Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

24 novembre 2015


Du jazz à l’Opéra de Rouen ce samedi soir où j’ai bonne place en corbeille. Sur la scène, les instruments attendent les musiciens du groupe américain James Farm, mais c’est d’abord l’habituel Michel Jules de Rouen Jazz Action qui enjambe la contrebasse.
-Tiens, voilà le patron, commente l’un de mes voisins.
Le patron fait sa petite présentation de la soirée. Quant aux prochaines, hormis celle programmée à l’Opéra en mai, il est dans l’embarras car plus de salle pour le jazz avec la fermeture du Hangar Vingt-Trois, mais, dit-il, il y a plus grave en ce moment et il trouvera une solution.
James Farm est une formation épisodique composée de quatre grands musiciens : Eric Harland à la batterie, Matt Penman à la contrebasse, Aaron Parks au piano et claviers, enfin celui qui fait figure de lideur Joshua Redman aux saxophones. C’est à ce dernier, dont le jeu est virtuose, que revient de dire quelques mots pour nous remercier d’être venus « There’s no country like France ».
James Farm, c’est de la musique agréable à l’oreille dont l’improvisation est si maîtrisée que le petit loupé du batteur à la fin d’un morceau suscite quelques rires de sympathie, de la musique huilée que j’apprécie, sans être subjugué.
-Thank you for coming, répète Joshua Redman au moment du rappel, à qui on peut retourner le remerciement.
                                                            *
Rouen : quatre mille personnes pour le rassemblement bleu blanc rouge de vendredi soir, trois cents pour celui d’extrême gauche de samedi après-midi, les deux sous la pluie, et voici qu’après-coup la télé, le journal et les sites d’information régionaux se réveillent et apprennent aux participants du premier que la banderole derrière laquelle ils ont marché a été fabriquée par la droite de l’extrême droite, des identitaires à la normande avec lesquels est amie la naïve et gentillette organisatrice. Il suffisait d’aller voir ce que postait celle-ci sur sa page Effe Bé entre deux photos de bimbo pour le soupçonner.
Faire une enquête avant un évènement, c’était autrefois le travail des journalistes.
                                                           *
Sans surprise, je vois toute cette extrême gauche que je côtoyais encore naguère dans des manifestations en faveur des Sans Papiers ou jadis contre le nucléaire être plus effrayée par l’état d’urgence que par la montée de l’islamo-fascisme. Leur hiérarchie des dangers n’est pas la mienne et ils me soûlent avec leur discours stéréotypé et donneur de leçon.
Autant dire qu’on n’est pas prêt de me revoir dans une manifestation.
                                                          *
Un fidèle lecteur m’apprend que les vigiles (ou agents de sécurité) du Bataclan ne sont pas morts (comme je l’avais entendu dire par un invité sur France Culture), « Ils ont tout fait pour aider les gens à sortir de cet enfer. »  C’est une bonne nouvelle.
 

23 novembre 2015


Ce vendredi soir, trois vigiles (ou agents de sécurité) sont chargés de l’accueil à l’entrée de l’Opéra de Rouen, prière d’ouvrir son manteau des fois qu’on cacherait une ceinture d’explosif et son sac des fois qu’on y logerait une kalachnikov. Autant dire que si on vient au spectacle pour tenter d’oublier un peu les évènements d’il y a une semaine, c’est mal parti. Ça ne s’arrange pas dans la salle puisque j’entends les placeuses parler de ce qu’elles devraient faire en cas d’évacuation et qu’au concert a été ajouté un prélude sous forme d’un texte de Shakespeare tiré d’Henry V dit par le comédien anglais Samuel West My duty to you (il y est question des malheurs de la France).
Musiques françaises et anglaises alternent : Le Roi Lear de Claude Debussy, Symphonic Prelude : The Magic Island de William Alwyn, l’Ouverture du Roi Lear d’Hector Berlioz et Hamlet, a Shakespeare scenario for actor & orchestra de William Walton. Elles sont parsemées d’extraits de textes du dramaturge, lus ou dits par Samuel West, qui connut son heure de gloire dans le film Retour à Howards End, apprends-je du livret programme. Il fait le job, sans m’éblouir.
Côté musique, si l’Orchestre, dirigé par Leo Hussain, est à deux harpes, ce sont surtout les percussions et les cuivres guerriers qui se font entendre alors que je préfèrerais être dans une autre atmosphère, mais cela semble plaire à beaucoup.
Lors des applaudissements finals, Samuel West et Leo Hussain font plusieurs allers et retours, le premier d’un pas martial, le second trottinant derrière. Ils m’évoquent, non pas des personnages de Shakespeare, mais Don Quichotte et Sancho Pança.
                                                          *
« Shakespeare est, pour moi, le plus grand dramaturge de tous les temps. Je sais bien, qu’en tant que britannique, mon jugement est influencé, mais il suffit de regarder le nombre de chefs-d’œuvre qu’il a écrits et ont inspiré d’autres grands artistes pour prendre la mesure de son influence », déclare Leo Hussain dans le livret programme. Je n’en disconviens pas, mais personnellement, je donnerais toutes les pièces de Shakespeare pour une seule de Tchekhov.
                                                           *
Debout le plus souvent qu’il peut afin qu’on le voie bien, serrant les mains, porteur d’une écharpe rouge à la Fabius, Nicolas Mayer-Rossignol, Socialiste, Chef de Région, fait une sortie préélectorale à l’Opéra de Rouen, ce vendredi soir, des fois que ça donnerait idée à certain(e)s de voter pour lui le six décembre.
                                                          *
Ces nouveaux vigiles (ou agents de sécurité) à l’entrée de l’Opéra, comme à la Poste ou devant Monoprix, peu probable qu’ils aient à faire face à quoi que ce soit, Rouen est une ville moyenne de province, mais si c’était le cas ils ne pourraient rien. Au Bataclan, les vigiles ont été parmi les premiers tués.
                                                         *
Ouvrier d’échafaudage, rue de l’Hôpital :
-Moi j’suis trop vieux pour aller à Paris, et puis j’suis bientôt à la retraite, j’aimerais bien en profiter un p’tit peu.
 

21 novembre 2015


Retour au café de l’Ubi ce jeudi en début d’après-midi, lequel a repris un horaire d’ouverture compatible avec le mien. J’y écris ma journée parisienne de la veille tandis qu’on y installe le matériel nécessaire au concert de jazz de la soirée, ce qui fait que mon espace vital diminue peu à peu. Musiciens et organisateurs discutent de ce qu’ils font tandis qu’est diffusé un disque des Doors, une musique qui me convient tout à fait.
Quand les uns et les autres évoquent les réservations pour ce soir, il est vite question d’argent et quand la conversation s’échauffe un peu, l’un déclare :
-On ne va pas parler de ça devant tout le monde.
Tout le monde, c’est moi.
Ils sortent fumer sur le trottoir. Faisant une pause dans mon écriture, je me remémore ma conversation du matin avec l’une de mes voisines, dans la ruelle, devant la porte cochère.
Je lui demande ce qu’il en est de la dame du premier dont je ne sais rien depuis l’intervention spectaculaire des pompiers chez elle juste avant mon départ pour Brest.
-J’hésite à vous répondre car vous racontez tout sur Internet, me dit-elle.
-Il y a beaucoup de choses que je ne raconte pas, lui dis-je, si je vous pose cette question, c’est simplement que je me soucie de cette voisine que je ne connais pas mais avec qui j’échange un bonjour quand je la croise.
Celle que j’interroge n’a pas apprécié ce que j’ai raconté l’autre jour sur le pisseur de jardin invité d’un autre voisin. Plus généralement, elle n’aime pas que je raconte la vie des uns et des autres, est-ce que j’en ai seulement le droit ?
Elle me reproche ensuite, paradoxalement, de ne pas avoir parlé du cambriolage qui a eu lieu chez d’autres voisins, ni des ébats sexuels bruyants dont sont coutumiers un autre et sa copine.
-Je n’écris pas l’histoire de la copropriété, lui dis-je, je n’écris pas non plus pour mes voisins, il ne faut pas me lire si vous n’aimez pas ça.
Elle ne me lit pas mais on lui raconte.
-Si ça vous est si insupportable de vivre dans la copropriété, il faut aller ailleurs, me dit-elle encore, et j’entends par-là qu’elle aimerait bien me voir déménager.
Je lui dis que je suis le plus ancien habitant de cette copropriété, ce qui prouve que je ne trouve pas insupportable d’y vivre, et puis comme en début de conversation elle me reprochait une non-assistance à personne en danger pour avoir vu sortir la voisine du premier sans manteau, avoir trouvé ça bizarre mais n’avoir rien fait, alors que ce jour-là je n’avais pas pensé une seconde qu’elle était en détresse, je lui raconte que ma longue présence dans cette copropriété m’a permis de venir au secours de deux vieilles femmes qui y habitaient, l’une tombée sous le porche, et qui ensuite m’appelait son sauveur, et l’autre tombée devant sa porte, fâchée après moi pour ce que j’avais écrit sur elle (elle ne me lisait pas mais on lui avait raconté) et qui suite à mon intervention redevint fort cordiale. Finalement, je ne suis pas si mauvais que ça.
                                                          *
Je préfère mille fois entendre une femme qui jouit qu’un chien qui aboie, mais il n’y pas toujours de quoi en faire une bonne histoire.
                                                          *
Ce chefaillon djihadiste tué à Saint-Denis, qualifié de cerveau des attentats, est celui que l’on voyait sur une vidéo de propagande au volant d’une voiture du désert déclarer hilare : « Avant quand on allait au bled on tirait la caravane, maintenant on tire ça ». Ça c’était, accrochés par des cordes, cinq corps mutilés.
Qu’est-ce que je suis content quand meurt un tel salopard.
 

20 novembre 2015


A l’arrivée à Paris ce mercredi un message dans le métro annonce que la ligne Treize est arrêtée avant la Basilique de Saint-Denis suite à une intervention policière et sur ordre de la Préfecture, confirmant ce que j’ai appris sur France Culture avant de quitter Rouen. Je prends le Trois puis le Huit pour rejoindre Ledru-Rollin.
Au Café du Faubourg où je bois un café la soirée beaujolais nouveau du lendemain est annulée.
-Ah bon ? s’étonne un déçu.
-L’accordéoniste vient d’Auvergne, lui répond le patron, elle a peur de monter à Paris.
Je ne sais si c’est aussi la peur, mais il n’y a pas à dix heures la file habituelle des vendeurs de livres, cédés, dévédés, etc. chez Book-Off. En revanche, les coutumiers acheteurs à téléphone sont là à rentrer leurs code-barres. J’en sors avec le Mini Zoé J’ai saigné, le récit que fit Blaise Cendrars de la blessure de guerre qui conduisit à l’amputation de son bras, et rejoins le marché d’Aligre. Les crieurs de fruits et légumes à un euro sont muets. Il règne ici aussi une atmosphère étrange, regards graves et tendance à la sympathie. Le soleil brille, il y a du monde aux terrasses.
A l’entrée de la rue de Charonne, la boutique de vêtements Courbettes et Galipettes annonce en vitrine les « Crazy Days ». J’entre Chez Céleste un peu avant midi où l’on me demande comment je vais.
-Vas-y, installe-toi, me dit le serveur qui me tutoie pour la première fois.
Je déjeune d’un feroz d’avocat et d’un poulet yassa avec un quart de vin rouge portugais. Cela fait toujours dix-huit euros cinquante que je vais payer au comptoir. Un jeune homme y boit un café.
-Ça va ? lui demande le serveur.
-C’est dur, répond-il, mais la vie va reprendre son cours petit à petit, comme on dit.
Je remonte la rue de Charonne au-delà du carrefour avec Ledru-Rollin et arrive à hauteur du café La Belle Equipe devant lequel sont mortes dix-neuf personnes, dont Hodda qui y fêtait son trente-cinquième anniversaire et sa sœur Halima. Khaled, l’un de leurs frères, y est serveur et indemne. Le large trottoir où se tenait la terrasse est complètement couvert de bougies, de bouquets et de messages. Cela s’étend devant le restaurant japonais d’à côté dont l’une des portes en verre a été détruite. Les rideaux métalliques sont baissés. Nous sommes une vingtaine sur le bord de la rue, poignés par l’émotion. Sur l’une des affichettes, d’une écriture enfantine : « Le collège Anne Frank, brisé mais debout. Fuck les terroristes. Vive la Paix. »
Je vais souffler dans le square voisin, sur un banc au soleil, me demandant comment vont s’en sortir ceux qui ont survécu et si même les lieux atteints vont pouvoir rouvrir. Des enfants de toutes couleurs y jouent paisiblement. Une vieille folle passe en chantant Je vais t’aimer comme on ne t’a jamais aimé, à faire rougir tous les Marquis de Sade. L’église à côté se nomme Sainte-Marguerite. Un panneau informatif m’apprend qu’elle était jouxtée du cimetière dans lequel, en dix-sept cent quatre-vingt-quatorze, furent enterrés trois cents guillotinés en provenance des places de la Bastille et de la Nation, il n’y a pas que la religion pour conduire à la barbarie.
Passant par une rue très protégée (ce qui me laisse à penser que c’est celle où habite Manuel Valls), j’arrive rue de la Roquette et entre dans un Péhemmu kabyle au moment où en sort un habitué.
-Tu crois ce que c’est vrai ce qu’il raconte, qu’il a été frôlé par les balles ? demande un autre au patron.
-Non, ceux qui ont vraiment vécu ça, ils n’en parlent pas comme ça. Il a eu peur, c’est tout.
Ce client a gagné cent trente et un euros aux courses. Le patron ouvre deux portes de placard derrière le comptoir faisant apparaître un escalier qui descend au sous-sol où il va chercher l’argent. C’est là qu’il faudrait se cacher pour sauver sa vie, me dis-je.
Un peu plus loin, je passe près de zonards à chiens qui s’entretiennent avec des militaires en armes, puis arrive à la Bastille. J’y prends le bus Vingt pour rejoindre le deuxième Book-Off. Il passe par la place de la République. Des télés du monde entier y ont encore leurs antennes rondes. Elles attirent autour de la statue certains m’as-tu-vu, dont un guignol habillé en Statue de la Liberté qui brandit un drapeau tricolore.
Sur les boulevards, le conducteur noir d’une Audi noire bloquée par un fourgon est mis en joue par deux policiers à fusil mitrailleur. Il ne sera pas question de lui aux actualités du soir. Elles m’apprendront que les salopards cernés à Saint-Denis sont morts ou ont été capturés après sept heures d’assaut.
                                                                 *
Dans le train du retour lecture décevante d’Entre les lignes de Michel Baglin (La Table Ronde), acheté parce qu’il y est question de trains mais qui s’avère être un banal récit d’enfance. Mon exemplaire fut dédicacé par l’auteur à une précédente propriétaire : « A Simone, en espérant que tu retrouveras « entre ces lignes » un peu de Vert-Saint-Denis de la grande époque auquel je suis resté très attaché. Très affectueusement. Michel »
Vert-Saint-Denis n’est pas vers Saint-Denis mais un village de la Brie, vers Melun.
                                                                *
Quand même quelle chance d’être à Rouen et d’avoir le choix entre le rassemblement de vendredi soir à ballons bleus blancs rouges de la naïve gentillette qui sur sa page Effe Bé demande l’interdiction du drapeau palestinien à l’Onu et celui de samedi après-midi des organisations gauchistes dont certaines lors des bombardements de Gaza par Israël défilaient à Paris en compagnie de jeunes musulmans qui criaient « Mort aux Juifs ».
Fuyant l’un et l’autre mais ne pouvant rester inactif, je sors ma carte bancaire pour aider la famille d’Hodda et Halima.
 

19 novembre 2015


« Ce n’est pas rien d’être ici ce soir à jouer et à écouter de la musique », déclare Thierry Pécou, chef de l’Ensemble Variances, de noir vêtu, sur la scène de l’Opéra de Rouen. « La musique contre l’obscurantisme et la barbarie », conclut-il. Il s’agit de faire hommage à Alexandre Scriabine dont c’est le centenaire de la mort.  Ça commence par la Méditation sur deux thèmes de la Journée de l’existence pour violoncelle et piano d’Ivan Wyschnegradsky.
Suivent Nout pour clarinette-contrebasse de Gérard Grisey, joué devant une bougie, qui m’est une épreuve terriblement longue, puis deux compositions de Scriabine : Cinq Préludes et Vers la Flamme (brillamment jouées par Alexander Melnikov) qui me permettent de savoir que Scriabine, compositeur mystico-pantoufle dont je connais peu la musique, eh bien je n’aime pas tellement.
Après, c’est Soleil-Feu pour violon et piano de Thierry Pécou (Alexander Melnikov au piano) et le Duo basso pour flûte-basse et clarinette-basse de Bruce Mather,  un duo que je ne saurais qualifier que par un mot vulgaire : chiant. 
Deux couples s’esquivent, profitant de la proximité d’une porte latérale. Pourtant le meilleur est pour la suite : SILVER pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano de Marc Patch. J’aurais apprécié que ça se termine ainsi mais vient encore la Sonate numéro neuf « Messe Noire » de Scriabine, jouée dans le noir (une messe noire jouée dans le noir, ouah la bonne idée).
Rentrant, je me dis qu’on ne doit pas s’amuser tous les jours dans l’Ensemble Variances et que s’il y avait eu un entracte pendant ce concert une hémorragie de public aurait sans doute été constatée.
                                                                 *
Thierry Pécou, à propos de Scriabine, dans le livret programme : « Une des obsessions du compositeur était l’élévation de l’individu : Vers la Flamme est ainsi accompagné d’un poème où des flammes envahissent la Terre et font renaître les Hommes en une meilleure race ». 
Scriabine est mort depuis cent ans mais ces âneries ont plus que jamais cours.
                                                                 *
Ce mardi matin, passant à la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier vendre les romans policiers de bas de gamme qu’habituellement on m’y achète, j’ai la mauvaise surprise de les voir refuser, on en a trop. « Ça ne m’arrange pas », dis-je au bouquiniste, « j’ai acheté ces livres pour vous les revendre comme d’habitude, afin d’en acheter d’autres, et tout à coup vous n’en voulez plus » (acheter ailleurs de bons livres que je ne trouve pas chez vous en finançant par des faciles que vous proposez en nombre, ne lui dis-je pas). Il tombe des nues (comme on dit), il croyait que ce que je lui apportais était ce que je lisais.
Que ce bouquiniste pense que les livres que je lui vends étaient des livres que j’avais lus, c’est carrément insultant.
 

18 novembre 2015


Souvenir du bel été où j’ai lu dans la nature à haute voix Paris est une fête d’Ernest Hemingway puis Paris ne finit jamais d’Enrique Vila-Matas à celle qui me tenait la main et qui maintenant habite la capitale.
Paris est une fête, écrit par Ernest Hemingway de mil neuf cent cinquante-sept à cinquante-neuf, narre le séjour qu’il y fit avec sa femme de mil neuf cent vingt et un à vingt-six.
Le premier chapitre s’intitule Un bon café sur la place Saint-Michel :
C’était un café plaisant, propre et chaud et hospitalier, et je pendis mon vieil imperméable au portemanteau pour le faire sécher, j’accrochai mon feutre usé et délavé à une patère au-dessus de la banquette et commandait un café au lait. Le garçon me servit et je pris mon cahier dans la poche de ma veste, ainsi qu’un crayon, et me mis à écrire.
Et le dernier : Paris n’a jamais de fin :
Ce fut la fin de notre première période parisienne. Paris ne fut plus jamais le même. C’était pourtant toujours Paris, et s’il changeait vous changiez en même temps que lui. (…)
Il n’y a jamais de fin à Paris et le souvenir qu’en gardent tous ceux qui ont vécu diffère d’une personne à l’autre. Nous y sommes toujours revenus, et peu importait qui nous étions, chaque fois, ou comment il avait changé…
… tel était le Paris de notre jeunesse, au temps où nous étions très pauvres et très heureux.
Paris ne finit jamais, écrit par Enrique Vila-Matas au début des années deux mille, débute ainsi :
Je suis allé à Paris au milieu des années 70 et j’y ai été très pauvre et très malheureux. J’aimerais pouvoir dire que j’y ai été heureux comme Hemingway, mais je redeviendrais alors tout simplement le pauvre jeune homme, beau et idiot, qui se dupait tous les jours lui-même et croyait avoir bénéficié d’une certaine chance en ayant la possibilité de vivre dans la mansarde crasseuse que lui avait louée Marguerite Duras au prix symbolique de cent francs par mois, et si je dis symbolique, c’est parce que c’est ce que j’avais compris ou voulu comprendre, en effet je ne payais jamais le loyer avant les logiques quoique, par chance, toujours sporadiques protestations de mon étrange logeuse…
Et que faisais-je dans la mansarde de Duras ? Eh bien, tout simplement tenter de mener une vie d’écrivain comme celle que Hemingway raconte dans Paris est une fête.
L’évocation drolatique de ce séjour parisien se termine ainsi :
Puis je suis allé manger un croque-monsieur au Flore, ai bu un verre de liqueur de mûre et ai analysé la situation. Je l’ai analysée pendant six jours et, le septième, je suis retourné à Barcelone. Quand mon père a voulu savoir pourquoi j’étais revenu, je lui ai dit que c’était parce que j’étais tombé amoureux de Julita Grau et que, en plus, à Paris, il pleuvait toujours, il faisait froid, la lumière était rare et il y avait beaucoup de brouillard. Et tout y est gris, a ajouté ma mère en pensant, je suppose, à moi.
Ce mercredi, après le concert de mardi soir à l’Opéra de Rouen pour le centenaire de la mort de Scriabine, je serai une nouvelle fois à Paris.
 

17 novembre 2015


Retour au Socrate ce lundi, bar de jour de pluie où heureusement les écrans sont éteints. J’y poursuis la lecture des lettres de Gaston Chaissac, parfaite occupation pour se libérer momentanément la tête de l’actualité tragique et de ses suites. Partiellement, car assez souvent passent et repassent policiers à pied ou en voiture.
En rentrant, je ne peux m’empêcher de retourner sur le réseau social Effe Bé, de quoi à nouveau être énervé par ce que j’y lis, non non nous ne sommes pas en guerre, une guerre c’est un Etat contre un autre Etat (donc celle d’Espagne n’en était pas une), non il ne faut pas bombarder Daesh (mais quoi faire d’autre, ils ne savent pas).
Laissons donc les islamo-fascistes prendre le pouvoir dans tous les pays dits musulmans, du Maroc à la Turquie, et en faire un immense Califat.
                                                    *
Je savais bien qu’on me reprocherait d’avoir écrit que tous les terroristes sont musulmans.
                                                    *
De Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie Hebdo, protégée en permanence par la Police :
« Il est temps d'appeler les choses par leur nom. Il est temps d'aborder les vraies questions. Quand j'entends que l'imam de Villetaneuse condamne ce qui vient de se passer j'ai envie de dire "merci, c'est gentil" mais vous en tant qu'imam, vous ne pensez pas qu'il faille faire une véritable introspection dans ce que vous enseignez à vous ouailles, est-ce qu'il n'est pas temps de se poser des questions sur pourquoi l'islam produit cet islamo-fascisme sous différentes formes? »
« Nous avons accepté d'être les otages de cette façon de penser qui fait que quand nous nous en prenons aux plus radicaux des musulmans, nous sommes tout de suite taxés de racisme. »
« … il faudrait que nous arrêtions d'accepter que ces pleurnichards de la stigmatisation derrière leurs burqas ou leurs barbes nous imposent leur standard radicalisé comme étant le standard de toute une identité dans ce pays. »
« Tant que ce discours-là sera abandonné à l'extrême droite, tant que les formations politiques classiques continueront à penser qu'en dénonçant cela elles peuvent être taxées de racisme on continuera à rester dans ce désespoir-là. »
                                                   *
Hollande qui profite de l’occasion pour désigner Sarkozy comme son interlocuteur privilégié, c’est-à-dire comme son adversaire officiel pour la prochaine Présidentielle.
Ce Sarko qui dénonce le fait qu'un des terroristes ait été condamné huit fois sans avoir jamais fait un jour de prison, quand lui-même était Ministre de l'Intérieur.
                                                   *
Manifestation rouennaise prévue vendredi soir devant l’Hôtel de Ville organisée par une naïve gentillette :
« Des ballons Bleu-Blanc-Rouge vous seront fournis sur place malheureusement je ne pourrai pas en fournir à tout le monde alors n'hésitez pas à venir avec des banderoles de soutien ainsi que des drapeau de France. »
Elle ajoute que des ballons bleus, blancs et rouges on peut en acheter chez Carnaval, la boutique locale de farces et attrapes.
 

16 novembre 2015


« Quand la Préfecture m’a donné le choix entre annuler le concert ou le maintenir avec des mesures de sécurité supplémentaires, je n’ai pas hésité une seconde », annonce de façon liminaire, petits papiers en main, Frédéric Roels, Directeur de l’Opéra de Rouen, ce dimanche à seize heures. Il va y être donné un concert de musique de chambre intitulé de façon quelque peu prémonitoire Dédicaces. Je suis au premier rang sur une chaise côté piano. « Défendre l’esprit des Lumières contre le fanatisme religieux » dit-il encore avant d’inviter à un moment de silence. Cette intervention nécessaire et sobre est très applaudie.
Hervé Walczak Le Sauder (violon), Pascale Thiébaux (violon), Agathe Blondel (alto) et Florent Audibert (violoncelle) jouent la Toccata sesta d’après Frescobaldi de Laurent Lefrançois, courte composition contemporaine néo classique, puis le Quatuor pour cordes numéro dix-sept en si bémol majeur « La Chasse » de Wolfgang Amadeus Mozart.
Le meilleur est pour après l’entracte avec le Quintette pour piano en mi bémol de Robert Schumann pour lequel Frédéric Aguessy est au piano, une œuvre ardente fort plaisante avec en bonus visuel une jolie tourneuse de pages à l’air bien sage.
Avant que les cinq donnent en bis le mouvement le plus tonique, Frédéric Aguessy prend la parole pour citer un extrait de la lettre qu’écrivit Richard Wagner à Robert Schumann au lendemain de l’audition de ce quintette : Je vois quel chemin vous voulez suivre, et puis vous assurer que c’est aussi le mien, là est l’unique chance de salut : la beauté., un propos qui fait écho à l’actualité tragique.
                                                             *
Pas le moindre risque d’endormissement durant ce concert malgré une nuit moyenne et un réveil brutal à l’heure du départ d’un des invités de la soirée biture du voisin étudiant (une habitude de quand sa copine n’est pas là), invité avec lequel l’une des voisines à chiens s’embrouille bruyamment car ce buveur de bière la pisse dans le jardin :
-Il n’y a pas de toilettes chez Florent ? lui demande-t-elle avec l’appui sonore d’Aboyus.
Le pisseur va se plaindre à son peute inviteur qui lui fait une leçon de morale alcoolisée.
                                                            *
Avant le concert, au Son du Cor, avec toutes celles et tous ceux qui profitent d’une terrasse de belle journée d’automne à soleil trop bas en regardant celui-ci sur le haut des maisons d’en face.
 

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