Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

17 juillet 2025


Un déluge sur le toit vers quatre heures du matin m’alerte sur le temps à venir ce mercredi. C’est comme une image de la dette de la France qui s’accroît de cinq mille euros par seconde (Bayrou dixit). Je glisse un parapluie dans mon sac, mais ne l’ouvre pas entre mon logis et la Gare car ce n’est plus que de la mouillasse.
Aucune famille cette fois dans la voiture Trois du sept heures vingt-deux pour Paris, des couples qui ne savent pas quoi faire de leurs valises. Je lis Vraie blonde, et autres, le recueil de texte divers de Jack Kerouac. Son voyage en Greyhound me rappelle ceux que je fis.
Il ne pleut pas à Paris où le ciel est gris. J’innove en prenant un bus Vingt terminus Porte des Lilas qui a du mal à s’extraire de l’embouteillage de Saint-Lazare puis des travaux de Réaumur. J’en descends à l’arrêt Belleville Ménilmontant, place Jean-Ferrat. J’emprunte le boulevard de Belleville puis prends à gauche la rue Jean-Pierre-Timbaud, enfin, à droite, la rue de Vaucouleurs village de Lorraine (comme l’indique la plaque).
Bienvenue à Babelville est-il écrit sur le trottoir. Le seul commerce de cette rue est au bout, Le Bibliovore, qui m’amène ici et n’ouvre qu’à dix heures. En attendant, je bois un café au comptoir d’un bar de quartier (c’est écrit sur la vitre) où « le journal », c’est Libération. Il est tenu par un jeune couple à bébé et s’appelle L’Orillon, rue du même nom. Le café n’est pas très bon mais il n’est qu’à un euro.
Le jeune libraire est en retard. Il n’arrive qu’à dix heures et quart. La faute au métro Treize, me dit-il. J’avais espoir dans ce nouveau Bibliovore car il a hérité du stock de la librairie qu’il remplace mais je constate qu’il n’y a rien pour moi.
Je rejoins Ledru-Rollin par le métro en changeant à République, une station où prospère la vente de cigarettes à la sauvette. Chez Book-Off, une nouvelle équipe d’employé(e)s remplace l’ancienne que j’aimais bien, notamment les deux jolies filles toujours de bonne humeur. J’en ressors bredouille.
Au Rallye, un nouveau serveur (chinois bien sûr) m’apporte successivement un hareng pommes à huile, une andouillette pommes sautées sauce moutarde à l’ancienne et un café. Derrière moi, un homme s’inquiète : « Je ne savais plus mon code de carte bancaire, je tapais le code de ma boîte à lettres. Qu’est-ce qui s’est passé dans mon cerveau ? »
De là, je rejoins en métro le Book-Off de Saint-Martin. Pour la première fois depuis que j’utilise ce moyen de transport parisien, j’assiste à un contrôle dans la rame. L’escouade en uniforme est rapidement repérée par les fraudeurs qui descendent tous à Bastille, l’un n’a pas besoin de ses béquilles pour sauter sur le quai.
Dans le sous-sol toujours surchauffé, je suis interpellé : « Oh bonjour, je suis contente de vous voir. » C’est l’une des deux jolies employées disparues du Book-Off de Ledru-Rollin. Elle ne travaille pas là. Elle est en train d’ouvrir une galerie d’art vers Mouffetard. « Je suis artiste peintre », me dit-elle. Je me demande ce que cache cette appellation désuète. Moi aussi, je suis content de la revoir. Je prends en note sur mon petit carnet le nom de sa galerie et son adresse. Un quart d’heure plus tard, je ressors bredouille.
Mauvaise surprise, la ligne Trois du métro est hors service pour travaux. Je récupère la ligne Huit à République. Les vendeurs de cigarettes à la sauvette sont toujours là (le Ministre de l’Intérieur se nomme Retaillaud). Je descends à Opéra d’où je marche jusqu’à Quatre-Septembre et m’arrête au comptoir du Bistrot d’Edmond. Comme je le craignais, je ressors du troisième Book-Off bredouille.
Faute de métro Trois, j’emprunte le passage Choiseul pour rejoindre la station Pyramide où je monte dans le Quatorze, direction Saint-Lazare. Il me reste à rentrer à Rouen avec Jack Kerouac : Roulé jusqu’en Floride avec le Photographe Robert Frank, né suisse, pour aller chercher mère, chats, machine à écrire et grande valise pleine de manuscrits originaux. (…) C’est assez sidérant de voir un type, pendant qu’il est au volant, lever tout à coup d’une main son petit appareil allemand à 300 dollars et photographier quelque chose qui bouge devant lui, avec en plus un pare-brise pas lavé.
                                                                    *
Au cul des bus parisiens :
« 30 min pour aller au taf
2 min pour te faire veniiiiir »
(publicité pour un jouet sexuel destiné aux femmes)

14 juillet 2025


Pas de livres donnés de ma part cette fois lors de la rencontre Rouen Stockholm. Faute d’ouvrages adaptés parmi ceux qui dorment chez moi. Ceux offerts dans le passé ont-ils été lus ? Je n’en suis pas sûr.
Personne ne me donne des nouvelles des livres dont je fais cadeau. Même quand ils m’ont été commandés.
Un qui m’en avait réclamé un et qui évoque ses lectures sur le réseau social Effe Bé n’en a jamais parlé.
Une à qui j’en avais offert deux sur un pont entre rive gauche et rive droite pour la remercier d’un masque anti Covid alors introuvable ne m’en a jamais reparlé. Il y a peu, elle annonçait qu’elle allégeait sa bibliothèque en déposant des ouvrages dans une boîte à livres (une mauvaise idée, la majorité des livres passant par là finissent mal).
Je demande par écrit à un troisième : « As-tu lu La Petite Fille qui aimait trop les allumettes ? »
« Non, je ne connais pas ce roman, je devrais? », me répond-il.
« La Petite Fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy, c’est un des livres que je t’ai offerts lorsque nous nous sommes vus à Rouen, donc tu devrais être en mesure de le lire si tu en as envie ou alors quelqu’un d’autre de la famille peut s’y coller. »
« Diable! je craignais cette réponse. Je vais fouiller dans mes piles de livres à lire. »
                                                                       *
Chacun sait que lorsque j’offre un livre je ne l’ai pas payé cher. Il n’empêche que chaque livre donné est l’objet d’un choix étudié.
                                                                       *
Je lis les livres que je m’offre. La plupart jusqu’au bout. Certains sans en sauter une ligne.
Récemment, dans cette dernière catégorie :
La Province de François Mauriac, un livre dédicacé à Raymond par Renée en mil huit cent quatre-vingt-huit avec cette petite carte à l’intérieur « En te souhaitant un aussi grand plaisir que celui que tu as permis que nous ayons Jacqueline et moi », ce qui donne à penser. Il faut être provincial pour savoir que la solitude – la seule souhaitable, celle dont on peut librement sortir – ne se goûte qu’à Paris.
Le numéro dix du Manifeste incertain de Frédéric Pajak. J’ai changé, disais-je. Combien de passions se sont éteintes, et qui paraissent aujourd’hui si lointaines, si vaines. D’autres se sont imposées. Des passions nouvelles, donc. Par exemple, un certain goût de la désinvolture.

12 juillet 2025


Il est dix heures dix quand je m’assois à la terrasse de L’Interlude au bout de la partie piétonnière de la rue Eau-de-Robec. Quelques minutes plus tard arrivent ceux avec qui j’ai rendez-vous. Ce vendredi marque le retour, après trois ans d’interruption, de la rencontre avec les amis de Stockholm, lui (sans elle pour l’instant en rendez-vous au Céhachu), leurs deux enfants (le garçon vu une fois, la fille jamais vue) et le frère d’elle (inconnu de moi).
Le temps nous est compté car tout ce monde part en vacances en Bretagne dès aujourd’hui. Nous trois adultes devisons agréablement tandis que les enfants sont plongés dans la lecture.
Arrive celle qui manquait. « Ça va ? » me demande-t-elle. « Oui, on est en train de parler du suicide. » On évoque aussi la vie rouennaise, la vie suédoise, la vie bretonne et bien d’autres sujets. On se demande mutuellement des nouvelles de l'homme au chapeau sans pouvoir s'en donner. La conversation se prolonge, si bien qu’il est midi.
Plutôt que d’acheter des sandouiches, les futurs vacanciers choisissent de déjeuner ici avant de partir. Cela me vaut le plaisir d’un repas partagé. La patronne de L’Interlude, particulièrement aimable ce jour (je l’ai connue autrefois moins arrangeante), se met en quatre pour nous fournir au plus vite en croque-monsieur. Ceux-ci sont accompagnés de frites maison qui nous rappellent d’autres rencontres Rouen Stockholm à La Tonne, du temps où cet endroit devenu librairie était un café restaurant.
Le départ pour la Bretagne est plus tardif que prévu, le plaisir étant pour moi d’une retrouvaille suffisamment longue pour ne pas en repartir frustré, le contraire d’un interlude.
                                                                         *
Pour avoir écouté une chanson d’elle sur YouTube, laquelle m’avait plu, je pensais aller au concert d’Agathe Plaisance dont j’ai connu le grand-père communiste Rolland quand il était Maire d’Evreux, un concert donné place de la Pucelle pour les sempiternelles Terrasses du Jeudi et puis, le moment venu, je me rends compte que cela me demande de l’effort et non de l’envie, que désormais je préfère à un concert, quel qu’il soit, la lecture sur le banc du jardin.
Ce jeudi, j’y termine Avant les autruches, après les iguanes… Lettres à Gustave Roud de René Auberjonois. Trente ans d’amitié réduits à néant par la vieillesse et la maladie qui rendirent Auberjonois hargneux.

10 juillet 2025


Le bruit des hélicoptères, c’est tout ce que j’aurai connu de l’arrivée du Tour à Rouen. Lequel, je l’ai appris d’un mieux informé que moi, faisait un crochet dans le centre-ville, de la Gare au Boulingrin par la rue de la Jeanne et la rue du Canuet. Il fallait qu’il passe devant l’Hôtel de Ville pour la gloire de notre Maire, Mayer-Rossignol. J’aurais pu m’en douter. Celui qui est le plus souvent soupçonné de tricher a gagné l’étape et il y a eu une attaque au couteau dont on a peu parlé (il ne fallait pas gâcher la fête).
Ce mercredi, le calme est de retour du côté de la Gare que je rejoins pour prendre le sept heures vingt-deux. Il s’agit de retrouver Paris. C’est un train des familles, vacances obligent, que des enfants en bas âge trop bien réveillés. J’y commence la lecture de Journal d’un étranger à Paris de Curzio Malaparte. Je ne sais ce qui est le plus fatiguant des vociférations de Génération Cinquante ou des chut ! parentaux. Une mère à son deux ans chouinant à plat ventre dans le couloir : « Tu veux qu’on fasse une activité ? » Elle lui enfourne un croissant. C’est aussi efficace qu’un bâillon.
Notre crèche ambulante arrive à l’heure dans la capitale où, comme en Normandie, le ciel est bleu et la température supportable. Bus Vingt-Neuf, départ dans neuf minutes. Grâce au ciel, comme disent certains, sans moutards. Rue Beaubourg, nous dépassons deux Gendarmes à cheval puis, pour raison de travaux, « dévions le Marais ». On longe la Seine, Paris Plages fermée, les boîtes des bouquinistes fermées, Notre-Dame à moitié réparée.
De la Bastille, je rejoins le Marché d’Aligre où Emile et Amin ont sorti tous leurs livres. Rien chez le premier. Du bon chez le second : Carnets de guerre 1914-1918 d’Edouard Cœurdevey (Terre Humaine Plon), Journal d’un Poilu sur le front d’Orient de Jean Leymonnerie (Pygmalion) et Exégèse des lieux communs de Léon Bloy (Dix Dix-Huit), ce dernier cherché depuis longtemps. « C’est toujours cinq pour trois ? » « C’est pas assez » « Ah ! » « Ça vient d’arriver » « Combien alors ? » « Six ». J’ai un bon contact avec Amin (ou Amine, je ne sais) et je l’entretiens en le remerciant et en lui souhaitant une bonne journée.
Je prends un café au comptoir du Camélia qui semble avoir retrouvé une clientèle puis je vais voir s’il y a aussi du bon parmi les livres à un euro au Book-Off de Ledru-Rollin. Il y en a : Souvenirs personnels de Joseph Conrad (Autrement), Lettres de collège d’Alexandre Vialatte et Henri Pourrat (Presses Universitaires Blaise Pascal), Schubert et l’infini de Jacques Drillon (Actes Sud) et Vraie blonde, et autres de Jack Kerouac (Folio).
Quiche lorraine salade et tartare de thon avocat mangue frites salade, c’est mon déjeuner chez Au Diable des Lombards. De là, profitant d’une journée pas trop chaude, au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. En bas des marches, tout de suite me fait signe le récent numéro dix du Manifeste incertain titré Les Etrangers Malcolm Lowry Alberto Giacometti de Frédéric Pajak (Editions Noir sur Blanc) à huit euros. Heureusement, je ne trouve rien d’indispensable parmi les livres à un euro. Mon sac est déjà trop lourd.
Il est quatorze heures. Je me traîne jusqu’à la terrasse de La Terrasse pour un café verre d’eau lecture à l’ombre de l’auvent. Derrière moi, dans la conversation de deux filles que je ne vois pas, il est question de se connecter à ses traumas et les faire avancer par des tapotements puis d’autistes de bas niveau et de haut niveau. Vers quinze heures, de nombreux passages d’avions militaires en répétition du Quatorze Juillet font lever les têtes et sortir les smartphones.
C’est fatigué que j’attends le seize heures quarante à la Gare Saint-Lazare, me demandant combien de temps encore je pourrai faire une virée le mercredi à Paris. Le train du retour est à l’heure et ma place préférée disponible dans la voiture Cinq où aucun enfant ne se trouve. Je lis toujours Journal d’un étranger à Paris de Curzio Malaparte, trop de réflexion, pas assez d’action, une déception. Sur la plate-forme, trois membres de la Sûreté Ferroviaire veillent.
On aurait besoin d’eux ou de leurs semblables sur le parvis de la Gare de Rouen où deux zonards en viennent aux mains (comme on dit) à propos du chien de l’un perdu par l’autre.
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Au rayon Voyage du Book-Off de Ledru-Rollin : Voyage en Grande Garabagne d’Henri Michaux.
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De nous, les cocus du monde, qui ne sommes ni beaux ni laids, ni riches ni bien nés, de nous que la vie effraie, que le vent pousse à son gré, qui nous consumons en vains regrets, de nous les êtres sans mémoire et sans force, sans gloire et sans orgueil, de nous les vieillis avant l’âge, les menteurs, les lâches, les pauvres en esprit, les tendres et les enfantins, aux haines fragiles, aux vénérations incertaines, de nous, les jaloux et les craintifs, de nous Schubert est le frère. (Jacques Drillon)

8 juillet 2025


L’évènement de l’été à Rouen, c’est l’arrivée du Tour de France ce mardi. La circulation va être perturbée. Au point que certaines boutiques choisissent de fermer. Ainsi Le Bibliovore. La libraire ira-t-elle voir les coureurs ? Qu'est-ce que tu fais ? Mais tu tapines en bourg ? Pas du tout, c'est l'arrivée du Tour !
Les coureurs, on ne les verra pas en ville. Leur pédalage a lieu sur les hauteurs. Il faut du dénivelé positif. Cela se passera côte de Bonsecours et côte de Neufchâtel avec pour arrivée le Boulingrin.
A l’occasion de cette arrivée du Tour à Rouen, la Mairie propose une exposition Jacques Anquetil. Elle choque l’ancien bouquiniste du bas de la rue Cauchoise. Avec sa syntaxe, sa ponctuation et son orthographe personnelles, il s’offusque sur le réseau social Effe Bé :
« Je ne comprends pas qu’on puisse, mettre en avant, dans cette ville de Rouen, qui se veut porteuse de valeurs, (le droit des femmes en premier) le cas Anquetil, qui donna un enfant à sa belle fille, avec la bénédiction de sa propre femme, c’est à dire la mère de cette même belle fille, il fera même un deuxième enfant avec l’épouse du fils de sa femme…
De surcroît, un homme qui a avoué avoir pris des substances illicites (ce qui lui a valu de ne pas homologuer un record du monde)
Donc je m’interroge sur le fait de mettre avant un homme certes champion dans son domaine, en faisant fi du caractère incestueux de sa relation avec sa belle fille, du caractère polygame dans sa vie et des valeurs morales et éthiques du sport, qui me semble plus que bafouée. »
Il n’y avait pourtant là qu’un arrangement entre adultes consentants.
                                                               *
Monsieur rêve d’un poste de Maire Adjoint aux Bonnes Mœurs.

3 juillet 2025


Lundi est le jour où la chaleur finit par atteindre Rouen. Je la sens déjà bien quand en début d’après-midi, je lis au Son du Cor où je dois changer deux fois de place pour fuir une fille soûlante. Je la sens encore plus en début de soirée au jardin où je termine Correspondances croisées, les lettres reçues et envoyées par Pierre Belfond, un pavé de neuf cent dix pages édité « à ses dépens » uniquement pour ses correspondants.
Cette chaleur pesante me conduit à annuler mes billets de train du mercredi deux juillet. Dans la capitale, côté température, c’est pire depuis plusieurs jours. Le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin doit être une étuve.
Je suis tenté de remplacer cette journée à Paris par une journée à Dieppe. J’y renonce quand j’apprends que le temps va changer ce mercredi avec possibilité d’orages en Seine-Maritime.
Mon ordinateur ressuscité me permet d’organiser mon automne ailleurs. Ce qui n’est pas simple, un hébergement, puis un autre, annoncés libres ne l’étant pas.
                                                                     *
Chacun se plaint du dérèglement climatique. Chacun contribue à l’aggraver. Comme si la plupart des humains avaient fait le choix du suicide collectif. Un exemple local : By Me, le coiffeur de la rue de la Champmeslé utilise deux climatiseurs mobiles dont par la porte entrouverte les tuyaux crachent la chaleur (déjà l’an dernier, il faisait ainsi). Autre exemple local : L'Échappoterie, le café atelier de peinture sur céramique de la rue d’Amiens fait de même avec un seul climatiseur, bien que fréquenté par une jeunesse (surtout féminine) tenant sans doute de beaux discours écolos. Une pratique que la loi interdit mais qui n’est sanctionnée par personne.

1er juillet 2025


Un écran noir et rien qui se passe, tel est l’état de mon ordinateur depuis son retour de Colmar. Il n’a pourtant subi aucun choc durant le voyage. Comment en trouver un autre quand on a besoin d’un pour cela. Je lance deux ou trois appels à l’aide dans le voisinage. Nul n’en a un de disponible.
Bien sûr, je dois dans le même temps faire face aux contingences du retour à la vie normale. Vendredi à neuf heures je passe à la Pharmacie du Centre où j’apprends que mon indispensable collyre destiné à retarder mon glaucome est indisponible. Rupture chez le fournisseur, on ne peut pas le commander. Quand même, le pharmacien, grâce à son ordinateur, m’apprend qu’il en reste un flacon à la Pharmacie de la Gare et trois à celle de Jouvenet. Il appelle la première pour qu’on le mette de côté pour moi. J’y monte et me voilà tranquille pour un mois mais après ?
L’avantage d’habiter à Rouen, c’est que je me trouve sur l’étroite bande de territoire qui reste verte sur la carte de la météo. Il n’y fait pas trop chaud, surtout en comparaison de ce que j’ai subi en Alsace. Le soir venu, je tente une dernière fois de mettre en route mon vieil ordinateur. Il redémarre, comme une fleur, rien à y comprendre.
Samedi matin, au lieu d’aller au Marché des Emmurées me ravitailler en fruits et légumes, je trouve plus nécessaire d’aller à la vente de livres d’occasion du Secours Populaire au Centre Commercial des Docks. J’y trouve quelques livres dont je ferai commerce et deux que je lirai un jour j’espère : La dédicace de Botho Strauss (Gallimard) et Souvenirs sur Igor Strawinsky de Ramuz (Séquences). Au retour, je dois faire avec trois clochards malodorants qui profitent du bus gratuit. Se cramponnant à la barre, déjà saouls, ils vont boire.
Dimanche matin, rue de la République, tandis que des filles saoules se courent après, j’attends le bus Effe Un de sept heures treize (le premier de la journée). Il se remplit en cours de route de celles et ceux qui vont au même endroit que moi. Tout le monde descend à Mairie de Bois-Guillaume. De là, il faut marcher un moment avant d’arriver au vide-greniers organisé par le cleube de foute de la ville. Autrefois, c’était un bon pour ce qui est de trouver des livres.
Encore trop peu d’exposants sont installés à huit heures trente quand j’en ai fait le tour, une partie sur un terrain défoncé à se faire une entorse, l’autre sur un terrain de foute. L’organisation est tellement tatillonne qu’ils doivent attendre une heure, moteur tournant, avant de pouvoir déballer. Vraiment rien pour moi. Je m’apprête à rentrer quand je repère l’album Les Chats de Dubout chez Hoebeke. Je n’ai pas envie de l’acheter mais quand je demande le prix à sa vendeuse et qu’elle me dit deux euros, j’ouvre mon porte-monnaie. Et voilà un livre de plus. J’aime le dessin de couverture qui montre un chat de dos et son orifice anal. Il me rappelle un chat que j’ai eu au temps où j’étais marié : Trouduc.
Revenu à Rouen, je me rends au Marché du Clos Saint-Marc pour y acheter un neufchâtel. Un homme pose sa mini-bicyclette contre le trottoir au carrefour de la rue Martainville et de la rue Victor-Hugo. Il sort un marqueur rose et se met à écrire sur une des bandes blanches du passage piétonnier en chantonnant « Je suis Tonton. Je suis Tonton. Je suis pas net. Je suis pas net. » Je sais maintenant qui est celui qui écrit « Tonton, pas nèt » partout en ville depuis des mois, sur les murs, sur les sols, sur le mobilier urbain. Pour passer inaperçu, il porte une casquette à carreaux, un pantalon orange et des lunettes rouges.
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A la boulangerie, une femme en surpoids (comme on dit) demande un pain bio, puis au moment de payer : « Et mettez-moi aussi la viennoise au chocolat. »  A peine sortie, elle la mange goulûment.
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Tandis que je lis Le Couteau de Salman Rushdie au Son du Cor passe une fille avec un mini-ventilateur coincé entre les seins. Un peu plus tard, à la table voisine de la mienne, une lycéenne interrompt sa conversation pour dire « Bonjour Madame » à une qui passe. La Madame en question est une de ses profs qui lui demande à quelle heure les résultats demain. Elles ont une courte conversation. Quand la prof s’éloigne, la lycéenne à celui avec qui elle boit un verre : « Je la déteste. »

30 juin 2025


Le soir de mon retour de Colmar, dépité par ce qui arrive à mon ordinateur, je me couche tôt et m’endors. Vers dix heures, je suis réveillé par des bruits bizarres en provenance du jardin. Je regarde par la fenêtre. La vieille voisine d’origine anglaise du duplex de deuxième et troisième étages en face du mien jette tout par la fenêtre du troisième.
Cette femme a toujours été étrange. Une quinzaine d’années qu’elle est là, derrière ses fenêtres aux rideaux toujours fermés au deuxième et obturées par des cartons au troisième. Elle ne sort que le soir, et surtout la nuit, comme ses chats.
Je ne la vois pas. Elle jette. Je me dis qu’un(e) voisin(e) a déjà appelé les Pompiers ou la Police. La fille de cette dame arrive en compagnie d’une amie à elle. Elle crie : « Cette fois, c’est l’HP, c’est l’HP ! »
Elle ne monte pas. Elle fait des photos et filme. Plusieurs fois, j’ai vu cette fille brusquer sa mère. On ne peut pas dire que ce soit un modèle d’amour filial. Elle est au téléphone avec je ne sais qui. « T’as entendu ? T’as entendu ? » Un objet en verre vient de se casser en arrivant au sol.
Elle finit par monter. Une voisine et son fils sortent. La vieille femme descend. Le fils de la voisine lui crie qu’elle pouvait blesser quelqu’un ou tuer un de ses chats. Si elle avait jeté des oreillers ou ses vêtements, cela aurait été aussi grave, me dis-je. Personne ne semble prendre conscience qu’on a affaire à une malade en pleine crise. Je fais le Dix-Huit.
Je tombe sur un centre d’appel où celui qui me répond met un certain temps à situer l’endroit. Il me demande ce que fait la fille de cette dame. « Elle lui crie dessus. » Ma vieille voisine ramasse ce qu’elle a jeté par la fenêtre et le met dans la poubelle. « T’es en train de ruiner le tri des déchets. » « Si tu veux jeter du papier, il faut aller rue de la République. » « Je vais transférer votre appel à la Police, ne quittez pas », me dit le Pompier.
Suit une musique classique qui s’éternise. C’est le même Pompier qui reprend la conversation. Il me dit que quelqu’un d’autre a appelé et que comme la famille est sur place le Samu arrive.
Deux grands costauds. « C’est vous ? » dit l’un à l’amie de la fille. Elle fait un bond en arrière. La vieille voisine a regagné son appartement. Ils montent avec la fille. Au bout d’un moment, la fille redescend. « Je vais partir avec eux, dit-elle, sinon elle va leur raconter n’importe quoi et ils vont la relâcher. »
La vieille voisine se laisse emmener. L’amie de la fille et le fils de la voisine mettent dans les poubelles tout ce qui a été jeté, dont un ordinateur qui m’aurait été utile.
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Au matin du vendredi, les chats sont toujours dehors, des plastiques sont accrochés aux fenêtres du voisin du premier absent, la fenêtre par laquelle tout a été jeté est restée ouverte malgré la pluie, des objets bouchent la gouttière.

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