjeune.
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Pierre et Gilles, une aubaine pour les marchands de petites perles multicolores, la plupart de leurs tableaux en ont le cadre onctueusement couvert.
 

23 janvier 2018


Une soirée de lectures plus ou moins excitantes, cela débouche sur quel rêve ? Pas celui que j’espérais. Je me réveille au milieu de la nuit, décontenancé. Je viens de vivre de manière très réaliste l’une de mes journées de travail de quand je faisais l’instituteur remplaçant en Zone d’Intervention Localisée, il y a vingt ans.
Soulagé de ne plus y être, je mets néanmoins un moment à m’en remettre puis je laisse mon esprit errer et il me revient une anecdote réjouissante de cette époque.
Cela se passe dans l’école de Val-de-Reuil où j’attendais que l’on m’appelle pour un remplacement.
L’institutrice du Cours Moyen a depuis peu une nouvelle élève un peu particulière. Elle a été virée d’une autre école de la ville pour avoir frappé son enseignante. Depuis son arrivée elle ne pose pas de problème, mais le jour où un billet de dix francs laissé sur le bureau de sa nouvelle maîtresse disparaît pendant la récréation, elle est désignée comme suspecte.
Comment s’en assurer ? Je ne sais plus qui a l’idée de suggérer à l’institutrice volée de laisser un autre billet en évidence sur son bureau puis de s’enfermer dans un placard afin de surprendre la présumée voleuse.
Ainsi fait-elle. Au milieu de la récré, la porte de la classe s’ouvre et entre une autre élève que celle attendue : la fille de l’institutrice du Cours Préparatoire.
Elle se dirige vers le bureau de sa maîtresse. Elle ne touche pas à l’argent. Elle consulte le texte de la dictée qui doit être faite au retour en classe afin de ne pas faire de fautes.
Quand l’institutrice du Cours Préparatoire apprit ça, elle ne trouva plus bonne l’idée de se cacher dans un placard. Elle jugea même que c’était une méthode déplorable et resta longtemps fâchée avec sa collègue du Cours Moyen.
 

22 janvier 2018


Quand même, il faut bien sortir de chez soi en ce samedi pluvieux, alors pourquoi pas aller à la Bibliothèque des Capucins, sise dans l’ancienne grande chapelle du Couvent des Ursulines, où pour l’opération Nuit de la Lecture sont données à dix-huit heures (il fait nuit) des Lectures intimes par des élèves du Conservatoire de Rouen.
J’y arrive un peu tôt en même temps que deux dames. Il pleut dru. Un employé, de sortie, nous dit qu’on peut entrer par la petite porte latérale. On n’est pas du même avis à l’intérieur. Les deux dames ressortent docilement mais je m’incruste, assistant donc à la fin des répétitions.
Où sont les garçons ? me dis-je. Seules les apprenties comédiennes sont requises pour cette soirée bâtie autour des Nuits d’une demoiselle de Colette Renard. Que ne connaît-on ici Les Nuits d’un damoiseau de Robeurt Féneck.
La porte est ouverte à l’heure officielle et entre un public assez semblable à celui que l’on trouve dans les cinémas pour les films recommandés par Télérama : majoritairement âgé et féminin, des isolé(e)s et quelques couples. Des petites bougies fausses sont chargées de mettre dans l’ambiance mais l’éclairage intense de la bibliothèque leur est nuisible.
Il faut s’asseoir en divers endroits afin de faire cercle intime avec une lectrice. J’ai aussi peu envie de me rapprocher de ces gens qu’eux de moi. Néanmoins je me case dans un groupe où certain(e)s se donnent une contenance en feuilletant un livre attrapé sur les rayonnages.
Les lectrices passent de groupe en groupe. Avoir une bonne oreille est indispensable pour entendre ce que lit la sienne dans le brouhaha généré par les autres, d’autant que ces demoiselles sont peu assurées. Cependant l’une joue du saxophone avec talent. S’il est toujours question de sexe dans les textes, ceux-ci ne sont pas tous chargés d’érotisme.
Cette soirée nocturne organisée par la bibliothèque ne saurait être que participative. A un moment le public est invité à poursuivre les lectures. L’apprentie comédienne présente à ce moment dans notre groupe demande un(e) volontaire avec si peu de conviction qu’elle n’en obtient pas. D’autres s'y prennent mieux. Ce sont majoritairement des hommes qui s’y collent, lisant plus ou moins bien des textes plus ou moins intéressants.
A l’issue la cheffe bibliothécaire invite à se regrouper pour boire un verre autour d’une petite table où sont disposées une fontaine de chocolat et des friandises. N’ayant pas envie de jouer des coudes, je m’éclipse sans consommer. Après avoir récupéré mon parapluie, je salue le vigile qui était chargé d’éviter tout débordement.
                                                            *
Parmi les textes non érotiques lus : une lettre grivoise de Gustave Flaubert à Louis Bouilhet, écrite lors de son voyage avec Maxime Du Camp en Orient. Il y raconte ses séjours aux bains parmi les bardaches (comme il dit). Il ne pratique pas. Le jour où il s’y décide, le jeune garçon qu’il a réservé est providentiellement absent. Gustave n’est audacieux qu’en parole. Le montre également un autre passage de cette lettre datée du quinze janvier mil huit cent cinquante (non lu par la demoiselle) :
Max s’est fait polluer l’autre jour dans des quartiers déserts sous des décombres et a beaucoup joui.
Dans cette même lettre et pas lu non plus :
J’ai vu il y a huit jours un singe dans la rue se précipiter sur un âne et vouloir le branler de force. L’âne gueulait et foutait des ruades, le maître du singe criait, le singe grinçait. À part deux ou trois enfants qui riaient et moi que ça amusait beaucoup, personne n’y faisait guère attention. Comme je racontais ce fait-là à M. Belin, le chancelier du consulat, il m’a dit, lui, avoir vu une autruche vouloir violer un âne.
 

19 janvier 2018


Quoi faire à Rouen en cette saison où il pleut tous les jours ? Quand donc cette ville sera-t-elle capable d’organiser un évènement culturel d’envergure nationale, comme Le Havre le fait ce ouiquennede avec son festival littéraire Le Goût des Autres ?
Au programme havrais : Les littératures new-yorkaises; pour invité(e)s : Paul Auster, Siri Hustvedt, R.J. Ellory, Christophe, Enki Bilal, Maylis de Kerangal, Patrick Bouchain, Keren Ann, Geneviève Fraisse, Olivia Rosenthal, Irène Jacob, Emmanuel Noblet et bien d’autres.
France Culture sera sur place, et quoi faire d’autre à Rouen quand il pleut que d’écouter ce qui se passe ailleurs.
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Parmi les causes de l’absence de dynamisme de la ville de Rouen : un Maire vieillissant, une Métropole dirigée par un Président aux projets purement virtuels (Rouen capitale européenne de la culture, Rouen ville de la mobilité du futur) et un Duc de Normandie gouvernant la Région depuis Caen.
L’ancienne capitale de la Haute-Normandie est en passe de ressembler de plus en plus à Evreux.
Appelons ce phénomène : l’ébroïcisation de la ville de Rouen.
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Vu à la  télé : Hervé Morin, Duc de Normandie, souriant aux caméras pendant qu’il utilise l’un des coûteux portillons anti-fraude qu’il a fait installer à la gare Saint-Lazare.
Il doit être le seul à en avoir fait l’usage. A chacun de mes passages, ils sont grand ouverts.
 

18 janvier 2018


C’est dans une voiture à compartiments que je trouve place mercredi à sept heures cinquante-neuf pour un voyage intime avec quatre femmes et un homme jusqu’à Paris. Lorsque le train avance au ralenti, on a l’impression d’être dans une diligence. Le but n’est atteint qu’avec dix minutes de retard. Je suis donc à l’heure pour l’ouverture du Book-Off de la rue du Faubourg Saint-Antoine. Le ciel est bleu à mon étonnement.
Je trouve de quoi alourdir mon sac puis, pour rejoindre le marché d’Aligre, passe près de l’une des rares stations du nouveau Vélib’, rue Ledru-Rollin. Elle est saturée. Des vélos sont abandonnés sans être reliés aux bornes. Une jeune femme est à l’arrêt, ne sachant quoi faire de l’engin vert qui l’a conduit jusqu’ici.
Peu de vendeurs ont déballé au marché et pas un livre en vue, hormis un énorme Stanton de chez Taschen  For the man who knows his place. Je n’en demande pas le prix.
A midi, je retrouve le Péhemmu chinois dont la gentille serveuse me souhaite une bonne année avant de me servir l’habituel confit de canard pommes sautées salade quart de côtes-du-rhône.
Pédestrement, je rejoins le Rivolux. A peine suis-je assis à ma table qu’arrive celle avec qui j’ai rendez-vous. Je l’interroge sur son état de santé puis nous évoquons de nombreux sujets. Sur le mur, à côté de nous, est inscrite cette injonction : « Lis Kundera et tu comprendras ».
-As-tu commencé à lire le lot de Kundera que j’ai acheté pour toi à Saint-Valéry-en-Caux, lui demandé-je. Pas encore, elle est actuellement dans un roman japonais dont elle n’a pas retenu le nom de l’auteur.
Après l’avoir accompagnée jusqu’au pied de l’immeuble où elle travaille, je monte dans le bus Vingt-Neuf et en descends à Opéra Quatre Septembre. Chez Edmond, mon voisin de comptoir demande à la gérante qui fait le service si elle a du mal à trouver du personnel. « Non, mais du personnel compétent oui. Entre ceux qui ont la compétence mais ne veulent pas bosser et ceux qui veulent bosser mais n’ont pas la compétence… »
Au second Book-Off, j’ai beau chercher, je ne trouve pas un seul livre à acheter. Je crois que c’est la première fois que je repose un panier vide.
Le retour est semblable à celui de la semaine dernière : la bétaillère de dix-sept heures quarante-huit mise à quai tardivement puis, après l’annonce d’un départ immédiat, pas le moindre mouvement pour cause de problème technique sur la motrice.
Quand c’est réglé, le retard est de vingt minutes. Il s’accroît en chemin. Conséquence de ce départ tardif, nous circulons derrière un omnibus.
Cela n’empêche pas un escadron de contrôleurs extrêmement motivés de vérifier les billets et les cartes de réduction. Une forte tête (un lecteur du Canard enchaîné) déclare avoir son billet mais ne pas vouloir le montrer en protestation contre les retards incessants. « Vous allez voir ce qui va vous arriver quand nous serons à Rouen », lui rétorque l’uniforme.
Celui-ci revient voir le récalcitrant avant de passer dans la voiture suivante :
-Je vous donne une dernière chance de me présenter votre titre de transport.
L’homme s’exécute. « Sous la menace », commente-t-il.
Arrivé à Rouen, je constate qu’il y a plu.
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Un bon livre m’est indispensable pour voyager sur ces lignes normandes totalement dégradées. Cette fois, c’est Mon père et moi de J. R. Ackerley (Salvy). Extrait ne concernant ni le père ni le fils mais la mère : Je me souviens aussi d’une époque où, au moment de se coucher, elle déposait son argent liquide et ses bagues sur une chaise, devant la porte de la chambre, avec un mot destiné aux cambrioleurs : « Prenez l’argent, mais épargnez notre vie. »
 

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