Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

9 octobre 2020


Le temps annoncé incertain me conduit à rester à Saint-Quay ce jeudi. Dès le jour levé, je prends le sentier côtier, direction les ports. Ce chemin offre des beautés dont je ne suis pas rassasié. Malheureusement, l’éboulement à hauteur du sémaphore semble sérieux. Plus question de passer devant celui-ci. Le contourner par la route est désagréable.
Cela me permet néanmoins de voir le derrière de la turquerie. J’entre même dans ce qui est le parquigne de l’hôtel Ker Moor et fais des photos de cette bâtisse fantasmatique auquel est adjointe la partie contemporaine de l’hôtel, tristement fonctionnelle. Un homme à valise en sort à qui je demande si des chambres sont proposées dans le bâtiment d’inspiration mauresque. Il ne sait pas, me conseille d’aller demander à l’accueil où ils sont très gentils.
Encouragé par ce propos je m’y risque et pose la question à la femme qui trône derrière une vitre comme une employée de la Sécurité Sociale.
-Oh non non non, c’est privé ça, ça n’a rien à voir avec l’hôtel, me répond-elle d’un ton que je ne qualifierais pas d’aimable.
Comment le propriétaire de la turquerie a-t-il pu accepter la construction de ce moche hôtel qui lui est accolé ? Mon hypothèse est qu’il a des intérêts dans l’hôtellerie. Quoi qu’il en soit, je ne confondrai plus l’hôtel Ker Moor et la villa Kermor.
Rejoignant le sentier par la venelle de la Comtesse, je poursuis jusqu’à Port d’Armor. De l’un de ses bâtiments s’échappe un panache de vapeur d’eau. Ici fonctionnent des usines à poisson. Elles sont inapprochables.
Je longe ensuite le port d’échouage du Portrieux jusqu’au Poisson Rouge. Je suis le seul client en terrasse. Il y fait doux, suffisamment pour lire la Correspondance de Paul Léautaud, dont j’approche de la fin.
Quand je commence à avoir frais, je reprends la marche, décidé à aller voir le bout du bout de Saint-Quay, là où se trouve le chantier naval, à la frontière avec Etables. J’en traverse une partie, sans être sûr d’en avoir le droit, afin de rejoindre la digue qui, à son extrémité, fait face au phare situé sur la mâchoire inférieure du Port d’Armor. On ne peut pas aller plus loin. En me retournant, je distingue, au loin, dans la brume, la croix de la pointe de la Rognouse.
C’est dans ce Port d’Armor qu’à midi je déjeune une nouvelle fois au restaurant Les Plaisanciers qui devrait plutôt s’appeler Les Ouvriers tant ils constituent l’essentiel de sa clientèle. Le vent empêchant l’extérieur, je mange dans la terrasse fermée, pas rassuré par le nombre d’individus démasqués autour de moi. Après le buffet d’entrées, je choisis l’aile de raie aux câpres, la mousse au chocolat, un café, et je suis content quand je suis de nouveau dehors.
Le temps se maintenant, je prends un second café à la terrasse du Poisson Rouge, toujours épargnée par le vent. A ma droite est un couple de retraités mangeant des crêpes. Quand ils se lèvent pour partir, l’homme se tourne vers moi :
-Pardon monsieur, je peux pas résister : qu’est-ce que vous lisez avec autant de passion ?
-La Correspondance de Léautaud.
-Ah bah, ça m’étonne pas. Merci de m’avoir répondu.
Peut-être effectivement connaît-il, peut-être pas. Quoi qu’il en soit, un peu plus tard j’arrive à la fin, page mille deux cent vingt-sept. La dernière lettre de Léautaud est datée du onze janvier mil neuf cent cinquante-six, il meurt le vingt-six février.
                                                                              *.
Il y a presque trois ans, en conclusion de mon texte intitulé « Pomme en concert à l’Hôtel de Région », j’écrivais Pomme serait l’invitée idéale de Remède à la mélancolie, l’émission d’Eva Bester sur France Inter, la seule émission de cette chaîne qui soit écoutable, le dimanche à dix heures, au moment où c’est la messe sur France Culture.
« merci! et j'adorerais aller à l'émission remède à la mélancolie sur france inter;) », me répondait-elle.
Ce sera chose faite ce dimanche.
 

8 octobre 2020


Point de collégienne pour s’asseoir à côté de moi ce mercredi à l’arrêt Casino du BreizhGo, mais un lycéen tout aussi poli. Et point de destination Saint-Brieuc, je descends à Binic, « le grain de beauté des Côtes-d'Armor ». Le jour n’a pas fini de se lever. Je lui laisse un peu de temps en buvant un allongé à la terrasse du bar tabac Le Narval, vue sur le port, un euro vingt.
Celui-ci bu, je parcours le côté nord du port de plaisance puis de l’avant-port, jusqu’au bout de la digue de Penthièvre où se trouvent le phare et un pêcheur. Je tente ensuite d’accéder à la plage par un tunnel un peu flippant mais l’inondation qui a touché Binic lors du passage d’Alex y a laissé une mare d’eau.
Le temps ayant l’air de se tenir, je décide de rejoindre le Géherre Trente-Quatre et d’y marcher en direction de Saint-Quay. On y accède par une succession de plans inclinés de la plus belle esthétique. Je longe d’abord la plage de l’Avant-Port puis me heurte à une barrière. Un éboulement oblige à un court détour par l’intérieur, ce qui me met en présence de beaux chevaux que leur propriétaire est en train de nourrir. Le sentier retrouvé, j’aperçois la pointe de la Rognouse où, tel un avertissement, est plantée une croix. Je l’ai bientôt atteinte.
De là est visible au loin le bout du port de Saint-Quay. Mon objectif n’est pas de rentrer à pied. Je fais demi-tour et alors qu’à aller je marchais seul, je dois maintenant compter avec des locaux munis ou non de chiens. Arrivé à l’avant-port, je réserve une table d’extérieur, sous la pergola, à la Cabane à Crabes, puis vais prendre un café Léautaud au Chaland Qui Passe (un euro quarante).
Les gens d’ici ont l’air plus stressés par le Covid que ceux de Saint-Quay et de Saint-Brieuc. On trouve même des sens uniques sur les trottoirs. Ce doit être une conséquence de la fréquentation d’été. Quant à moi, je ne suis pas tranquille, mais depuis que j’ai quitté Paimpol, je me passe du masque dans les rues, faisant toujours en sorte d’être à au moins deux mètres de quiconque.
A midi, je prends possession de ma table de bord de port à la Cabane à Crabes. Le menu Cabane propose six huîtres suivies soit d’un demi-crabe soit d’un crabe entier et du dessert du jour, première possibilité à dix-neuf euros, seconde à vingt-cinq. Pourquoi économiser six euros ?
Avant que l’animal me soit présenté, le serveur apporte l’outillage nécessaire et un seau en plastique noir qu’il pose au sol pour les déchets, puis il revient avec un gros maillet. Oh my God, qu’est-ce que je vais faire de ça ? C’est pour casser les pinces, me dit-il, mais vous pouvez aussi utiliser le casse-noix. Ouf.
Tout arrive ensemble, les six belles huîtres, le crabe dont il n’y a qu’à soulever le couvercle et les pommes de terre en robe des champs. Je me débrouille mieux que je ne pensais pour ces travaux manuels. A la table voisine est un couple ayant choisi une moitié pour lui et un entier pour elle. Cette dernière ne craint pas d’utiliser le maillet à grand bruit. A croire que toute sa vie, elle a assommé des taureaux. Le dessert est une profiterole à deux boules. Avec mon demi de chardonnay, cela fait un peu plus de trente-six euros.
Sorti de cette cabane, je prends le soleil sur l’un des bancs du promontoire qui domine l’avant-port d’où je vois une jeune femme qui nage dans l’eau calme. Quand elle se rhabille près des cabanes colorées de la plage, je constate malgré la distance qu’elle a de jolis petits seins.
Le café, je le bois au Narval où je tente ensuite de lire Léautaud malgré la présence d’une institutrice de maternelle qui raconte à son amie comment depuis trois semaines elle prépare son inspection. Cette intellectuelle rêve d’une chose : aller voir le concert des Enfoirés et répond à tout ce que lui dit sa copine par un assommant « Ouais ouais ouais ouais ouais ».
Alors que j’attends le BreizhGo du retour devant le Crédit Agricole, je me dis que cette fois, la Météo Agricole a vu juste : zéro millimètre de pluie ce mercredi à Binic, « le grain de beauté des Côtes-d'Armor ».
                                                                            *
Nous sommes en mil neuf cent quatre-vingt-onze. Des publicitaires cherchent comment faire connaître Binic. Ils posent une carte des Côtes-d'Armor sur la table, et mettent un point à l'emplacement de la station. L'un d'eux a une illumination, il voit dans le département la robe de Bécassine avec un décolleté sur la baie de Saint-Brieuc. L'agence sollicite une jeune femme pour faire une photo. On lui peint la poitrine en bleu, on lui met une robe verte à liseré blanc et on lui place un morceau de buvard mâché sur le sein gauche, là où se situe Binic, en guise de grain de beauté, et voilà une affiche faite avec pour légende : « Binic, le grain de beauté des Côtes-d'Armor ».
Patrick Poivre (d’Arvor) qui présente le journal télévisé en parle et la montre, et bingo !
Il va de soi qu’une telle chose ne serait plus possible dans notre vertueux vingt et unième siècle.
 

7 octobre 2020


Ce mardi matin, le jour pas levé, j’attends le BreizhGo Paimpol Saint-Brieuc sur le banc de l’arrêt du Casino. La même collégienne que l’autre jour vient s’asseoir à côté de moi et cette fois me dit bonjour.
En route, le chauffeur doit faire fonctionner ses essuie-glaces plusieurs fois mais quand je descends à l’arrêt Les Champs, ce sont les dernières gouttes. J’achète un croissant et un pain au chocolat à la boulangerie conseillée et vais les manger avec un café au bar La Cigogne, cette fois à l’intérieur, tout au fond, le plus loin possible d’autrui.
Je descends ensuite par une route qui n’est pas la plus courte vers la vallée du Gouët et finis par arriver au port du Légué où ont eu lieu de sévères inondations pendant l’épisode Alex. Il n’en reste aucune trace. Ce port de plaisance stocke des voiliers dont la plupart ne bougent jamais. Il n’est remarquable que par le viaduc qui le surplombe, sur lequel le BreizhGo est passé tout à l’heure.
Pour remonter, après avoir longé le Carré Rosengart, réhabilitation (restaurant, salles de conférence, de co-travail, etc.) du plus grand espace industriel de Saint-Brieuc (furent ici l’usine Rosengart, où l’on mit au point le moteur de hors-bord, et la bien connue Chaffoteaux et Maury), je traverse le parc pentu de Rohannec’h qui entoure la villa du même nom, d’inspiration italienne, sur les fenêtres de laquelle en capitales est écrit « Maison Atelier ». A la sortie de ce parc, j’enjambe les quatre voies de la Nationale Douze puis prends le boulevard en face qui mène tout droit au quartier Saint-Michel. Au carrefour avec la rue Lavoisier, je prends à gauche afin d’aller voir, au numéro treize, la maison de Louis Guilloux.
Devant une bâtisse classique est un bâtiment parallélépipédique blanc avec toit terrasse où est apposé une plaque sur laquelle il est écrit que Guilloux fit construire cette maison en mil neuf cent trente-deux. Son bureau était dans la soupente d’où il avait vue d’un côté sur la ville et de l’autre sur la baie. Cette maison était visitable mais ne l’est plus. Le corps de l’écrivain est enterré au cimetière Saint-Michel où je n’ai pas envie d’aller.
Je reprends mon chemin vers le centre et fais un détour par l’église Saint-Michel où le Maréchal Foch (qui a une rue dans le quartier) épousa sa Briochine. L’architecture de cette église étant aussi lourde que celle d’une caserne, il n’a pas dû être dépaysé.
Revenu dans le centre historique, je m’installe au soleil près de la Cathédrale et de la Halle Georges Brassens à la terrasse de La Grange pour un café d’abord puis pour un déjeuner entrée (tarte merguez ratatouille) plat (rôti de bœuf sauce au vin échalotes écrasé de pommes de terre) sans le mauvais vin. Ce repas raccourci me permet de rentrer à Saint-Quay par le BreizhGo de treize heures dix-sept.
                                                                          *
Sous la Halle, pendant mon café, une interviou filmée de je ne sais qui par je ne sais qui. « Soyez naturel » « Vous avez peut-être trop préparé » « Ne bloquez pas sur votre texte » « « Par contre faut pas bouger » « On respire » « On arrête de bouger ».
                                                                          *
Je ne crois pas être arrivé au bout du Sang noir de Louis Guilloux et n’ai jamais eu envie de lire autre chose de lui.
 

6 octobre 2020


Je me garde d’envisager d’aller ailleurs avec le car Paimpol Saint-Brieuc ce lundi matin, le craignant empli d’internes à valise. Par ailleurs, comme je le découvre en allant à la boulangerie, il pleut davantage qu’annoncé.
Après avoir acheté trois crêpes au Fournil du Casino, je rentre petit-déjeuner puis, ressors, armé de mon parapluie, décidé à marcher droit, tel un Don Quichotte, sur un moulin à vent que j’ai aperçu hier sur les hauteurs de la ville.
Quand j’y arrive, je le découvre en majesté, grand, restauré, et même en état de marche, mais pas en activité ce jour. Il a pour nom le moulin Saint Michel car sur la butte où il est érigé se tenait autrefois une chapelle consacrée à l’archange.
Je réussis à en faire une photo sous le parapluie puis en redescendant vers le centre je trouve une flèche indiquant le lavoir du Merle. Je me mets à sa recherche. Il se trouve logiquement rue du Merle et est des plus discrets, quelques marches au bord d’un ruisselet. Oui mais les jours d’Alex, ce ruisselet a fait des siennes, il s’est répandu. Un employé municipal est là qui enlève des boudins placés devant les portes d’entrée des habitations les plus proches, deux maisons contigües occupées par une vieille femme pour l’une et un vieil homme pour l’autre.
-On n’est pas les plus malheureux, déclare ce dernier à l’employé, quand on voit ce qui se passe dans le sud, les maisons écroulées et les morts.
J’ai quelques scrupules à sortir mon appareil dans ces conditions mais je fais quand même une photo de ce petit lavoir, puis, consultant mon plan, trouve le chemin le plus court vers le port. A l’arrivée, je suis bien content de découvrir Le Poisson Rouge ouvert.
Installé à sa terrasse, je peux lire un peu des lettres de Léautaud. J’ai pour voisines des femmes qui sortent de la bâtisse d’à côté où est installée une ressourcerie par échanges (tu apportes quelque chose et tu repars avec autre chose). Il y a aussi un groupe composé de pratiquant(e)s de la gymnastique et de leur moniteur. Ils ont renoncé au cours du jour sur la plage. « A la place de lever la jambe, on lève le coude », constate l’une.
Quand la mer commence à descendre, il pleut toujours autant. Ce n’est pas aujourd’hui que ça va se lever à la renverse.
Il est onze heures quand je quitte les lieux pour aller boire un autre café aux Plaisanciers, à l’intérieur cette fois. J’y réserve une table pour le déjeuner. Dès midi moins le quart, la patronne me dit que je peux y aller.
Je suis cette fois dans une salle où déjeunent surtout des ouvriers. Je profite une nouvelle fois de l’imposant buffet d’entrées puis choisis la poitrine de porc et son écrasé de pommes de terre et un gâteau au chocolat.
La pluie, une sorte de mouillasse, perdure, ne me laissant pas d’autre choix que de rentrer par les rues intérieures, là où mon parapluie ne risque pas d’être retourné par une bourrasque.
                                                                        *
Ces ouvriers qui arrivent masqués, comme ils sont, je suppose, sur leur lieu de travail, les voici qui passent une heure démasqués à la même table de restaurant, à vingt centimètres l’un de l’autre. Logiquement, chacun devrait manger seul à une table. Evidemment, ce ne serait pas une affaire pour les restaurateurs.
                                                                        *
Ni Météo France, ni La Chaîne Météo, ni La Météo Agricole, ne savent prévoir le temps des Côtes d’Armor. Le Télégramme, parcouru aux Plaisanciers, annonce du mieux jusqu’à samedi. Je vais voir s’il est plus fiable.
                                                                        *
Voici Paris en rouge écarlate et ses bars fermés. Donc plus moyen pour les touristes et les gens de passage d’aller aux toilettes ailleurs que dans les publiques, le plus souvent répugnantes.
                                                                         *
De quelle couleur sera Rouen quand j’y rentrerai ? Rouge tomate ? Rouge pivoine ?
 

5 octobre 2020


Ce dimanche matin un arc-en-ciel enserre Saint-Quay. Il est la preuve qu’il pleut encore quelque part mais qu’il y a aussi du soleil. Celui-ci gagne du terrain et comme il n’y a plus de vent, je m’engage sur le chemin côtier en direction des ports. La marée est bien haute et la mer encore agitée. La piscine de mer est totalement sous les eaux. N’est visible que son plongeoir. En arrivant à proximité du sémaphore, je trouve une barrière en travers du sentier. Une affichette indique qu’un éboulement a eu lieu suite aux pluies abondantes. Je dois contourner le bâtiment militaire par la rue. Un peu plus loin, le chemin retrouvé, une énorme masse de terre brune menace de choir sur celui-ci. Elle n’est retenue que par un grillage abimé. Je passe vite devant, conscient de faire une imprudence.
Mauvaise surprise en arrivant au port d’échouage : Le Poisson Rouge qui était ouvert l’autre dimanche, est fermé. Je me rabats sur L’Ecume pour boire un café, surtout pas à l’intérieur, à sa terrasse entourée de panneaux vitrés.
Comme il y fait doux, je m’attarde à lire les lettres de Léautaud, puis je me mets à la recherche de la chapelle Sainte Anne. Je la découvre blanche. Je photographie également des demeures du quartier pour mon dossier « Maisons de Saint-Quay ».
Ne pouvant réitérer mon déjeuner dominical huîtres et crêpes au Poisson Rouge, je me rabats sur Les Terrasses du Port, restaurant situé au-dessus des Plaisanciers, dont la salle est en forme de proue. A bâbord, port d’Armor. A tribord, le port du Portrieux. Devant, le grand large. A peine y suis-je assis que s’abat une drache.
J’opte pour de la crêperie : galette chèvre jambon miel et crêpe pommes caramélisées. Si la première est décevante, au moins la seconde est-elle bonne. La salle étant petite et le nombre d’arrivants augmentant, je ne m’attarde pas dans cette auberge où je paie quinze euros tout rond. Peu de nourriture, peu de cuisine, la crêperie est quand même une bonne grosse arnaque.
Je rentre par les rues intérieures désertes sous une moitié de ciel bleu et m’arrête cette fois devant le cinéma Arletty, à l’architecture balnéaire, puis devant la plus étrange habitation de la ville, plate à tourelle rose. Saint-Quay n’en finit pas de me révéler ses curiosités. Ultime étape, je bois un café à la terrasse sous auvent du Café de la Plage. Je lis là encore un peu de Léautaud puis suis chassé par une recrudescence du vent.
                                                          *
Au bar L’Ecume un trio de femmes quinquagénaires. Chacune des trois s’adresse aux deux autres par « Les filles ». Cela me surprendra toujours.
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Comment s’étonner que les oiseaux d’ici soient dégénérés, avec tous ces nigauds qui leur donnent à manger quand ils sont en terrasse (façon d’exercer son pouvoir même sur la faune non domestiquée).
Souvent en se cachant des patrons de bars ou restaurants, qui eux les chassent.
                                                          *
« Ce ne sont pas encore des coquilles Saint-Jacques de l’année, ce sont des décongelées de l’année dernière », explique une serveuse des Terrasses du Port à des clients qui en souhaitent. « La pêche devait commencer samedi mais avec la tempête… », ajoute-t-elle. « De toute façon, il faut qu’elles passent par Rungis pour être étiquetées avant de revenir ici », conclut-elle.
Saint-Quay est le premier port de pêche français de cet animal marin.
 

4 octobre 2020


Ce samedi aux aurores, le vent, accompagné de pluie drue, souffle bien plus fort qu’hier. La porte-fenêtre en gémit. J’apprends par ailleurs qu’Alex a fait des disparus (donc des morts) et d’énormes dégâts dans les Alpes-Maritimes. Cette bombe en était donc une, mais à retardement.
Malgré ce foutu temps, dès le jour levé, je vais à la boulangerie. La mer est beaucoup plus grosse qu’hier. Tout en écume, elle s’attaque aux rochers et à la plage du Casino.
On voyait les chevaux d'la mer
Qui fonçaient, la tête la première
Et qui fracassaient leur crinière
Devant le casino désert...
Nous ne sommes pas à Ostende et la barmaid n’a pas dix-huit ans, mais pour le reste c’est tout à fait ça.
Je rentre lessivé de cette courte sortie. Ecoutant les infos de France Culture pendant mon petit-déjeuner, j’apprends que Trump a attrapé le Covid. Il semblerait qu’il ne le soigne ni à la javel ni à l’hydroxychloroquine. Il aurait été contaminé lors de la cérémonie d’annonce du nom de la remplaçante de la juge démocrate Ruth Bader Ginsburg à la Cour Suprême. Vu son âge et son surpoids, cela peut mal se terminer pour lui. La mort de cette juge pourrait donc avoir pour conséquence celle de Trump. Etonnant, non ? (comme disait quelqu’un).
Vers onze heures et demie, la pluie et le vent n’ayant pas diminué d’intensité, je traverse Saint-Quay par les rues intérieures jusqu’à Port d’Armor dans lequel les bateaux sont remarquablement à l’abri. Pas un ne bouge, alors que tout autour la mer est déchaînée. C’est le bruit qui est le plus effrayant. Il m’irrite les nerfs.
Une serveuse des Plaisanciers m’installe à la terrasse fermée et chauffée. Je déjeune du menu à douze euros quatre-vingts au généreux buffet d’entrées, choisissant pour la suite l’osso buco aux pâtes et la mousse au chocolat. Je mange seul un long moment sous cet abri secoué par le vent puis suis rejoint par deux vieux motards ventrus et par un quadragénaire accompagné de deux vingtenaires.
-Vous êtes des ouvriers ? demande la serveuse à ces derniers. Vous travaillez sur le port ? Je vous demande ça parce qu’avec le menu les ouvriers ont droit à la boisson, eau vin ou limonade.
Ils sont contents de l’appendre mais après son départ s’interrogent, un peu vexés : « A quoi ça se voit qu’on est des ouvriers. On n’est pas sale. A nos vestes peut-être. » Je crois que c’est surtout la composition du trio qui lui a fait supposer que c'étaient des travailleurs : un homme de quarante ans avec deux garçon de vingt qui n’ont pas l’air d’être ses enfants.
Après un café à un euro trente, je rentre et cette fois suis face au vent. A l’arrivée, je suis complètement trempé malgré mon coupe-vent imperméable à capuche. Pour me remettre, je me verse un verre du cidre bio des Vergers Réginéens de Plestan offert par ma logeuse.
Quand la bouteille sera vide, si le temps ne change pas, je crains de finir par aller me consoler, non pas au Kasino, mais à la confiserie que je croyais fermée jusqu’à la saison prochaine, qui n’était qu’en congé, et a rouvert à l’arrivée d’Alex. Elle a nom Ker Suçons.
                                                                 *
La pluie, okay. Le vent, okay. La pluie et le vent ensemble, non !
                                                                 *
Comme à Ostende / Et comme partout / Quand sur la ville / Tombe la pluie / Et qu'on s'demande / Si c'est utile / Et puis surtout / Si ça vaut l'coup / Si ça vaut l'coup / D'vivre sa vie...

 

3 octobre 2020


C’est vers deux heures du matin que le vent y va fort mais sans y aller extrêmement fort. Point de « bombe météorologique » sur la Bretagne, Alex fait figure de bombinette. Le confirme le site du Télégramme qui ne trouve à montrer que des toitures arrachées et des arbres chus.
Le jour levé, j’affronte vent et pluie à l’aide de mon courage et de mon coupe-vent imperméable pour aller à la boulangerie. Sur la plage du Casino et contre les rochers alentour la mer est énervée sans être déchaînée.
Sitôt croissant et pain au chocolat achetés je rentre et les accompagne de thé vert. Cette journée sera casanière.
Elle me permet de tapoter les extraits de lettres de Léautaud dont j’ai noté les pages dans mon petit carnet Hema. C’est aussi l’occasion de déboucher la bouteille de cidre bio que m’a offert ma jeune logeuse en signe de bienvenue dans son appartement. Comme je n’ai ouvert le frigo qu’hier, je l’ai trouvée tardivement. « Vous pouvez fouiller partout si vous avez besoin de quelque chose », m’a-t-elle dit le jour de mon installation. De ça, je suis incapable.
Quelle nuit aura été celle de cette jeune femme découverte campant sous les deux beaux arbres de la pointe de Guilben ? Le temps sera pourri au moins jusqu’à dimanche. Je pense que son objectif d’atteindre Brest est compromis.
Un peu avant midi, je m’arme encore une fois de courage et de mon vêtement anti intempérie pour faire les deux cents mètres qui me séparent du Café de la Plage. J’y déjeune du menu à dix-neuf euros. Aujourd’hui, c’est rillette de thon mousse curry, julienne snackée aubergine carotte, financier noisette glace chocolat et toujours aussi bon.
Dommage que les deux jeunes femmes installées à ma gauche ne soient arrivées que lorsque j’en étais au dessert. Elles commençaient à parlaient de leur vie sentimentale. Ça aurait pu m’intéresser.
                                                                      *
Quoi de Léautaud ? Echantillon :
Je suis tombé d’une façon très heureuse, et après quelques jours de repos, les douleurs qui m’immobilisent dans mon lit, seront, j’espère, disparues, et je pourrai reprendre le cours insipide de mon existence. Paris le vingt-huit juillet mil huit cent quatre-vingt-dix-huit à Paul Valéry
J’ai oublié, moi qui le connaissais si bien pourtant, le mot de Talleyrand : « Méfiez-vous du premier mouvement : il est toujours généreux. » Je ne l’oublierai plus. Paris le trente et un décembre mil neuf cent six à Paul Valéry (après avoir été mal récompensé de son aide à une femme dans la misère)
On m’a rapporté – ce n’est pas l’intéressé – que lors de la rupture, elle lui écrivit pour le consoler et lui remontrer qu’après tout il n’était pas à plaindre, ayant joui du « joli jardin de sa chair ». Joli, si on veut, mais jardin, quand on la connaît ?… Une plate-bande tout au plus. Paris le vingt-deux novembre mil neuf cent quinze à Rachilde
Qu’est-ce qu’il a le « gros niais » ? On arrive. On lui dit bonjour. Pas de réponse. Il part. Il ne dit pas le moindre au revoir. Inutile de lui en parler. Je me moque de ses bouderies. C’est moi qui tiens le bon bout. Je baiserai encore sa femme. Paris le quatre juillet mil neuf cent vingt-quatre à Anne Cayssac (il est question du mari de cette dernière, surnommé aussi par Léautaud, le Bailli)
 

2 octobre 2020


Le jour n’est pas encore levé ce jeudi qu’à l’arrêt Kasino de Saint-Quay je monte dans le car BreizhGo Un direction Saint-Brieuc. Grâce à la Communauté de Communes, ce voyage ne me coûte qu’un euro cinquante.
Le car se charge au fil des arrêts de qui va travailler ou étudier dans la principale ville des Côtes-d’Armor, notamment de jeunes filles dont je ne vois que la moitié du visage, ce qui me suffit pour savoir qu’elles sont jolies. Je descends à l’arrêt Les Champs où l’on trouve un centre commercial assez récent. C’est à deux pas du centre historique.
Une femme m’indique sa direction, une autre une bonne boulangerie et je trouve seul La Cigogne, près de la Cathédrale Saint-Etienne, où je petit-déjeune, puis je photographie cet édifice et les halles Georges Brassens à côté, de style Baltard. A proximité se tient aussi la Préfecture devant laquelle attendent des immigrés.
Ensuite j’explore les rues pavées alentour où se succèdent de belles demeures à pans de bois, notamment place Louis Guilloux. Y pousse un remarquable noyer du Caucase sous lequel un homme installe une terrasse. C’est le patron du bar Auprès De Mon Arbre.
Premier client de la journée, je bois un café verre d’eau sous ce noyer exotique qui laisse passer un peu de soleil et comme il fait doux j’y reste à lire Léautaud. « Il n’habitait pas sur cette place, Louis Guilloux ? » demandé-je au sympathique patron quand il repasse à proximité. « Non, je crois que c’était dans le quartier Saint Michel. »
« 13 rue Lavoisier », revient-il me dire après avoir consulté son smartphone. C’est sur le chemin du port du Légué, ce sera pour une autre fois.
Dans les toilettes sont disponibles Algues vertes, l’histoire interdite d'Inès Léraud et le numéro de La Lettre à Lulu consacré à L’Agriculture du foutur. En réglant mes un euro cinquante, je félicite ce cafetier pour ses choix.
-A une prochaine fois, me dit-il.
-Ce n’est pas impossible, lui réponds-je.
Je poursuis ma visite, monte jusqu’à la Basilique Notre-Dame d’Espérance puis jusqu’à la chapelle Notre-Dame-de-la-Fontaine et sa fontaine Saint-Brieuc arrêtée, redescends voir enfin le Pavillon de Bellescize et son jardin (c’était la demeure des évêques, c’est maintenant le Centre Communal d’Action Sociale).
Comme le soleil donne sur la terrasse de La Grange place du Martray face aux Halles, j’en occupe une table jusqu’à l’heure du déjeuner. Le menu est à quinze euros trente : tarte poisson tomate, hachis Parmentier, tarte aux prunes.  Rien de bien excitant dans l’assiette mais c’est le meilleur emplacement.
Près de moi un couple de touristes bourgeois prend un kir. Tandis qu’il ne fait rien, elle visite la ville avec son smartphone et des commentaires qui donnent à penser qu’elle se croit dans un parc d’attraction. Elle n’arrive pas à situer le port du Légué. Ce que je crains finit par arriver :
-Pardon monsieur, excusez-moi, vous êtes d’ici ?
-Non je ne suis pas d’ici mais je me débrouille mieux que vous, et sans téléphone.
Cela suffit pour assurer ma tranquillité. Trois ouvriers (deux bières et un diabolo menthe) les remplacent alors que tombe soudain une averse dont nous protège l’auvent. L’un raconte que pour s’endormir, il regarde la pétanque à la télé.
Deux habitués se croisent à la porte :
-Ça va ?
-Je sais pas.
Avec le quart de vin rouge pas bon et le café bu avant, j’en ai pour un peu moins de vingt euros.
Avant que ne tombe l’averse suivante, je rejoins le centre commercial Les Champs et entre chez Hache et Aime. Une aimable vendeuse qui sait exactement ce qu’elle a et n’a pas en boutique m’aide à trouver un vêtement de pluie avec capuche. Je n’aime pas ça mais comment ouvrir un parapluie dans les prochains jours alors qu’Alex qui doit s’abattre sur la Bretagne dès cette nuit et avoir des conséquences durables est maintenant qualifié par les experts de « tempête explosive » et de « bombe météorologique » ?
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Si Louis Guilloux est l’écrivain emblématique de Saint-Brieuc, c’est aussi la ville de naissance de Villiers de L’Isle-Adam (sa maison natale a malheureusement été détruite) et y furent lycéens Alfred Jarry et Tristan Corbière.
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Le Maréchal Foch, quant à lui, y a épousé une Briochine en l’église Saint-Michel.
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Une Briochine, rien que le mot donne envie d’y goûter.
 

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