Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

11 juin 2018


Sans doute est-ce l’ultime fois que j’assiste à un concert dirigé par Antony Hermus, me dis-je en chemin pour l’Opéra de Rouen ce vendredi soir. On y est accueilli par de jeunes joueuses et joueurs de cor du Conservatoire. Elles et eux donnent l’aubade avant un concert qui a du cor, et emploient d’abord des cors droits, des Alpes je suppose, avant d’aller chercher leurs cors d’harmonie posés sur des chaises sur lesquelles des mal debout s’empressent d’aller s’asseoir. L’une des pièces jouées est accompagnée d’une sirène de pompier venue des quais de Seine. Avant que ce soit terminé je grimpe l’escalier.
Cette fois, malgré moult visites à la billetterie, je n’ai obtenu qu’une place dans la moitié supérieure du premier balcon, d’où j’entends le son du cor des débutants. Cette place n’a pas que des désavantages, on y a vue plongeante sur le plateau où chaque musicien est visible. A ma droite est assis un ancien enseignant de collège et lycée qui prétend me connaître, à ma gauche un autre que connaît le premier. Ce dernier est atteint d’un tic de gorge. Il racle toutes les dix minutes.
Antony Hermus est semblable à lui-même, ventre en avant et sourire à lunettes. Il conduit d’abord la Symphonie numéro sept en si mineur dite Inachevée de Franz Schubert qui ne comporte que deux mouvements. Ce n’est pas le Schubert que je préfère. Aussi, contrairement à certains qui se désolent de la fin non écrite, je n’en veux pas à Schubert de l’avoir laissée dans un tiroir.
Quand le maestro revient sur scène, il est accompagné par le corniste Félix Dervaux, vingt-huit ans, premier cor solo de l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam. Ce jeune homme en costume gris clair au faux air de Tintin donne un coup de vieux aux musiciens de l’Orchestre. Il joue sublimement sa partie du Concerto pour cor numéro un en mi bémol majeur de Richard Strauss. Le son du cor n’est pas forcément métallique, il peut être moelleux. Fort applaudi et rappelé plusieurs fois, il offre en bonus un solo qui lui permet des sons inusuels. « Il a une très bonne maîtrise de son cor », commente un homme derrière moi, c’était fatal.
Après l’entracte, c’est la Symphonie numéro sept en ré mineur d’Anton Dvořák. Les deux premiers mouvements ne m’emballent pas, mais le troisième quel plaisir, ainsi que le quatrième, pour lequel Antony Hermus se démène. A l’issue, il obtient un triomphe triomphal.
                                                                     *
Que pensent les musiciens de l’Orchestre lorsque joue devant eux un soliste de leur instrument qui les surpasse et qu’ils ne pourront jamais égaler ? Question que je me pose (me posais) à chaque fois. C’est quand même une humiliation publique.
                                                                     *
« Je me sens toujours le bienvenu à Rouen, avec des musiciens aussi fantastiques, un personnel très attentionné et un public très chaleureux ! J’y ai mes habitudes pour me promener dans la ville, prendre des cafés à mes adresses et piquer une tête dans la piscine quand j’en ai l’opportunité. », confie Antony Hermus à Vinciane Laumonier dans le livret programme.
En rentrant, j’essaie d’imaginer celui que celle qui m’accompagnait autrefois à l’Opéra de Rouen appelait le leprechaun piquant une tête dans la piscine.
 

9 juin 2018


Alerte orange dans l’Eure ce mercredi. Suite à l’énorme orage de la veille en amont, l’Iton doit sévèrement déborder à Evreux et dans les communes voisines. Des lieux publics sont fermés, des voitures et des animaux sont évacués. Je m’inquiète pour celle qui habite une petite maison au bord de cette rivière. Je tente de la joindre par téléphone mais elle ne répond pas et ne me rappelle pas. Je passe une mauvaise nuit, imaginant la maison complètement inondée, pour apprendre à mon lever que de débordement aucun.
En conséquence, c’est fatigué que je me rends à la gare de Rouen en ce jeudi de grève de cheminots afin d’y prendre le sept heures vingt-quatre pour Paris. La voix de la Senecefe souhaite bonne chance à tous ceux qui passent un examen et le train est à l’heure. Hélas, il est retenu en gare de Mantes-la-Jolie suite à un « signal radio ». De mauvaises langues suspectent des syndicalistes de Sud ou de la Cégété. Quand nous repartons, c’est pour emprunter l’itinéraire de remplacement par Conflans-Sainte-Honorine. Nous arrivons à Paris avec un retard de « trente minutes environ », ce qui évite la distribution d’imprimés de remboursement partiel du voyage.
Plus le temps de musarder avec le bus Vingt, je descends dans le métro Trois. Il est archi bondé. Dans la voiture où j’ai réussi à monter sont serrés comme sardines, mais stoïques, au moins deux classes de Cours Elémentaire. Quand ces bambins descendent à Havre-Caumartin, tout le monde veille à ce qu’il n’en reste aucun. Je change à Opéra et poursuis assis dans le Huit jusqu’à Ledru-Rollin.
J’ai un quart d’heure pour boire un café au Faubourg avant l’ouverture de Book-Off. J’y fais quelques petites affaires puis je traverse la rue du Faubourg Saint-Antoine afin de me réapprovisionner en carnets Muji.
A midi, je déjeune avenue Ledru-Rollin au Café Noisette d’un menu complet à seize euros (harengs pommes à l’huile, parmentier de canard, tiramisu au café) accompagné d’un quart de côtes-du-rhône à six euros. La cuisine est bonne et copieuse, la serveuse sympathique et jolie, le cadre agréable et calme, mais n’y mangent en même temps que moi qu’un duo de femmes et un homme seul.
Au moment de payer la serveuse me demande seize euros. Je lui dis qu’elle a oublié le vin. Elle me remercie. Elle doit penser que je suis honnête alors que ce n’est pas toujours le cas.
Il me faut un Guide du Routard Nord Pas de Calais un peu périmé mais pas trop. Pour cela, je marche vers le Quartier Latin. Épuisé, je fais une pause sur un banc dans le Jardin des Plantes face à la ménagerie, où je manque m’endormir. C’est fou le nombre de moutards scolarisés qui vont voir les singes et autres bestioles.
Pas de Routard Nord Pas de Calais en occasion chez Gibert Bleu, j’essaie sans plus de succès chez Boulinier dont les locaux sont de plus en plus dégradés et l’atmosphère étouffante. Mon dernier espoir est Gibert Jaune, où il faut ouvrir son sac à un vigile. « Ce sont des livres », lui dis-je en montrant les sacs en plastique qui les contiennent. Il me croit sur parole. Les Guides du Routard sont dehors, m’apprend un jeune homme nouvellement employé par la maison. Je ressors. J’ai la chance d’en trouver un du Nord Pas de Calais, neuf, mais datant de deux mille seize/dix-sept et pour cela à quatre euros soixante.
Le bus Vingt-Sept m’emmène à Opéra Quatre Septembre. Je bois un café au comptoir du Bistrot d’Edmond où on a malheureusement déroulé des écrans géants pour Roland Garros. Au second Book-Off, je trouve quelques livres pour alourdir mon sac. Pas de problème de train pour rentrer, le dix-sept heures quarante-huit est à quai, il part à l’heure, suit son chemin, est équipé d’un chef de bord de la rare espèce des anglophones et arrive quasiment sans retard à Rouen.
                                                                  *
Parmi les livres à un euro rapportés de chez Book-Off : Journaux 1912-1940 de Stefan Zweig (Belfond).
                                                                   *
Mon honnêteté est à géométrie variable. Si je range celle ou celui qui se trompe en ma faveur dans la catégorie des riches, je ne lui indique pas son erreur et m’empresse de disparaître avant qu’elle ou lui s’en aperçoive.
 

8 juin 2018


Ce mardi soir, le nombre important d’enfants à l’Opéra de Rouen me rappelle que je ne vais pas seulement ouïr un concert du Poème Harmonique, il s’agit aussi d’un spectacle pour les susdits. Tandis que je prends connaissance du livret programme s’active déjà sur scène le comédien Stefano Amori tel un technicien brouillon. Commencer le spectacle avant le début du spectacle, l’idée fut novatrice il y a un certain temps.
Vincent Dumestre et ses musiciens du Poème Harmonique s’installent et s’accordent puis cela commence comme un concert de musique baroque ordinaire et cela m’ennuie comme souvent. Il faut croire que l’ennui est facilement associé à cette musique et que Vincent Dumestre est un brin masochiste car l’individu que joue Stefano Amori arpente la scène en regardant sa montre. Quand il se met à passer l’aspirateur, je crains le pire mais ensuite tout s’accélère et prend de l’épaisseur, l’orchestre abandonne son répertoire pour celui d’airs connus n’ayant rien à voir avec le baroque tandis que Stefano Amori prouve qu’il n’a pas fait l’Ecole Internationale Marcel Marceau et l’Ecole Nationale du Cirque Annie Fratellini pour rien.
Tout cela fait rire les enfants, sourire les adultes et suscite moult applaudissements, dont les miens.
 

7 juin 2018


Faut-il qu’il fasse beau pour que j’aille quand même, avec la quasi-certitude de n’y rien trouver, pédestrement, jusqu’au lointain quartier Saint-Julien, rive gauche de Rouen. A cette heure matutinale ne sont dans les rues que les alcoolisés du ouiquennede. Certains bousculent les grillages protégeant les travaux sur le pont Boïeldieu.
La rue Saint-Sever est elle aussi en travaux, près de l’église du même nom. Les arbres ont morflé dans ce quartier où je ne vais plus. Il faut ensuite remonter la longue rue Saint-Julien jusqu’au rond-point. Au-delà de celui-ci les déballeurs sont déjà plus ou moins installés. J’ai confirmation de mon intuition, point de livres à mon goût. A en juger par ceux montrés, les habitants du quartier semblent avoir des soucis familiaux, liés notamment à l’anorexie et à l’autisme.
Je m’acharne à parcourir deux fois l’ensemble du déballage puis renonce. Prêt à rentrer en métro, je découvre sans réelle surprise que le prochain est dans vingt minutes. J’y renonce et fais bien car place Clemenceau je rencontre un chasseur de vinyles avec qui c’est toujours agréable de parler.
Il rentre du même lieu que moi, près duquel il habite, quasiment bredouille. Craignant de ne pouvoir se garer au retour, il n’a pas pris sa voiture pour aller au marché dominical du Clos Saint-Marc. Nous traversons la Seine de concert puis remontons la rue de la République en devisant. Il est question de Jean-Jacques Lebel et du Living Theatre, puis de Cami qu’il vient de découvrir.
                                                            *
L’emmerdeur. Il demande à quelle heure ça ouvre le Son du Cor alors que c’est écrit midi sur la porte. Je le snobe. Un autre lui dit midi. Il n’a pas l’heure alors il se penche vers ma montre pour regarder. Pas de chance, elle n’a pas de chiffres mais les vingt-six lettres de l’alphabet. Il n’y comprend rien. Bon bah je vais ailleurs, qu’il dit.
                                                           *
Mes élèves de maternelle aimaient bien ma montre alphabet. Je me souviens d’une prénommée Wendy à Igoville qui, à la récréation, surveillait l’avance de la grande aiguille vers l’initiale de son nom.
-Quelle heure il est ?
-Wendy moins le quart.
                                                           *
Cette montre Akteo, je l’ai achetée pour mes cinquante ans. Elle a donc dix-sept ans, n’est tombée en panne qu’une fois.
 

6 juin 2018


Sorti repu du Ferry-Boat, je longe la mer pour arriver au Musée Malraux, MuMa de son petit nom. Ses portes sont grandes ouvertes et nulle somme n’est à débourser au guichet pour cause de premier samedi du mois. Mon sac déposé dans un casier translucide, je franchis la porte qui mène à l’exposition thématique Né(e)s de l’écume et des rêves. On y est accueilli par trois représentations de Vénus de l’époque des pompiers où elle est néanmoins agréable à regarder. Viennent ensuite des sirènes, divers animaux marins, des plantes aquatiques et quelques naïades. Cela sous forme de tableaux, photographies, dessins, sculptures, installations et vidéos. C’est une exposition intéressante dont j’élis quelques œuvres : Nautinus de Sandra Vasquez de la Horra montrant l’étreinte entre un poulpe et un humain de sexe indéterminé, l’étonnante Reine Victoria en coquillages de Pascal Désir Maisonneuve, Vers nulle part une vidéo de Simon Faithfull dans laquelle un homme vu de dos marche au fond de la mer la chemise gonflée par les eaux, les trois photos noir et blanc de Rogi André Jacqueline Lamba (la nymphe) où l’on voit celle-ci nageant nue, et la Femme poisson de Rodin à la bouche si évocatrice.
-Non on y va, dit une mère à sa fille dans les dix ans allongée sur le sol pour dessiner le Capitaine Nemo de Pierre et Gilles, on ne va pas passer l’après-midi ici.
A travers les rideaux qui permettent de distinguer les immeubles Perret sont visibles deux jeunes femmes sur un balcon. Elles prouvent qu’il n’est pas nécessaire d’être sur la plage pour ne porter qu’un bikini. Je les photographie à leur insu. Une sexagénaire me lance un regard courroucé. S’il y avait un signal d’alarme, elle le tirerait.
Après être repassé par la collection permanente qui s’ouvre sur des petits Boudin, je récupère mon sac à dos et vais musarder sur le quai puis sur la digue. Le port de plaisance est fort animé en mouvements de bateaux.
-Elle est contente hein ? dit un homme
-Bah, ça la change, répond sa femme
Ils parlent de leur chienne qui trotte devant eux.
Le chemin jusqu’à la gare me semble bien long. Près du but, je bois un diabolo menthe à l’une des rares tables à l’ombre de l’Hôtel Restaurant La Baraka. A la table voisine, malgré la présence de sa fille de cinq ans, une jeune divorcée drague un beau mec qui ne veut pas les accompagner à la plage.
-Il faut que je passe l’aspirateur et la serpillière, c’est crado chez moi.
-Si tu veux, moi je le fais ton ménage.
-Ok, je te donne les clés  et je vais faire un tour, lui propose-t-il.
Elle veut bien faire son ménage mais en sa présence. Finalement, il les emmène elle et sa fille avec sa voiture. Elle passera l’aspirateur et lui la serpillière. Certaines femmes sont douées pour faire leur malheur.
En ce jour de grève de cheminots, le train de seize heures cinquante-quatre pour Rouen, qui doit aller jusqu’à Paris, est en panne. Un deuxième le remplace. Quand tout le monde y est installé, la Senecefe s’aperçoit qu’il n’y aura pas assez de place pour les voyageurs qui monteront à Vernon et à Mantes-la-Jolie. Tout le monde doit descendre et s’installer dans un troisième. Cela ne fait qu’un quart d’heure de retard au départ et à l’arrivée.
Le collectif « Rouen dans la rue » a bien réussi son coup avec la Grande Braderie. Me frayer un chemin jusqu’à chez moi dans la foule avide de se fringuer à moindre prix est une épreuve dont je sors indemne et énervé.
                                                                   *
Sur les cartels du MuMa, on nomme les artistes par leur vrai nom : Rudolf Gustav Maria Ernst Ubach dit Raoul Ubac,  Emmanuel Radnitsky dit Man Ray.
 

5 juin 2018


Direction Le Havre ce premier samedi de juin, dans un double petit Téheuherre parti de Rouen à sept heures précises et qui s’arrête partout, y compris à Foucart-Alvimare où la gare est murée. J’y ai un compartiment pour moi seul et suis heureusement en règle, car je découvre que dans ce genre de train, même un jour de grève, les billets peuvent être contrôlés.
A huit heures sept environ, je sors de la gare. Comme chaque fois, je suis les rails du tramouais jusqu’à l’Hôtel de Ville puis prends à gauche vers la mer, avec pour point de mire l’installation du double arceau de conteneurs colorés. Je m’arrête aux volcans grand et petit afin de repérer l’entrée de la bibliothèque Oscar Niemeyer. On y désherbe ce ouiquennede. L’endroit est photogénique, je sors mon appareil puis cherche où boire un café.
Trouver un bar ouvert au Havre le samedi à neuf heures, c’est difficultueux. Quartier Saint-François, Le Bon Coin est à demi ouvert. J’y vais au petit coin puis m’installe à la petite table ronde pour terminer la lecture d’Elise de Marcel Jouhandeau. Au comptoir, deux habitués sont rejoints par beaucoup d’autres plutôt jeunes. Quand il entre, chaque nouveau venu serre la main de tous les présents, y compris la mienne « bonjour, ça va ? ». On est comme ça au Havre, du moins ici. Tous carburent à la bière ou au vin blanc mais ce ne sont pas pour autant des pochards.
La vente des livres retirés de l’inventaire a pour nom Grande Braderie des Bibliothèques du Havre et doit commencer à onze heures. Ce pourquoi je quitte le Bon Coin vers dix heures et quart. Quand j’arrive au petit volcan, une file d’attente déjà imposante est visible derrière les barrières métalliques toutes neuves chargées de la canaliser, une file assise sur le petit muret blanc. Je pose mes fesses à la suite des autres. Plus qu’à attendre en profitant du soleil et en écoutant la conversation des deux jeunes femmes me précédant. L’une raconte que son bébé est obsédé par son zizi en ce moment. L’autre lui répond de ne pas s’en faire, cela lui passera. Derrière, la file s’allonge considérablement.
A l’heure dite, la porte s’ouvre. Tout le monde se lève et avance en suivant à l’intérieur un chemin balisé par du ruban rouge et blanc. Au bout, un pompier compte les entrants. Quand un certain nombre est atteint, il bloque la file. Je me félicite d’être arrivé sévèrement en avance.
Les bibliothécaires havrais ont désherbé avec parcimonie. Ce n’est pas ici que je vais trouver merveille. D’autres qui n’ont pas la même recherche remplissent des sacs à ne plus pouvoir les porter. Au bout d’un moment, une voix féminine demande aux présents de faire vite avant de laisser place aux suivants. Quand le pompier laisse entrer la deuxième vague, je juge inutile de persister et me place dans la file de sortie. Il faut faire enregistrer ses achats, on reçoit un bordereau, on va payer plus loin puis on suit des flèches jusqu’à la sortie. On est bigrement organisé ici. Devant l’entrée, la file d’attente ne semble pas avoir diminué.
Trouver un restaurant pas trop cher au Havre le samedi midi, c’est difficultueux. Après une vaine tentative à l’Hôtel Restaurant des Gens de Mer où manifestement on est encore à l’heure soviétique, j’échoue en bord de mer au Ferry-Boat. L’aimable patron me donne une table à l’ombre en terrasse. La vue est imprenable sur l’immeuble flottant Costa Pacifica, paquebot de croisière où l’on n’est pas superstitieux car il dispose de treize canots de sauvetage de chaque côté. A sa gauche, le ferry pour l’Angleterre. A sa droite, le double arceau de conteneurs colorés.
Je prends la formule plat dessert café à quatorze euros et commande des tripes à la mode de Caen, le genre de plat qu’il vaut mieux manger seul, cela évite d’entendre « comment peux-tu aimer un truc pareil ? » J’accompagne ce mets raffiné d’un quart de vin rouge corse à six euros. Le dessert est une tarte au citron meringuée que je ne jurerais pas de la maison.
                                                              *
Un buveur de bière du Bon Coin :
-Tu sais que c’est rétroactif, qu’a m’a dit. Ouah l’autre, elle a été à l’école plus que moi.
Il parle de son ex femme qui lui a permis de récupérer pas mal d’argent. Du coup, il lui a versé une bonne somme. La banque s’en est étonnée. « Bah quoi, c’est mon argent, j’en fais ce que je veux. »
 

4 juin 2018


Les places sont non numérotées cette année pour la soirée de présentation de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf à l’Opéra de Rouen. En conséquence, ça s’agglutine devant les portes de la salle dans l’attente de l’ouverture. J’observe comment le plus grand des abonnés de première catégorie se faufile entre ceux qui étaient là avant lui, suivi de sa femme et des amis de même acabit. Au feu vert, il est en tête de la bousculade.
Ce beau monde trouve à s’asseoir sans déchoir, c’est-à-dire au premier rang de la corbeille, même si ce n’est pas sur les sièges qui au fil des années ont pris la forme de leur fessier.
Je me contente d’une place en loge, au plus près de la sortie. Deux femmes m’y tiennent compagnie puis arrivent deux autres, dont l’une en fauteuil. Nous nous serrons : deux à gauche, deux à droite, moi au milieu. Cela devient intime.
A vingt heures, depuis le fond de la scène marchent vers nous quatre hommes que personne n’applaudit. Il faut que les techniciens dans la loge à notre droite tapent fort dans leurs mains pour qu’une partie du public les suive.
Le premier est Loïc Lachenal, nouveau Directeur, qui dit bonjour merci. Il passe le relais au deuxième, Hervé Morin, Duc de Normandie, Président de l’Opéra, qui parle cinq minutes pour se flatter du label Théâtre Lyrique d’Intérêt National puis passe le relais au troisième, Frédéric Sanchez, Chef de La Métropole, qui parle cinq minutes pour annoncer que désormais l’Opéra de Rouen est localement de son ressort puis passe le relais au quatrième, Jean-Paul Ollivier, Drac de Normandie, qui excuse l’absence de la  Préfète. Je n’en applaudis aucun et je ne suis pas le seul. Les trois derniers s’éclipsent.
Loïc Lachenal se place devant un prompteur et énumère les spectacles de la saison prochaine tandis que derrière lui sont diffusées des images arrêtées ou mouvantes illustrant ses propos.
-Vous comprenez ce qu’il dit, me demande ma voisine de droite, ou c’est moi qui entends mal.
-Il a des problèmes d’élocution, lui dis-je.
-Et il ne parle jamais de musique, constate la voisine en fauteuil.
Pas de thème pour cette année mais une couleur d’affiche : le rose fluo. La même en couverture des programmes. Moins de spectacles au Théâtre des Arts. Davantage à la Chapelle Corneille, cette salle trop dorée que je ne supporte pas. Des habitués (accentus, Pécou, Poème Harmonique et autres). Des déjà venus (Fabre, Preljocaj et autres). Beaucoup de divertissement (concerts goûter, opéras participatifs et au tournant du changement d’année, c’est les fêtes, soyons bêtes : Mam’selle Nitouche, Les Parapluies de Cherbourg et Music of Abba). L’Opéra récupérant L’Etincelle, l’un des débris du Hangar Vingt-Trois, il y aura aussi de la musique du monde. « Plus de jazz », déplore ma voisine de gauche.
Arrivé au bout de sa liste, Loïc Lachenal passe vite sur les nouvelles formules d’abonnement, dont la plus favorable propose le moitié prix pour vingt spectacles ou plus. Un dépliant compliqué permet de réserver sur papier. Je plains les employé(e)s de la billetterie.
Comme final, on assiste à un grand moment de démagogie à double détente.
Acte un : surjouant l’émotion, Loïc Lachenal évoque un gars de la technique qui part à la retraite ce soir même et dont la photo apparaît sur l’écran géant.
Acte deux : il invite sur scène des représentants des différents corps de métier qui œuvrent en commun pour la réussite de ce magnifique établissement, parmi eux des musiciens qui se font instrumentaliser et le retraité réjoui que le nouveau Directeur prend dans ses bras pour un câlin à l’américaine.
A aucun moment Loïc Lachenal n’a cité le nom de son prédécesseur : Frédéric Roels, ni même ne l’a évoqué indirectement.
-Tout ça ne donne pas vraiment envie d’assister à des spectacles, me dit la voisine en fauteuil.
-Non, mais les images  ça peut donner envie d’aller au cinéma, lui réponds-je.
Ces voisines, bien que navrées, sont néanmoins prêtes à accepter la nouvelle règle du jeu et à cocher les petites cases du bulletin d’abonnement. Pas moi.
Des flûtes emplies de liquide rose fluo nous attendent sur le bar. Je demande à l’une des serveuses ce que c’est. Une sorte de kir amélioré. « Moins cher que le champagne », lui dis-je. Elle ne se hasarde pas à commenter.
Sur les tables sont présentées des purées de légumes et du pain pour les étaler. « C’est furieusement écologique, dis-je à l’un des serveurs, dommage que ce ne soit plus les cochonneries des années précédentes. »  Il ne se hasarde pas à commenter.
Je m’aide de quelques cubes de fromage pour boire jusqu’au bout la mixture rose fluo bien trop sucrée puis je vais reposer mon verre. Il est neuf heures vingt. Je quitte les festivités. Devant moi, un sac en plastique à la main, marche Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action, vite parti lui aussi.
                                                                  *
« Et, avec David Bobée, metteur en scène dont je me sens très proche, nous ferons à la Chapelle Corneille un pastiche d’œuvres de Haendel interprétées par des acrobates. Un spectacle à tendance féministe qui sera assez sympa, je pense. » (Loïc Lachenal, interrogé par forumopera com)
                                                                  *
Quand on craint de n’être pas applaudi pour soi-même, on se fait applaudir au milieu d’autres qui le méritent.
 

2 juin 2018


Alerté par je ne sais quel signal mental, je fais une recherche ce mardi pour trouver la date de la vente de livres d’occasion de l’association La Bibliothèque à l’Hôpital qui se tient chaque année au Céhachu de Rouen et découvre que c’est ce jeudi à dix heures (je l’ai manquée l’an dernier faute d’information). Il s’agit pour l’association de vendre des livres un euro pour en acheter d’autres au bénéfice des malades.
Dès neuf heures et quart je suis en chemin. J’entre par la porte Germont d’où l’on rejoint facilement l’anneau central où a lieu le déballage. Arrivé sur place, je constate que je ne suis pas assez en avance. La vente est déjà en cours. Beaucoup de blouses blanches se pressent autour des tables, ainsi qu’un hospitalisé qui promène une perfusion à l’aide d’une potence à roulettes et un plus ou moins bouquiniste de ma connaissance.
Il y a deux ans, parmi les livres vendus, certains étaient quasiment neufs et le choix était grand. Ce n’est pas le cas cette fois. La plupart des ouvrages proposés sont des romans peu récents de qualité variable. Le semi professionnel rafle ce qu’il peut dans les ouvrages d’histoire.
Pour ma part, je suis quand même satisfait de trouver Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), auteur qui m’intéresse pour l’avoir entendu sur France Culture. Dire notamment que si d’autres sont sur les réseaux sociaux, lui est sur les réseaux asociaux. J’espère ne pas être déçu par la lecture du récit de son voyage pédestre en diagonale dans la France.
Il n’est pas encore l’heure officielle d’ouverture de la vente au public lorsque je quitte le Centre Hospitalier Universitaire Charles-Nicolle.
                                                               *
Autre auteur m’ayant séduit par ses propos sur France Culture : Aurélien Bellanger. Grosse déception avec son roman La théorie de l’information (Gallimard), acheté un euro chez Book-Off, et lu en diagonale dans mon lit. C’est lourd, démonstratif, ennuyeux.
 

1 2 3 4