Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

20 novembre 2015


A l’arrivée à Paris ce mercredi un message dans le métro annonce que la ligne Treize est arrêtée avant la Basilique de Saint-Denis suite à une intervention policière et sur ordre de la Préfecture, confirmant ce que j’ai appris sur France Culture avant de quitter Rouen. Je prends le Trois puis le Huit pour rejoindre Ledru-Rollin.
Au Café du Faubourg où je bois un café la soirée beaujolais nouveau du lendemain est annulée.
-Ah bon ? s’étonne un déçu.
-L’accordéoniste vient d’Auvergne, lui répond le patron, elle a peur de monter à Paris.
Je ne sais si c’est aussi la peur, mais il n’y a pas à dix heures la file habituelle des vendeurs de livres, cédés, dévédés, etc. chez Book-Off. En revanche, les coutumiers acheteurs à téléphone sont là à rentrer leurs code-barres. J’en sors avec le Mini Zoé J’ai saigné, le récit que fit Blaise Cendrars de la blessure de guerre qui conduisit à l’amputation de son bras, et rejoins le marché d’Aligre. Les crieurs de fruits et légumes à un euro sont muets. Il règne ici aussi une atmosphère étrange, regards graves et tendance à la sympathie. Le soleil brille, il y a du monde aux terrasses.
A l’entrée de la rue de Charonne, la boutique de vêtements Courbettes et Galipettes annonce en vitrine les « Crazy Days ». J’entre Chez Céleste un peu avant midi où l’on me demande comment je vais.
-Vas-y, installe-toi, me dit le serveur qui me tutoie pour la première fois.
Je déjeune d’un feroz d’avocat et d’un poulet yassa avec un quart de vin rouge portugais. Cela fait toujours dix-huit euros cinquante que je vais payer au comptoir. Un jeune homme y boit un café.
-Ça va ? lui demande le serveur.
-C’est dur, répond-il, mais la vie va reprendre son cours petit à petit, comme on dit.
Je remonte la rue de Charonne au-delà du carrefour avec Ledru-Rollin et arrive à hauteur du café La Belle Equipe devant lequel sont mortes dix-neuf personnes, dont Hodda qui y fêtait son trente-cinquième anniversaire et sa sœur Halima. Khaled, l’un de leurs frères, y est serveur et indemne. Le large trottoir où se tenait la terrasse est complètement couvert de bougies, de bouquets et de messages. Cela s’étend devant le restaurant japonais d’à côté dont l’une des portes en verre a été détruite. Les rideaux métalliques sont baissés. Nous sommes une vingtaine sur le bord de la rue, poignés par l’émotion. Sur l’une des affichettes, d’une écriture enfantine : « Le collège Anne Frank, brisé mais debout. Fuck les terroristes. Vive la Paix. »
Je vais souffler dans le square voisin, sur un banc au soleil, me demandant comment vont s’en sortir ceux qui ont survécu et si même les lieux atteints vont pouvoir rouvrir. Des enfants de toutes couleurs y jouent paisiblement. Une vieille folle passe en chantant Je vais t’aimer comme on ne t’a jamais aimé, à faire rougir tous les Marquis de Sade. L’église à côté se nomme Sainte-Marguerite. Un panneau informatif m’apprend qu’elle était jouxtée du cimetière dans lequel, en dix-sept cent quatre-vingt-quatorze, furent enterrés trois cents guillotinés en provenance des places de la Bastille et de la Nation, il n’y a pas que la religion pour conduire à la barbarie.
Passant par une rue très protégée (ce qui me laisse à penser que c’est celle où habite Manuel Valls), j’arrive rue de la Roquette et entre dans un Péhemmu kabyle au moment où en sort un habitué.
-Tu crois ce que c’est vrai ce qu’il raconte, qu’il a été frôlé par les balles ? demande un autre au patron.
-Non, ceux qui ont vraiment vécu ça, ils n’en parlent pas comme ça. Il a eu peur, c’est tout.
Ce client a gagné cent trente et un euros aux courses. Le patron ouvre deux portes de placard derrière le comptoir faisant apparaître un escalier qui descend au sous-sol où il va chercher l’argent. C’est là qu’il faudrait se cacher pour sauver sa vie, me dis-je.
Un peu plus loin, je passe près de zonards à chiens qui s’entretiennent avec des militaires en armes, puis arrive à la Bastille. J’y prends le bus Vingt pour rejoindre le deuxième Book-Off. Il passe par la place de la République. Des télés du monde entier y ont encore leurs antennes rondes. Elles attirent autour de la statue certains m’as-tu-vu, dont un guignol habillé en Statue de la Liberté qui brandit un drapeau tricolore.
Sur les boulevards, le conducteur noir d’une Audi noire bloquée par un fourgon est mis en joue par deux policiers à fusil mitrailleur. Il ne sera pas question de lui aux actualités du soir. Elles m’apprendront que les salopards cernés à Saint-Denis sont morts ou ont été capturés après sept heures d’assaut.
                                                                 *
Dans le train du retour lecture décevante d’Entre les lignes de Michel Baglin (La Table Ronde), acheté parce qu’il y est question de trains mais qui s’avère être un banal récit d’enfance. Mon exemplaire fut dédicacé par l’auteur à une précédente propriétaire : « A Simone, en espérant que tu retrouveras « entre ces lignes » un peu de Vert-Saint-Denis de la grande époque auquel je suis resté très attaché. Très affectueusement. Michel »
Vert-Saint-Denis n’est pas vers Saint-Denis mais un village de la Brie, vers Melun.
                                                                *
Quand même quelle chance d’être à Rouen et d’avoir le choix entre le rassemblement de vendredi soir à ballons bleus blancs rouges de la naïve gentillette qui sur sa page Effe Bé demande l’interdiction du drapeau palestinien à l’Onu et celui de samedi après-midi des organisations gauchistes dont certaines lors des bombardements de Gaza par Israël défilaient à Paris en compagnie de jeunes musulmans qui criaient « Mort aux Juifs ».
Fuyant l’un et l’autre mais ne pouvant rester inactif, je sors ma carte bancaire pour aider la famille d’Hodda et Halima.
 

19 novembre 2015


« Ce n’est pas rien d’être ici ce soir à jouer et à écouter de la musique », déclare Thierry Pécou, chef de l’Ensemble Variances, de noir vêtu, sur la scène de l’Opéra de Rouen. « La musique contre l’obscurantisme et la barbarie », conclut-il. Il s’agit de faire hommage à Alexandre Scriabine dont c’est le centenaire de la mort.  Ça commence par la Méditation sur deux thèmes de la Journée de l’existence pour violoncelle et piano d’Ivan Wyschnegradsky.
Suivent Nout pour clarinette-contrebasse de Gérard Grisey, joué devant une bougie, qui m’est une épreuve terriblement longue, puis deux compositions de Scriabine : Cinq Préludes et Vers la Flamme (brillamment jouées par Alexander Melnikov) qui me permettent de savoir que Scriabine, compositeur mystico-pantoufle dont je connais peu la musique, eh bien je n’aime pas tellement.
Après, c’est Soleil-Feu pour violon et piano de Thierry Pécou (Alexander Melnikov au piano) et le Duo basso pour flûte-basse et clarinette-basse de Bruce Mather,  un duo que je ne saurais qualifier que par un mot vulgaire : chiant. 
Deux couples s’esquivent, profitant de la proximité d’une porte latérale. Pourtant le meilleur est pour la suite : SILVER pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano de Marc Patch. J’aurais apprécié que ça se termine ainsi mais vient encore la Sonate numéro neuf « Messe Noire » de Scriabine, jouée dans le noir (une messe noire jouée dans le noir, ouah la bonne idée).
Rentrant, je me dis qu’on ne doit pas s’amuser tous les jours dans l’Ensemble Variances et que s’il y avait eu un entracte pendant ce concert une hémorragie de public aurait sans doute été constatée.
                                                                 *
Thierry Pécou, à propos de Scriabine, dans le livret programme : « Une des obsessions du compositeur était l’élévation de l’individu : Vers la Flamme est ainsi accompagné d’un poème où des flammes envahissent la Terre et font renaître les Hommes en une meilleure race ». 
Scriabine est mort depuis cent ans mais ces âneries ont plus que jamais cours.
                                                                 *
Ce mardi matin, passant à la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier vendre les romans policiers de bas de gamme qu’habituellement on m’y achète, j’ai la mauvaise surprise de les voir refuser, on en a trop. « Ça ne m’arrange pas », dis-je au bouquiniste, « j’ai acheté ces livres pour vous les revendre comme d’habitude, afin d’en acheter d’autres, et tout à coup vous n’en voulez plus » (acheter ailleurs de bons livres que je ne trouve pas chez vous en finançant par des faciles que vous proposez en nombre, ne lui dis-je pas). Il tombe des nues (comme on dit), il croyait que ce que je lui apportais était ce que je lisais.
Que ce bouquiniste pense que les livres que je lui vends étaient des livres que j’avais lus, c’est carrément insultant.
 

18 novembre 2015


Souvenir du bel été où j’ai lu dans la nature à haute voix Paris est une fête d’Ernest Hemingway puis Paris ne finit jamais d’Enrique Vila-Matas à celle qui me tenait la main et qui maintenant habite la capitale.
Paris est une fête, écrit par Ernest Hemingway de mil neuf cent cinquante-sept à cinquante-neuf, narre le séjour qu’il y fit avec sa femme de mil neuf cent vingt et un à vingt-six.
Le premier chapitre s’intitule Un bon café sur la place Saint-Michel :
C’était un café plaisant, propre et chaud et hospitalier, et je pendis mon vieil imperméable au portemanteau pour le faire sécher, j’accrochai mon feutre usé et délavé à une patère au-dessus de la banquette et commandait un café au lait. Le garçon me servit et je pris mon cahier dans la poche de ma veste, ainsi qu’un crayon, et me mis à écrire.
Et le dernier : Paris n’a jamais de fin :
Ce fut la fin de notre première période parisienne. Paris ne fut plus jamais le même. C’était pourtant toujours Paris, et s’il changeait vous changiez en même temps que lui. (…)
Il n’y a jamais de fin à Paris et le souvenir qu’en gardent tous ceux qui ont vécu diffère d’une personne à l’autre. Nous y sommes toujours revenus, et peu importait qui nous étions, chaque fois, ou comment il avait changé…
… tel était le Paris de notre jeunesse, au temps où nous étions très pauvres et très heureux.
Paris ne finit jamais, écrit par Enrique Vila-Matas au début des années deux mille, débute ainsi :
Je suis allé à Paris au milieu des années 70 et j’y ai été très pauvre et très malheureux. J’aimerais pouvoir dire que j’y ai été heureux comme Hemingway, mais je redeviendrais alors tout simplement le pauvre jeune homme, beau et idiot, qui se dupait tous les jours lui-même et croyait avoir bénéficié d’une certaine chance en ayant la possibilité de vivre dans la mansarde crasseuse que lui avait louée Marguerite Duras au prix symbolique de cent francs par mois, et si je dis symbolique, c’est parce que c’est ce que j’avais compris ou voulu comprendre, en effet je ne payais jamais le loyer avant les logiques quoique, par chance, toujours sporadiques protestations de mon étrange logeuse…
Et que faisais-je dans la mansarde de Duras ? Eh bien, tout simplement tenter de mener une vie d’écrivain comme celle que Hemingway raconte dans Paris est une fête.
L’évocation drolatique de ce séjour parisien se termine ainsi :
Puis je suis allé manger un croque-monsieur au Flore, ai bu un verre de liqueur de mûre et ai analysé la situation. Je l’ai analysée pendant six jours et, le septième, je suis retourné à Barcelone. Quand mon père a voulu savoir pourquoi j’étais revenu, je lui ai dit que c’était parce que j’étais tombé amoureux de Julita Grau et que, en plus, à Paris, il pleuvait toujours, il faisait froid, la lumière était rare et il y avait beaucoup de brouillard. Et tout y est gris, a ajouté ma mère en pensant, je suppose, à moi.
Ce mercredi, après le concert de mardi soir à l’Opéra de Rouen pour le centenaire de la mort de Scriabine, je serai une nouvelle fois à Paris.
 

17 novembre 2015


Retour au Socrate ce lundi, bar de jour de pluie où heureusement les écrans sont éteints. J’y poursuis la lecture des lettres de Gaston Chaissac, parfaite occupation pour se libérer momentanément la tête de l’actualité tragique et de ses suites. Partiellement, car assez souvent passent et repassent policiers à pied ou en voiture.
En rentrant, je ne peux m’empêcher de retourner sur le réseau social Effe Bé, de quoi à nouveau être énervé par ce que j’y lis, non non nous ne sommes pas en guerre, une guerre c’est un Etat contre un autre Etat (donc celle d’Espagne n’en était pas une), non il ne faut pas bombarder Daesh (mais quoi faire d’autre, ils ne savent pas).
Laissons donc les islamo-fascistes prendre le pouvoir dans tous les pays dits musulmans, du Maroc à la Turquie, et en faire un immense Califat.
                                                    *
Je savais bien qu’on me reprocherait d’avoir écrit que tous les terroristes sont musulmans.
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De Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie Hebdo, protégée en permanence par la Police :
« Il est temps d'appeler les choses par leur nom. Il est temps d'aborder les vraies questions. Quand j'entends que l'imam de Villetaneuse condamne ce qui vient de se passer j'ai envie de dire "merci, c'est gentil" mais vous en tant qu'imam, vous ne pensez pas qu'il faille faire une véritable introspection dans ce que vous enseignez à vous ouailles, est-ce qu'il n'est pas temps de se poser des questions sur pourquoi l'islam produit cet islamo-fascisme sous différentes formes? »
« Nous avons accepté d'être les otages de cette façon de penser qui fait que quand nous nous en prenons aux plus radicaux des musulmans, nous sommes tout de suite taxés de racisme. »
« … il faudrait que nous arrêtions d'accepter que ces pleurnichards de la stigmatisation derrière leurs burqas ou leurs barbes nous imposent leur standard radicalisé comme étant le standard de toute une identité dans ce pays. »
« Tant que ce discours-là sera abandonné à l'extrême droite, tant que les formations politiques classiques continueront à penser qu'en dénonçant cela elles peuvent être taxées de racisme on continuera à rester dans ce désespoir-là. »
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Hollande qui profite de l’occasion pour désigner Sarkozy comme son interlocuteur privilégié, c’est-à-dire comme son adversaire officiel pour la prochaine Présidentielle.
Ce Sarko qui dénonce le fait qu'un des terroristes ait été condamné huit fois sans avoir jamais fait un jour de prison, quand lui-même était Ministre de l'Intérieur.
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Manifestation rouennaise prévue vendredi soir devant l’Hôtel de Ville organisée par une naïve gentillette :
« Des ballons Bleu-Blanc-Rouge vous seront fournis sur place malheureusement je ne pourrai pas en fournir à tout le monde alors n'hésitez pas à venir avec des banderoles de soutien ainsi que des drapeau de France. »
Elle ajoute que des ballons bleus, blancs et rouges on peut en acheter chez Carnaval, la boutique locale de farces et attrapes.
 

16 novembre 2015


« Quand la Préfecture m’a donné le choix entre annuler le concert ou le maintenir avec des mesures de sécurité supplémentaires, je n’ai pas hésité une seconde », annonce de façon liminaire, petits papiers en main, Frédéric Roels, Directeur de l’Opéra de Rouen, ce dimanche à seize heures. Il va y être donné un concert de musique de chambre intitulé de façon quelque peu prémonitoire Dédicaces. Je suis au premier rang sur une chaise côté piano. « Défendre l’esprit des Lumières contre le fanatisme religieux » dit-il encore avant d’inviter à un moment de silence. Cette intervention nécessaire et sobre est très applaudie.
Hervé Walczak Le Sauder (violon), Pascale Thiébaux (violon), Agathe Blondel (alto) et Florent Audibert (violoncelle) jouent la Toccata sesta d’après Frescobaldi de Laurent Lefrançois, courte composition contemporaine néo classique, puis le Quatuor pour cordes numéro dix-sept en si bémol majeur « La Chasse » de Wolfgang Amadeus Mozart.
Le meilleur est pour après l’entracte avec le Quintette pour piano en mi bémol de Robert Schumann pour lequel Frédéric Aguessy est au piano, une œuvre ardente fort plaisante avec en bonus visuel une jolie tourneuse de pages à l’air bien sage.
Avant que les cinq donnent en bis le mouvement le plus tonique, Frédéric Aguessy prend la parole pour citer un extrait de la lettre qu’écrivit Richard Wagner à Robert Schumann au lendemain de l’audition de ce quintette : Je vois quel chemin vous voulez suivre, et puis vous assurer que c’est aussi le mien, là est l’unique chance de salut : la beauté., un propos qui fait écho à l’actualité tragique.
                                                             *
Pas le moindre risque d’endormissement durant ce concert malgré une nuit moyenne et un réveil brutal à l’heure du départ d’un des invités de la soirée biture du voisin étudiant (une habitude de quand sa copine n’est pas là), invité avec lequel l’une des voisines à chiens s’embrouille bruyamment car ce buveur de bière la pisse dans le jardin :
-Il n’y a pas de toilettes chez Florent ? lui demande-t-elle avec l’appui sonore d’Aboyus.
Le pisseur va se plaindre à son peute inviteur qui lui fait une leçon de morale alcoolisée.
                                                            *
Avant le concert, au Son du Cor, avec toutes celles et tous ceux qui profitent d’une terrasse de belle journée d’automne à soleil trop bas en regardant celui-ci sur le haut des maisons d’en face.
 

15 novembre 2015


Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend ses songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances ; il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu.
Barthélemy Diaz fut un fanatique profès. Il avait à Nuremberg un frère, Jean Diaz, qui n’était encore qu’enthousiaste luthérien, vivement convaincu que le pape est l’Antéchrist, ayant le signe de la bête. Barthélemy, encore plus vivement persuadé que le pape est Dieu en terre, part de Rome pour aller convertir ou tuer son frère : il l’assassine ; voilà du parfait : et nous avons ailleurs rendu justice à ce Diaz.
Polyeucte, qui va au temple, dans un jour de solennité, renverser et casser les statues et les ornements, est un fanatique moins horrible que Diaz, mais non moins sot. Les assassins du duc François de Guise, de Guillaume prince d’Orange, du roi Henri III, du roi Henri IV, et de tant d’autres, étaient des énergumènes malades de la même rage que Diaz.
Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l’ex-jésuite Paulian, ne sont que des fanatiques du coin de la rue, des misérables à qui on ne prend pas garde : mais un jour de Saint-Barthélemy ils feraient de grandes choses.
Il y a des fanatiques de sang-froid : ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont d’autre crime que de ne pas penser comme eux ; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain, que, n’étant pas dans un accès de fureur comme les Clément, les Chastel, les Ravaillac, les Damiens, il semble qu’ils pourraient écouter la raison.
Il n’est d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ; car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes ; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod qui assassine le roi Églon ; de Judith qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui ; de Samuel qui hache en morceaux le roi Agag ; du prêtre Joad qui assassine sa reine à la porte aux chevaux, etc. Ils ne voient pas que ces exemples, qui sont respectables dans l’Antiquité, sont abominables dans le temps présent : ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre. Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?
Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés parmi eux : leurs yeux s’enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits.
Oui, je les ai vus ces convulsionnaires, je les ai vus tendre leurs membres et écumer. Ils criaient : « Il faut du sang. » Ils sont parvenus à faire assassiner leur roi par un laquais, et ils ont fini par ne crier que contre les philosophes.
Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait. Il n’y a eu qu’une seule religion dans le monde qui n’ait pas été souillée par le fanatisme, c’est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède ; car l’effet de la philosophie est de rendre l’âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c’est à la folie des hommes qu’il faut s’en prendre.
(Article Fanatisme du Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire, mil sept cent soixante-quatre)
                                                         *
Ce texte m’est parvenu par le réseau social Effe Bé grâce à Valérie que je n’ai croisée dans la vraie vie qu’une seule fois.
                                                         *
Face à l’horreur de ce vendredi treize, chacun réagit comme il peut sur ce réseau. Certains y vont d’un « Il va falloir beaucoup beaucoup beaucoup d’amour », d’un signe de la paix avec la tour Eiffel dedans, de leur photo sur fond bleu blanc rouge. D’autres, d’extrême gauche, semblent davantage prêts à se battre contre l’état d’urgence de Hollande que contre les salopards d’islamistes.
Je ne me reconnais ni chez les uns ni chez les autres.
                                                        *
Tous les musulmans ne sont pas des terroristes mais tous les terroristes sont musulmans.
 

14 novembre 2015


Vendredi treize novembre deux mille quinze, une bonne soirée avec le chœur accentus et l’Orchestre de l’Opéra de Rouen dirigés par Laurence Equilbey pour un concert intitulé Guerre et Paix. S’y succèdent la Cantate sur la mort de Joseph II de Ludwig van Beethoven, Le Roi Etienne du même et Kampf und Sieg (Bataille et Victoire) de Carl Maria von Weber, tout cela diffusé en direct sur Radio Classique, ce qui permet aux amis de Stockholm autrefois abonnés ici d’en être.
Rentré à la maison, je songe au texte que je vais écrire, qui devra commencer par l’attrayante mise en garde de Frédéric Roels, Directeur, relative à la présence des micros sur la scène « Je vous invite à réprimer tous les bruits parasites qui pourraient vous tenter » et puis je mets en marche mon ordinateur et apprends l’horreur, tous ces morts à Paris, au Bataclan surtout, et ailleurs, notamment dans cette rue de Charonne que je connais bien.
J’appelle celle pour qui j’ai peur. Elle est dehors, à une terrasse, pas du tout consciente de la gravité de ce qui se passe. Je lui dis de rentrer, chez elle ou ailleurs, mais ne suis pas sûr qu’elle le fasse.
Cette fois c’est vraiment la Guerre, et pour ce qui est de la Paix…
 

13 novembre 2015


Gé Dix-Sept, fauteuil isolé un peu décentré, donc à ma convenance, ce mardi soir à l’Opéra de Rouen pour voir Carolyn Carlson dans son solo Dialogue with Rothko, une heure dix sur scène à soixante-douze ans, c’est la première fois que j’assiste à un spectacle de danse dans lequel l’artiste sur scène et la grande majorité du public sont dans la même tranche d’âge.
Carolyn Carlson est accompagnée par le violoncelliste Jean-Paul Dessy, Directeur de l’Ensemble Musiques Nouvelles de Mons, à qui l’on doit la musique de cette « poésie visuelle ». Un épiscope et des cadres écrans à projection font décor.
Cette lecture personnelle de Untitled (Black, Red over Black on Red), visible au Centre Pompidou, me plaît bien mais je ne sais si c’est la faute au violoncelle, il m’arrive de frôler l’endormissement. Peut-être devrais-je pratiquer comme la toujours jeune Carolyn Carlson  le qi gong chaque matin.
                                                        *
Onze/Onze/Quinze : neuf ans que ça dure, ce Journal.
 

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